Travail réalisé par Mathilde Cousin
Amazon est une entreprise superlative mais paradoxalement assez discrète : on a plus souvent facilement entendu parlé d’Apple, de Google ou de Facebook, ces autres géants, que du champion mondial de l’e-commerce.
Richard L. BRANDT. Les secrets de la réussite de Jeff Bezos, Editions Télémaque, 2012
Il est évident aujourd’hui que tout le monde connait le commerce électronique, plus communément appelé par sa dénomination anglaise « e-commerce ». Echange pécuniaire de biens, services et informations via les réseaux informatiques, il émerge dans les années 1990 grâce à Internet. Il se développe d’abord sur les bases du Minitel avec de grandes enseignes de la Vente Par Correspondance telles que la Redoute ou les 3 Suisse.
A la fin des années 1990, il engendre un modèle d’entreprise différent et est rendu célèbre par Amazon, EBay et AOL. C’est sur Amazon.com que nous allons nous attarder : devenu leader en termes d’e-commerce – le site devient deux fois plus important qu’EBay – il fait partie des « quatre grands d’internet » avec Apple, Google et Facebook, appelés GAFA. Il est alors intéressant de se demander comment Amazon est-il devenu leader sur le marché et quelles sont les conséquences sur notre société de consommation ?
De la naissance d’Amazon aux GAFAs
La naissance d’Amazon et son créateur : Jeff Bezos
Amazon, et Amazon.com ont été créés par Jeff Bezos, diplômé de l’université de Princeton en informatique et ingénierie électrique. Adopté, il a passé son enfance dans une ferme au Texas, développant son envie d’apprendre, puis est allé à l’école élémentaire de River Oaks, où il a acquis la passion des livres. Au collège il élabore sa première entreprise DREAM, qui dispense des stages aux enfants pour une valeur de 150€ : c’est à ce moment qu’il cultive sa volonté d’entreprendre. Ses études à l’Université de Princeton lui ont permis de réaliser de nombreux stages notamment chez IBM et dans la Silicon Valley, berceau de l’informatique et de l’internet à partir de 1950. Au sortir de ses études, il est embauché par D.E. Shaw, première entreprise d’e-commerce d’actions pour Wall Street, où il comprend l’importance d’internet comme lieu de rassemblement et donc lieu de vente(s) potentielle(s). Il quitte cette entreprise entre 1993 et 1994 pour fonder sa propre société, en s’associant avec sa femme et un collègue, M. Kahpan.
Jeff Bezos implante son entreprise à Seattle, berceau qui a vu naître Microsoft, et décide de faire de la vente de livres son secteur d’activité. En effet, ce secteur n’est soumis à aucune contrefaçon et échappe à la pression des producteurs. En 1994 il souhaite la dénommer cadabra, en référence à la magie, puis change finalement d’avis pour privilégier Amazon, en référence au grand fleuve Amazone symbolisant un lieu exotique et différent du reste du monde. Considéré comme le plus grand fleuve du planisphère, il prévoyait cette destinée pour son entreprise[1]. La même année il prend des cours pour apprendre à vendre des livres et investit son propre argent en achetant 10,2 millions d’actions pour 10 000$. Un an plus tard, le 16 juillet 1995, il lance son site internet, Amazon.com, en affirmant qu’il s’agit de « la plus grande librairie du monde »[2] car, bien qu’il soit possible de concurrencer son entreprise en termes de quantité – 1 millions de livre en stock cette année là – il est impossible de la compenser en rapidité, le traitement mécanique et informatique étant plus rapide que le traitement humain.
Au début de sa création Amazon.com vendait à perte, à tel point qu’entre 1995 et 2003 la perte était de l’ordre de 3 milliards de dollars ! L’une des manières pour y remédier, selon Jeff Bezos, était l’introduction en bourse d’Amazon, la recherche d’investisseurs ainsi que l’investissement personnel. En 1997 le montant de l’action est estimé à 18$, le capital investit initialement pour une valeur de 10 000$ passe alors à un montant de 184 millions de dollars mais Amazon.com est toujours en déficit et n’est toujours pas rentable en 1999. Jeff Bezos explique alors « nous ne sommes pas rentables. Nous pourrions l’être. Ce serait la chose la plus facile au monde que de devenir rentables. Ce serait aussi la plus bête »[2].
