Nathanaël Dworczak
L’imprimante 3D est une invention qui n’a pas encore atteint le grand public. Cependant elle est utilisée dans le domaine de l’industrie, ce qui permet à cette technologie de se développer. Elle fonctionne en modélisant d’abord l’objet, par dessin ou par scan, puis vise à le reproduire en superposant des couches de matière chauffée. Cette technique est appelée « fabrication additive ». Les « usagers du quotidien » de cette technologie sont encore peu nombreux. Réduits à quelques passionnés et des services d’impression 3D. Cependant, cette technologie suscite beaucoup d’enthousiasme dans la communauté des makers. On retrouve ainsi de plus en plus d’imprimante 3D dans les fab labs ou autres makerspaces.
Nous chercherons alors à comprendre : Comment l’imprimante 3D peut transformer notre quotidien ? Quels usages en feront nous ? Quels buts cette technologie peut-elle servir ? Les sciences humaines et sociales ont alors toute leur place dans cette réflexion.
L’usage de cette technologie reste un sujet de débat. Les applications sont nombreuses, la juridiction encore floue et la technique en développement. Il est donc difficile d’imaginer les futurs possibles si cette technologie atteignait le grand public car « la nouveauté devient innovation par l’entremise d’usages » (Gaglio). Autrement dit, l’innovation a besoin d’être contextualisée. Nous analyserons donc les usages des premiers utilisateurs. Nous verrons alors comment ces usages s’inscrivent dans un mouvement plus large lié au développement de l’informatique en général. Nous terminerons en abordant la notion de propriété intellectuelle liée à l’utilisation de cette technologie.
I. Les usages de l’imprimante 3D
L’imprimante 3D est utilisé aujourd’hui dans des applications militaires. Elle permet ainsi de créer une usine à arme rapidement n’importe où. Ainsi l’imprimante 3D pourrait réduire considérablement le coût de production militaire. Elle permet également à n’importe qui d’imprimer une arme à feu. Cody Wilson, un habitant du Texas, s’est fait connaitre en 2013 pour avoir développé la première imprimante 3D d’arme à feu en open source. Des novices peuvent-alors fabriquer des fusils d’assaut non traçables. Cet exemple est cité pour prendre connaissance de la réalité froide et des dérives que peut engendrer cette technologie.
Elle est également utilisée dans l’aéronautique et dans l’automobile. L’imprimante 3D crée des matériaux qui sont plus légers que ceux fabriqués main, ce qui est un avantage important dans cette industrie. Potentiellement, c’est toutes les industries qui sont visées par l’imprimante 3D. L’entreprise WinSun en 2014 a ainsi développé une imprimante 3D qui permet de construire dix maisons en 24h, tout ça pour un prix attractif et un coût environnemental faible. Cet exemple est cité pour prendre en compte également le potentiel de transformation que peut apporter l’imprimante 3D. En 2012, le marché mondial de l’imprimante 3D s’élevait à plus de 2 milliards d’euros et était en croissance de 30%.
Elle est aussi utilisée dans le domaine médical pour produire des prothèses. L’imprimante 3D permettrait alors de diminuer le prix de production des prothèses. Nous prendrons l’exemple de Nicolas Huchet. Ce jeune homme perd une main suite à un accident du travail. Il prend alors une prothèse remboursée par la sécurité sociale mais se retrouve avec « une pince de crabe ». Les prothèses de bonne qualité qui permettent de bouger les doigts coutent entre 40 000 et 100 000 euros. Il rejoint alors le fablab de Rennes et crée sa propre main artificielle à l’aide d’une imprimante 3D pour 300 euros. Il met ensuite le fichier en open source pour les autres handicapés. Nous prendrons également l’exemple du réseau E-nable, qui se propose de mettre en lien des personnes amputés n’ayant pas les moyens de se payer une prothèse, et des imprimeurs 3D.
