LES MONDES NUMERIQUES

Blog des Masters en Sciences Sociales de l'Université Gustave Eiffel

Maker: Identité, mutation du travail et révolution.

Réflexion par JDAINI Ahmed

 

“I believe we are all makers. We can find all kinds of makers in our communities. Yet we also want to help create more makers. (…) My goal is that all people, young and old, come to see themselves as makers, creators and doers because I know that the people who have the skills and knowledge to make things have the power to make the world a better place.”

Dale Dougherty. Fondateur the Maker Movement, 

Introduction

L’ouvrage Hackers & Painters publié en 2004 peut sembler anecdotique dans la bibliographie de Paul Graham. Nous pensons nous, au contraire que ce fait est porteur de message pour qui y est sensible.

En exposant un regard nouveau sur les peintres de la renaissance – Michel ange, Rafael, Da Vinci  serait les hackers de leur époque – Graham tisse un lien particulier entre Art et Hacking. Il montre plus largement que le hacking n’est pas seulement une histoire de code informatique. Car même si le hacking est étroitement lié au développement informatique, il s’étend à tous les domaines.

Ce raccourci hacking-pirate nous permet d’introduire une définition du hacker que nous utiliserons tout au long de notre réflexion. Le Hacker est un « individu qui œuvre ingénieusement pour obtenir un résultat intelligent » (Lallement, 2015) appelé hack.

Hack, vient du mot hache, la traduction qu’en fait Lallement est «bidouille». Et c’est de cette figure qu’est tiré le maker. Maker vient de l’anglais make «faire des choses». Les pirates informatiques sont les crakers (notion de destruction). « Le plaisir du hacker est de faire » et non pas de détruire. Le hacker se rapproche donc plus du maker que du cracker.

Les makers se réunissent dans des hackerspaces, ces nouveaux espaces de production sont en pleine expansion. A cet égard, il est légitime de se demander qui sont ces makers.

« Les hackerspaces californiens s’inscrivent  dans le prolongement de la contre-culture libertaire des années 1960. Derrière le hacking, se cache en effet une véritable utopie anarchiste ». Cet éclairage de Michel Lallement nous donne une indication sur qui sont ces makers.

Une réflexion sur l’avenir du travail doit aussi être menée. Quelles sont les mutations du travail induit par cette frange de travailleur atypique, car « le hacking est tout d’abord une forme de rejet de l’organisation scientifique du travail et la hiérarchie verticale qui prive l’ouvrier de son pouvoir de création, le hacker est un Homofaber qui se rapproprie son travail, comme le montre le slogan « Do it yourself »».

Cette mutation du travail s’appuie sur un retour à la matière. Mais aussi sur l’usage de produit de haute technologie. Par exemple, l’Arduino définit comme « Open-source electronic prototyping platform allowing to create interactive electronic objects» ou encore le Raspberry Pi « a tiny and afforable computer that you can use to learn programming through fun pratical project». C’est eux qui ont fait dire à certains que nous serions à l’aube d’une troisième révolution industrielle.

L’analyse du mouvement «maker» se fera donc sur trois niveaux : Tout d’abord sur l’identité du maker, ce qui amènera sur une réflexion sur les mutations du travail induit par ce phénomène, pour enfin aboutir à un questionnement sur la réalité d’une troisième révolution industrielle qui a comme figure de proue, le maker.

I/ La figure du maker: Question sur l’identité du maker

Nous débuterons cette analyse par un bref rappel historique, en retraçant les origines du phénomène maker, pour en arriver à ses formes d’expression actuelle. Ensuite, nous allons dresser l’Idéal-type – au sens Wébérien – du maker. Ainsi ce sera sans prétendre que les caractéristiques retenues ici (identités, trajectoires, valeurs, etc.) se retrouvent toujours parfaitement chez les individus de cette catégorie. Par la suite nous nous intéresserons à la question du maker-entrepreneur (légende du garage) en partant de l’analyse schumpetérienne de la figure de l’entrepreneur et son rôle dans le processus d’innovation .Enfin, en guise de transition, nous nous intéresserons à cette nouvelle éthique du travail – en lien avec l’identité des makers – porteuse de vision du monde qui est susceptible d’avoir des impacts sur la façon de produire.

 A/ Origine et Idéaltype du maker

Origine du mouvement.

Il est souvent difficile de définir avec précision les origines d’un phénomène. Néanmoins, aux origines, nous dit Michel Lallement, se trouve le Tech Model Railroad Club du MIT.  Une association étudiante, qui a vue naitre le phénomène du hacking.

Si Lallement prend pour origine le hacking pour introduire le phénomène maker, c’est que le hacker se rapproche plus du maker que du cracker. Lallement, va au-delà de la « confusion sémantique » entre hacker et cracker. Le hacker n’est pas égal aux pirates informatiques, qui sont selon lui les crakers.

Avec la naissance de l’informatique, va donc émerger la figure du hacker, un « individu qui œuvre ingénieusement pour obtenir un résultat intelligent » (Lallement,2015) appelé hack. Et c’est de cette figure qu’est tiré le maker. Maker vient de l’anglais make « faire des choses ».

Hack, vient du mot hache, la traduction qu’en fait Lallement est « bidouille », notons que dans la langue française, le mot à une connotation négative que l’auteur récuse. Le hack est plutôt pour lui, le détournement d’un usage initial, avec une certaine virtuosité technique.

On peut aussi noter pour origine  le phénomène du Phreaking (piratage téléphonique) avec la figure de John Draper alias Captain Crunch considéré par certain comme le « père des hackers ». Les réussites de ce dernier vont inspirer la génération que l’on retrouvera plus tard au Homebrew Computer Club.

Communauté alternative et contre-culture.

C’est ainsi que la Silicon Valley et la contre-culture libertaire de la Baie vont, entre autre, être de ceux qui vont influencer le mouvement maker mondial.

