Travail réalisé par Adrien Contini et Alice Hoang (M1 CMW)
Introduction
Nous avons choisi dans ce dossier de nous pencher sur la communication digitale des sites de refuges animaliers. Le taux d’abandon et d’adoption sont en hausse en France ces dernières années (une augmentation de 22 % entre l’année 2014 et l’année 2015 a dévoilé la SPA, chiffres qui accompagnent aussi l’augmentation du nombre d’adoptions). Quelles sont les raisons de ce flux devenu plus soutenu ? A cette fin, nous avons choisi le cas emblématique de la SPA (Société Protectrice des Animaux), première association française de défense des animaux, à la fois pour sa pertinence actuelle et historique1.
Nous utilisons à cette fin le terme de refuge, qui est ici à prendre au sens d’organisme accueillant des animaux et les reconditionne de manière à les rendre aptes à l’adoption, puis les mettent à disposition des visiteurs du refuge. Ainsi les refuges qui ne mettent pas les résidents à l’adoption ne seront pas examinés ici.
Nous utiliserons de même le terme de communication digitale, en précisant que sans entrer dans les différents niveaux de significations, nous englobons dans cette notion les stratégies de communications numériques par le biais des sites internet, mais aussi des différent médias sociaux, mis à disposition par les nombreuses interfaces disponibles (tablettes, mobile, ordinateur etc). En raison des limites de temps, nous avons décidé de nous focaliser sur le site web seul de la SPA.
Nous nous sommes interrogé d’abord sur la communication générale et la visibilité de la SPA. Gageons que les gens adoptent, car ils connaissent la SPA, de la même manière, abandonnent-ils leur animaux car ils savent que la SPA récupère les animaux ? Quelles part donner à la SPA elle-même et à sa visibilité, et quelle part peut-on réserver au changement actuel de mœurs de notre société ? Dans le même temps, toutes les organismes se mettent à la page du Web 2.0, en investissant sur les réseaux sociaux et leur site. Faut-il parler de corrélation ou peut-on percevoir un lien de causalité entre ce flux de plus en plus soutenu dans les refuges de la SPA et sa présence de plus en plus importante sur la toile ? Nous avons d’abord choisi de nous pencher sur cette problématique. Au cours de nos recherches, nous nous sommes intéressés au message que transmet le site lui-même, qui finalement, nous semble-t-il, est un questionnement à part entière. Comment communiquent-ils et tendent-ils à véhiculer message particulier ? Est-ce un site à but message informatif, fonctionnel, politique ? Comment ce message est-il reçu, perçu, puis décodé par ceux qui visitent le site ?
Dans un monde numérique où les achats, négociations et échanges se font de plus en plus accessibles, comment le développement du site internet de la SPA a-t-elle changé les modalités du processus d’adoption ?
Nous traiterons dans un premier temps du contexte historiographique de notre sujet, que ce soit dans la relation de l’animal à l’homme, de l’histoire de la protection animale ou de l’histoire des associations – notamment la SPA. Dans un second temps, nous couvrirons dans une analyse l’organisation du site d’un des refuges de la SPA (sur les 55 refuges existants aujourd’hui), en prenant la place d’un visiteur naïf, qui sera poussé vers l’adoption en traversant le site. Cette partie sera alimentée par deux interviews d’anciens adoptants de l’organisme de la SPA, centrée autour de la présence du site pendant leur processus d’adoption et la manière dont ils ont décodé le message de celui-ci.
I) Homme face à l’animal, Homme pour l’animal
Il est essentiel de placer notre sujet dans son historiographie. Ainsi nous présentons ici les principaux intellectuels et écoles qui nous aideront à penser ce dossier. Cette partie se divisera en trois ; d’abord sur la place qu’occupe l’animal dans la société humaine, puis par une histoire rapide de la protection animale. Enfin nous traiterons de l’histoire des refuges en France en nous concentrant sur l’organisme de la SPA, et des démarches à suivre dans le processus d’adoption, qui fera plus loin l’objet d’une analyse détaillée.
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Place de l’animal dans la société humaine
La place de l’animal dans la société humaine existe sur de nombreux niveaux de relation et dépend de nombreux facteurs, à la fois géographique, que spatiale, historique et culturelle. Elle dépend de la même façon des différentes catégories d’animaux dont il est question ; nous avons pu distinguer trois catégories au cours de nos lectures, selon leur lien d’attachement à l’Homme, soit les animaux sauvages, les animaux domestiqués pour un besoin matériel (consommation pour les animaux de rente, traction pour les bêtes de somme, etc) et enfin, les animaux domestiqués pour la compagnie humaine (carnivore domestique, c’est-à-dire chien, chat et furet, mais aussi les Nouveaux Animaux de Compagnie.) Dans le cadre de notre étude, nous mettrons bien sûr l’accent sur les animaux de compagnie dans le cadre de la civilisation occidentale.
