par Lola Le Souffaché & Cyndie Mortreuil
Les femmes ont des poils. Toutes les femmes le savent. La plupart des hommes aussi. Les femmes ont des poils et pourtant, dans la représentation du corps féminin, le poil est aux abonnés absents. Un simple coup d’oeil aux publicités de vente de maillot de bain nous le confirmera : dans les médias le corps glabre est de mise, du moins pour les femmes.
Cette mode du corps féminin lisse et imberbe, d’où vient-elle ? Tendance du XXIème siècle ou héritage historique ?
L’épilation semble remonter à très loin : des objets ayant pu servir de pince à épiler ont été retrouvés dans des sépultures de la préhistoire. En Egypte, au 3ème millénaire avant J-C, hommes et femmes s’épilaient intégralement, pour éradiquer l’impureté de leur corps, et dans la Rome Antique, dès -500, toutes les couches de la population pratiquent l’épilation. Georges Vigarello, dans son ouvrage Histoire de la virilité : l’invention de la virilité, note cependant que le poil était déjà, à cette époque l’un des signes de la virilité : “le port de la barbe a longtemps été considéré à Rome comme un signe de la virilité. […] Quand à l’épilation des parties sexuelles, elle ne saurait tromper personne”. En effet, si à l’époque l’épilation de la poitrine, des jambes et des bras est habituelle pour les hommes, l’épilation des parties sexuelles semblaient indiquer l’orientation sexuelle de la personne, l’absence de poils rapprochant alors semble-t-il l’homme de la femme. Dès la Rome antique nous pouvons donc constater une distinction genrée dans la connotation du poil.
Avec l’avènement du christianisme la pratique de l’épilation disparaît en Occident : il faut garder son corps tel que Dieu nous l’a donné. Elle réapparaît avec l’influence de l’Orient, lors des croisades, pour ensuite, après la Renaissance et le recouvrement des corps, ne perdurer que dans les classes supérieures. La suite est marquée par un déséquilibre de genre fort : la femme se libère notamment par les vêtements, en les raccourcissant. A partir de 1915, date à laquelle le magazine Harper’s Bazaar enjoint les femmes à enlever leurs “objectionable hair”, les femmes subissent désormais la pression de l’épilation. La pression est d’autant plus grande aujourd’hui avec la propension d’un idéal de beauté parfait : une femme mince, jeune, blanche, et bien sûr lisse.
Cependant, depuis quelques années, nous assistons occasionnellement à l’apparition public de célébrités non épilée : Miley Cyrus, Julia Roberts, Madonna… Ces femmes iconiques et traquées par les paparazzi ont bravé la barrière du tabou visuel : elles ont laissé voir leurs poils. Dans chacun des cas, la réponse médiatique ne s’est pas faite attendre : un véritable lynchage. La presse s’interroge : “pourquoi ces stars, qui gagnent des millions, se laissent-elles ainsi aller ?”. Nous nous interrogeons également : pourquoi tant de scandale pour trois poils ? Pourquoi est-ce qu’afficher quelque chose de naturel devient un acte de controverse ? Cette question, nous ne sommes visiblement pas les seules à nous la poser. Pour la recherche “poils féminins” sur Google le résultat “Et si on arrêtait de s’épiler” arrive en cinquième position. Pour l’association Osez le féminisme ! “le diktat de la haine des poils chez les femmes” serait “une construction culturelle et sociale du beau féminin qui arrange bien les machistes” et l’un de leurs combats consisterait à “éradiquer les diktats sexistes pour créer les conditions de choix véritables”.
Alors comment le web s’inscrit-il dans cette lutte féministe ? De quelle façon la représentation du poil féminin sur le web cristallise-t-elle l’émancipation des diktats imposés au corps féminin ?
Dans un premier temps nous étudierons, à travers un corpus web, les retombées de la publication d’une photo de femme avec des poils sur le web. Nous verrons ensuite, en nous appuyant sur un questionnaire, le rapport au poil et à sa représentation. Enfin, nous analyserons en quoi la représentation du poil sur le web permet de faire passer un message de féminisme et d’acceptation du corps.
Partie 1
“My body, my choice”
I – Le poil féminin sur le web : quel est le problème ?
