LES MONDES NUMERIQUES

Blog des Masters en Sciences Sociales de l'Université Gustave Eiffel

Consommation collaborative : le troc à l’air du numérique.

Travail réalisé par Laëtitia Coré et Émilie Narquin

Quelques mots d’introduction…

 La consommation collaborative désigne un modèle économique où l’usage prédomine sur la propriété : l’usage d’un bien, service, privilège, peut être augmenté par le partage, l’échange, le troc, la vente ou la location de celui-ci. [1]

À partir de 2008, la crise financière et économique mondiale a provoqué une montée du chômage, un recul important du pouvoir d’achat des ménages ainsi qu’une chute du système bancaire mondial. Ces effets ont engrangé une remise en question sur les modes de consommations actuels. C’est à cette période que les pratiques de consommation se sont modifiées en profondeur : les échanges et partages de bien entre particuliers ont connu un engouement progressif, donnant naissance à la consommation collaborative. Les consommateurs deviennent consommacteurs et ont désormais la double casquette « offreur-demandeur ».

En effet, devenue une économie non négligeable, c’est près de la moitié des français qui en sont acteurs.[2] Au niveau mondial, le marché de l’économie de partage représente 12 milliards et pourrait, d’ici à 2025, représenter 270 milliards d’euros selon une étude du cabinet PwC. Faire des économies est devenu une préoccupation générale.

Nous avons donc décidé de nous intéresser à cette forme de consommation. Nous retracerons dans un premier temps l’historique de la consommation collaborative et son évolution au fil des années jusqu’à nos jours. Puis, nous nous intéresserons à deux plateformes majeures de l’économie de partage : le site Internet Yakasaider.fr et l’application Checkfood. Plus particulièrement ces deux plateformes concernent l’échange de service sans contrepartie financière pour la première et le don alimentaire dans la consommation collaborative pour la deuxième.

Le développement de la consommation collaborative
Ses traces à travers le temps

L’homme, pour survivre comme beaucoup de mammifères, vivait dès ses débuts en « meute », en communauté. Pour de nombreuses activités, l’échange, le partage et la coopération entre différents individus étaient nécessaires. Lors de la chasse par exemple, les humains devaient collaborer entre eux. L’homme en tant qu’être social, a toujours pratiqué le partage et la collaboration. Même lorsque l’homme s’est « civilisé », les exemples restent nombreux. C’est pour cela que Jeremy Rifkin, parle de « collaborative communs »[3], qui désigne l’appellation traditionnelle de terres cultivées collectivement, en référence au système agricole féodale anglais. Ces formes d’organisations et de gestions sont donc existants depuis le début de l’homme et ont perduré pendant le développement des civilisations : « Les communaux sont antérieurs au marché capitalise et au gouvernement représentatif. Ils constituent la forme d’autogestion institutionnalisée la plus ancienne du monde »[4]. Au XIXème siècle, ces collaborations, qui prennent la forme d’ordres religieux, d’écoles, d’hôpitaux, de syndicats et nombreuses institutions culturelles populaires, sont regroupées par le terme « société civile »[5]. C’est au XXème siècle qu’elles sont institutionnalisées. Il est ainsi créer les sociétés à but non lucratif, c’est à dire des associations « exemptées d’impôts »[6], mais dont l’objectif n’est pas de s’enrichir. Le phénomène collaborative est déjà reconnu. En effet le terme anglais « collaborative », émerge dès les années 1940, mais il commence à être beaucoup utilisé vers la fin des années 60, jusqu’à atteindre un pic de nos jours[7].