La relation avec l’animal commence par la chasse et la consommation, avant d’évoluer vers une domestication progressive, essentiellement en facteur du climat. Leur utilisation est largement positive pour la civilisation humaine, que ce soit dans le domaine agricole, du transport ou de la guerre. L’animal devient enfin, une source de compagnie. Dans cette optique, il n’est pas utilisé dans un but matériel comme il s’entend, mais pour le bien-être de l’Homme (compagnon, statut social, etc)
La place de l’animal de compagnie dans les sociétés occidentales se fait de plus en plus importante au cours des dernières décennies. Marc Catsaras, ancien Secrétaire général de l’Académie vétérinaire de France, souvent publié dans des revues professionnelles, évoque dans un article l’hypothèse que c’est l’union réussie de la relation entre l’Homme et le cheval (à la fois sur le plan économique, rural, militaire, mais aussi culturel et esthétique), et l’effondrement récent de cette association qui est source d’un nouveau besoin affectif animal.2 Cette thèse, montre que l’avancée importante du nombre animaux de compagnie dans la société actuelle est un phénomène notable dont de nombreux acteurs du milieu tentent d’expliquer les causes.
La montée de la présence des animaux de compagnie « traditionnels » (pour la France, les trois animaux les plus populaires : poissons, chats et chiens) se croise avec celle de des animaux moins familiers, comme les oiseaux, rongeurs, reptiles, etc. Ces nouveaux animaux de compagnie (NAC), devenus populaires dès les années 70, sont reconnus des cercles vétérinaires sous le nouveau terme NAC dans les années 80. Généralement déjà domestiqué, mais pas utilisé pour leur compagnie (furet, lapin, etc), ils peuvent aussi s’agir d’espèces sauvages qui ont été apprivoisés (hérisson, serpent, tortues, etc).3
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Histoire de la protection animale
La protection animale est un débat déjà initié par de nombreux penseurs et philosophes, comme Pythagore au Viè siècle avant J-C, Jeremy Bentham au XIIIè siècle ou Arthur Schopenhauer au XIXè siècle. C’est en 1822 que la première loi de protection animale au monde est adoptée ; le Martin’s act votée par le Parlement du Royaume-Uni et défendue par Richard Martin. Cette loi, appelée « loi sur le traitement cruel du bétail » interdit les sévices sur vaches, boeufs et moutons. D’autres lois similaires sont votées dans les années qui suivent dans les autres pays occidentaux pour la défense des animaux, à la fois domestiques, mais aussi sauvages. Certaines conventions internationales sont même signées – nous pouvons prendre l’exemple de la Convention de Washington de 1973. Aujourd’hui signée par 175 pays, elle tend à défendre la faune et la flore utilisées dans le commerce international, afin de limiter l’extinction des espèces animales. Plus récemment, la Convention de Rio de 1992, signée par 193 pays, a été essentielle dans la lutte de plusieurs débats sur l’environnement : en effet, elle a abouti à trois conventions, celle plus connue, sur le climat, mais aussi sur la désertification et enfin la biodiversité. Cette dernière a fait l’objet de Convention sur la diversité biologique (dont la dernière s’est déroulée en 2014 à Pyongyang).
Les lois tendent donc depuis le XXIè siècle, à se pencher de plus en plus sur le soin donné aux animaux. Une tournure non négligeable se fait sentir dans les années 70 : La lutte ne se fait plus contre la maltraitance animale, mais pour leur bien-être, que ce soit au niveau de leur soin et de leur alimentation, comme le montre les régulations et lois votées dans les pays européens. Le terme « animalitaire » est né dans cette période, inspiré de celui d’humanitaire. Il se base notamment sur cinq principes : celui de mettre à disposition de l’animal de l’eau et de la nourriture en quantité suffisante, de lui donner un habitat approprié, de tendre à lui éviter maladies et souffrance et enfin de le laisser exprimer le comportement naturel de son espèce. Tandis que de nombreuses voix s’élèvent dans ce sens, avec par ailleurs la montée du terme « antispécisme » dans cette même décennie.4 Ce relativisme entre espèce humaine et espèce animales débouche aussi par des débats houleux quant à la limite à poser dans l’évolution des relations entre les deux mondes. Jean-Pierre Digard, auteur de l’ouvrage Les Français et leurs animaux de 1999, dénonce violemment dans la dernière partie de son ouvrage le militantisme animal qu’il peint presque grossièrement comme plusieurs cellules fanatiques qui n’hésitent pas à diaboliser les individus moins radicalisés. Un tableau, il semble, hâtif, mais qui montre bien, de part la justesse du reste de l’ouvrage que le débat à propos de la place à accorder ou pas à l’animal, dans nos foyers et dans nos lois, enflamme ses acteurs même les plus brillants.
