LES MONDES NUMERIQUES

Blog des Masters en Sciences Sociales de l'Université Gustave Eiffel

La pilosité féminine : un choix ou un devoir?

Par Manon EXBALIN, Léa PIERLOT, Alexandra JOUVEAU.

Dans cet article sociologique nous nous sommes intéressées à la perception de la pilosité féminine actuelle. Selon nous, cette question est pertinente car au sein même de notre petit groupe de 3 étudiantes nous ne sommes pas du tout d’accord quant à la perception de la pilosité féminine. Nous voyons de plus en plus de femmes qui exposent leurs aisselles, leurs jambes que cela soit sur les réseaux sociaux ou dans la rue, et chacune a son opinion sur la question.  Cet engouement n’a rien de marginal, il est de plus en plus partagé par de nombreuses associations féministes, mais aussi par certaines stars (Julia roberts, Madonna, Miley Cyrus …). Le dernier événement en date : le januhairy lancé par Laura Jackson, 21 ans, où le concept est de se laisser pousser les poils tout le mois de janvier pour mieux accepter et aimer ses poils.  Nous avons donc voulu en savoir plus concernant l’avis des français(e)s sur leur perception de la pilosité féminine ; pour cela, nous avons élaboré plusieurs questionnaires : un pour les hommes, un autre pour les femmes, et le dernier pour les femmes « poilues » qui le revendiquent.

Nous verrons dans cet article en première partie l’histoire de la pilosité féminine au fil des siècles pour comprendre les origines de l’épilation, puis en seconde partie nous analyserons les résultats de notre enquête sociologique qui s’est étendue de novembre à février 2019.

Méthodologie

Chacune s’est reparti une tâche : Manon s’est occupée de trouver les femmes revendiquant leur pilosité grâce à l’hashtag #lesprincessesontdespoils (voir plus bas pour la description de ce mouvement) elle les a abordées sur le réseau social Instagram. C’est aussi elle qui s’est occupée de la partie historique de cet article. Par la suite Léa et Alexandra se sont occupées de mener les entretiens, d’élaborer les questionnaires et de rédiger toute la seconde partie de l’article. 

Pour répondre à nos questions, nous avons choisi de laisser la parole aux femmes et de compléter notre enquête qualitative par des données quantitatives récoltées à travers de questionnaires diffusés sur Facebook. Interroger les femmes qui s’épilent ne représentaient pas de difficultés en soit puisqu’elles constituent la majorité de notre réseau. Au contraire, les femmes qui ne s’épilent pas étaient plus difficiles à interroger dû à leur nombre minoritaire, de plus, nous avons remarqué qu’elles se concentrent sur des groupes très fermés afin d’éviter les critiques du grand public. Pour pénétrer dans ces groupes, nous avons décidé de réaliser deux entretiens avec des femmes qui ne s’épilent plus afin de pouvoir construire un questionnaire cohérent et nous leur avons demandé de relayer le questionnaire au sein de ces groupes fermés. La deuxième difficulté rencontrée a été les critiques inhérentes dû au format du questionnaire quantitatif. Les réponses aux questions étant fermées, beaucoup des sondées se sont senti « emprisonnées » dans les cases réponses qu’elles ont décrites comme « formatées ». Alors, nos relayeuses ont dû retirer les questionnaires des groupes car elles recevaient beaucoup de critiques.

Partie 1 : l’histoire de la pilosité depuis -3000 av J-C. 

Toutes ces informations proviennent de divers sites que vous retrouverez dans l’infographie. Ceci n’est qu’une synthèse de ce que Manon a pu y trouver.

Revenons aux fondamentaux, l’homme et la femme sont naturellement poilus, comme tous les mammifères, ou presque. Avec les mamelles, ce sont les deux caractéristiques qui nous différencient du reste du monde animal. Le poil sert de protection quand les températures sont trop froides ou trop chaudes et dresse une barrière naturelle pour préserver notre épiderme contre les agressions de toutes sortes, comme les éraflures. Dans les faits, nous avons le même nombre de follicules pileux (la cavité dans lequel le poil prend naissance) que le singe, comme l’explique Anne Friederike Müller-Delouis dans « Histoire du poil » paru en 2011. Et c’est là toute l’origine du problème : nous avons peur d’être confondu avec notre plus proche cousin. Pourtant, depuis que nos chemins se sont séparés de celui du singe, nos poils sont devenus bien plus fins que les siens. Pourquoi? Sur ce point, aucune certitude scientifique.

Le feu est une découverte capitale dans l’évolution de l’homme. Il nous a permis de cuire nos aliments mais aussi de nous réchauffer. C’est à cette époque que les poils auraient perdu de leur utilité…

Nous allons retracer ici, l’histoire de l’épilation féminine de -3000 avant Jésus Christ jusqu’à aujourd’hui.

 En -3000 avant J-C

Les premières traces d’outils créés par l’homme ayant pu servir à l’épilation, comme des pinces à épiler rudimentaires, ont été trouvées dans des sépultures datant de la préhistoire. Mais c’est à partir du 3ième millénaire avant Jésus Christ, que semble s’être développée une véritable culture de l’épilation, notamment sous l’influence des croyances religieuses de l’époque. En Mésopotamie comme en Phénicie, près de 2000 ans avant notre ère, l’épilation était déjà en vigueur chez les rois et les reines. Les notables de Babylone se faisaient alors épiler le menton afin d’y coller un postiche de barbe (c’est-à-dire de faux poils), considérés à l’époque comme étant l’attribut des dieux. La principale technique employée consistait à utiliser une pince à épiler en bronze et une crème dépilatoire à base de cire, d’eau, de sucre et de citron. Pratique qui est probablement à l’origine de ce qui deviendra, quelques millénaires plus tard, « l’épilation à l’Orientale ». 