 Le tournant de la technologie :

Ce pic correspond, a un bouleversement majeur, l’arrivée de l’Internet, puis du web dans ces pratiques collaboratives. « Présent de tout temps, le phénomène du partage a été démultiplié et modernisé grâce aux techniques du web ».[8] Jeremy Rifkin va plus loin et nous dit : « L’Internet des objets est l’ « âme soeur » technologique des communaux collaboratifs émergents »[9]. Ce qu’il entend par l’Internet des objets, correspond une évolution de l’Internet, composé de celui de la communication, de celui de l’énergie et de celui de la logistique, « le tout intégré à un seul et même système d’exploitation »[10]. Les caractéristiques de cette technologie, qui s’est étendue au monde, rendent possible une consommation collaborative, liée à une économie du partage. Cet outils, qui lui même est de nature collaborative, a permis à toute une génération d’échanger des informations, puis des fichiers et enfin des objets, sans les problèmes de la mobilité et la barrière des frontières. Les valeurs de la collaboration et du partage, ont fait écho avec celles du web et les caractéristiques techniques de cette technologie, ont permis de faciliter les organisations de cette institution de partage. Cette économie du partage est associée à une « économie sociale »[11], permise par un web qui se montre lui même social. Pour arriver à une consommation collaborative, selon Rachel Botsman, le web est passé par plusieurs étapes. La première est la libéralisation des logiciels, avec la création du logiciel libre par Richard Stallmann. Le partage de logiciel fut lancé. La deuxième étape est l’arrivée des réseaux sociaux, notamment en 2005 avec la création de Facebook, puis celle plus récente de Twitter. Le partage devient plus personnel, plus intime. Les gens inscrivent leurs vies sur les réseaux sociaux. Puis ce fut le tour de la créativité, par le biais de Youtube et Flickr, et enfin « nous entrons dans la quatrième phase, où les gens se disent : « je peux me servir de cette technologie pour partager toutes sortes de choses qui sont hors ligne, dans le monde réel » »[12]. Ceux qui sont définis comme la génération « native », « Y », ont grandi avec le partage de leurs fichiers à leur « vie », et maintenant leurs propriétés, biens. La communauté est redevenue une concept et une conviction importante.

 La crise économique et écologique ?

Rachel Botsman qui est devenue une des promotrices de la consommation participative voit deux autres sources possibles à ce regain de la collaboration, dans des sociétés très capitalistes : « Des préoccupations environnementales urgentes sans réponses » et une « Récession mondiale qui a changé fondamentalement la façon de consommer »[13]. Selon elle l’économie et la planète nous disent stop. En 2008, une crise économique s’étend au monde. Le système d’hyper-consommation apparaîtrait désormais obsolète, et de nombreuses personnes se tourneraient, dans le but de réduire leur consommation, ou de gagner de l’argent, vers l’économie de partage. « Dopés par la crise économique de 2008, des starts up proposant de partager des chambres, des trajets automobiles ou des objets ont connu une envolée fulgurante ». Selon l’article « Modèles coopératifs émergents » de Thanh Nghiem, l’économie de partage se serait déployée en France dès 2008 en moins de 18 mois. Mais le monde est en crise aussi, au niveau de l’écologie. Les pollutions extrêmes, ou encore le gaspillage des ressources, conduisent à la promotion d’une collaboration écologique, comme le covoiturage, ou encore certains sites contre le gaspillage dont nous parlerons dans la troisième partie. Un bouleversement important dans la façon de concevoir la consommation semble donc avoir été amorcé.