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Les refuges et la SPA
En ce qui concerne les associations de protection animale, c’est encore vers le Royaume-Uni qu’il faut se diriger, puisque la Royal Society for the Prevention of Cruelty to Animals fut crée en 1824. Aux États-Unis, l’American Society for the Prevention of Cruelty to Animals est fondée en 1866
En France, la SPA (Société Protectrice des Animaux) est fondée en 1845, sous la monarchie de Juillet du roi Louis-Philippe, d’abord dans le souci premier de défendre les chevaux d’attelage. C’est avec l’apparition du moteur et la progressive disparation de ces chevaux qu’elle étend son influence vers tous les animaux domestiques, dans le même mouvement qui pousse en 1850, au vote de la loi Grammont. Celle-ci punit les sévices envers les animaux domestiques5. Les refuges de la SPA sont nées à Gennevilliers en 1903, toujours principal refuge en Île de France aujourd’hui. Le nombre de refuges et de dispensaires se multiplient dans les années 1980. Il existe aujourd’hui 55 refuges SPA à travers la France et 12 dispensaires. D’abord, concentrée sur la lutte contre les traitements abusifs contre les animaux et la sensibilisation du public6, elle se tourne dans les années 1990 vers le nouveau problème de trafic animal7. En 2015, la SPA a récemment fêtée ses 170 ans8.
Dans le cadre de notre étude sur le poids de la communication digitale dans le processus d’adoption animale, nous avons principalement axé notre question autour des organismes et du fonctionnement de la SPA, ainsi nous avons demandé à un employé par entretien téléphonique quelles étaient les démarches à suivre afin d’adopter un animal, avant la construction du site web.
Il était question dans un premier temps dans venir visiter le refuge afin de rencontrer les animaux disponibles et d’obtenir plus de renseignement sur le refuge par les bénévoles et employés. Cette étape se fait, dans le meilleur des cas, plusieurs fois, afin de se décider sur le meilleur choix. Une fois le choix fait, il faut faire rencontrer à l’animal choisi les membres de la famille et les animaux de compagnies déjà présents afin de discerner les problèmes éventuelles qui pourraient survenir. Dans un dernier temps, le contrat d’adoption est signé et l’animal et pris en charge par l’adoptant en échange d’un montant qui couvre différents frais de stérilisations, vaccinations, tatouage etc.
II) A) Le cas d’un site internet.
Avec la démocratisation d’Internet, les refuges animaliers ont commencé à obtenir des sites Internet dédiés à leurs activités ainsi que des réseaux sociaux.
Dans quelle mesure ces sites Internet servent-ils les associations dans le processus d’adoption des animaux ? Quelle place a le web dans le processus de communication des refuges ?
Étude de cas : site web – http://chamarande.spa.asso.fr/
Nous avons choisi d’étudier un cas concret de communication digitale avec l’exemple d’un site internet d’un refuge. Nous allons voir comment le refuge communique par son site sur les animaux de la structure et si celui-ci met internet au service de l’adoption.
Notre choix s’est porté sur l’un de ces sites de la Société Protectrice des Animaux (SPA) pour la raison suivante : cette association est l’une des plus connue en France en matière d’adoption animalière. il nous semble donc pertinent de l’étudier dans la mesure où nous partons de l’hypothèse que sa popularité se retrouve également sur le net. Cette hypothèse peut se vérifier en partie quand on effectue une recherche avec les termes “refuge animalier” ou “adoption animal” sur google, principal moteur de recherche internet en France. En effet, le site www.spa.asso.fr/refuge (site qui présente une carte des refuges gérés par la SPA et un lien vers leurs sites) se retrouve en première et seconde place en terme de “référencement naturel”, après les annonces issues d’un référencement dit “payant”.