Autre figure de la contre-culture, Stewart Brand, créateur du Whole Earth Catalog , est un catalogue publié entre 1968 et 1972, qui prônait la philosophie du Do It Yourself cher au mouvement maker. On y retrouvait principalement des objets (le sous titre du catalogue étant « access to tools ») pour améliorer, autonomiser ou encore émanciper l’Homme. L’idée de repousser la frontière est très présente. Nous pouvons rapprocher ça, du Mythe de la Frontière dans l’histoire des États-Unis mais aussi, de la volonté de repousser les frontières humaines lorsqu’on pense à l’usage de psychotrope.

Expression actuelle du phénomène.

Plusieurs groupes sont à la tête du mouvement maker aujourd’hui, dans un objectif de le faire croitre, ils sont aujourd’hui l’expression la plus nette du phénomène.

Nous pouvons donner plusieurs exemples de cette organisation: Commençons d’abord par le Choas Computer Club, fondé en 1981 à Berlin, qui organise aujourd’hui des colloques à porter internationale (Chaos Communication Congress). Il est un élément central du mouvement maker.

Le mouvement maker, a su faire un important travail de communication. On relève une médiatisation et communication important autour des pratiques. Cela se fait par exemple, au travers de magazines comme Make: We are all Makers lancé en 2005, qui font des tirages relativement important  (en 2012, près de 125 000 exemplaires). Ils revendiquent aujourd’hui trois millions de visiteurs uniques chaque mois sur leurs sites.

Ce travail de communication, se fait aussi au travers d’événements le plus souvent de type festif et à caractère populaire,  comme les foires. C’est le cas de la Maker Faire qui existe depuis 2006, lancée par Dale Dougherty, on y remarque un public familial, on a compté 35 000 visiteurs à Paris pour la dernière édition.

Symbole d’une structuration du mouvement dans la société, ces différentes expressions montrent bien son encrage de plus en plus prégnant dans le paysage de nos sociétés occidentales contemporaines.

Portrait: Identités et trajectoires

Qui sont donc ces gens ? Plutôt des jeunes, plutôt des hommes, blancs avec un profil de technicien-ingénieur à en croire les études de terrains menées par Michel Lallement. Néanmoins cela reste une tendance. Ainsi l’observation menée dans le Hackerspaces Noise Bridge à San Francisco, on y a retrouvé, c’est vrai, des ingénieurs de la Valley mais aussi quelques homeless. En complément de ces informations, il serait intéressant d’étudier le processus d’intégration, de voir comment on devient membre de ces espaces.

L’origine sociale est riche en information, pour peindre le portrait de ces makers. Ils seraient de parents ingénieurs/artistes, c’est un mélange technique/artistique, en plus d’une socialisation précoce à l’informatique qui serait à l’origine de nombre d’entre eux. On note aussi, de manière plus anecdotique, un parcours scolaire heurté pour certains.

Ces différents observations de terrain vont aboutir à un schéma des pôles qui vont structurer le monde hacker, que nous avons pris le droit de reproduire ici:

Les pôles qui structure le monde hacker

Comme développé en début d’analyse, Lallement met en opposition makers et crakers, qui ne se rejoignent que dans les formes que peuvent prendre les pratiques que sont le mode d’alimentation, l’habillement et les activités culturelles comme la musique. Autres pôle d’opposition, les idéaux de l’individu: soit la volonté de hacker la société ou plus modestement de hack l’objet.

Une typologie des hackers au sens makers va être dressée par la suite.

Quatre types de hackers (Lallement)

  1. Il y a ceux qui vont vivre pour le hack, ils sortent du système dominant, ils ont parfois la possibilité d’assurer leurs revenus/autonomie par la vente d’objets qu’ils ont produits. (Ex: Mitch Altman et son TV-B-Gone)
  2. Ceux qui vont faire « ce qui m’intéresse », ils assument la réussite économique si elle est là. (Ex: Alex Peake avec Code Hero)
  3. D’autres sont dans les deux mondes: un parcours classique (universitaire, professionnel) et dans le même temps présent dans les hackerspaces.
  4. Les convertis ont au départ un projet marchand mais ne disposent pas des ressources, contact, etc., ils vont donc se convertir par la suite à cet univers.

Au delà de cette typologie assez simplifiée, les makers sont aussi caractérisés par une série de valeurs, qui forgent et dictent leurs comportements. Nous pouvons donner l’exemple la sérendipité  (tiré de l’anglais serendipity) : c’est un état d’esprit qu’ont les makers. Ils cultivent cet état d’esprit pour faire des trouvailles. Saint augustin dans son ouvrage Civitas Dei, use du concept de Libido sciendi  qui serait la libido – différente de celle de Freud – du savoir, de la curiosité. Elle serait efficace ici pour parler des pratiques makers. Mais d’où sont tirées ces valeurs ? C’est ce que nous tenterons de voir par la suite.

Valeurs.

Les valeurs du mouvement maker sont largement tirées de l’héritage hacker. Steven Lévy va être celui qui va normaliser ces dernières.

L’héritage hacker: L’éthique hacker (Steven Lévy, 1984)

1- Toute information doit être libre.

2- Ne pas faire confiance à l’autorité et promouvoir la décentralisation.

Soit tout l’inverse d’une société comme IBM aux antipodes des désirs makers.

3- Les hackers ne devraient pas être jugés à l’aide de critères afférents aux diplômes, à l’âge, à l’origine ethnique ou à la position sociale, qui sont de faux critères, mais uniquement sur la base de leurs prestations en matière de hacking.

On est ici sur des valeurs de méritocratie.

4- Il est possible de produire de l’Art et de créer de belles choses à l’aide d’un ordinateur.

Le sens de l’esthétique, de l’artistique et du beau ne rentre pas en contradiction avec l’activité de hacker. Cette notion va se relever être d’une grande importance.

Certains makers sont des amateurs, un mot qui vient de amatora, amor. On retrouve bien ici la notion d’amour de l’art.

5- Les ordinateurs peuvent améliorer la vie.

Forme de positivisme (croyance ou naïveté), où la machine permet d’accéder à un monde meilleur.

De plus, l’accès aux ordinateurs doit évidement être universel et sans limitation.