Les Mécanismes de la consommation collaborative
Repenser la consommation

S’intéresser aux mécanismes de la consommation collaborative c’est comprendre comment la consommation semble avoir été repensée, par des consommateurs qui eux même changent de statut. L’hyper-consommation, instaurée en grande partie après la seconde guerre mondiale, ne fit qu’augmenter au fil des ans, même si le phénomène semble moins phénoménal qu’à ses débuts. Dans son article « La consommation des ménages », Renaud Chantoire, évoque une certaine « nostalgie » des années 70, liée au développement de la société de consommation, qui empêcherait de voir que la consommation a, doucement, mais bel et bien augmentée jusqu’à nos jours. Pour lui, l’idée de consommation collaborative, dans les premiers temps de sa conceptualisation (2007), ne représente « aucune remise en cause du système global de consommation », mais montre un tournant « un nouveau rapport de force dans la négociation à l’avantage, cette fois ci des consommateurs ». C’est ainsi la création de sites ou applications tels que groupon, pour négocier des prix de gros aux particuliers. Mais très vite apparaît cette idée qu’un changement majeur dans la manière de consommer s’est effectué : « Tous dénotent en effet une volonté de s’émanciper d’un système pyramidal qui touche ses limites »[14]. A cause de nombreux facteurs possibles que nous avons vu, on passerait d’une promotion des valeurs capitalistes telles que la possession de biens, la propriété, à un « détachement des objets de la consommation »[15]. Mais est ce vraiment un éloignement des consommateurs aux valeurs matérialistes constitutives de notre société? Le basculement se situe plus au niveau de la conception de la propriété, plutôt qu’au niveau de l’objet de consommation qui reste important. L’expérience, l’utilisation est préféré à la possession : « La recherche de l’usage plutôt que la propriété s’est diffusée »[16]. Ainsi la fonctionnalité des objets est promut face à sa « dimension symbolique »[17]. Les besoins auxquelles doivent répondre le bien, ou l’expérience qu’il crée devient plus important que le fait de collectionner des objets. C’est en cela que Jeremy Rifkin, affirme : « La consommation débridée serait remplacée par l’économie de partage ».[18]

Mais cela induit, un changement dans la nature même des objets, dont nous reparlerons plus tard et dans celle du consommateur. L’homme, du statut de passivité accordé à l’hyper consommateur, deviendrait un créateur, puis même un « collaborateur hautement habilité »[19]. La passivité de l’ancien consommateur, peut être largement remise en cause, car le processus d’achat engage tout un processus décisionnel, et un enchaînement d’actes, peut être plus compliqué, avant le web. C’est pour cela que le terme « prosommateurs »[20], nous paraît plus approprié. Le consommateur deviendrait productif, d’où le terme prosommateurs : « La plate-forme transforme tout participant en prosommateur et toute activité en collaboration ». L’implication dans l’économie de partage est plus importante que celle d’un acheteur banal.

Cette implication semble traduire pour de nombreux chercheurs, un engagement social, voir écologique de nombreux consommateurs. La consommation collaborative serait pour Rachel Botsman un « système plus durable construit pour répondre à nos besoins innés d’identité individuelle et communautaire ». Une nouvelle forme de gouvernance, qui selon une vision très utopiste reposerait « moins sur l’attente d’une récompense financière que sur le désir d’améliorer le bien être social de l’humanité »[21]. Jéremy Rifkin pousse ainsi l’image des communaux collaboratifs, à celle de « communaux sociaux »[22]. Cette dimension traduit donc une volonté.d’étendre ses relations aux autres et de partager. Mais la consommation collaborative existe sous plusieurs formes, et chaque système, même s’ils sont très proches, ne repose pas forcément sur les mêmes fondements, ou ambitions.

Les systèmes de la consommation collaborative

Ce que beaucoup de chercheurs considèrent comme les trois composantes de l’économie de partage, et de la consommation collaborative, idée que nous remettrons en cause, fonctionnent sur un principe particulier, mais essentiel, la réputation. « C’est notre identité numérique qui devient la clé de l’échange »[23]. On peut se poser la question, à juste titre, comment partager, échanger d’un objet à une expérience avec un étranger, qui plus est, protégé par l’anonymat du web. Or sans confiance, le principe de collaboration s’effondre. La réputation joue ainsi un rôle majeur. Le web qui permet l’anonymat, les multiples identités, gardent et stockent des traces de tout cela. Ces traces à travers les commentaires et notes, le plus souvent, construisent une réputation à chaque utilisateur, qui permettra de garantir un certain degré de confiance. Sans cela l’économie de partage n’existerait pas. Découvrons maintenant ses composantes.