Dans la mesure où tous les sites de la SPA présentent une esthétique commune, une hiérarchisation des informations similaires ainsi qu’une URL commune en “.spa.asso.fr” (par exemple http://moree.spa.asso.fr/ et http://valdelancourt.spa.asso.fr/) , nous pouvons parler ici d’un réseau de site internet. Tous ont été construit sur un gabarit commun. Cependant, on peut noter de petites différences entre les sites concernant le détail des informations qui dépendent des choix particuliers que font chaque refuge. Un réseau de sites tel que celui-ci présente un avantage certain pour les petits refuges, qui bénéficient alors pour leur site internet de la popularité déjà acquise par le site principal de la SPA. Néanmoins, cela présente également quelques inconvénients qui résident principalement dans le fait que ce système offre très peu de liberté et de marges pour effectuer des changements. En effet, l’utilisateur qui n’apprécie pas le site d’un refuge de la SPA, n’appréciera pas les sites des 72 structures de l’association.
Nous étudierons ici le site d’un refuge francilien de la SPA, puisqu’il s’agit de celui de Chamarande, en Essonne : http://chamarande.spa.asso.fr/ .
Comme nous l’avons vu, nous retrouvons ici le gabarit classique utilisé par tous les sites de la SPA. Une barre de navigation en haut, qui présente les réseaux sociaux de l’association. Les réseaux sociaux sont devenus incontournables pour communiquer sur internet et il est donc important de les mettre en avant. Ils sont au nombre de quatre : viméo, youtube, twitter et facebook. Cependant, le seul à être consacré uniquement au refuge de Chamarande est la page Facebook. Les autres sont des réseaux qui appartiennent à la SPA globale.
L’entête du site se poursuit avec un menu qui présente les différentes catégories du site. La première page à être proposée, après celle d’accueil, est la page des formalités d’adoption. Combien coûte l’adoption ? Quelles sont les conditions pour adopter ? Ces dernières questions sont des informations que les internautes sont susceptibles de rechercher principalement en consultant le site de refuge. Des pages concernant la vie du refuge, sa localisation suivent, puis la page des animaux à adopter. Le menu se poursuit avec des pages sur les animaux, d’abord ceux à adopter et ceux déjà adoptés. Enfin, des informations supplémentaires d’ordre générale sont proposés. Une page de contact, classiquement situé à la fin, termine le menu. Nous pouvons voir que le choix de la hiérarchisation des rubriques dans le menu n’est pas anodin mais répond aux comportements classiques d’une personne désirant trouver des informations sur l’adoption par internet. En effet, l’information est hiérarchisés selon des comportements classiques ciblés : se renseigner sur les conditions d’adoption, sur le refuge (localisation), sur les possibilités d’adoption (les animaux) puis voir des témoignages de précédentes personnes ayant adoptés, obtenir d’avantage d’informations, etc.
Un grand carrousel, immédiatement visible en ouvrant la page, se trouve sous menu. Il présente les animaux à l’adoption en photo, avec une mini-description. L’utilisateur peut donc choisir un animal dès la page principale. Le reste de la page principale présente des catégories d’animaux plus rarement adoptés tel que les “sauvages” ou les “mi-sauvages”. Mettre en avant ces catégories est donc un moyen de faciliter leur adoption.
Nous pouvons donc voir que les sites des refuges de la SPA, comme celui de Chamarande, sont construits de façon dans l’optique d’utiliser internet pour faciliter l’adoption. Nous allons donc poursuivre l’analyse de cette plateforme en consultant directement les pages des animaux à adopter.
La page à l’adoption propose un panorama de tous les animaux disponibles aux refuges. Chaque animal possède une fiche qui le caractèrise (espèce, taille, couleurs, races, etc), ses maladies ou non, ainsi qu’une ou plusieurs photos. La grande majorité des animaux sont renseignés, cependant il est indiqué qu’il subsiste quelques manques par manque de moyen de l’association qui ne peut pas publier les fiches de tous les animaux en temps réel. Pour connaître exactement toutes les possibilités d’adoptions ainsi que les détails sur les animaux, il sera donc important de se déplacer directement au refuge. Un champs de recherche permet de trouver un animal en particulier, selon des critères (espèce, nom, taille, sauvetage ou non). Cependant, cette page est dédiée uniquement à la consultation, il est impossible de réserver un animal ici. Un numéro de téléphone est proposé sur chaque page animal, mais aucune action ne peut être faite en ligne. La page contact également, n’est pas dédiée à l’adoption des animaux.
Les autres pages du site sont à caractères informatives et sont toutes sur le même modèles.