C’est entre 2000 et 2002 que tout bascule. Le krach boursier de 2000 engendre une perte d’argent colossale qui oblige Jeff Bezos à licencier 150 personnes. Malgré cette mesure, l’action chute de 90% et l’année suivante, Amazon.com licencie 1 300 personnes, limite les coûts et ajoute de nouveaux produits au stock (CD, multimédia, beauté, cuisine…). C’est cette année-là que le logo est devenu Amazon avec une flèche allant du A vers le Z, symbolisant que dans son entreprise les clients peuvent tout trouver de A à Z[3]. L’action remonte et c’est en 2002 qu’Amazon.com réalise le premier bénéfice s’élevant à 5 millions de dollars. Faible bénéfice pensez-vous ? Il s’agit en réalité d’une grande victoire comparé au déficit de 450 millions de dollars chiffré en 2001.
Du début du succès a l’entrée dans les GAFAs
L’ascension d’Amazon.com commence donc réellement en 2002. Mais comment cette ascension a-t-elle été possible après tant d’années de déficit ? Tout simplement grâce à la manière que Jeff Bezos a eu de percevoir et concevoir son entreprise. Effectivement, pour lui l’élément principal lors de la création était le client et non le chiffre d’affaire ou la rentabilité : il avait une obsession pour la qualité de l’expérience client. C’est d’ailleurs par la qualité de cette expérience qu’il justifie tous ses choix marketing tels que la possibilité de de commander en un clic, la possibilité de commenter les ouvrages et la personnalisation de l’espace client.
La commande en un clic fait l’objet d’un procès. Jeff Bezos eu cette idée en 1997 et dépose un brevet pour empêcher toute autre entreprise d’e-commerce de le concurrencer. Ce n’est que plus tard que le brevet sera levé, laissant ainsi le temps à Amazon de s’implanter largement dans le commerce électronique. Les prix réduits et la possibilité d’interaction sont deux autres points importants de la politique de Jeff Bezos. Il obligeait les éditeurs à baisser les prix de vente de leurs livres afin de pouvoir les vendre moins chers qu’en librairie et partout ailleurs.
Il a instauré la possibilité de publier des commentaires et critiques sur les livres, ce qui a choqué à l’époque. Certains affirmaient que les critiques négatives ne pourraient pas faire croître la vente de livres et donc Amazon.com. Selon Jeff Bezos, les critiques, aussi bien positives que négatives, allaient avoir l’effet inverse. Il était possible dorénavant de cibler plus rapidement le besoin du consommateur : il pouvait se faire un avis et partager le sien aussi bien avec les lecteurs que les auteurs. C’est la première fois que le principe d’interaction entre en jeu dans un site d’e-commerce. L’espace client est devenu personnalisé : il est possible de voir les livres correspondant à nos goûts.
Tous ces paramètres ont été conçus, semblerait-il, pour faciliter la vie du client qui achète en ligne. L’e-commerce n’était alors qu’aux prémices et il semblait primordial de simplifier le processus au maximum afin que le consommateur change de manière de consommer en s’éloignant des magasins physiques pour se tourner vers le commerce électronique. Pour l’anecdote, Jeff Bezos a voulu pousser la simplification et l’expérience client à son paroxysme en imaginant un procédé du « savoir-vivre ». Ce procédé, qui n’a pas été adopté, aurait donné la possibilité aux clients de fournir des règles d’achat (telle chose ne me plait pas, je suis intéressé par tel objet…). Ces règles auraient eu pour but de refuser l’achat d’un produit, nous étant destiné, par une tierce personne évitant ainsi les retours de cadeaux non désirés et donc des économies financière.