Selon Rachel Botsman, l’économie de partage se décline en trois systèmes clairs. Le premier système, que nous allons étudier, existait avant sous des formes différentes, c’est « la redistribution des marchés », que l’on pourrait appeler le système d’occasion. Au XXème siècle on pouvait déjà acheter des DVD d’occasions, des voitures… Ce qui est nouveau, est le moyen par lequel on le fait, c’est à dire par le biais du web. L’exemple le plus connu est le « Bon coin ». Mais depuis quelques années on a passer un autre cap, on n’échange plus un produit contre de l’argent, mais on échange des objets de consommation contre d’autres, qu’ils soient de même nature ou pas. Nous entrons dans une sorte de nouvel aire du troc. Le succès de ces plateformes, repose sur l’ampleur massive du web : « La puissance de la multitude est au coeur de la nouvelle économie numérique »[24]. Le nombre de consommateurs, ainsi que la diversité de leurs origines, certains chercheurs parlent même de « village planétaire »[25], créent un choix immense, qui permet une « coïncidence des besoins »[26]. Les chances pour trouver l’objet que l’on veut, et quelqu’un qui veut bien ce que l’on propose auraient été très basses au XXème siècle, mais de nos jours elles sont grandes. Ces pratiques explosent pendant la période de Noël, les consommateurs trouvant là, un bon moyen de recycler les cadeaux non souhaités, tout en se faisant plaisir.

Le deuxième système est le « service de produit ». L’argent n’est pas exclu de ce système. On rémunère l’expérience, ou l’usage par soi ou des autres d’un produit, sans qu’il ne nous appartienne. En somme nous consommons à prix plus bas, que ce que nous serait revenu l’achat de cet objet, et sans qu’il soit notre propriété: « Vous payez pour les bénéfices du produit, ce qu’il vous apporte sans posséder le produit »[27]. On achète le service et non plus le matériel. Les plus connues de ces systèmes sont Airbnb, Blablacar, etc. Ces sites ou applications, connaissent une telle ampleur, qu’ils ont forgé leur importance dans l’économie. Le dernier système est très proche de celui ci, mais a une démarche complètement différente.

Il s’agit du « style de vie collaboratif »[28]. Basé sur une approche plus sociale, il repose sur la volonté d’un gain économique, dans le sens ici de ne pas perdre de l’argent, et sur celle de développer des liens sociaux, voir même, pour certains, dans un souci écologique. La collaboration est donc au coeur de ce système. Cela peut être un partage de temps, d’argent, de ressources, ou même de qualifications. C’est le principe de courch-surfing, dit « surfing de canapé » en français, qui est un système d’hébergement gratuit, où ce qui est important est le temps partager avec l’hôte. C’est ces concepts, qui peuvent s’apparenter à l’idée de communaux sociaux, que l’on va s’attacher d’étudier en troisième partie, avec un focus sur l’application Checkfood. Mais avant intéressons nous à l’engouement pour ces trois systèmes.

Utopie ? Big business

Peut on réunir ces trois concepts différents sous la même étiquette d’économie du partage? Comme nous l’avons vu beaucoup de chercheurs voient en la consommation collaborative un mouvement social. Jeremy Rifkin parle de communaux sociaux. Les dénominations « collaborative » et « partage » impliquent cette dimension aussi. Or d’un coté nous avons vu un fonctionnement mercantile, avec une volonté de produire des gains. C’est le « service produit ». Ce sont souvent des start up à l’origine des projets, et même maintenant de grandes entreprises : « Loin de s’en effrayer les entreprises voient dans cette fluidification tout un potentiel de transactions nouvelles dont elles seront les intermédiaires rémunérées »[29]. Simon Borel parle même de « Big business ». En effet plusieurs de ces start up, commencent à developper un projet collaboratif, qui une fois qu’il a du succès devient payant. C’est le cas de covoiturage .fr, un site de covoiturage gratuit, devenu blablacar, un payant. Le «partage», devient très rentable et beaucoup utilisent ce principe : « Cet amalgame, qui culmine dans le tour de passe-passe consistant à traduire to share (« partager ») par « louer », est largement encouragé par ceux qui cherchent à profiter du phénomène ». Mais si ce système implique un changement au niveau de la possession, certains chercheurs comme Martin Denoun, mettent en doute le détachement à la consommation. On consommerait toujours autant, même si de manière différente. La nouvelle nature des objets de consommation, est un commerce de soi :« une marchandisation qui s’étend à la sphère du privé »[30].