Nous avons vu que le site de la SPA dédié au refuge de Chamarande ne néglige pas internet dans l’adoption des animaux : les réseaux sociaux sont mis en avant, le menu semble adapté pour des recherche concernant l’adoption. Cependant, aucune possibilité d’adoption ou de réservation d’animal n’est encore possible en ligne. Le seul moyen proposer pour cela est de téléphoner. Ceci semble assez paradoxal si on considère que le site tente de mettre internet au service de l’adoption des animaux. En effet, le processus de réservation d’un animal, semble être l’action la plus importante dans une optique d’adoption en ligne. Cependant, elle n’est pas prise en compte ici. Le site vise plutôt des actions informatives, de renseignement à travers sa présence en ligne.
II) B) Interviews
Nous avons pu obtenir deux interviews venues d’adoptants qui ont fréquenté deux sites différents de la SPA. Comme précisé auparavant, tous les sites de la SPA suivent une même charte graphique, ainsi qu’un même modèle. Nous considérerons donc que ces deux interviews traitent d’un site au comportement sensiblement semblable.
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1ère remarque : quelle audience, quelle cible?
Les interviews, annexés à la fin de ce dossier montrent un itinéraire très semblable. Le visiteur, déjà intéressé ou non (il serait plus juste de dire qu’il s’agit plus de curiosité qu’un souhait bien formulé d’adoption), est mené à découvrir l’association et à faire une visite. Dans un premier cas, l’individu aura regardé les profils des animaux et décidé de s’intéresse à un chat particulier, tandis que dans l’autre, le site est une étape décisionnelle dans la visite du refuge et pas dans une adoption spécifique. Dans les deux cas, le site est le point de départ des deux adoptants. Le site mène-t-il à l’adoption ou bien réussit-il à relayer et faciliter un message qui est déjà fin prêt à être réceptionné ? Nous penchons vers la seconde réponse. Le visiteur curieux n’est pas encore futur adoptant, mais peut le devenir. A cette occasion, les sites tendent à mener le visiteur dans une itinéraire qui suivent le processus d’adoption, facilité et expliqué pas à pas (déploiement d’informations qui ont trait aux démarches à suivre, l’adresse du refuge, aux animaux à l’adoption…). Ils ont donc très bien cerné leur public, puisque les visiteurs semblent être des adoptants en devenir et des « curieux » qui peuvent devenir adoptants. En effet, une fois le processus d’adoption achevée, nos deux « curieux » ne consultent plus le site.
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2ème remarque : Entre idéalisme et empirisme, un consentement à deux vitesses
Notre second constat tient du message « refusé » des refuges. Dans le même fonctionnement que montre l’école de Birmingham à propos de la sociologie des médias, une partie du message du site est détournée dans chacune des deux interviews. En effet, la SPA véhicule un message que l’on pourrait qualifier de « pro-animal » avec un champs lexical du pathos. Voici-ci dessous une citation du site que nous avons trouvé en page d’accueil pour présenter les animaux « sauvetages».
« Parce qu’ils sont handicapés, malades, trop discrets pour être remarqués ou tout simplement jugés trop âgés, certains chiens et certains chats sont abandonnés. Chez nous, ils passent inaperçus et le temps défile pour eux, derrière leurs barreaux. »
Cette description souligne bien entendu la souffrance animale et fonctionne comme un cri de détresse à l’adresse des visiteurs, visant à attendrir. Ce message est accepté puisque le taux d’adoption de la SPA reste élevé et que nos deux « curieux » sont devenus adoptant. Pourtant, ce même message est aussi dénoncé dans les descriptions des animaux. L’un des interviewés les considèrent généraux, [« ils nous disent tous qu’ils sont gentils, câlins… Ils ne mettent jamais en avant les caractéristiques de chaque chat. » Interview 1]. L’autre interviewé regrette le manque [«d’information plus concrète sur les chiens et leur personnalité.» Interview 2].
Une rapide observation des profils suit ces observations : nous avons choisi le premier profil de cette section, un chat appelé Naga. La description (encore incomplète d’après les dires du site) parle d’elle en ces termes :
« A savoir en attendant le commentaire complet :
– adorable, craquante, coquine, joueuse, câline, douce, tolère ses congénères. »
(Les animaux disponible à l’adoption, première page, et la page de la chatte “Naga” et sa description. Page vue le 30/01/15)
Sous cette description se trouve des photos de l’animal ainsi que des informations plus factuelles (sexe, âge, taille etc). Tout en acceptant le message d’adoption du site, les adoptants ne sont donc pas satisfait du champs lexical ainsi que des informations proposées pour chaque animal. Il faut ici conclure que le message et la manière de le véhiculer est acceptée lorsqu’il est question de la notion d’adoption, mais qu’elle est, sans être repoussoir, une particularité qui n’a pas lieu d’être dans les fiches « techniques » selon nos deux interviewés. Une vision idéaliste est accepté dans le texte général du site, mais un jargon moins abstrait et beaucoup plus technique est attendu par nos deux interviewé lorsqu’il est question de considérer les profils individuels de chaque animal. C’est curieusement un fonctionnement comportementalisé qui est recherché ici.