En 2007 Amazon développe la première liseuse numérique, la Kindle, qui est un succès unanime. Il voit en la Kindle le prolongement logique et moderne de son secteur de marché initial : le livre. Précurseur en termes de livre électronique, il détrône ses concurrents avec l’avantage indéniable du nombre de ressources disponibles à sa sortie : plus de 90 000 livres ! Entre 1996 et 2010, via l’évolution des fonctions, la diversification des produits et la création de la Kindle, l’action d’Amazon.com augmente de 10 320%. Stéphane Distinguin affirme dans la préface des Secrets de la réussite de Jeff Bezos, en 2012 « on peut dire qu’Amazon a inventé ou acquis toutes les meilleures pratiques de l’e-commerce : des premiers commentaires clients sur les produits en 1995 […] jusqu’à l’incroyable « One-Click » breveté en 1997 »[2]. C’est évidemment à partir de ce moment que nous pouvons qualifier Amazon.com comme l’un des « quatre grands d’internet » connus sous l’appellation GAFA.
Qu’est-ce que les GAFAs ?
D’après Wikipédia, le sigle GAFA signifie Google, Apple Facebook, Amazon. Ce sont les quatre grandes firmes américaines, nées courant XXème et XXIème siècle, qui dominent le marché du numérique[4], parfois connus sous l’appellation des Big Four. A ce jour, le sigle GAFA tendrait à devenir GAFAM où le M représenterait Microsoft. Ces géants ont la particularité d’avoir su se construire les plus grosses bases utilisateurs du monde, les conduisant à réinventer l’informatique. Amazon, entre autres, a construit une base de données d’un nouveau genre : NoSQL en opposition aux vieux principes SQL, appelée DynamoDB. Amazon.com compterait plus de 121 millions de clients depuis 2011[5]. Ils traitent également un nombre de commande considérable par jour, possède un espace de stockage gigantesque et ont développé une capacité à faire évoluer leurs produits très rapidement.
Le mode de travail des GAFA est particulier. Ils sont des « champions de la méthode agile ». Qu’est-ce que la méthode agile ? C’est l’ensemble des groupes de pratiques de projets de développement en informatique, pouvant s’appliquer à divers types de projets. La méthode agile implique au maximum le client (le demandeur) et permettent une réactivité importante aux demandes. La priorité est donc les besoins du client ; c’est ce que Jeff Bezos a toujours eu à l’esprit lors de la création d’Amazon.com. En bref, cette définition « barbare » signifie que l’organisation des développements informatiques de ce type d’entreprises est extrêmement efficace, ce qui leur permet de proposer des services variés, exemplaires et à la pointe de l’actualité. Comment créer des services exemplaires ? En limitant les bugs, en adoptant une ergonomie idéale et dernier cri avec des évolutions permanentes.
Selon une étude réalisée par le cabinet de conseil FaberNovel[6], ces quelques chiffres permettent de comprendre l’ampleur des GAFA :
- Ils génèrent davantage que le PIB du Danemark, 35ème puissance économique mondiale, avec un chiffre d’affaires de 350 milliards de dollars en 2014.
- Une croissance trois fois plus élevée que celle de la Chine.
- 7 milliards de consommateurs. Les GAFA n’ont ni frontière géographique, ni frontière culturelle : « chaque humain connecté est un client potentiel et chacun humain connecté devrait l’être »[6]. Ils se sont rendus indispensables.
- Amazon est d’échelle planétaire avec une capitalisation boursière de 250 milliards de dollars, dépassant Walmart, multinationale américaine spécialisée dans la grande distribution.
- Amazon est à lui seul un tiers des achats sur Internet aux USA et une croissance globale trois fois plus importante que celle de son marché.
- Amazon est devenu la 10ème marque ayant le plus de valeur.
Mais comment cela est-il possible ? Comment ces entreprises, notamment Amazon, ont-elles pu « sur-performer » de la sorte dans notre économie et société actuelle ?