De l’autre coté, le « style de vie collaboratif » lui, semble plus social. Ce sont des sortes de projets associatives comme nous l’avons vu plus haut. Ces différences de motivations, sont les raisons principales pour lesquelles on ne peut associer réellement ces deux systèmes : « En fait, on ne peut réunir les deux démarches sous l’étiquette « d’économie du partage » qu’en se focalisant sur la forme de ces relations, et en minorant les logiques très différentes qui les nourrissent »[31]. Ce que disait Richard Stallmann, par rapport à l’open source et le logiciel libre, s’applique parfaitement, dans le cas de l’économie de partage: « Le 1er est une méthodologie de développement, le second est un mouvement social ».

Deux plateformes collaboratives pour deux consommations différentes
L’échange de service

Comme cité plus haut, un des grands fondements de la consommation collaborative repose sur l’échange. En effet, l’échange, qu’il soit matériel ou immatériel contre un bien ou un service est devenu monnaie courante sur le web. Le précurseur de cette nouvelle économie a été Ebay, fondé en 1995 par Pierre Omidyar. C’est la première plateforme visant à mettre en relation des particuliers pour l’achat et l’échange de bien d’occasion sous formes de petites annonces. En réalité, ce n’est autre que la version numérique du troc de nos ancêtres. Succès immédiat, Ebay a rapidement été suivi par d’autres sites (tels que Leboncoin, Vivastreet etc.) proposant l’échange de bien. Or, c’est en 2014, que Julie Ribeyron a co-créé une nouvelle forme de consommation collaborative : une plateforme d’échange de services. Partant initialement d’un besoin personnel comme c’est souvent le cas en matière d’innovation ou de lancement de concept, Yakasaider.fr est né. En effet, le site Internet repose sur le système d’entraide entre particuliers. La co-créatrice, échangeait souvent des petits coups de main avec ses voisins. En effet, lors de problèmes de plomberie son voisin venait l’aider, en échange, elle lui rendait volontiers service pour les visites dans sa maison lors des départs en vacances par exemple. Consciente des bénéfices de l’entraide entre voisins, elle a imaginé cette entraide d’une plus grande ampleur en imaginant un réseau de particuliers prêt à s’aider et offrir des compétences que tous n’ont pas. C’est ainsi que Yakasaider.fr est lancé sur la toile, devenant aujourd’hui le premier réseau d’entraide entre particuliers. Si l’échange de service via petites annonces n’est pas nouveau, le principe ici est plus novateur. Premièrement, yakasaider.fr regroupe un grand réseau de particuliers prêts à aider les autres : 15830 utilisateurs pour 26613 propositions de services. De plus, les échanges de service ne se limitent pas d’une personne à une autre : je peux bénéficier des compétences informatiques d’un membre, sans forcément lui rendre service à lui, tant que je donne de mon temps à un autre membre. Ainsi, le principe repose sur la gratuité des services à la condition que l’on propose à notre tour de rendre service. En effet, chaque membre peut rendre des services et ainsi créditer son « compteur temps » du nombre d’heures réalisées. Avec ce « compteur temps » le membre pourra à son tour bénéficier de services de la part des membres du site. Tous les services valent le même temps (1h donnée sera toujours égale à 1h à recevoir).