Dans l’Égypte ancienne, on sait également que les pharaons, leurs femmes, les prêtres et les prêtresses ainsi que la plupart des personnes appartenant à l’aristocratie, s’épilaient intégralement le corps. L’épilation était considérée comme un symbole de pureté, par opposition à la pilosité, symbole d’animalité donc d’impureté. Les découvertes effectuées dans les sépultures datant de 1300 à 1100 avant J-C en Egypte ont démontré que les femmes de Ramsès II et de Ramsès III ainsi que leurs suivantes étaient toutes épilées, des aisselles jusqu’au pubis. Les femmes de la haute société se rasaient la tête et portaient des perruques. Pour résumer : dans l’Égypte ancienne, les hommes et les femmes appartenant à l’aristocratie s’épilent. 

En -5 avant J-C 

Chez les grecs 

Ce n’est qu’un peu plus tard, aux environs du 5ième siècle avant J-C, que l’on observe une extension progressive de l’épilation à toutes les couches de la société en Occident. Dans le monde gréco-romain, l’épilation était considérée comme allant de soi : les barbiers de la Grèce antique, organisés sous la forme d’une véritable corporation, pratiquaient l’épilation aussi bien pour les classes sociales aisées que pour les esclaves, dans leurs échoppes comme à domicile. Riches ou pauvres, libres ou esclaves, les femmes s’épilent les aisselles, le pubis et les jambes. Concernant l’épilation, les grecs utilisaient des produits à base de farine, de fève ou de poix… et également le rasoir. En revanche (et c’est aussi très dangereux !) l’épilation pouvait s’effectuer avec une lampe à huile. 

Chez les romains 

Les pratiques en vigueur sous l’empire romain attestent de la même culture de l’épilation. Les riches Romains fréquentaient assidûment les thermes pour les soins corporels qui y étaient dispensés et la plupart des hommes de la bourgeoisie se faisaient régulièrement épiler les jambes avant de les mettre en valeur grâce au port de la tunique courte. Mais pas seulement : certains hommes allaient même déjà jusqu’à pratiquer l’épilation intégrale. Parmi les exemples célèbres, on citera l’empereur Auguste qui pratiquait l’épilation, en 63 avant notre ère ou encore Popée, la compagne de l’empereur Néron, qui se faisait épiler la poitrine, les aisselles, les jambes, les bras, la lèvre supérieure et mais aussi l’intérieur du nez, anecdotes qui sont tirées de textes anciens découverts dans les ruines de Pompéi. 

Les méthodes d’épilation pour les hommes utilisées allaient alors du « brûlage » des poils à l’aide de coquilles de noix incandescentes, à l’arrachage par l’application d’une préparation à base de résine de pin, en passant par l’épilation des sourcils au sang de chauve-souris (pour éviter une repousse trop rapide). Toutes ces recettes perdureront jusqu’au Moyen Age.

Les femmes s’épilaient les aisselles et les jambes avec une crème dépilatoire à base de colophane (noix) dissoute dans de l’huile et parfois mélangée à de la résine et de la cire à base de résine de pin. Ou plus simplement, les femmes pouvaient utiliser une pince à épiler en bronze dont la forme ressemble beaucoup aux nôtres actuelles. 

Mais attention, une femme ne doit jamais se laisser voir à la toilette surtout par son amant 

En 476 après J-C 

Au début de l’ère chrétienne, la pratique de l’épilation continue de se répandre, y compris en Gaule. Les fouilles archéologiques effectuées sur la plupart des sépultures féminines datant de cette époque ont permis de mettre à jour des quantités impressionnantes de pinces à épiler, attestant de l’intérêt suscité par l’épilation chez nos ancêtres les gaulois. Mais la chute de l’Empire romain, en 476 après J-C, portera un coup d’arrêt à cette mode de l’épilation. Sur le territoire, tout va s’inverser dû à la religion catholique. Les pensées de l’époque sont les suivantes :  « Si dieu t’a donné des poils, tu dois les garder. S’il t’a donné des cheveux, tu dois les garder. S’épiler, se coiffer ou encore se maquiller c’est le signe du diable ». Pendant cinq siècles, tout le monde porte le poil libre et fier. 

Le retour de l’épilation 

Il faudra attendre l’issue des croisades chrétiennes du Moyen Âge, qui auront lieu entre le XIe et les XIIIe siècles après J-C, pour voir l’Occident renouer avec la tradition de l’épilation. Tout au long de leurs conquêtes en Orient et en Afrique, les chevaliers francs rencontrent des femmes épilées et rapportent en Occident les usages empruntés aux populations alors conquises, comme les bains en étuve (hammam) et l’épilation. La technique de « l’épilation à l’Orientale » va progressivement gagner toutes les cours d’Europe et va être assimilée à la propreté, et à la pureté.

A cette époque, celle-ci concernait essentiellement le front, les aisselles, parfois le pubis (les jambes, non, ou quasiment pas de toute façon elles étaient cachées, on ne les voyait pas) et était pratiquée avec des préparations à base cires chaudes d’abeille, de sucre et de gommes végétales naturelles. On faisait fondre la cire dans un pot de terre, puis on devait la placer dans un morceau de toile en lin. Mais il n’y avait pas que la cire qui permettait de retirer les poils, il y avait bien évidemment la pince à épiler, le rasoir, et le « silotre »( basé d’un mélange entre de la chaux et de la cire, les femmes prenaient une demi- écuelle de chaux vive, bien sèche, propre et tamisée dans une étoffe ou dans un sac. Ensuite, cette chaux était versée dans un récipient plein d’eau bouillante. Pour savoir si le mélange était prêt, elles y mettaient une aile d’oiseau, et si les plumes tombaient de l’aile, c’est qu’il était prêt). 