Les quatre pouvoirs pour « sur-performer » dans l’économie actuelle
Le cabinet FaberNovel a réalisé une seconde étude concernant les GAFA, intitulée GAFAnomics, season 2, 4 superpowers to outperform in the Network Economy. Cette seconde étude nous invite à découvrir les quatre stratégies, « pouvoirs » qui permettraient de transformer une entreprise en champion de l’économie connectée et donc de « sur-performer » dans l’économie actuelle. Le modèle économique des GAFA, et donc d’Amazon, a si bien fonctionné car il utilise une économie en réseau, en opposition à l’économie standard. Aujourd’hui, les GAFA doivent faire face à la constante accélération des mutations et maitriser davantage l’organisation en réseau, gigantesque « bassin de connexions et d’interactions », ce qui a permis, à FaberNovel, d’identifier quatre modèles de performance que nous allons expliquer.
L’entreprise magnétique
Le modèle de l’entreprise magnétique a pour but général d’améliorer les capacités à générer de la valeur. Dans ce modèle, Amazon ne mobilise pas seulement des ressources internes pour créer cette valeur, mais orchestre un large réseau de créateurs. La génération de la valeur passe donc par un excès des capacités (une surcapacité) et un effet de foule. Comment cela fonctionne-t-il réellement ? Dans l’économie standard les entreprises prennent des matières premières en tant qu’apport et conçoivent des produits finis vendus aux consommateurs, alors que dans l’économie de réseau les entreprises perçoivent la moindre parcelle de valeur disponible et la « capture ».
Edwin Mansfield, professeur d’économie, définit la notion de surcapacité comme « la différence entre la production optimale et la production actuelle dans l’équilibre de longue durée »[7], c’est-à-dire que n’importe quel élément avantageux n’étant pas utilisé à pleine capacité présente un potentiel supplémentaire pour l’entreprise. L’avantage de l’économie de réseau est qu’elle permet aux entreprises d’identifier la surcapacité à un niveau très granuleux : chaque micro surcapacité peut donc être transformée en micro revenu !
Kevin Kelly, rédacteur en chef du magazine américain Wired – mensuel diffusé en kiosque et en ligne sur les conséquences qu’ont les technologies émergentes sur la culture, l’économie et la politique – explique dans New rules for the new Economy que la « durabilité d’un système dépend de sa capacité à créer des opportunités pour les autres »[8]. En maximisant des opportunités pour les autres, Amazon enrichit son propre système avec de meilleures applications et réduit ses coûts. En résumé, via l’idée d’entreprise aimant, Amazon exploite et monétise de micro-points de valeur.
L’entreprise infinie
Amazon, comme le reste des grands de l’internet, a pour volonté de s’étendre le plus loin possible en un rien de temps. Ceci a été possible notamment grâce à l’effet de réseau qui lui a permis de grossir indéfiniment jusqu’à atteindre son emprunte mondiale. L’économie standard oblige les entreprises à fournir une production supplémentaire pour tout nouveau client engendrant des coûts supplémentaires, alors que l’économie de réseau permet à Amazon de distribuer des marchandises aux consommateurs supplémentaires pour un coût marginal proche de zéro, lui donnant une opportunité de croissance quasi infinie.
Avec l’effet de réseau, la valeur des produits perçue par l’entreprise croit en fonction du nombre de clients. Les nouvelles technologies leur permettent d’automatiser le temps de consommation, les tâches à haut et bas coût, menant ainsi à la chute des coûts marginaux. Elles peuvent atteindre plus de ressources constantes.
Le modèle de l’entreprise infinie produit ce que nous appelons des externalités de réseau. Lorsque la valeur d’utilisation d’un produit dépend du nombre de personne actuellement en train d’utiliser ce dit produit. Amazon enregistre une croissance permanente : plus leur réseau est large, plus il devient attractif et plus il grossit, c’est une cercle vertueux rendant la concurrence compliquée. Pour résumer, Amazon.com atteint une taille critique pour un coût supplémentaire, dû à l’ajout de nouveaux clients, quasi nul.