Réflexion sur les théories de Marshall Shalins.

Le rapport désir/production est éclairant sur l’identité d’une certaine frange des makers. Dans cette sphère de la société on a tendance à produire ce que l’on aime ou ce que l’on désire produire. Shalins montre comment dans certaines sociétés dites primitives, on s’afférait à la fabrication d’objet que si l’on en jugeait le besoin et l’envie de le faire, la richesse n’étant pas dans la possession et l’accumulation d’objets (qui par ailleurs finissait jetés après une courte période d’utilisation ou finissait l’objet de potlatch). Un parallèle peut être tenté entre ces pratiques et celles des makers d’aujourd’hui, le côté « destruction de l’objet » en moins, les makers étant plutôt dans la récupération/rénovation des objets (paradigme écologique, contre l’obsolescence).

Voilà une approche qui nous éclaire sur la praxis – au sens que lui donne Aristote – du Maker.

Aristote oppose la praxis à la poiésis. Sous cet angle, l’action est dévalorisée, elle est aliénation. L’action est dévalorisée et c’est le résultat de cette action qui prime, l’action vaut moins que l’objet que l’on produit. La praxis, c’est la philosophie de l’agir pour agir, elle est synonyme de bonheur et liberté. Nous posons la question ici de savoir si chez certain makers, cette philosophie de vie n’expliquait pas les formes de production.

Plus largement, la thèse que défend Shalins est celle de l’économie primitive comme société d’abondance. L’économie primitive n’est pas une économie de misère, mais en réalité la seule société d’abondance. Pour lui, « il y a deux voies possibles qui procurent l’abondance. On peut « aisément satisfaire » des besoins en produisant beaucoup, ou en désirant peu ».

Cette manière d’appréhender la production, s’approche des idées alternatives développées chez des auteurs comme Pierre Rabhi. Dans son ouvrage, Vers la sobriété heureuse, il avance que le choix consenti de la modération de nos besoins apparait comme seul source de libération.

On peut retrouver certaines de ces idées dans les cercle makers, notamment les plus « politisées ».

Néanmoins, rappelons-nous que dans la quatrième catégorie de maker faite par Lallement, on retrouve certains makers ayant un projet marchand. Ce cas est plus typique de la situation française. Volonté de réussite économique et maker lifestyle n’entre pas forcément  en opposition. C’est en ces termes que nous poserons la question de l’entreprenariat-maker.

 B/ La figure du maker-entrepreneur : La question de l’entreprenariat.

Comme nous avons pu le voir, le maker peut rechercher la réussite économique. C’est au travers de l’analyse de Schumpeter que nous tenterons de produire une analyse du maker-entrepreneur.

Entreprise et entrepreneur.

Dans le dictionnaire économique et social de Bremond et Geledan « Entreprendre, au sens courant, est liée à l’idée de créer, d’innover. Souvent, les libéraux associent l’entreprise à la création de l’entrepreneur, (…). Cette vision quelque peu romantique place l’individu au centre de l’innovation et celle-ci au cœur de l’entreprise ». Dans le cas présent, le maker est souvent dans la création et l’innovation même s’il est loin d’être au cœur de l’entreprise classique.

« Schumpeter valorise, dans sa définition de l’entreprise, la fonction d’innovation de l’entrepreneur : « Les entrepreneurs sont les agents dont la fonction est d’exécuter de nouvelles combinaisons« . »

Rôle de l’entrepreneur et Innovation chez Schumpeter.

Selon Joseph Schumpeter « (…)Le rôle de l’entrepreneur consiste à réformer ou à révolutionner la routine de production en exploitant une invention (production d’une marchandise nouvelle, ou nouvelle méthode de production d’une marchandise ancienne ou exploitation d’une nouvelle source de matière première ou d’une nouvelle débouché, ou réorganisation d’une branche industrielle et ainsi de suite). La construction des chemins de fer dans ces premiers stades, la production d’énergie électrique avant la première guerre mondiale (…) fournissent des exemples frappants d’une vaste catégorie d’affaires qui en comprend une quantité innombrable de plus modestes – jusqu’à celles consistant au bas de l’échelle, à faire une réussite d’une saucisse ou d’une brosse à dents d’un type spécifique (…). La mise en œuvre de telles innovations est difficultueuse et constitue une fonction économique distincte, en premier lieu parce qu’elles se détachent des besognes de routine familières à quiconque et, en deuxième lieu parce que le milieu économique y résiste par des moyens divers » (J. Shumpeter – 1942)

La figure de l’entrepreneur chez Schumpeter est centrale. Même si dans sa définition l’entrepreneur n’est pas forcément celui qui est à l’origine de l’innovation, il ne fait parfois que l’exploiter. Il faut dire que tout les makers non plus ne produisent pas de l’innovation. La notion de copie et de partage étant une notion importante chez cette catégorie d’individus, cela ne semble pas entrer en contradiction pour autant. Le maker peut donc être un entrepreneur accompli. Pour se faire il va souvent être dans la « rupture », dans la disruption qui peut être à l’origine de profonds changements. Cela entre en résonance avec la notion de destruction créatrice mise au point par Schumpeter.

Processus de « destruction créatrice »

Le processus de destruction créatrice qu’il développe dans son ouvrage de 1942, Capitalisme, socialisme et démocratie, est un « (…) processus de mutation industrielle – si l’on me passe cette expression biologique – qui révolutionne incessamment de l’intérieur la structure économique, en détruisant continuellement des éléments vieillis et en créant continuellement des éléments neufs. Le processus de destruction créatrice constitue la donnée fondamentale du capitalisme » (J.Shumpeter – 1942) formant ainsi des grappes ou essaims d’innovation (concept développé dans le cycle des affaires, 1939).

Ainsi le mouvement maker va être de ceux qui vont modifier et faire évoluer les premiers ordinateurs individuels. Ce sera le cas pour l’Alter 8800, un micro-ordinateur considéré comme l’un des premiers à destination des particuliers. Parmi ceux qui vont s’intéresser à ces machines, Steve Wozniak et Steve Jobs fonderont la société Apple en 1976.