De la Renaissance jusqu’au 19ème siècle

Dans l’ensemble de l’Occident, le corps et les jambes des femmes ont longtemps été dissimulés par les vêtements. L’épilation perdure, mais dans les hautes classes seulement. Il faut prendre un bain avant chaque épilation, il ne doit pas être trop chaud, pour ne pas abîmer la peau. Les méthodes sont celles de chaux vive, ou encore d’orpin et de cumin. Les hommes s’épilent aussi la barbe avec un onguent de céruse (plomb), d’argent et de sang de poule


Jeune femme avec l’unicorn de Raphael – 1505


Une nouvelle mode esthétique naît : les femmes s’épilent le visage pour se dégager un front immense, comme en attestent la plupart des portraits de l’époque. Cette pratique était censée marquer, la différence entre l’humain, « être évolué », et l’animal. Les techniques employées allaient du sang de grenouille aux préparations à base de cendre mélangée à du vinaigre, en passant par l’emploi de l’orpiment ou arsenic jaune (rusma turcorum) qui, en dépit de sa toxicité prononcée, demeura longtemps en usage. Du côté de Milan, on propose une recette miracle pour faire la chasse aux poils indésirables à base de graisse de porc, de moutarde et de genévrier. Portée à ébullition, la potion promet déjà ce que les femmes cherchent encore de nos jours : « faire tomber les poils qui plus jamais ne repousseront. »

Autre phénomène plus surprenant dans cette période de l’histoire marquée par l’emprise du catholicisme : l’épilation pubienne y est très appréciée, et fait son retour en grâce chez les femmes de la noblesse européenne. Il est le symbole d’une appropriation par les femmes d’un organe qui, chauve comme celui des courtisanes qui choisissent et cultivent leur plaisir, n’appartient plus intégralement aux hommes. Pourtant, d’autres préfèrent faire sécession et ont le poil long. Elles agrémentent leur crinière pubienne de décorations, les « entortillant avec des cordons ou rubans de soie cramoisie ou autre couleur ». Un véritable art intime du pubis naît ainsi sous Catherine de Médicis (1519-1589), les dames allant jusqu’à « se les friser comme des frisons de perruques » et tissant autour des fils chargés de diamants et de rubis pour prouver leur rang par leur bouquet garni.

Dans le domaine de l’art 

Au 15 ème siècle 

 Depuis la naissance du christianisme, le tabou qui règne sur la représentation du sexe des femmes s’est en effet focalisé sur les poils. Lorsque Sandro Botticelli peint sa Naissance de Vénus, une femme à la peau de nacre aborde le rivage sur un coquillage. Vénus dévoile un corps parfait, à l’entrejambe recouvert par de longs cheveux roux, laissant découvrir la lisière d’un pubis imberbe. Car le sexe imberbe d’une femme se conçoit comme une image de pureté et d’idéal. 


La Naissance de Vénus de Sandro Botticelli, peint vers 1484-1485

Au 19 ème siècle

 Quelque chose se met à pousser sur la Maja nue de Francisco de Goya : un poil ! Cette anodine coquetterie pileuse est une révolution, une première dans l’art occidental. Goya n’a pas cherché de thème mythologique pour cacher la vérité de la femme. Mais, l’Inquisition arrive : En 1814, l’Église décide de cacher l’œuvre au public et engage un procès contre le peintre pour obscénité. Montrer des femmes nues, oui, mais des femmes à poil, ça jamais ! Des siècles de représentations idéalisées laissent croire que la Chair Interdite d’une femme est sans faille, sans bulbes.

La maja nue de Francisco de Goya – 1795

Au 20ème siècle 

Avec la fin de la première guerre mondiale, une véritable révolution se fit jour dans les mœurs : Les femmes s’émancipent : les mariages diminuent, les divorcent augmentent, les femmes peuvent vivre seules, être indépendantes et travailler sans l’accord de personne. Cette liberté se ressent aussi dans la mode qui libère le corps de la femme de son carcan social et moral. Les décolletés s’élargissent, les bras se dénudent puis les robes et les jupes se raccourcissent progressivement. 

Il faudra attendre les années 1950 à 1960 pour noter une seconde accélération du développement de la pratique de l’épilation, avec la généralisation progressive de la mode des jupes portées au-dessus du genou importée après-guerre d’outre-Atlantique. Dès lors, l’épilation des jambes gagne ses galons auprès d’une jeunesse en rupture totale avec les codes sociaux de ses aînés. En revanche, concernant la pilosité pubienne c’est une autre histoire… 

Exemple frappant de la censure médiatique de la pilosité avec Marilyn Monroe :

Peu après minuit, devant le Trans-Lux Theater de New York, à l’automne 1954, -Marilyn Monroe s’apprête à tourner une scène sur l’aération d’une bouche de métro dont le souffle s’amuse de sa robe blanche évasée. Le réalisateur de Sept Ans de ¬réflexion, Billy Wilder, est électrique. Tandis que la soufflerie propulse la robe de Marilyn au-dessus de ses genoux, la foule pousse des cris. Wilder encourage les machinistes à envoyer plus de vent entre les jambes de la belle. La robe finit par s’élever jusqu’aux épaules de l’actrice, dévoilant des dessous couleur chair assez fins pour montrer une masse sombre de poils pubiens. Scandale en perspective. Wilder vacille. La star est priée de porter deux culottes, et des plus opaques. Ces quelques poils suffiraient à déchaîner une tempête judiciaire autant que médiatique. Billy Wilder connaît la censure qui règne sur les productions hollywoodiennes, où tout poil pubien est interdit à l’écran. Cette censure durera jusque dans les années 60 en France. 