L’entreprise en temps réel
Le temps réel correspond à la livraison immédiate des valeurs. Le pôle informatique d’Amazon place le temps réel au cœur de son développement afin d’optimiser l’accès au marché et améliorer les produits de manières quasi instantanée. Pour cela, ils ont vite compris qu’il était nécessaire de travailler perpétuellement en bêta (version d’essai) pour pouvoir répondre au plus vite aux attentes des consommateurs. En économie standard, l’entreprise produit et diffuse de nouveaux produits tous les ans. Les retours sur leurs produits ne parviennent pas avant des mois, alors qu’Amazon (économie de réseau) produit d’abord une version d’essai de son produit et l’améliore perpétuellement par développement itératif.
Une entreprise comme celle-ci est soumise à trois menaces : le cycle d’innovation, l’accélération de l’évolution des utilisations et l’obsolescence technique. Tim O’Reilly parle de la « perpétuelle version bêta » pour palier à cette menace. Cette idée suggère de diffuser une quantité minimale de chaque produit afin de les tester perpétuellement et pouvoir les mettre à jour. Amazon a donc un processus d’innovation continu lui évitant les hauts coûts de développement et lui offrant la possibilité de maximiser l’adaptation de ses produits grâce aux données récoltées dessus lors des tests.
Ce modèle d’entreprise en temps réel engendre la création d’un capital de données, qui lorsque l’entreprise l’explore, permet d’extraire des aperçus des retours et de limiter les risques. Amazon rassemble et analyse une quantité massive d’informations sur les consommateurs, mais aussi sur les vendeurs et concurrents potentiels. Ainsi, il peut déterminer la popularité d’un produit, la quantité nécessaire et le tarif optimal pendant chaque étape du cycle de vie d’un produit[9]. Le merchandising concentré sur les consommateurs et l’optimisation du prix aide Amazon.com à réduire son inventaire et accroître le renouvellement de stock restant : les marges brutes augmentent. Amazon adapte donc en temps réel ses produits, son offre et son expérience par rapport à l’histoire et au(x) idée(s) future(s) de chaque client.
L’entreprise intime
Le dernier modèle de performance est celui de l’entreprise intime qui consiste à avoir le meilleur traitement des unités. Il s’agit d’une personnalisation à grande échelle au cœur d’un nouveau modèle de commerce dont Amazon fait partie. Cette entreprise arrive à gérer la multitude facilement en peaufinant les expériences qu’il délivre à des millions de clients. Cibler les offres et customiser les produits pour chaque utilisateur lui permet de créer une relation intime et durable avec eux. C’est en termes de personnalisation que se situe, une fois de plus, la différence entre économie standard, qui produit et vend en masse un produit identique à tout utilisateur, et économie de réseau dans laquelle les produits sont adaptés et offrent des possibilités de customisation à tout consommateur.
Aujourd’hui le consommateur ordinaire est exposé à plus de 5 000 publicités par jour : sortir du lot est plus compliqué que jamais. Amazon tire avantage de cette énorme quantité de données collectées afin de délivrer la bonne information à la bonne cible. La customisation est également importante pour le consommateur. Comme prévu par le sociologiste Alvin Toffler, auteur de The Third Wave en 1970, la customisation de masse est « le seuil critique du design produit » qui permet au consommateur de spécifier les caractéristiques d’un produit, avant et/ou après son achat : c’est d’autant plus vrai depuis le digital. Amazon connaît donc ses clients et les engage de manière à leur donner l’impression de discuter avec un ami et pas un commerçant.
Conséquences sur la société de consommation : enquête et résultats
Après la description de ces quatre modèles économiques qui, combinés entre eux, font qu’Amazon « sur-performe » dans le domaine du e-commerce, peut-on réellement voir des conséquences sur notre société de consommation ? Amazon a-t-il réellement changé notre manière de consommer ? Pourquoi ? C’est ce que nous allons tenter de décrypter dans cette partie.