Chaque membre peut recevoir un service avant même d’en avoir rendu un. Pour cela il devra s’acquitter d’une caution afin de garantir qu’il rendra service à son tour. Cette caution lui sera par la suite rendue lorsque son compteur temps sera égal au compteur de service consommé. Cette plateforme est l’exemple même du développement de l’économie de partage. Bien loin de la période « Je consomme donc je suis »[32] apparue dans les années 70, où les individus consommaient pour assouvir leur besoin d’affirmation de soi : on parle de surconsommation. Depuis 2008 et la crise économique, la notion de partage et d’entraide s’impose jusque dans les pratiques de consommation. On parle d’usage plutôt que de propriété. Nous n’avons plus besoin de posséder pour jouir d’un objet ou d’un service. Nous pouvons le louer à un particulier si nous n’en avons pas une utilité récurrente, l’acheter d’occasion ou, comme c’est le cas avec Yakasaider.fr, l’échanger sans contrepartie financière.

L’Expérimentation du don alimentaire

Aujourd’hui, le principe de consommation collaborative s’étend et devient un véritable acteur dans la lutte contre le gaspillage. En effet, depuis 2014 un plan pour lutter contre le gaspillage alimentaire est en marche. Le programme national de prévention des déchets a pour but de réduire de 50% le gaspillage alimentaire à l’horizon 2025. Pour mémoire, le gaspillage alimentaire représente 20kg de déchet par an et par personne et plus particulièrement, 7kg de déchets alimentaires encore emballés.[33]

C’est dans cette optique et pour participer à ce programme que l’agence 5ème gauche a crée et imaginé Checkfood. Checkfood, c’est une application disponible sur smartphone (uniquement sur l’Apple Store pour le moment) qui consiste à lister chaque produit alimentaire que nous achetons. Par principe de scan du code-barre, l’application reconnait le produit scanné ; reste à l’utilisateur à entrer la date de péremption puis, de ranger l’aliment comme à son habitude. Ensuite ? L’application se charge d’envoyer un rappel quelques jours avant la date de péremption du produit en question. Dès lors, deux choix s’offrent à l’utilisateur : il peut choisir de le cuisiner ou bien de le donner. S’il choisit la deuxième option, Checkfood indique à l’utilisateur les endroits les plus proches de lui pour donner ses aliments et ainsi en faire profiter les plus démunis. À titre d’exemple, lorsque je me géolocalise dans le 18ème arrondissement, l’application m’indique deux lieux principaux : l’association Entraides Citoyennes, et l’Église de la Trinité. L’utilisateur est libre de donner également aux associations qu’il affectionne.

Dans sa volonté de lutter contre le gaspillage, Checkfood surfe incontestablement sur le développement de la consommation collaborative et repose de ce fait sur l’entraide. C’est une toute autre forme d’économie de partage puisqu’il n’y a, dans cette nouvelle forme de consommation, aucune contrepartie financière pour le don de nourriture. Bien que l’on ne puisse pas parler d’échange de bien, Checkfood représente une nouvelle plateforme facilitant la consommation collaborative. À contrario des plateformes telles que leboncoin ou encore yakasaider.fr que nous abordions à l’instant, Checkfood repose sur la prise de conscience collective. Sans parler d’une consommation “gagnant-gagnant” elle agit sur le social et réduit le côté individualiste de la consommation. C’est là tout le principe de la consommation collaborative, repris par Checkfood : “On ne consomme plus uniquement pour soi, lorsqu’on le peut, on consomme ensemble”[34]. La volonté des créateurs est vraiment de casser ce “circuit de consommation” représenté de la manière suivante :

Achat -> Utilisation -> Obsolescence -> Destruction.

Partant du constat qu’en terme d’achats périssables et particulièrement de nourriture, la phase d’utilisation n’était pas toujours respectée et passait directement d’achat à obsolescence, l’agence 5ème gauche a réfléchi à la façon de limiter cette perte. C’est de ce constat qu’est arrivé Checkfood. L’idée de l’application a germé en 2013, lors du Hackathon organisé par la mairie de Paris, dans le thème “Régler la crise”. C’est donc dans l’idée de ne plus voir ses aliments périmer et s’oublier dans les placards et, dans le prolongement de la publication du projet national de réduction du gaspillage que nous évoquions plus haut que les développeurs ont donné naissance à Checkfood.