Nous pouvons aussi lier ces changements aux mutations que va subir le travail, idée que nous développerons en deuxième partie, mais surtout le lien à la question de la troisième révolution industrielle posée dans la troisième partie.

Éthique et Travail.

Le travail des makers dans le contexte actuel, a quelque chose de particulier par rapport a celui observé par Schumpeter.

Si nous revenons un instant sur le cas du mouvement makers contemporain, on observe plutôt des activités en marge du monde du travail, fondées sur une véritable éthique du hacker. En effet, la culture hacker semble irriguer le travail dans les hackerspaces.

Un tableau récapitulatif des influences de la culture hacker sur les hackerspaces.          

CULTURE HACKER HACKERSPACES
Hack: Plaisir – Efficacité – Art Make: Plaisir – Efficacité – Art
Communautés virtuelles Communautés situées (dans l’espace géo)
Profil dominant: Jeune, blanc, hétérosexuel Plus grande diversité de genre, de statut, d’âges, d’ethnies.
Le bazar comme matrice organisationnelle Variétés organisationnelles mais pas d’ « intentional communities » (not designed from the start to have a high degree of social cohesion and teamwork).
Atouts: Liberté Atouts: Lien social, cumul des rôles
Risques: pathologie de type dépression, solitude Risques: Sur-occupation, dérives bureaucratique.
Source: Lallement

Chez Weber, on apprend que des convictions/croyances ont pu transformer les pratiques économiques. C’est le cas de l’éthique protestante sur le modèle capitaliste. Nous pensons ici, que cette éthique hacker, est porteuse de vision du monde qui se veut, elle aussi, impactant sur la façon de produire.

La question se pose si ce changement est localisé ou s’il sera amené à être global.  Seule chose certaine, cette éthique est à l’origine de changement s’agissant des trajectoires individuelles des makers.

Nous avons débuté cette analyse par un retour historique du phénomène maker, pour en arriver à parler de ses formes actuelles. L’idéaltype qui en est ressorti nous a montré une certaine homogénéité dans l’identité des personnes, mais aussi des oppositions chez les makers . Ainsi une division peut être établie entre ceux qui sont profondément habités par les valeurs makers/hacker et ceux qui se sont hybridés avec l’environnement capitaliste et ont décidé par exemple d’entrer dans une phase d’entreprenariat dirons-nous « décomplexé » plutôt que « contradictoire ».

II/ Travail et mutations: Réflexion sur l’avenir du travail et sur son sens.

Dans cette seconde partie, nous débuterons l’analyse en partant du panorama dressé par Lallement du travail dans nos sociétés occidentales contemporain, pour ensuite s’intéresser plus particulièrement au travail du maker. Par la suite, nous nous pencherons sur les lieux physiques où se pratiquent ces activités de production ainsi qu’aux espaces numériques, qui sont leur pendant. Le questionnement principal étant de savoir si la communauté maker est une communauté qui réinvente le travail de demain.

Le modèle maker est un modèle nouveau de coopération et d’innovation disposant d’une réelle appétence pour la matière. En effet il est marqué par un retour de la matière au centre de son activité. Le rapport à la matière qui s’exprime dans ce mouvement est particulier. Nous allons, pour observer ce contraste, donner quelques caractéristiques du travail d’aujourd’hui.

 A/ Quelques généralités sur le travail d’aujourd’hui

Lallement nous dresse le paysage du travail d’aujourd’hui, qui nous servira de point de départ pour notre réflexion: ainsi les deux tiers des individus qui travaillent, nous dit l’auteur, travaillent sur autrui. C’est une relation de service qui est instaurée la plupart du temps. Ceci est différent du rapport à la matière que l’on peut avoir en tant que makers. En effet, l’économie de la France est une économie de services, en 2005, le secteur tertiaire représentait 71.8% de la population active (The World Factbook).

Le travail est aussi marqué par la globalisation, notamment par ses crises mais aussi les effets de la concurrence. Le travail est de type post-taylorien (new management, valeur d’autonomie qui est promut). Il cite aussi les différentes contraintes (leurs principes et effets), appelées «maux du travail» dans la littérature sociologique qui s’intéressait au travail. Le travail est marqué par l’Idéologie du self-made man.

Les enjeux du numérique.

Dans l’entretien donné par Bernard Stielgler, intitulé «Une nouvelle figure de l’amateur», le philosophe aborde lui aussi la question de la transformation du travail à travers notamment de la robotisation de la société. Il s’appuie sur une étude d’Oxford portant sur la disparition de l’emploi classique. Il va jusqu’à cité B.Gates : il dira, en substance, que dans vingt ans, il n’existera plus d’emploi. La remarque de Mannheim sur « les groupes dominants qui ont besoin d’idéologies légitimatrices de leur situation » citée plus bas permet de nuancer ces propos.

Robotisation de l’économie.

Stiegler va en effet loin dans les prospectives futuristes. Pour dire que la majorité des emplois vont disparaitre et que ce sentiment n’est pas nouveau, Il s’appuiera sur des pensées de K.Marx au sujet des automates.

Pour lui, les machines vont encapsuler de plus en plus de savoir. On comprend que la machine tiendra le rôle qu’a tenu l’esclave lorsque durant l’antiquité, il  laissera le temps au philosophe de penser. Et enfin, l’homme pourra vraiment travailler (plaisir, liberté), on en  reviendrait à la situation observée chez certains makers qui travaillent pour le plaisir dans un environnement libre de toute entrave.

Inversement, on peut aussi imaginer une certaine forme de prolétarisation: le savoir capté par la machine, l’individu devient son serviteur. La perte de connaissance du fonctionnement amènera à la perte de l’individu. La machine peut donc rendre dépendant et prolétaire.

C’est ainsi que l’illustre Frédéric Kaplan, dans son article, «Quand les mots valent de l’Or»  parle des craintes de l’individu dysorthographique.