Enquête et résultats
Pour déterminer s’il y a bien effectivement des conséquences sur notre manière de consommer et la société de consommation, nous avons réalisé une enquête sociologique (cf. annexes) sous forme de sondage que nous avons diffusé sur Facebook et par mail afin d’obtenir un maximum de réponses variées. De manière générale, ce sondage avait pour but de comprendre l’utilisation que font les utilisateurs d’Amazon et leur vision sur l’e-commerce et Amazon.com. Selon eux, est-ce qu’Amazon change leur manière de consommer et leur perception du commerce ? Après diffusion du questionnaire, 83 personnes, se situant entre 15 et plus de 40 ans ont répondu, la majorité étant composée de 79,5% de 19-25 ans. Parmi c’est 83 personnes, 92,8% utilisent Amazon.com contre seulement 7,2% de non-utilisateurs.
Il est intéressant de se demander à quelle fréquence et pour quelles raisons ces usagers utilisent Amazon.com. 63,6% des consommateurs utilisent ce site uniquement pour les occasions, 18,2% une fois par mois et 16,9% une fois par semaine. Les raisons principales, et relativement sans surprise, de l’utilisation de ce site sont à 68,3% l’achat de cadeaux, 62,2% pour rechercher des objets difficiles à trouver dans le commerce et 51,2% pour comparer les prix. La majorité des achats effectués sur Amazon.com sont des livres, à 72,8%, suivi du multimédia avec 48,1% et de produits introuvables dans les commerces physiques avec 46,9% des voix. Il est clairement notable qu’Amazon a continué de perdurer dans la vente de livres, secteur premier d’activité, pour ensuite devenir incontournable en termes de multimédia et de pluralité des objets.
L’e-commerce de manière général et Amazon.com plus particulièrement représente des avantages et inconvénients. 73,2% des utilisateurs pensent en termes de prix réduits. Effectivement, les prix pratiqués par Amazon.com sont souvent plus faibles que ceux des magasins, représentant un avantage certain pour ce grand d’internet. Il en revient de même, avec 73,2% des voix, en ce qui concerne la disponibilité des produits : le stock de produits est plus facilement renouvelable pour Amazon.com que pour les boutiques physiques. Ensuite, 67,1% des usagers apprécient la pluralité des services : Amazon est une sorte de « boutique à tout vendre »[10]. Enfin le troisième plus gros avantage selon la population est celui des délais de livraison assez rapides. En effet, lors de la création de son entreprise, Jeff Bezos a déterminé un système de suivi particulier : si le produit est dans l’entrepôt, la livraison s’effectue en un jour, sinon en fonction de sa disponibilité chez le fabriquant le délai peut varier de 2/3 jours à 4/6 semaines pour les imports les plus lointains[2].
A contrario, Amazon possède aussi des inconvénients pour les mêmes utilisateurs : 41,7% sont réticents à payer des frais de port ou les trouvent trop importants. 31,7% n’apprécient pas avoir sa carte bancaire enregistrée sur la plateforme. Vu comme un service aidant l’utilisateur, l’enregistrement de la carte bancaire est jugé comme négative par une majorité de personnes : à ce jour la peur prédomine de plus en plus en termes d’enregistrement de données personnelles. Enfin, 26,8% des personnes sont frustrées de ne pas avoir accès au suivi de leur commande. Amazon.com s’étant diversifié, sa base de données comporte différents fournisseurs qui ne partagent pas tous les détails de livraison. Il y a un manque de visibilité sur certaines commandes pouvant déranger le consommateur. Mais alors, Amazon a-t-il réellement changé notre manière de consommer ?