Puis les années 70-80, se traduit par une révolution du rapport au corps de toute une génération, mais en exerçant également une pression inédite sur les femmes et sur leur esthétique, avec leur entrée massive sur le marché du travail.  L’épilation prend alors une dimension jusque-là inconnue de représentation sociale qui touche toutes les couches de la société. À ne pas confondre avec le mouvement hippie de cette époque où personne ne s’épilait mais cela représentait une infime partie de la population. 

Les années 1980 à nos jours termineront d’achever cette renaissance de l’épilation-Reine, avec la montée en puissance des médias, télévision et presse magazine en tête avant l’avènement d’Internet. Ces supports de communication de masse vont imposer à leur tour de nouveaux codes sociaux dans la société occidentale, évolution qui ira de pair avec une profonde révolution des mœurs : les canons de beauté s’orientent de plus en plus vers des mannequins féminins aux corps d’adolescentes, imberbes et de plus en plus dénudées ; le port du string se généralise progressivement pour devenir aujourd’hui le sous-vêtement féminin le plus porté et le plus vendu, notamment auprès des jeunes générations ; la pornographie pénètre dans tous les foyers grâce à la vidéo et aux chaînes privées, imposant par la même occasion l’épilation intégrale en véritable référent de la séduction sexuelle ; enfin, le culte du corps, porté de concert par une culture homosexuelle en plein essor autant que par le développement du sport-spectacle, fera considérablement évoluer le rapport au corps des hommes comme des femmes, en le décomplexant et en le magnifiant. 

Au 21 ème siècle 

Les années 1990 et 2000 voient l’épilation devenir un diktat pour les femmes d’abord et pour un nombre grandissant d’hommes. Désormais, le poil n’est plus la norme. Premier responsable selon Stéphane Rose, la pornographie qui promeut des sexes sans un poil. Une étude de l’Ifop publiée en avril 2014 confirme cette hypothèse : « le sexe glabre vu dans les films X s’impose de plus en plus comme la norme du corps féminin désirable aux yeux des hommes parmi les jeunes générations où la consommation de porno est la plus forte », remarquait alors François Kraus, directeur d’études à l’Ifop. L’Institut de sondage estime qu’en 2014 une jeune femme de moins de 25 ans sur deux a recours à l’épilation intégrale.

La femme sans poil est physiquement redevenue une enfant, en enlevant les poils on retire ce qui est sexuel en montrant l’organe sexuel, on enlève le mystère. Au Japon et dans les pays musulmans, les poils féminins (et parfois masculins) subissent pareil traitement. Les seuls poils que l’on tolère sont les cheveux qui détachés et reposant sur les épaules sont un symbole fort de séduction. La sexualité n’est pas la seule explication à cette lutte sans merci, l’hygiène est aussi en question. Il s’agit d’avoir un corps aussi lisse que possible et sans odeur.

Mais, quelques voix s’élèvent contre l’épilation comme le mouvement féministe MIEL (Mouvement international pour une écologie libidinale) qui dénonce l’épilation comme contre-nature, le groupe féministe Liberté, Egalité, Pilosité, le tumblr « Hairy Legs Club » (littéralement le club des jambes poilues) sur lequel des femmes s’exposent avec leurs poils ou encore le travail du photographe anglais Ben Hopper et son projet Natural Beauty que Le HuffPost avait relayé.

La marque de prêt-à-porter American Apparel a créé la surprise mi-janvier 2014 en exposant dans la vitrine d’une de ses enseignes new-yorkaises, des mannequins en plastique arborant des poils pubiens en quantité. De son côté, Gwyneth Paltrow a confessé sur un plateau télé avoir une pilosité « très seventies » pendant que Cameron Diaz, dans son livre The Body Book, ose un véritable plaidoyer en faveur de la pilosité dans un chapitre intitulé « Ode aux poils pubiens ».  Lady Gaga, elle, pose en une du magazine Candyen ayant vraisemblablement zappé la case esthéticienne et Kate Moss fait de même dans le numéro anniversaire de Playboy. Quant aux héroïnes de la série HBO Girls, sa réalisatrice Lena Dunham en tête, elles ont entrepris une croisade en faveur du poil et n’hésitent pas à exhiber leurs sexes « velus » sur petit écran. 


Madonna en 2014 exposant ses aisselles. 

En juillet 2016, Adèle Labo, 16 ans, publie sur son compte Twitter (@adelelabo) le hashtag #lesprincessesontdespoils qui est vite devenu viral. Tout a commencé dans ce clip diffusé sur la plateforme Vimeo pour un concours de vidéos. C’est notamment grâce à ce hashtag que nous avons pu mener nos entretiens sociologiques ! 

Le dernier événement en date en janvier 2019 : le januhairy lancé par Laura Jackson, 21 ans, où le concept est de se laisser pousser les poils tout le mois de janvier pour mieux accepter et aimer ses poils.  