Il s’interroge. « Que craignent les acteurs du capitalisme linguistique ? Que la langue leur échappe, qu’elle se brise, se « dysorthographie », qu’elle devienne impossible à mettre en équations. Quand le moteur de recherche corrige à la volée un mot que vous avez mal orthographié, il ne fait pas que vous rendre service : le plus souvent, il transforme un matériau sans grande valeur (un mot mal orthographié) en une ressource économique directement rentable. Quand Google prolonge une phrase que vous avez commencé à taper dans la case de recherche, il ne se borne pas à vous faire gagner du temps : il vous ramène dans le domaine de la langue qu’il exploite, vous invite à emprunter le chemin statistique tracé par les autres internautes. Les technologies du capitalisme linguistique poussent donc à la régularisation de la langue. Et plus nous ferons appel aux prothèses linguistiques, laissant les algorithmes corriger et prolonger nos propos, plus cette régularisation sera efficace. »

Platon disait de l’écriture qu’elle était un pharmakon, à la fois un poison et un remède, c’est l’usage qui en définissait le caractère positif ou négatif.  Il semble falloir appliquer cette même réflexion aux usages du numérique.

 Le travail maker en particulier: l’utopie concrète

La notion d’utopie est majeure dans les réflexions portées par Michel Lallement. Elle va aboutir au concept «D’utopie concrète».

Il part du concept d’utopie de Karl Mannheim. Dans Idéologie et Utopie (1929-1931), Mannheim émet l’idée que les points de vue que les groupes ont sur le monde réel s’expliquent en fonction de leur position sociale (Stendart). Ainsi, les groupes dominants ont besoin d’idéologie légitimatrices de leur situation, alors que les groupes dominés produisent des utopies, contestatrices de l’ordre social existant» (Dictionnaire de la sociologie, Encyclopaedia Universalis). C’est ce phénomène qui serait en action dans le mouvement maker.

Il fait aussi un parallèle avec le Familistère de Guise s’inspirant du phalanstère de Charles Fourier (sujet sur lequel il a écrit un ouvrage). Ainsi coopération et culte du travail (transformation de la matière) seraient identiques à ceux que l’on peut observer aujourd’hui dans ces espaces nouveaux que sont les hackerspaces et plus largement dans le maker movement.

Ainsi dans le travail maker, on redécouvre l’importance du retour à la matière (qui n’est pas opposé à de la dématérialisation engendrée par le numérique), de faire par soi-même.

Le travail hacker

À partir des discours tenus dans les espaces (hackerspaces), Lallement va caractériser le travail hacker. On retiendra quatre traits majeurs:

  • La passion comme moteur du travail ;
  • L’efficacité et principe de méritocratie ;
  • Le travail comme un geste artistique ;
  • La coopération caractérisée de libre et horizontale.

Ce qui diffère grandement des manières classiques de travailler, néanmoins cette «utopie concrète» doit se relativiser.

Les conflits de régulation.

Au delà des discours de présentation, à caractère anarchiste (pas de règle), la réalité est tout autre. On voit une multitude de micro-règles apparaitre dans le quotidien.

L’observation faite sur le terrain a permit de se rendre compte que la majorité des dialogues dans ces espaces de travail atypique avait attrait à la  gestion des relations conflictuelles de la vie au quotidien au sein de la structure.

La régulation du travail se fait néanmoins dans une volonté constante de chercher le consensus nous dit l’auteur. Il est intéressant de voir que le vote n’est pas le mode de décision qui a été retenu ici.

Une quasi-communauté de travail.

Lallement parle d’une quasi-communauté de travail qui va aboutir à la reconnaissance par le détournement et l’appropriation symbolique des codes organisationnels dominants – on va créer de l’identité collective en détournant ce qu’il existe déjà dans les organisations classiques.

Une marque (noms, logos), une langue, un jargon (Surnom, « troll »), des rîtes (unconference, meeting), une éthique (valeurs de liberté), des codes (vestimentaires)  ou encore des objets telsque le Hackerspaces Passeports (voir image ci dessous).

Hackerspaces Passeports

Transformation du management: L’autonomie au service du management

Le travail dans ces espaces amène à une modification des règles de management classique. Certaines grandes entreprises vont d’ailleurs se les approprier.

C’est le cas de Google et des 20% du temps de travail libre. Trois années plus tard, le bilan a été dressé: 50% des projets développés par Google ont été réalisés grâce au travail accompli durant les temps libres, on peut donner l’exemple de Google Maps.

Situation de Travail Conflit de régulation Stratégie d’appropriation Identité et reconnaissance
Hétéronomie (modèle taylorien classique) Subordinatio, travail prescrit, monde fermé Contrôle/autono-mie Tâches matériel

Espace

Temps

Barrière avec l’encadrement, niveau au sein du groupe d’ouvrier dans l’atelier Travail à soi
Autonome Égalité, travail libre, monde ouvert Consensus/Do-cratie Marque, éthique, communication, code Barrière avec le monde bureaucratique

Niveau avec les monde « alter »

Travail pour soi
Modèle de travail – Michel Lallement

Où est-ce que concrètement se passe cette activité productive ? Nous allons nous intéresser désormais aux lieux et aux espaces où se déroule le travail maker.

B/ Lieux et espaces

L’hétérotopie, concept forgé par Michel Foucault, (localisation physique de l’utopie) semble approprié pour parler des lieux de travail maker. Ce lieu que l’on nomme hackerspace et qui symbolise le lieu de l’utopie concrète de Michel Lallement.

Qu’est-ce qu’un hackerspace ? (à partir de la définition qu’en donne Lallement)

  1. Organisation ouverte qui rassemble des individus désireux de mener à bien des projets de fabrication.
  2. Lieu physiquement situé, où des individus partagent et utilisent des ressources (machines, outils, matériaux, etc.)
  3. Association à but non lucratif, gérée collectivement
  4. Lieu de promotion et d’application des principes/valeurs issus de l’éthique hacker et du mouvement maker dans son ensemble.

Même si ces catégories sont pratiques pour penser le travail en ces lieux, Lallement  se garde d’imposer une définition canonique et fixe de ces lieux de production qui sont en réalité plus hybrides qu’ils en ont l’air et qui surtout semblent former un continuum.