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3ème remarque : un élan endigué, l’adoption et Internet
Une dernière remarque concerne ici le processus d’adoption en ligne, qui, nous l’avons dit plus haut, semblait être un processus bloqué au stade final. L’un des interviewé regrette de ne pas pouvoir réserver un animal en ligne [« On voulait vraiment ce chat, mais il a fallu attendre une semaine pour aller au refuge, on avait peur que quelqu’un l’ai déjà pris. » interview 1]. tandis que l’autre refuse une adoption en ligne [« une adoption purement en ligne serait pour moi un risque accru d’abandon (le chien ne correspond pas à la photo, aux indications etc…) » interview 2]. C’est donc un développement clairement en débat, ce qui explique d’un côté que la SPA refuse de mettre en avant les adoptions en ligne et d’un autre côté, sans doute une résistance à un système qui, il est vrai, pourrait pousser à un taux d’abandon encore plus élevé et une déconsidération de l’importance à donner aux animaux. Nous n’excluons pas une progression future vers une informatisation des démarches administratives cependant. Le processus d’adoption, n’a pour ainsi dire, sensiblement pas changé avec l’arrivée du site internet, mais il facilite le premier contact du visiteur avec l’organisme et son concept. D’une certaine manière, nous pouvons parler du site comme un portail de “pré-adoption”, dont le but est à la fois informatif et persuasif.
Conclusion
Après nous être intéressé à l’histoire des relations homme – animal et de l’adoption animalière, nous sommes questionnés au sujet de la prise en compte du web dans le travail des refuge aujourd’hui.
Nous avons alors étudié un site de la plus célèbre association de protection animalière en France, à savoir la SPA. Nous avons également interviewer deux personnes ayant acquis animal par le biais de cette association. A travers ce travail, nous avons pu constater que la prise en compte du web par les refuges est bien là. De nombreuses actions sont faites, par ces refuges, notamment pour sensibiliser à la cause animale. Cependant, le processus d’adoption reste principalement traditionnelle malgré la présence de fiche pour chaque animaux du refuge sur le site web.
La prise en compte du web est donc encore légère mais tout de même bien présente dans la stratégie des refuges animaliers.
Interviews
[Ceci est une interview donnée par un adoptant appelé Paul Lamarck, faite le dimanche 17 janvier, enregistrée au dyctaphone et retranscrite le jour même.]
Bonjour,
Est-ce le premier animal que vous adoptez ?
Oui, c’est la première fois que j’adopte, mais j’ai déjà acheté en animalerie. Je n’ai jamais eu de chat, par contre.
Et où l’avez vous adopté ?
A la SPA d’Orgeval, dans les Yvelines
Quelles ont été vos motivations pour adopter votre animal ?
Je voulais prendre un premier chat, mais je n’étais pas sûr d’assumer un animal de compagnie pour vingt ans si ça ne se passe pas bien. C’est pour ça qu’on a pris un chat âge.
Comment avez-vous fait votre premier contact? Par le site ou sur place?
Sur le site. Nous venions de déménager depuis un studio vers un 3 pièces. Ma compagne a décidé de regarder les profils des chats de ce site pour passer le temps, mais nous n’avons jamais penser à prendre un animal avant, c’était un peu le coup de foudre pour elle, c’est pour ça.
Consultez vous régulièrement des sites de refuge animalier ?
Avant oui, j’utilise les sites pour m’informer sur les chats et voir les différents chats disponible à l’adoption. Mes sites principaux sont Seconde Chance et la SPA
Si oui, trouvez vous que les sites de refuge animalier proposent des informations adéquates ?