Partie 2 : La parole des femmes 

“Ici, on est très fermé sur l’image de la Française et cette vision de la femme qui n’a pas de poil”

extrait entretien l’autre Morgane

Pratique sociale

Les résultats concernant les femmes qui n’épilent pas leurs poils nous laisse sous-entendre qu’il s’agirait d’une pratique socialement différenciée. En effet, la plupart des répondants sont âgés de 18-25 ans à 55%, 31% ont entre 26-35 ans. Cependant, ces résultats sont difficilement analysables puisque les questionnaires ont été postés uniquement sur le réseau social Facebook dans des groupes fermés tels que : “ Liberté, Pilosité, Sororité “. La limite de ces chiffres est qu’ils sont représentatifs des utilisateurs de Facebook c’est-à-dire une population de 20-29 ans en majorité. L’autre résultat concerne la catégorie professionnelle des sondés, on constate que 49% sont étudiants, la deuxième est de 23% et concerne les employés et 9% font partis des professions intellectuelles. Seulement lorsque l’on se concentre sur la catégorie professionnelle des parents des étudiants on remarque que la majorité d’entre eux (30%) exercent une profession de cadre ou en lien avec des professions intellectuelles supérieures soit 25% de la population mère. 36% de la population mère sont employés ou ont des parents employés. Le deuxième constat est que la majorité d’entre elles ne sont pas religieuse, ne possèdent pas de maladie en lien avec la pilosité et vivent dans des grandes villes de plus de 10 000 habitants. 

Le troisième résultat est que 53% des sondés qui montrent leurs poils, le font depuis moins de 6 mois cette information nous montre que le phénomène est plutôt récent et que les pratiques se concentrent principalement sur Facebook, puis Instagram et enfin Snapchat. Cependant l’une d’entre elle explique que certaines réponses peuvent évoluer en fonction de l’ancienneté de la pratique. 

“Le moteur principal de ma décision de garder mes poils était que je considérais cet acte comme une manière de lutter pour l’égalité des sexes. (Depuis, dans la balance, la praticité de ne plus avoir à m’épiler pèse quasiment aussi lourd, parce que c’est vraiment une délivrance de ne plus s’emmerder avec ça!). Naturellement, pour rendre visible mon geste, j’ai alors posté une photo sur FB avec en message « Don’t risk dudeness », en référence à une pub sexiste ET homophobe de la marque Veet. Une façon de rendre visible plus largement mon combat, de voir aussi comment mes « amis » pouvaient réagir, et probablement aussi une façon de dire « ben ouais, j’assume! ». Mais depuis cette photo à « mes débuts », il y a 4 ans, je ne cherche plus à le mettre en valeur sur FB ni ailleurs. J’ai juste des poils, que je ne cache pas ! (donc la réponse à la prochaine question est ma réponse au présent, n’a pas été la même il y a 4 ans)”

Anonyme

Pour les femmes qui ne s’épilent pas, les poils ne sont pas sales et elles estiment à 89% que les femmes devraient garder leurs poils et encouragent à 78% l’acte de les montrer. La majorité d’entre elles nous disent qu’elles ont un avis plutôt neutre sur les femmes qui s’épilent. Lorsque nous avons posé les questions en entretiens on nous a répondu :

“ Non je pense que chacune doit faire les choses comme elle l’entend, le tout c’est que chacune vive en harmonie avec son corps. On ne veut pas que tout le monde montre leurs poils les gens font ce qu’ils veulent. ”

extrait entretien l’autre Morgane

“ Chacun fait comme il veut mais c’est vrai que les poils sont naturels” 

extrait entretien Rose 

La perception de l’acte 

Pour les femmes qui ne s’épilent pas, ne pas s’épiler représente une revendication sociale à 89%, alors que pour les femmes épilées elles considèrent à 56% que ce n’est pas une revendication sociale. Ainsi, la notion de revendication sociale n’est pas comprise par toutes les femmes. En revanche 58% seulement mettent un sens derrière l’acte de s’épiler. Bien que la question “de mettre un sens” soit subjective, le croisement des résultats montre qu’il y a en effet un objectif de revendication, celui-ci est doublé par un objectif de normalisation de l’acte. Lorsque nous posons la question sur le sens qu’elles mettent dans l’acte de montrer leurs poils, la première réponse est “Une revendication de la libre disposition de son corps”, la deuxième est “ Les humains ont des poils donc je garde mes poils” en troisième position vient “une lutte à l’encontre d’un système patriarcal ” pour 59%. Un résultat qui se rapproche alors du taux de femme (58%) qui mettent un sens derrière l’acte de montrer leurs poils. Ces informations montrent que ces femmes en majorité sont muées par une volonté de revendication sociale qui ne s’inscrit pas nécessairement dans une lutte du système patriarcal mais avant tout dans la lutte pour la liberté individuelle. Celle de la libre disposition du corps, entravé par le système patriarcal qu’elles dénoncent à 83%. 

Nous pouvons croiser ces réponses avec le deuxième questionnaire où 58% des femmes qui s’épilent pensent elles aussi être dans un système patriarcal mais seulement 22% pensent que les femmes doivent garder leurs poils et 57% ont un avis neutre sur la question. Ainsi, pour ces femmes le fait de garder ou non sa pilosité et de l’exposer n’est pas un liée à une lutte du système patriarcal. Pour confirmer cela 47% des hommes interrogés considèrent qu’ils sont dans un système patriarcal et majoritairement pensent que les femmes disposent d’une liberté de jouir comme elles le souhaitent de leur corps, donc d’exposer ou non leur pilosité.

56% des femmes qui ne s’épilent pas nous affirment qu’il n’y a pas d’origine concernant leurs volontés d’exposer leurs poils. Cette donnée (bien qu’elle puisse être entravée par un biais de mémoire de la part des répondants), nous montre bien qu’il s’agirait selon elles d’un fait naturel, d’une volonté personnelle détachée de toutes causes extérieures. Elles n’estiment pas avoir été influencées et gardent leurs discours de détachement à la norme. Cependant celles qui estiment avoir été influencée, font le lien de cause à effet.

“Nous n’avons que des représentations de femmes épilées‚ il est temps de se libérer à ce niveau-là, et ça passe par le fait d’avoir des images de femmes poilues.” 

Anonyme

“Lorsque j’ai réalisé que les rasages chez les femmes ne servait que de profit.”