Pour demain, l’application voit plus grand : elle prévoit des partenariats avec les acteurs de la grande distribution. Ele souhaite que les dates de péremptions soient insérées au sein des codes barres afin de faciliter l’utilisation de l’application et de créer un gain de temps pour les utilisateurs.

Côté politique, l’agence travaille avec l’ancien ministre Guillaume Garrot, pour généraliser ce genre d’outils et les rendre plus simples. Elle souhaite réellement créer un plan national et être un acteur majeur de ce grand projet.

Interview d’Arno PONS, directeur de l’agence 5ème Gauche. Réalisée par e-mail.

Comment vous est venu l’idée de lancer un tel concept ?

Checkfood est né lors d’un Hackathon, réalisé en 2013 par la mairie de Paris sur le thème “Régler la crise”. Les petits génies ont donné naissance à une application mobile visant à lister les aliments de notre placard, en rentrant leur date de péremption. Le but ? Lutter contre le gaspillage alimentaire. C’est près de 13% de denrées alimentaires encore emballées qui partent à la poubelle chaque année. Par la suite, nous l’avons développé pour en faire une application fonctionnelle. Nous avons ancré notre projet directement dans le pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire. Checkfood est la réponse à la 11ème mesure : « Expérimentation, sur un an, du don alimentaire par les citoyens ».

Checkfood s’inscrit-elle dans une démarche de consommation collaborative ?

En effet, Checkfood a été crée pour répondre à l’expérimentation du don alimentaire par les citoyens. Le but a vraiment été de repenser la consommation afin de lutter contre le gaspillage. La dimension sociale a été importante, nous avons développé l’application avec comme ligne directrice : Aujourd’hui, on ne consomme plus uniquement pour soi, lorsqu’on le peut, on consomme ensemble. Notre but était de casser ce schéma systématique de consommation qui va de l’achat auprès des distributeurs à la poubelle. Nous souhaitions réellement ajouter une option à ce système.

Quel est le profil type de vos utilisateurs ?

Aujourd’hui, nous sommes présents sur l’Apple Store uniquement, nous sommes donc conscient que nous limitons l’accès à l’application. On planche d’ailleurs sur ce sujet, nous espérons pouvoir proposer Checkfood également sur l’Androïd Market. Nos utilisateurs principaux sont essentiellement des citadins, pour la plupart Parisiens. Ce sont des utilisateurs relativement jeunes, pour la plupart étudiants, jeunes couples et jeunes parents.

Dans l’avenir comment voyez-vous l’évolution de votre projet ?

La deuxième étape est déjà en cours et consiste à embarquer des acteurs de la grande distribution dans le programme afin de s’assurer une simplification de l’application. Grâce aux distributeurs le consommateur n’aura plus besoin, dans la V2, de rentrer les informations complémentaires manuellement, car les données numérisées seront rentrées directement.

La troisième et dernière étape impliquera les politiques pour aménager le cadre législatif et permettre un vrai plan national. Nous travaillons avec Guillaume Garot depuis le lancement, et nous allons amplifier nos actions.

Pour conclure…

Nous l’avons vu, la consommation collaborative, bien ancrée dans notre société est devenue un véritable mode de vie. Cette nouvelle manière de consommer est née de plusieurs facteurs : tout d’abord, depuis la crise financière, on a observé un recul important du pouvoir d’achat des français. Le phénomène de surconsommation s’estompe peu à peu jusqu’à disparaître en 2008 au profit d’une économie de partage. Couplé à cette crise, on observe une véritable prise de conscience collective. Les individus prennent conscience qu’une consommation commune pourrait être une solution efficace. Cette évolution a pu voir le jour grâce au développement des systèmes de réseaux, mis en lumière par le développement d’Internet. En effet, comme nous l’avons évoqué, ces plateformes d’économie de partage ne sont autres que des évolutions du bon vieux troc, la forme d’échange la plus ancienne qui soit.