Hackerspaces Fab labs (laboratoire de fabrication) Tech Shops
Le premier a été fondé en 1975 dans la Silicon Valley (Home brew Computer Club) La matrice des hackerspaces contemporains est le Chaos Computer Club crée en 1981 en Allemagne. Le premier est crée par Neil Gershenfield, directeur du Center for Bit and Atoms (MIT) au début des années 2000 suite à l’ouverture d’un cours intitulé «How to make (almost) anything»

 

Le premier est fondé en 2006 à Menlo park. Déclinaison marchande des Fatlabs.
Plus orienté vers la programmation informatique, sensibilité politique plus affirmée Plus orienté vers la production d’objets matériels, plus technologiques que politiques. Existence d’une charte des Fatlabs. Orientation marchande: il faut payer pour pouvoir accéder aux cours et à l’usage des machines
Côté Ouest des États-Unis d’Amérique, reste du monde Côté Est des États-Unis d’Amérique, Reste du monde Sur les deux côtes, Europe.
Source: Lallement

On note que la courbe de développement de ces espaces nouveaux est exponentielle. C’est une nébuleuse qui n’a de cesse de croître dans le monde.

Objets qui s’y trouvent.

  • L’imprimante 3D, machine qui se perfectionne et se démocratise, annonce une autre façon de produire, par ajout de matière.
  • La machine à commande numérique: fraiseuse, découpeuse laser, etc.
  • Circuit imprimé : Arduino pour la programmation, permet de commander des objets physiques (demande un apprentissage informatique minimal).

Les Hackerspaces de la Baie de San Francisco. (Lallement)

On relève une structuration communautaire des espaces: tous teintés d’un esprit particulier. Certains sont tournés vers l’éducation (cours gratuit, diffusion de connaissance) d’autres vers l’entreprenariat/start-up  (Hacker Dojo), d’autres vers le petit artisanat (The Crucible) d’autres sont spécialement à destination des femmes avec l’aménagement de coin enfants, d’autres encore vers la biotech (BioCurious: digne d’un laboratoire biologique avec son matériel scientifique). Le Hackerspaces Baie Area People of Color est tourné vers les minorités ethniques, tandis qu’à Ace Monster Toys on y retrouve des hommes, blancs, de plus de 40 ans.

Une question reste toujours en suspend, le hacking est-t-il soluble dans le marché ? Ces communautés de travailleurs atypiques constituent-elles vraiment une alternative crédible au modèle de production capitaliste ?

Conscience des débouchées marchandes, tous ne veulent pas entreprendre. Le fondateur de NoiseBridge parle de la « Silly » (bête, stupide) pour parler de la Silicon valley. Néanmoins, il existe des listes de diffusion dans l’enceinte de NoiseBridge pour trouver un emploi dans la Valley.

Selon Lallement, le mélange entre hackeur et marché est plus qu’envisageable, il est réel.

Dans l’ouvrage de Fabien Eychenne, «Fablabs: L’avant-garde de la nouvelle révolution industrielle» défend lui aussi l’idée de cette solubilité.

Le Fablabs révolutionne la conception, l’industrie et la production. Ce lieux de fabrication numérique, composé de machine à commande numérique, accessible (ouvert), permet de produire rapidement tout objets, même a haut technologie (prototypage) (stratégie du Minimum Viable Product).

Il qualifie les Fablabs comme les « industries de demain » fondées sur l’idéologie hacker, tout en soulignant la vocation éducative de ces lieux.

Néanmoins, Gilles Boenisch nous dit en parlant de l’ouvrage d’Eychelle que « Le sous-titre de l’ouvrage mentionne une « révolution industrielle » ». Mais que « l’auteur aborde ce point sans pour autant s’enfermer dans une posture monodirectionnelle et superficielle comme on peut le lire dans de nombreux articles parlant des Fablabs ou plus récemment de l’impression 3d, fer de lance de la fabrication additive ». De plus, « la réalisation à grande échelle reste l’apanage des industries, aussi bien par la difficulté de réaliser un produit intégré que par le coût de sa fabrication » (Eychenne).

Nous allons maintenant questionner cette idée de révolution industrielle qui est un thème souvent associé à notre sujet.

 III/ La Troisième révolution industrielle

Dans cette troisième partie, nous analyserons le concept de troisième révolution industrielle, pour se faire nous partirons du cas de la révolution industrielle de 1780-1880 pour ensuite aborder les « prophéties » de Rifkin et surtout d’Anderson qui placent le maker au centre de ce changement de paradigme.

 A/ Parallèle historique: La révolution industrielle 1780-1880

Chris Anderson n’est pas le seul à sous-titrer : « Une nouvelle révolution industrielle ? » Fabien Eychenne aussi s’interroge. Le débat va même traverser la société civile, on retrouvera ainsi en couverture de The Economist du 21 avril 2012 la question de la troisième révolution.

Sommes-nous dans un nouveau paradigme industriel, où l’on produit hyper-localement, à l’unité et à coût faible ? Il est intéressant de relire les écrits sur la révolution industrielle de 1780 pour comprendre les facteurs de son déclanchement et de voir si ces explications peuvent nous éclaircir.

Mentalité et politique (Rioux).

Les conditions économiques ne suffisent pas, il faut une modification des habitudes mentales, une mentalité dont dispose déjà une certaine frange des makers.

Rioux nous dit que « Même favorisé par la faiblesse des capitaux nécessaires au départ, par l’appel du marché potentiel », chose encore vrai aujourd’hui, « la formation d’une classe d’entrepreneurs nouveaux n’eût guère été possible s’il n’y avait pas eu un changement profond de mentalités à l’égard de l’argent, son maniement, son profit et sa valeur sociale » .