Anonyme

“La volonté de s’entre-motiver. Plusieurs situations mal vécues pendant mon enfance m’ont conduite à m’épiler (torturer) alors que j’ai toujours détesté ça. Je voue encore une haine assez costaude à d’anciennes camarades de collège pour cela.”

Anonyme

A l’inverse, le discours des femmes s’épilant est tout autre 68% déclarent se sentir mieux dans leur corps une fois épilée, de plus quand on regarde de plus près les réponses on se rend compte que 35% d’entre elles trouvent les poils sales et 33% pensent que les femmes devraient s’épiler. Ainsi, ces chiffres dévoilent qu’il n’y a pas qu’un simple rapport entre l’individu et la liberté de son corps mais une action de la société sur l’individu car en déclarant s’épiler pour soi (mais en considérant par la suite qu’une femme doive s’épiler), cela créé la notion de norme et de déviance autour de l’acte. Il y a un imaginaire qui entoure la pilosité des femmes, celle-ci est jugée sale, masculine et dégoûtante. L’objectif des femmes non épilées est de rappeler que les poils font parties du corps de la femme. Le dégout envers les poils est notamment dû au fait qu’on ne voit jamais ou quasi-jamais de femmes exposant leurs poils sur certaines parties du corps dans les médias. L’idée est que plus on habituera les individus à être exposés à la pilosité féminine plus celle-ci sera acceptée dans la société.

Le positionnement sociétal des femmes exposant leur pilosité reflète leurs diversités et le rejet d’être entravée par des catégories normées. Alors que 66% d’entre elles nous confirment être féministe, 18% nous disent être égalitariste et 10% nous disent ne faire partie d’aucune des propositions, à cela s’ajoutent 16 nouvelles catégories de femmes qui se disent “humaniste”; “moi-même”; “trans-féministe”… 

Selon le collectif Liberté, Pilosité, Sororité le diktat de l’épilation est préjudiciable aux femmes car celui-ci détériore l’estime que les femmes ont d’elles-mêmes. Comment la femme peut s’aimer si elle considère son corps au naturel (non modifié) comme repoussant ? Cette norme engendre des conséquences sur la femme, entre autres de réduire leur liberté, elle alourdit leur charge mentale, c’est-à-dire que la femme doit toujours anticiper, penser à s’épiler avant d’aller dans un lieu où une certaine zone poilue sera exposée. A cela s’ajoute d’autres conséquences comme des démangeaisons, des poils incarnés, ou bien le temps consacré à l’épilation et des frais qui y sont liés. Ce collectif exprime cette idée : “tant qu’il y aura une pression sur les femmes pour qu’elles modifient leur corps, elles ne seront pas libres”.

La sanction sociale

Le phénomène de la sanction sociale éprouvé par les femmes qui ne s’épilent pas montre que cet acte est jugé déviant par les individus qui composent la société. Parallèlement, elle met en lumière la norme inhérente à l’épilation féminine. L’acte de déviance est jugé comme une transgression de la norme sociale.

Alors, nous nous sommes intéressées à la sanction sociale à laquelle les femmes qui ne s’épilent pas ont pu faire face. 72% d’entre elles disent être ou avoir été confronté à des critiques négatives de leurs entourages.  Une majorité d’entre-elles nous disent que les critiques provenaient d’un public mixte et 20% d’un public exclusivement féminin. En mettant en parallèle les résultats obtenus au second questionnaire nous pouvons voir que 42% des femmes sont dérangées face à une image d’une femme exposant ses poils, tandis que 71% des femmes ont une image neutre des femmes montrant leur poils. Seulement, 10% des femmes ont une image négative. Elles pensent  globalement que les femmes qui montrent leurs poils font ce qu’elles veulent de leur corps, malgré qu’elles ne comprennent pas la finalité de l’acte de ne pas s’épiler. Cette vision est relativement contradictoire car elles partent du postulat que les femmes doivent avoir une liberté de leur corps mais en ayant une vision négative de l’acte elles condamnent cette pratique. Face à cela les hommes eux à 35% ont une image négative des femmes qui exposent leurs poils car cela les dégoûte. A l’heure actuelle malgré ce slogan « Mon corps m’appartient, j’en dispose comme je l’entends » nous voyons bien ici qu’une femme qui refuse l’épilation risque de recevoir de nombreux commentaires haineux. Ce qui montre qu’il y a un vrai problème sur la question de la libre disposition de son corps.  

Une partie de notre questionnaire concerne la sanction social perçut par nos interrogées. Alors, nous avons demandé aux sondés d’attribuer une note allant de -3 à 3 mesurant l’intensité des critiques en fonction du milieu social. Les notes comprises entre -3 et -1 sont les critiques à tendances négatives provenant de l’entourage. Le 0 signifie qu’il n’y a pas eu de critiques de cette catégorie. Les notes allant de 1 à 3 représentent les soutiens positifs de ces personnes. Cette échelle nous a permit d’obtenir un paysage globale de la critique sociale en fonction des milieux sociaux fréquentés par nos sondés. 

Les résultats concernant les éventuelles critiques de l’entourage féminin sont les suivant : Les individus attribuant les sanctions les plus fortes sont les femmes dans les milieux professionnel puis arrive en deuxième position le domaine familial. Du côté des critiques positives on constate un très fort soutien des amies, puis un soutien moins conséquent de la part d’individus féminins faisant partie d’une communauté.

Les résultats montrent que la sanction provient avant tout de la famille ainsi que du milieu professionnel. 

“ Dans mon travail ça gênait mes collègues de bureau que je n’épile pas, ils l’ont fait remonter à la hiérarchie, du coup j’ai dû me raser ” 

extrait entretien l’autre Morgane

Du coté des résultats concernant les éventuelles critiques de l’entourage masculin. Les domaines conservent les mêmes places. C’est à dire que les domaines sanctionnant le plus reste en premier le domaine professionnel puis le domaine familiale et les domaines offrant le plus de soutient sont les domaines amicaux puis le soutient de la communauté. 