Nous pouvons aujourd’hui nous demander quelle évolution connaîtra encore ce système de consommation collaborative ? Une partie de la réponse se trouve dans une étude réalisée par Opinion Way, en février 2015, qui met en lumière que : 9 Français sur 10 pensent que l’économie du partage va se développer considérablement et 48% des Français la pratiquent régulièrement.

Or, cet engouement n’est pas le même du coté de l’État : en effet, celui-ci pointe du doigt cette économie de partage. La première raison ? Il dénonce une perte de bénéfices importante puisque l’échange de bien ou de service n’est pas concerné par les taxes. L’État voit donc un réel manque à gagner.

De plus, le gouvernement français dénonce dans ces systèmes une précarisation du travail[35]. En effet, sur certaines plateformes, les échanges de services sont soumis à faible rémunération et certains en font leur « métier », à défaut de trouver un emploi stable. L’État voit donc d’un mauvais œil ces échanges, dénonçant le fait qu’il n’y ai aucune réglementation des tâches effectués. Il est évident donc, de se poser la question si, à termes, une réglementation verra le jour pour encadrer cette nouvelle façon de consommer ?

[1] Définition Wikipédia

[2] Étude Opinion Way, février 2015

[3] Rifkin J, La nouvelle société du coût marginal zéro : l’internet des objets, l’émergence des communaux collaboratifs et l’éclipse du capitalisme, Paris : Les liens qui libèrent, 2014.

[4]Ibid., p 32

[5] Ibid., p 33

[6] Ibid., p 34

[7] Nghiem Thanh, « Modèles coopératifs émergents. », Multitudes 1/2013 (n° 52) , p. 110-120

[8] Ibid.,

[9] Rifkin J, La nouvelle société du coût marginal zéro : l’internet des objets, l’émergence des communaux collaboratifs et l’éclipse du capitalisme, Paris : Les liens qui libèrent, 2014, p 34

[10] Ibid., p 111

[11] Ibid., p 35

[12] Rachel Botsman à la conférence Ted

[13] Idem.

[14]  Nghiem Thanh, « Modèles coopératifs émergents. », Multitudes 1/2013 (n° 52) , p. 110-120

[15] Denoun Martin, « Posséder ou partager ?. », Le Monde diplomatique 10/2013 (N° 715) , p. 6-6

[16]Nghiem Thanh, « Modèles coopératifs émergents. », Multitudes 1/2013 (n° 52) , p. 110-120.

[17] Denoun Martin, « Posséder ou partager ?. », Le Monde diplomatique 10/2013 (N° 715) , p. 6-6

[18] Rifkin J, La nouvelle société du coût marginal zéro : l’internet des objets, l’émergence des communaux collaboratifs et l’éclipse du capitalisme, Paris : Les liens qui libèrent, 2014, p350

[19] Rachel Botsman à la conférence Ted mai 2010 : https://www.ted.com/talks/rachel_botsman_the_case_for_collaborative_consumption?language=fr

[20] Rifkin J, La nouvelle société du coût marginal zéro : l’internet des objets, l’émergence des communaux collaboratifs et l’éclipse du capitalisme, Paris : Les liens qui libèrent, 2014, p 24

[21] Ibid., p 40

[22] Ibid., p 35

[23] Nghiem Thanh, « Modèles coopératifs émergents. », Multitudes 1/2013 (n° 52) , p. 110-120.

[24] Rachel Botsman à la conférence Ted

[25] Nghiem Thanh, « Modèles coopératifs émergents. », Multitudes 1/2013 (n° 52) , p. 110-120.

[26]Idem

[27] Idem

[28] Idem

[29] Denoun Martin, « Posséder ou partager ?. », Le Monde diplomatique 10/2013 (N° 715) , p. 6-6

[30] Idem

[31] Idem

[32] What’s Mine is Yours, Rachel Botsman

[33] http://www.developpement-durable.gouv.fr/La-lutte-contre-le-gaspillage.html

[34] Antoine, de l’agence 5ème Gauche.

[35] Économie de partage : recul ou avancée ? Reportage diffusé sur France 3

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