Nous avons pris trois exemples marquants pour montrer comment les futurs de cette technologie peuvent être nombreux. Cependant les premiers usagers, en dehors des industries se contentent d’imprimer des petits objets, on en est encore au stade de l’expérimentation. Pour Jeremy Rifkin, militant anti-pétrolier, prospectiviste et conseiller influent, l’imprimante 3D pourrait conduire à une 3ème révolution industrielle, seule alternative à la triple crise économique, énergétique et climatique. Cette notion de 3ème révolution industrielle a été adopté par le Parlement européen en 2007. « Ce qui manquait, c’était un récit puissant, capable de raconter l’histoire d’une nouvelle révolution économique et d’expliquer comment toutes ces initiatives technologiques et commerciales apparemment aléatoires s’inscrivaient dans un vaste plan stratégique »
Cette thèse est contestée par de nombreux auteurs. « La « révolution industrielle » fonctionne comme un mythe, elle est un élément de la propagande ordinaire qui cherche à adapter les vieilles lunes industrialistes à l’heure de l’écologie. […] La thèse de la Troisième Révolution industrielle et tous ceux qui vantent le capitalisme numérique restent enfermés dans une vision simpliste des technologies et de leurs effets. Ils oublient de penser les rapports de pouvoir, les inégalités sociales, les modes de fonctionnement de ces « macrosystèmes » comme les enjeux de l’autonomie des techniques et des techno-sciences. […] Grâce à son rêve technologique, il n’est plus nécessaire de penser aux impasses de notre trajectoire, à nos vrais besoins, il suffit de s’en remettre aux grandes entreprises, aux experts et aux entrepreneurs high-tech. »
L’imprimante 3D a d’abord été utilisée dans l’industrie, mais celle-ci ne remplacera pas à court et moyen termes la majorité des moyens de production classique. Par contre, le marché des particuliers à bondit de 346% entre 2008 et 2011.
II. La culture maker et les fab labs
Le développement de la culture hacker à permit l’émergence du mouvement des makers. Celui-ci revendique une émancipation individuelle et collective par l’appropriation des objets. Plutôt que d’être un consommateur passif, réparer, transformer et personnaliser soi-même ses propres objets est un acte qui permet de maitriser sa vie et son environnement. De cette manière, les makers espèrent libérer les individus d’un système capitaliste basé sur la consommation. La culture maker est fondée sur des valeurs de partage, d’émancipation, de collaboration… Nous pouvons traduire cela par une volonté d’exprimer d’autres valeurs que celles du monde industriel, via les objets. « Réparer c’est faire acte d’indépendance. Ne soyez plus esclave de la technologie, soyez-en maître. » (Repair manifesto).
Nous avons tendance à penser les dispositifs en terme de relation entre des personnes. Or les objets y prennent une place considérable. Les objets sont le moyen par lequel nous accédons à des représentations de nous-mêmes et du monde. En quelque sorte, c’est l’humain qui s’inscrit dans l’objet, et réciproquement. « Une pierre est une chose, mais une fois sciée ou polie, elle devient un objet » (Dagognet). Nous pouvons donc considérer les objets comme une prolongation physique ou psychique. Les fab labs sont des espaces de rencontre et de création collaborative où se réunissent des makers, hackers, étudiants… Ces lieux permettent alors de partager les ressources et les connaissances afin d’expérimenter et d’innover. L’imprimante 3D est donc venue se greffer tout naturellement dans ces espaces de création, qui sont parmi les seuls à en proposer une utilisation grand public.
L’avènement de la société de consommation a entrainé une dépréciation générale et qualitative de l’objet. A partir du moment où l’offre a dépassé la demande, et où le modèle économique tient alors sur la surconsommation, l’objet, par sa standardisation, obsolescence et son caractère éphémère, perd de sa valeur. Ce nouveau lien avec l’objet qui s’est construit durant le 20ème siècle en dit beaucoup sur notre société. Il est alors intéressant de voir comment l’évolution de nos rapports aux objets s’inscrit dans une évolution plus globale de notre société. Le Do It Yourself est un modèle d’innovation ascendante centrée sur l’utilisateur. Ce modèle pourrait bouleverser les logiques de l’économie de marché. L’arrivée de l’imprimante 3D grand public inquiète les industries qui tentent alors de prendre la main sur cette technologie et sur les normes qui l’encadreront.
III. L’imprimante 3D et la notion de propriété intellectuelle
La démocratisation de l’imprimante 3D pourrait agiter encore plus le débat de la propriété intellectuelle à l’ère du numérique. La circulation des fichiers sur le web pourrait provoquer pour les industries de lourdes pertes, à l’image de celles engendrées par les producteurs de cinéma et de musique avec le streaming. Aujourd’hui, le droit d’auteur est soutenu par les industries, qui face à l’arrivée du numérique tente de verrouiller leurs droits (ACTA, PIPA, SOPA…). Avec l’imprimante 3D et l’open source, les industries peuvent potentiellement perdre le contrôle de la production, et tenteront sans doute de protéger et de multiplier les brevets, afin de garder le contrôle d’une large partie de la production.