Je ne les trouve pas du tout adéquates, au contraire même. Les infos ne sont pas à jour, et elles sont minimes : ils donnent juste l’âge de l’animal, sa couleur de poil etc, on peut voir ça juste avec une photo… Ils omettent des informations par contre ! Mon chat est atteint d’une maladie, il doit prendre des médicaments et doit être suivi par un vétérinaire toute sa vie, mais on nous l’a dit que lorsqu’on était sur place. Les descriptions des chats sont tous généraux, ils nous disent tous qu’ils sont gentils, calins… Ils ne mettent jamais en avant les caractéristiques de chaque chat.
Quelles sont vos attentes en consultant le site d’un refuge ?
Il faut clairement plus d’infos, déjà mettre à jour les profils, ensuite obtenir l’histoire de l’animal, son passé, tout ça… ça, ça serait vraiment bien, et plus utile
Lors de l’adoption de votre animal, avez vous consulter un site internet d’un refuge avant de vous y rendre ?
Oui, bien sûr. Je l’ai utilisé pour savoir comment y aller, quels sont les démarches à suivre, et tout ça…
Si oui, est-ce que cela vous a aidé dans votre démarche d’adoption ?
Oui et non on va dire… Les infos comme l’adresse y sont, mais après on a du téléphoner pour connaître les démarches exact et prendre RDV. On pensait téléphoner pour réserver le chat, mais le système n’était pas du tout à la hauteur. Je comprend qu’on ne puisse pas réserver pour dans deux mois, imaginons que j’annule et que entre temps certains étaient intéressés…mais quand même, il faudrait trouver un moyen, vous voyez.
Avez vous pu adopter l’animal que vous avez vu sur le site ?
Non, finalement on était pas au courant de sa maladie, on est donc famille d’accueil temporaire, ça veut dire que son statut est en suspens suivent l’évolution de sa maladie, mais la SPA prend en charge les coûts de véto, les médocs…
Sinon oui, c’était le seul chat que l’on voulait, donc on a eu la main sur notre cible finalement (rires)
Avez-vous donner des nouvelles au refuge de votre animal par internet ? (Envoi de photos, etc)
Oui, le premier jour on avait pris une photo et on l’a envoyée par mail, mais sinon, non.
Qu’est-ce que vous améliorez sur ce site si vous le pouviez ?
Il faut vraiment améliorer la recherche. Déjà, il y a plein de sites SPA qui se ressemblent tous, du coup j’en cherche un, et puis je tombe sur les autres, il faudrait vraiment penser à les différencier. Même la recherche dans le site avec les animaux c’est le bordel. Par exemple c’est dur de retrouver un chat ou un chien qu’on a déjà vu, les profils ne sont pas classés du tout.
Si vous auriez pu réserver en ligne un animal, est-ce que vous l’auriez fait ?
Oui, ça m’aurait éviter du stress aussi. On voulait vraiment ce chat, mais il a fallu attendre une semaine pour aller au refuge, on avait peur que quelqu’un l’ai déjà pris.
Pensez vous que l’adoption est plus facile depuis le développement d’internet dans les refuges ?
Oui, pour les premières étapes, par exemple, on a pas à aller voir directement pour se faire un idée des chats qu’ils ont. Par contre pour la suite il faut se déplacer, bien sûr.
Merci de vos réponses.
[Cette seconde interview a été donnée par un adoptant appelé Vivien Dutheil, le 29 janvier 2016 par écrit. Nous lui avons envoyé les questions par mail.]
Bonjour Vivien :
Comment as tu connu ce refuge ? Par internet ?
Par internet, on a recherché par curiosité les SPA aux alentours de notre domicile (Alfortville dans le 94). A ce moment là, nous avions pas encore pris la décision d’adopter un chien. Nous avons alors trouvé deux SPA dans les environs, Chamarande et Genevilliers.
As-tu consulté le site du refuge de Chamarande pour adopter ton chien ?
Nous avons consulté le site de Chamarande, mais pas particulièrement pour adopter dans un premier temps. Nous avons juste décidé d’aller faire un tour dans une SPA pour « découvrir ». Du coup, nous n’avions pas vraiment consulté les profils des animaux à adopter ni des sauvetages. Suite à la visite du site, nous avons été un weekend sur place pour visiter et nous avons vu plusieurs chiens qui nous ont touché, mais nous sommes repartis du refuge sans adopter.
C’est deux jours après que ma copine, qui avait eu un coup de cœur pour un chiot a voulut que nous appelions pour savoir si il était possible de l’adopter. Hélas, le chiot avait été adopté. Le soir même nous avons alors reconsulté le site et avons vu que le « frère » du chiot était encore là-bas. Et nous avons alors reprogrammé une visite le weekend suivant pour le revoir et passer du temps avec lui. Et c’est après cette deuxième visite que nous l’avons adopté.