Le savoir, de masse et non plus d’élites comme facteur de révolution

« Il suffit qu’un nombre croissant d’adultes arrivent à la lecture autonome, à la curiosité en éveil, au goût de la technique répandu par le livre, la brochure, le journal, pour que l’esprit d’initiative s’affine ». On en revient à la notion de libido siendi développé plus haut. De plus, l’éducation du plus grand nombre fait partie de la philosophie makers.  D’autant plus que les différents mouvements makers partage, « répandent » sur des wikis ou autres sites, les ressources nécessaires en open source.

Techniques, machinisme

La passion et le bonheur, avec lesquels les artisans du XVème siècle ne sont pas sans nous rappeler celui des makers d’aujourd’hui.

«Depuis le XVème siècle des générations d’artisans, de techniciens, d’amateurs passionnés cherchent, avec un bonheur inégal. Mais c’est au XVIIIème siècle, avec une diffusion plus large encore du goût pour les « mécaniques » (on sait avec quel soin les planches et les articles de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert les recensent et les décrivent) avec la multiplication des expérimentateurs « éclairés », que les efforts séculaires aboutissent, après une dernière poussée de recherches fébriles. » .

De l’usine au Fablab, du machinisme à la machine.

Rioux nous dit que « l’usine l’emporte sur l’atelier. Par son originalité et son efficacité, elle devient le symbole de la révolution industrielle.» Aujourd’hui, les machines du Fablab deviennent le symbole de la troisième révolution industrielle chez les auteurs enthousiastes. Un retour en arrière semble s’opérer pour ces auteurs, l’atelier l’emporte sur l’usine.

De l’entrepreneur bourgeois détenteur de capital à l’entrepreneur à fond limité.

«Aux premiers temps de la révolution industrielle, quelques individus décidés, issus de milieux ruraux pauvres ou de l’artisanat, peuvent risquer l’aventure et y réussir (…). En Grande-Bretagne, la biographie de Richard Arkwright est édifiante: né en 1732 dans une famille pauvre, apprenti barbier, rien ne le prédispose au monde industriel. Il vend des perruques, parcourt les campagnes de la région de Bolton. Puis flairant le gain possible, avec une belle hardiesse et quelque indélicatesse (il aurait « emprunté » l’idée de la mécanique à un tisserand), il aurait construit sommairement, avec la dot de sa femme, en 1768, sa première machine, emprunté les premiers capitaux, s’agrandit à Cromford en 1771. En 1779, il emploie trois cent ouvriers sur ses water-frame. Mi-ingénieur, mi-marchant, Arkwright est le capitaliste pionnier, que l’appât de l’argent transforme en industriel».

C’est la figure du Self-made man comme le seront Alfred krupp  ou encore Jean françois Cail.

«Mais l’artisan réussit surtout dans le textile et la métallurgie. Pour les industries nouvelles, comme l’électricité et la chimie, les techniciens sont mieux armés pour lancer des entreprises rentables et s’agglomérer à la haute bourgeoisie » . Ernest Siemens et Justers Liebig en sont de bons exemples.

Mais attention, «ces ascensions individuelles ou familiales ne doivent pas faire illusion (…), elles restent exceptionnelles. Le moyen le plus sûr pour se hisser (…), c’est la possession initiale d’un capital confortable.»

Coût, besoin initiaux.

«Les faibles mises de fond initiales des premières années de la révolution industrielle anglaise ou française ne sont plus suffisantes», dira Rioux.

Mais il est vrai qu’aujourd’hui un basculement s’opère,  il y a moins besoin d’argent pour se lancer. Réaliser un MVP (minimum viable product), un prototype,  et le tester ne coûte plus aussi cher. La stratégie du Fake it before you make it  est aussi une stratégie payante dans ces milieux. Néanmoins la seconde phase du « décollage » demandera de lever de fond et autre pour soutenir la croissance et l’accélérer.

La vision de Paul Graham se rapproche parfois de celle de Rioux concernant l’ancien temps. Il dira qu’« Autrefois, il n’était pas facile d’entreprendre. Les grands inventeurs/hommes d’affaires de la révolution industrielle, tels James Watt et Matthew Boulton, célèbres pour leurs machines à vapeur, n’étaient pas seulement habiles, ils étaient privilégiés. La plupart d’entre eux étaient nés dans les classes dominantes ou avaient eu la chance de faire leurs apprentissages auprès d’un membre de l’élite. Pendant la plus grande partie de l’histoire depuis lors, créer une entreprise a signifié installer au coin de la rue quelques épiceries ou autre affaire modeste ou, plus rarement, partir à l’aventure à la poursuite d’une idée plus susceptible de mener à la ruine qu’à la fortune».

Mais il ajoute qu’ «Aujourd’hui, nous sommes gâtés par le web et ses récoltes faciles» ;

Le web change les règles du jeux en plus de démocratiser les outils d’invention et les outils de production.

«Quiconque a l’idée d’un service, peut la transformer en produit avec un peu de code logiciel (qui, de nos jours, ne demande même pas de grandes compétences en programmation, lesquelles peuvent d’ailleurs s’acquérir en ligne – aucun brevet n’est requis. Puis, pour la livrer aux milliards d’individus du marché mondial, il suffit d’appuyer sur une touche ».

Il faut garder en tête que l’ouvrage d’Anderson reste une apologie du mouvement maker. Néanmoins si l’on fait abstraction de son objectif de promotion, on comprend que le mouvement maker se veut accessible à tous et que l’aventure reste facile.

«En tout cas, le cheminement « d’inventeur » à « créateurs d’entreprise » se trouve raccourci au point de disparaître presque». Il ajoute, que «D’ailleurs, les usines à jeunes pousses, comme Y Combinator, fabriquent maintenant les créateurs d’entreprise avant les idées. Pour admettre des jeunes gens brillants dans leurs « écoles de strat-up » (…)».

Selon lui, « les bits ont changé le monde» et que c’est «peut-être la caractéristique essentielle du 21ème siècle».

B/ Prophétie de Rifkin et d’Anderson

La troisième révolution industrielle est un concept initié par Jeremy Rifkin dans son ouvrage de 2013. C’est lui qui va forger l’expression de Troisième Révolution Industrielle (TRI).