Les conséquences sur notre société de consommation
Malgré un pourcentage colossal d’utilisateurs d’Amazon (92,8%), la différence entre magasin et e-commerce n’est pas flagrante : 59% des consommateurs préfèrent aller en magasin contre 41% qui préfèrent utiliser Amazon.com. En comparant toutes les réponses obtenues, il ressort une réponse majoritaire de la part de ceux qui préfèrent aller en magasin : ils veulent voir le produit en vrai, le tester, le toucher, l’essayer en cas de vêtements ; les photographies ne suffisent pas, un besoin de contact se fait sentir. La seconde réponse majoritaire concerne la livraison : en allant en magasin, le client ressort avec le produit souhaité immédiatement, il n’y a pas d’attente de commande. Et enfin quelques réponses mentionnent l’aspect convivial des magasins physiques et le manque de fiabilité et de confiance qu’ils placent en internet.
En revanche, du côté des amateurs d’e-commerce, les réponses sont plus variées : ils trouvent Amazon.com plus simple en termes d’utilisation, d’emploi du temps et de disponibilité. Ensuite, ils placent au même niveau le fait qu’Amazon.com soit généralement moins cher, fournisse plus de choix de produits, soit rapide et ne demande aucun effort. Cette notion de « non-déplacement » est en quelque sorte l’atout majeur du e-commerce. De plus certaines personnes abordent l’idée que la foule présente dans les magasins est insupportable au contraire de la tranquillité d’être chez-soi.
Certaines personnes vont même combiner les deux aspects commerciaux. Un(e) consommateur(trice) a confié aller en boutique pour regarder les produits, les tester et/ou les essayer pour ensuite aller comparer les prix sur Amazon.com et, dans 90% des cas, les acheter sur internet car cela représentait une économie certaine. D’autres affirment qu’aller en magasin est un acte qui complète celui de l’e-commerce, qui représente donc une majeure partie de leurs achats. Pour terminer se distinguo entre magasin et Amazon.com, un(e) consommateur(trice) a dit « je n’aime pas la politique interne d’Amazon, mais je leur achète quand même des trucs… ». La politique interne d’Amazon ne rentre pas dans le cadre de ce questionnement, mais il est aisé de voir qu’il est difficile de résister à Amazon.com devenu aujourd’hui principal revendeur en e-commerce.
Paradoxalement, quand nous poussons l’étude plus loin en demandant aux consommateurs si Amazon est l’un de leurs premiers réflexes en termes d’achat, et si, selon eux, leur manière de consommer a changé, les résultats s’inversent. Dans la partie précédente la majorité des réponses allaient vers la préférence des magasins physiques, alors qu’ici, 60,2% des personnes affirment qu’Amazon fait partie de leurs premiers réflexes de consommation. De plus, 56,6% des consommateurs pensent effectivement que leur manière de consommer a changé avec Amazon.com ; mais alors pour quelles raisons ?
Selon la majorité, Amazon.com a changé notre manière de consommer car il propose pléthore de produits variés y compris des produits introuvables en magasin, mais également parce que les prix sont réduits, qu’il est rapide et facile d’utilisation et qu’il permet de ne pas bouger de chez soi ou d’être utilisé partout. Un(e) consommateur(trice) a dit « j’achète de plus en plus en ligne car c’est moins cher […] je fais de plus en plus confiance ». Ces éléments mènent à l’idée qu’Amazon.com et l’e-commerce de manière générale incitent à consommer davantage. Cependant, l’autre partie, soit 41%, pensent que leur manière de consommer n’a pas été impactée par Amazon.com car il n’est pas leur réflexe immédiat en termes d’achat, ils préfèrent le contact humain et/ou n’apprécient pas l’e-commerce, et enfin, plus généralement, qu’ils ne consomment ni plus ni moins avec Amazon.com.
Conclusion
Après un cumul de 3 milliards de dollars de déficit en 8 ans, Jeff Bezos a réussi à faire de son entreprise Amazon, créée en 1994, le numéro 1 de la distribution en ligne, avec le premier chiffre d’affaire positif en 2002. Depuis cette date, son accroissement n’a fait qu’accélérer jusqu’à son entrée dans les GAFA : les quatre grands d’internet avec Google, Apple et Facebook. Son entrée dans cette bulle « indestructible » lui a donné la possibilité de développer des modèles économiques lui permettant de surperformer dans l’économie actuelle.