Consultes tu encore le site du refuge ?
Après l’adoption, nous avons consulté le site quelques temps par curiosité, mais aujourd’hui, nous n’y allons plus.
Qu’est-ce que tu penses du site et comment tu l’améliorerais ?
Je ne me souviens plus vraiment du site, mais il m’avait plutôt satisfait au niveau de la consultation des profils des animaux, même si parfois peu de photos sont disponibles. L’amélioration que j’aurais pu souhaité est qu’il manque un moyen d’interaction simple avec les bénévoles et d’information plus concrète sur les chiens et leur personnalité.
Aurais tu aimé pouvoir adopter ton chien directement en ligne ?
Non, je pense qu’il est nécessaire d’avoir un contact physique direct avec le chien. Et une adoption purement en ligne serait pour moi un risque accru d’abandon (le chien ne correspond pas à la photo, aux indications etc…)
Est-ce que tu consultes les réseaux sociaux du refuge ?
Non, je n’ai jamais consulter les réseaux sociaux des refuges, seulement leur site web.
Selon toi, la visibilité de la SPA passe t-elle plus par internet ou par les vecteurs traditionnels de communication ?
Selon moi, les deux sont complémentaires. Chez les propriétaires de chiens, la communication autour de l’association se construit plus dans les dialogues lors de rencontres, promenades etc…
Le site et internet est selon moi, moins un outils de « visibilité » qu’un outil pour informer sur les derniers arrivant et les animaux ayant besoin d’un sauvetage et donc d’éviter des euthanasies.
Voilà! J’espère que cela vous satisfait 🙂 Sinon tu peux me poser des questions complémentaires!
1 Nous nous gardons bien sûr d’idoliser cet organisme, qui est tout aussi connue pour ses pratiques ambiguë au cours de son histoire…
2 CATSARAS, Marc, Histoire des rapports humains-animaux dans les sociétés occidentales, communication présentée le, 1999, vol. 6.
3 DIGARD montre dans Les Français et leurs animaux, que d’une manière intéressante, les animaux de fermes sont très peu utilisés comme NAC
4 « Ce terme désigne toute discrimination fondée sur des critères d’appartenance à une espèce biologique donnée. Construit par antithèse, le néologisme anglais antispécisme, rassemble dans un même rejet toutes les affirmations sur l’incommensurabilité de l’espèce humaine avec le reste du règne animal, et sur l’existence, au sein de celui-ci, de catégorisations – telles qu’animaux sauvages ou domestiques, nuisibles ou utiles, ou encore de compagnie –justifiant de traitements différenciés entre les êtres et groupes ainsi constitués. » tiré de l’Europe Universalis (visité le 29 janvier 2016)
5 La loi proposée par Jacques Delmas de Grammont stipule que « Seront punis d’une amende de cinq à quinze francs, et pourront l’être d’un à cinq jours de prison, ceux qui auront exercé publiquement et abusivement des mauvais traitements envers les animaux domestiques. » . Elle est abrogée en septembre 1951 par décret no 59-1051 qui inclut dans cette loi, le cadre privé.
6 En effet, la SPA crée en 1982 Animaux Magazine, une revue de sensibilisation du public
7 Élevage « en batterie » et illégal d’animaux de compagnie venus de Belgique, où les lois sont plus souple et considérée comme la plaque tournante européenne du trafic. L’Europe de l’Est est de même, devenu un acteur majeur dans ce marché, très lucratif en France, par le biais des animaleries. La trafic animal (sauvage et domestique) est considéré comme le troisième réseaux commercial illégal le plus lucratif après la drogue et les armes, avec plus de 15 à 160 milliards d’euros de bénéfices par an. (http://www.planetoscope.com)
8 http://www.spa.asso.fr/un-peu-d-histoire
Pour aller plus loin :
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- DIGARD, Jean-Pierre. L’homme et les animaux domestiques: anthropologie d’une passion. Paris : Fayard, 1990.
- DIGARD, Jean-Pierre. Les Français et leurs animaux. Paris, Fayard, 1999.
- Communication des associations de Thierry Libaert et Jean-Marie Pierlot, 208 pages, 2014, éditions Dunod.
- “Determining factors for successful adoption of dogs from an animal shelter.” http://europepmc.org/abstract/med/9713528
- MICHALON, Jérôme. Fabriquer l’animal de compagnie. Ethnographie d’un refuge SPA. Sociologie, 2013, vol. 4, no 2, p. 163-181.