Pour Lawrence Lessig, de par sa position et son engagement (creative commons et autres) contribue à un mouvement de pensée qui prône une libéralisation plus ou moins grande des œuvres de l’esprit, face aux industries qui ne cessent de protéger et de rallonger la durée du droit d’auteur. Cette démarche aurait ainsi pour objectif d’intensifier la création par la reprise légale des œuvres préexistantes. L’auteur et le processus créatif peuvent difficilement se séparer d’une inspiration d’autres œuvres préexistantes. L’oeuvre créée appartient ainsi à la fois à l’auteur et à la société. Il est ainsi important d’encourager la créativité collective dans une perspective d’économie du numérique.
Il est alors nécessaire de revenir en arrière, en 1858 au congrès de Bruxelles, qui dégage alors quatre conceptions possibles du droit d’auteur. La première le considère comme un droit naturel, de nature divine. La deuxième est utilitariste et vise à protéger l’auteur jusqu’à sa mort. La troisième considère que l’œuvre appartient à la société, et qu’en contrepartie l’auteur est rémunéré. Enfin, la dernière est un idéal artistique considérant que l’auteur ne doit pas être rémunéré. Nous rappelons que la nature du droit d’auteur détermine la place de la création au sein de la société. A l’ère du numérique la notion de propriété intellectuelle évolue. Les mesures législatives auront alors des conséquences directes sur nos usages de l’imprimante 3D, sur ce que nous pouvons faire ou ne pas faire avec.
Conclusion
Dans la deuxième moitié du 20ème siècle s’est développé un certain « esprit du numérique » avec le développement de la culture hacker, maker, l’open source, les créatives commons… Prenons cette citation considérée comme la déclaration d’indépendance du cyberespace « Dans notre monde, tout ce que l’esprit humain est capable de créer peut-être produit et diffusé à l’infini sans que cela ne coute rien. La transmission globale de la pensée n’a plus besoin de vos usines pour s’accomplir. » (J.P.Barlow). Cette citation représente bien le paradoxe entre l’économie de marché actuelle et les nouveaux grands discours liés au numérique. Ce mouvement à fait émerger une nouvelle façon de faire. Mais en même temps nous voyons apparaitre un « prolétariat du net », une très forte concentration des firmes liées au numérique, la résurgence des droits de propriété intellectuelle… En un sens, un détournement des valeurs premières de ce mouvement.
Ce mouvement de pensé ne se limite pas seulement à des expériences innovantes mais se diffuse à travers toute la société. Cette révolution numérique est censée pour certains, bouleversé le système économique, le travail, la production… Un capitalisme jeune, innovant, cool et connecté remplacerait alors un ancien capitalisme à bout de souffle. Telle est la carte postale d’un Capitalism new age que nous envoie Google. Mais là où nous parlons de révolution, nous devrions parler plutôt d’évolutions structurelles à long terme. Celles-ci démarrent avec les débuts de l’informatique, et se prolongeront avec toutes les autres innovations à venir liées à ce domaine. Il est donc pertinent d’observer les évolutions qu’apporte ces innovations dans le rapport au travail, à l’économie et à la production. L’imprimante 3D fait partie de ces innovations qui peuvent transformer le monde tout comme internet ou les smartphones. Il est donc nécessaire de s’emparer le plus tôt possible du débat lié au développement et à l’usage de cette technologie.
Les individus ne sont pas totalement soumis à la technologie et à son développement, ils peuvent opposer des résistances plus ou moins grandes, influencer sur son développement, voir la détourner de son but premier. L’imitation et l’adaptation sont aussi importantes dans l’évolution des techniques que l’innovation et la création. L’idée initiale n’est alors que l’amorce d’un long processus complexe. « Innover c’est s’adjoindre des partenaires mais surtout configurer le réseau sociotechnique de sorte qu’il soit en action » (Gaglio). Les futurs possibles de l’imprimante 3D sont aujourd’hui très nombreux. Ce qui est en jeu c’est alors la dimension sociale et politique de la technologie et son orientation, et non pas seulement sa dimension purement technique.
Bibliographie / Webographie
Libération, 21 octobre 2014. « La Troisième Révolution » de Rifkin n’aura pas lieu
Le Parisien, 17 avril 2014. Chine : une maison à moins de 3 500 euros sort d’une imprimante 3D
Le Monde, 15 septembre 2015. Amputé, Nicolas Huchet a fabriqué sa propre main bionique
France 4, 10 janvier 2016. Documentaire (R)évolutions françaises
Benjamin Lavergne, 6 février 2014. L’imprimante 3D : une révolution en marche
Hod Lipson, 26 juin 2014. Impression 3D, la prochaine révolution industrielle