Ces modèles sont au nombre de quatre : l’entreprise magnétique lui permettant d’exploiter et monétiser de micro-points de valeur, l’entreprise infinie qui a fait grossir Amazon.com a un niveau planétaire à moindres coûts marginaux, l’entreprise en temps réel qui se base sur la vie un version bêta – il faut réaliser des versions d’essai et tester les produits afin de les améliorer sans cesse en fonction des retours utilisateurs – et enfin l’entreprise intime lui permettant de customiser et de personnaliser les espaces d’échanges avec le client dans le but de créer une relation intime et durable. Ce sont ces 4 modèles économiques qui ont permis à Amazon de devenir leader sur le marché du e-commerce, entrainant des conséquences pour notre société de consommation.
Paradoxalement alors qu’une faible majorité de 59% préfèrent encore aller en magasin, l’un des premiers réflexes en termes de recherche et/ou d’achats de produits est devenu Amazon.com. Cette enquête effectuée nous a permis de comprendre que l’e-commerce n’a pas fondamentalement changé notre société de consommation en soit mais plutôt notre manière de consommer. Certes la facilité déconcertante d’Amazon.com, les prix réduits ainsi que la pluralité des produits proposés nous incite clairement à dépenser davantage mais nous continuons d’aller en magasin en même temps que nous nous familiarisons avec l’e-commerce. Les deux activités, différentes de par leur pratique, se complètent entre elles. Là où Amazon.com ne peut satisfaire le client (essai des produits, contact humain…), les magasins peuvent compenser et inversement : le refus de subir la foule des magasins peut être compensée par le calme de l’achat en ligne. Une consommatrice a affirmé « je suis plus sereine quand je fais les magasins parce que je sais que s’ils n’ont pas le produit et n’ont pas la possibilité de le commander, j’aurais certainement un exemplaire disponible sur Amazon. ». Contrairement aux idées reçues où Amazon.com tuerait les magasins physiques, il serait davantage réaliste d’affirmer que les deux modèles de consommation entrent en cohésion parfaites et ne s’affrontent pas. L’apparition d’Amazon.com n’a donc pas changé notre société de consommation intrinsèquement, mais plutôt notre manière de consommer qui lie dorénavant le « réel » et le « virtuel ».
Bibligographie
[1] Ann BYERS. Jeff Bezos: the founder of Amazon.com, The Rosen Publishing Group, 2006
[2] Richard L. BRANDT. Les secrets de la réussite de Jeff Bezos, Editions Télémaque, 2012
[3] Amazon.com Introduces New Logo; New Design Communicates Customer Satisfaction and A-to-Z Selection, Corporate IR.net
[4] Émission Là bas si j’y suis du 22 mars 2013, France inter
URL : https://fr.wikipedia.org/wiki/Gafa
[5] Amazon Prime: 5 Million Members, 20 Percent Growth
URL : http://www.practicalecommerce.com/articles/3043-Amazon-Prime-5-Million-Members-20-Percent-Growth
[6] GAFAnomics : new economy, new rules, Enquête de FaberNovel, cabinet de conseil.
URL : http://www.fabernovel.com/fr/work/study-gafanomics-new-economy-new-rules/
[7] Edwin MANSFIELD. Economie managériale. Théorie et applications, de Boeck, 2002
[8] Kevin KELLY. New rules for the new Economy, Penguin Group USA, Amérique, 1999
[9] URL : http://ressources.aunege.fr/nuxeo/site/esupversions/83e876d5-3c45-45cb-a888-2af03045ca8e/MarFonPda/co/L4_1_1_courbe_cycle_vie.html
[10] Bard STONE. Amazon : la boutique à tout vendre, First Interactive, 2014.