Pour Rifkin, la jonction d’Internet et des énergies renouvelables est censée être à la base de ce changement de paradigme.

Il est rejoint par Anderson pour qui la démocratisation des outils de production, déclenchera une nouvelle révolution industrielle portée par les makers.

«Le modèle de l’innovation démocratisée par le web stimule la création d’entreprise et la croissance économique», «les milliers de créateurs d’entreprises qui forment aujourd’hui l’esprit « mouvement Maker » sont en train d’industrialiser l’esprit du bricolage, de l’auto-fabrication ou DIY ».

Le maker, à l’aide de ces outils numériques qui lui ouvrent le champ de nouveaux produits, via prototypage, sera la pierre angulaire du changement. Il ajoute à cela le phénomène de l’Open Source qui permet un savoir commun, un savoir collectif, une diffusion, et du partage.

Entreprise, mutations de l’entreprenariat.

Deux choses on changé pour Anderson, «Tout d’abord, grâce à la fabrication de bureau et à la facilité d’accès aux capacités industrielles, quiconque a une idée peut lancer une entreprise qui fait de vraies choses. Puis, grâce au web, il peut vendre ces choses dans le monde entier. Les obstacles à la création d’entreprises productrices de biens physiques tombent comme une pierre. Les « marchés de 10 000 » constituent une stratégie de niche efficace pour les produits et services fournis en ligne. Ce nombres est assez grand pour justifier la création d’une entreprise mais assez petit pour éviter de se disperser et d’affronter une concurrence énorme. C’est l’espace manquant dans l’industrie de la production de masse la matière noire du marché – la longue traine des choses. C’est aussi l’occasion pour les petites entreprises agiles issues des marchés qu’elles desservent, auxquelles les nouveaux outils de fabrication démocratisés permettent de contourner les vieilles barrières de la production et de la distribution au détail. Encore mieux, certaines de ces entreprises qui commencent par un marché de niche peuvent devenir très grandes. »

Anderson place le maker au centre de ce mouvement, il est un acteur central de sa révolution industrielle. Pour lui, et il est important de le souligner, les initiatives dépassent «le stade du passe temps», il montre que des entreprises sont déjà présentes dans le tissu économique.

Entreprise makers « d’un passe-temps peut naître un mini-empire » comme le montre les trois exemples ci-dessous:

  • Burt Rutan, de Scaled Composites (70′) (mouvement d’auto-fabrication moderne)
  • Brick Arms, entreprise de longue traine (passion, astuce et web)
  • Square (artisan maker)

 

Limites

Anderson est le premier à relativiser, en replaçant l’économie numérique dans un contexte global.

Bit Économie numérique 20 000 Milliards de $ de chiffre d’affaire
Atome Économie hors-web 130 000 Milliards de $ de chiffre d’affaire

On voit que le ratio est de cinq fois plus pour l’économie hors-web.

Dans un article intitulé « « La troisième Révolution de Rifkin » n’aura pas lieu» signé par une dizaine d’auteurs (Todjman, Sinaï, Lemarchand, Kempf, etc.), on explique que la troisième révolution industrielle «fonctionne comme un mythe».

En substance, «La thèse de la Troisième Révolution industrielle et tous ceux qui vantent le capitalisme numérique restent enfermés dans une vision simpliste des technologies et de leurs effets. Ils oublient de penser les rapports de pouvoir, les inégalités sociales, les modes de fonctionnement de ces «macrosystèmes» comme les enjeux de l’autonomie des techniques et des techno-sciences, sans parler de la finitude des ressources et de l’ampleur des ravages écologiques réels de ce capitalisme soi-disant immatériel.». Sans être aussi vindicatif sur la vision simpliste d’Anderson et de Rifkin, nous portons nous aussi au regard du lecteur les limites de telles annonces.


Bibliographie

ANDERSON Chris, «Makers, la nouvelle révolution industrielle», Pearson France, 2012.

BOENISCH Gilles, « Fabien Eychenne, Fab lab. L’avant garde de la nouvelle révolution industrielle », Questions de communication, 25 | 2014, 433-434.

BREMOND. J, M.M-SALORT, «Initiation à l’économie», Hatier ,6éme édition, 1986.

BREMOND. J, GELEDAN.A, «Dictionnaire économique et social», Hatier ,2éme édition, 1981.

EYCHENNE Fabien, «Fab lab. L’avant garde de la nouvelle révolution industrielle»Limoges, fyp Éd., coll. La Fabrique des possibles, 2012.

Hélène Tordjman,  «La Troisième Révolution» de Rifkin n’aura pas lieu, Libération, 21 octobre 2014.

KAPLAN Frédéric, «Quand les mots valent de l’or», Le Monde Diplomatique, novembre 2011,  page 28

LALLEMENT Michel, «L’Age du faire. Hacking, travail, anarchie», Seuil, 2015.

RIFKIN Jeremy, «La troisième révolution industrielle», Les liens qui libèrent, 2011.

RIOUX Jean-Pierre, «La révolution industrielle 1780-1880», Edition du Seuil, 1971.

SOBOUL Albert, «Précis d’histoire de la révolution française», Edition Sociales, 1975.

Autres sources

Cnam Centre. (22 mai 2015). Travail et utopie une révolution hacker ?. Repéré à http://www.youtube.com/watch?v=BoAtn3EIWWo

CCASenergie. (04 décembre 2014). « Une nouvelle figure de l’amateur » Entretien avec Bernard STIEGLER. Repéré à http://www.youtube.com/watch?v=EIsDStewTwU

 


 

Introduction

I/ La figure du maker: Question sur l’identité du maker.

A/ Origine et Idéal-type du maker.

B/ La figure du maker-entrepreneur: la légende du garage.

II/ Travail et mutations: Réflexion sur l’avenir du travail et sur son sens.

A/ Quelques généralités sur le travail d’aujourd’hui.

B/ Lieux et espaces.

III/ La Troisième révolution industriel en question.

A/ Parallèle historique: La révolution industrielle 1780-1880.

B/ Prophétie de Rifkin et d’Anderson et leurs limites.


 

 

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