Cependant on remarque des écart de notes et donc d’implication plus grand du coté du domaine féminin, preuve que l’épilation et le respect de sa norme reste une préoccupation féminine. Que c’est à ce public de sanctionner l’individu qui ne respecte pas les règles. Phénomène plus marqué encore dans le domaine professionnel et celui de la famille où la question de normalisation à la société est imposée par une hiérarchie visible. Nous retrouvons cette idée dans les résultats du questionnaire des femmes s’épilant nous avons eu comme réponse à la question “Pourquoi vous épilez vous ?” : “Par peur du jugement des autres” ou encore “Parce que mon entourage le fait”. D’ailleurs même si la plupart des femmes affirmant leur pilosité n’ont pas le sentiment d’appartenir à une communauté ( seulement 8% d’entre elles l’ont), nous pouvons voir qu’il existe quand même des mécanisme de protection entre les femmes qui ne s’épilent pas, elles se soutiennent et montrent le chemin aux novices.

“Lorsque je recevais un commentaire négatif concernant mes poils sur mes publications j’avais une armée de femmes qui prenaient défense avant même que je ne le fasse moi-même”

L’autre morgane 

Explications sociologiques 

L’ensemble de nos résultats concernant la perception de l’acte ainsi que la sanction sociale reprennent ce que Howard Becker retrace en parlant du processus de la déviance des fumeurs de Marie-Jeanne et des musiciens de Jazz en 1963 dans “Outsiders”. Pour lui, la déviance provient des interactions entre les individus qui agissent et des individus qui sanctionnent. Aussi, il développe sa thèse de la “carrière déviante”. Il s’agit avant tout d’un processus social. Selon lui, l’individu apprendrait des pratiques en s’inspirant des autres membres de sa communauté et dans un même temps reconstruirait avec l’aide de son groupe une représentation de ces pratiques de sorte qu’il puisse garder une image positive de lui-même.

Dans notre enquête, les informations montrent que ces femmes sont avant tout motivées par le désir de normalisation de l’acte de ne pas s’épiler. Elles le justifient comme étant un retour au naturel et se détachent du jugement de la société en banalisant l’acte. Elles défendent avant toute chose une revendication de la libre disposition du corps. Même si l’acte est stéréotypé en revendication féministe par ceux qui le sanctionne, il concerne d’après les individus jugés déviant, l’ensemble de la population. Elles jugent artificiel le fait de s’épiler.

A l’arrivée des beaux jours, les magazines féminins regorgent de conseils et d’astuces pour retirer la pilosité féminine. Selon Toerien, ces prodigieux conseils font partis du quotidien d’une grande majorité de femme.

L’absence de poils peut être approchée sous un angle culturel du rapport au corps qui a des significations sociales et politiques. On voit ici, qu’une femme qui s’épile répond à une règle implicite qu’elles respectent son corps avec plus ou moins d’attention. Au travers de cette perspective il est possible d’étudier l’impact de la sociabilisations sur la perception qu’ont les femmes de leur corps. Une perception qui se crée autour de signification et de croyance liées à la représentation du poil. 

Selon Foucault, les comportements des humains ne sont pas que le résultat de décisions personnelles mais se sont aussi des réactions dictées par la société. Bourdieu et Thompson rajoutent à ce titre : « Toute domination symbolique suppose de la part de ceux qui la subissent une forme de complicité qui n’est ni soumission passive à une contrainte extérieure, ni adhésion libre à des valeurs. » Les normes de la société viennent déterminer les actions des individus mais ceux-ci ne sont pas dominés, aliénées par les normes comme le souligne De Certeau.

La pilosité est une partie du corps que l’individu peut transformer afin de maitriser son étendu. Cela renvoie à une question d’esthétisme, qui fait appel à la subjectivité des individus. Cette volonté de modifier son corps, et ainsi de le valoriser est lié au mépris que les femmes ont de leur corps naturel et ainsi de correspondre aux standards de beauté véhiculés par les médias. D’autre part, cette vision du poil qui est « sale » et « dégoutant » ne s’applique qu’aux femmes et non aux hommes. En effet, le pouvoir étant exclusivement masculin, le poil depuis de nombreuses années est le symbole de l’autorité et du pouvoir et donc un attribut valorisé chez les hommes, la pilosité est un marqueur de la virilité.

Obregon-Iturra (1989) et Bromberger (2011) se sont intéressés aux frontières spécifiques, ethniques et sexuelles que la pilosité permet de tracer. Ce qui émerge, c’est que la pilosité symbolise un côté sauvage, animal et ne pas porter de poil permet aux individus de marquer leur appartenance à une espèce. Comme l’indique ces auteurs, les poils sont un marqueur d’appartenance à un groupe social ou à un genre.  Et ainsi les écarts à la norme de l’épilation sont culturellement dévalorisés. Bromberger en 2011 montre que le dégout du poil est universel mais pas systématique, comme le corrobore nos résultats.

Les pratiques d’épilations correspondent à une norme. De ce fait, étant normalisé les femmes ne se posent pas la question de ne pas le faire. Cependant les normes sociales ne sont pas statiques dans le temps, elles se renouvellent ou s’actualisent en continue, elles sont enclines à un phénomène de mode. 

Foucault à travers ses études met en avant l’idéologie dominante qui pénètre tous les domaines de la vie humaine que ce soit culturel ou social, économique voire politique mais aussi le quotidien des individus. Ici, nous pouvons voir cela au travers des réponses des femmes qui s’épilent et expliquent qu’elles le font car leur entourage le fait aussi, donc il y a cette vision d’une pratique qui remonte dans le temps et qui aujourd’hui est plus que normalisée.

Selon André Breton, le culte de l’apparence est étroitement lié à une économie capitaliste autrement dit à la société de consommation. La culture du corps fonde une industrie lucrative qui instaure un corps idéal. On le voit notamment à travers la publicité où les poils des femmes sont absents même pour promouvoir l’efficacité d’un rasoir. Ainsi, l’absence du poil est une caractéristique du corps idéal.

Les significations engendrées par la pilosité sont multiples et ont pour but de tracer des frontières entre les individus. Par exemple garder ses poils peut être vu comme un manque de civilité, faire ressortir son côté, sauvage, animal. Pour de nombreuses femmes le fait de s’épiler et d’une part la volonté de se sentir bien dans son corps mais aussi pour son ou sa partenaire. 

Ainsi, à travers ces résultats et aux recherches de Cassandre Ville, on peut voir émerger deux points : le premier, les femmes se sentent plus désirable et plus séduisante sans poil pour le corps. Le deuxième et notamment pour les femmes hétérosexuelles est la volonté de contraster avec la masculinité de son partenaire et ainsi retirer les poils qui dans l’imaginaire la rendraient masculine.

Cassandre Ville explique aussi dans son ouvrage L’intériorisation des normes-Une analyse discursive des pratiques dépilatoires des femmes à Montréal :

« Comme le résume le célèbre « on ne naît pas femme, on le devient » de Simone de Beauvoir (1949 : 285), il faut prouver que l’on est femme par nos gestes. Ces actes reposent sur des croyances socialement et historiquement établies qui s’élaborent autour de l’idée d’une essence féminine où l’absence de poils en constitue une des caractéristiques. » (p.287)

Ainsi, aller à l’encontre de l’identité féminine établit constitue un risque pour l’individu, mais aussi un acte contestataire qui engendre une modification de son statut social. Ainsi, la présence de poils constitue un marqueur social associé à des groupes marginaux (activistes « féministes », « hippies », adeptes du « naturel. » (Cassandre Ville-p.288).

Nous pouvons évoquer ici Goffman qui parle de protéger sa face, les femmes se soumettent aux normes de la société quand elles se mettent en scène afin d’obtenir une valeur sociale positive. Ainsi, on voit l’importance de l’apparence dans les interactions sociales. Si on soumet son corps aux normes de la société c’est d’une part d’accepter les règles mais aussi de se protéger de l’exclusion sociale. De ce fait, leurs pratiques sont choisies en fonction des conséquences de celles-ci. De ce fait, les individus ne contrôlent pas leurs pratiques car le choix qu’ils réalisent dépend de la société et non de leur volonté propre à agir « Les femmes font ce qu’elles veulent », c’est faux, les femmes ne sont pas indépendantes dans leurs choix. Le jugement des autres femmes et des hommes sont craints et influence les décisions des femmes. De ce fait, pour se protéger des autres il faut avoir une apparence « parfaite », et grâce à ce contrôle que les femmes établissement, cette autosurveillance qu’elles peuvent éviter les commentaires négatifs, les insultes etc.

Le mouvement des femmes qui ne s’épilent pas et exposent leur pilosité est un mouvement contestataire contre les normes dominantes et cela est possible car la culture n’est pas un bloc homogène mais plusieurs visions rentrent en conflit. Laisser exprimer sa pilosité est un geste fort, car « le poil féminin devient contestataire » (Cassandre Ville-p.292).

Les femmes que nous avons interviewées et qui exposent leur pilosité sur les réseaux sociaux nous ont fait part qu’elles recevaient un soutien de connaissances, de groupe qui avaient les mêmes pratiques qu’elles. Ce qui permet de les aider à assumer leur choix et à se confronter aux commentaires haineux des individus. Selon Cassandre Ville, dans ces groupes ne pas s’épiler est une norme bien que celle-ci soit minoritaire et réprimée par la société. De ce fait, qu’importe la pratique : garder ou non ses poils, il y a toujours l’idée de se conformer à un environnement et d’avoir à l’esprit un corps féminin idéal.

Cassandre Ville p.292 : « Le non-traitement des poils marque un positionnement par rapport à la société, une véritable prise de parole politique. Cela contribue à revendiquer le droit des femmes à disposer de leur corps ».

CONCLUSION

Pour conclure, Michel Messut s’est intéressé à l’identité et image de soi à travers l’histoire de l’art, et notamment des représentations des figures bénéfique : ange, archange, déesse, les elfes, il met en avant qu’ils sont le plus souvent imberbes, l’absence de poil étant associé à la pureté, la beauté à la perfection.  Jusqu’au 19° les femmes, dans les représentations que donnent les hommes qui les peignent, n’ont pas de poils. Aujourd’hui encore, les poils sont des attribuent exclusivement masculin, leur non représentation suggère qu’une femme soignée, une femme digne de ce nom n’en possède pas. Mais les mentalités évoluent grâce à de nombreuses associations féministes. Leurs idées : rétablir la libre disposition du corps et passer outre les normes instaurées au fil des siècles par le système patriarcal qu’elles dénoncent.

Manon Exbalin, Léa Pierlot, Alexandra Jouveau

Bibliographie / Sitographie

Le collectif féministe : Liberté, Pilosité, Sonorité nous a été d’une grande aide, merci beaucoup!

Cassandre Ville- L’intériorisation des normes- Une analyse discursive des pratiques dépilatoires des femmes à Montréal – Phénoménologies en anthropologie Volume 40, numéro 3, 2016.

  • https://www.femina.fr

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