Le cas de Laura: analyse des retombées négatives suite à la publication de sa photo.
Le 15 août 2016, Laura De a changé sa photo de profil sur facebook. La photo est en noir et blanc. Elle y apparait cheveux au vent, le sourire aux lèvres, assise sur une balançoire. Elle a les bras levés. Presque six mois plus tard, la photo compte 7650 commentaires et 2734 partages contre 5 commentaires et 0 partage pour la photo précédente. Pourquoi un succès si soudain ? La réponse se trouve dans la légende de la photo “Shooting against bodyshaming” ainsi que dans les commentaires. En effet, nous pouvons lire dans les premiers commentaires postés sous la photo, un véritable déferlement de haine.
Photo postée par Laura De sur son compte facebook le 15 août 2016
L’élément déclencheur de cette haine : les poils que la jeune femme arbore sous les bras. Parmis les mots qui reviennent le plus, des interrogations “Wtf??”, “C’est pas possible ??”, mais également des moqueries “Tu as un arbre qui pousse sous les bras ?”, des smileys insultants, représentés en train de vomir, ou encore des jugements venant de parfaits inconnus.
Captures d’écran de différents commentaires insultants postés sous la photo de Laura
Lorsqu’un internaute lui demande pourquoi elle a posté cette photo voici la réponse de Laura : “Le but était de montrer la violence que se prend une fille quand elle dit non aux normes de beauté actuelles (dans les années 70, personne n’aurait bronché sur cette photo). Vu la violence des commentaires plus haut, l’expérience est concluante”.
En effet, il est important de souligner que cette photo, Laura ne l’a pas postée par hasard. Elle est une féministe militante et possède même un blog intitulé La chasseuse d’oppression dans lequel elle écrit des articles pour dénoncer toutes les oppressions que subissent les femmes dans la société actuelle. Ce que Laura prône est simple : “My body, my choice”. Mon corps, mon choix : un slogan féministe initialement employé par les femmes luttant pour leur droit à l’interruption volontaire de grossesse, il est aujourd’hui utilisé dans la plupart des luttes féministes. On le retrouvera par exemple scandé lors des manifestations d’avril 2016 suite à la loi pénalisant les clients de prostituées. A l’image de ce slogan faisant converger les luttes féministes vers une seule et même cause : celle pour la liberté de choisir, le blog de Laura aborde de multiples sujets, des violences gynécologiques, au harcèlement de rue, la pilosité n’est qu’un des nombreux points qu’elle aborde.
C’est dans son blog qu’elle revient d’ailleurs sur les événements ayant suivi la publication de sa photo, dans un article intitulé 18000 réactions sur un shoot non épilée ou la damnation du corps au naturel. On y apprend que sa photo a notamment été relayée sur des groupes facebook public contenant plus de 100000 personnes, avec des appels à la haine. En quelques minutes les insultes pleuvent. Laura relève les plus violentes, parmi lesquelles : “Vas te raser”, “T’es dégueulasse”, “Butez la”. Lorsqu’elle contacte la personne relayant les photos pour lui signaler l’illégalité de sa démarche (atteinte aux droits privés, non respect des droits d’auteur de la photographe, et incitation à la haine) celui-ci répondra : “nous vivons dans un monde de normes, si tu en sors et que tu t’exposes au public c’est légitime qu’on vienne t’agresser”. Cette phrase cristallise à elle seule le fond du problème : nous vivons dans un monde de normes. Et la norme, dans notre société, pour un corps féminin, est de ne pas avoir de poils visibles, en témoigne la représentation de la femme dans les médias.
II – La lutte féministe sur le web : une émulation positive
Dans son article, Laura signale qu’en constatant le harcèlement qu’elle subissait et qui ne semblait pas vouloir s’arrêter, elle a très rapidement alerté des groupes féministes sur facebook afin de recevoir de l’aide et des conseils. Elle écrit : “je n’en crois pas mes yeux. Des centaines de personnes de tous horizons ont répondu à l’appel. Elles défendent le libre choix de corps sous mes photos, signalent les groupes, m’envoient des caisses de soutien, paillettes et bébés léopards”. Ce soutien massif, c’est ce qui permettra à Laura de garder la tête haute face aux insultes continues qu’elle reçoit. Pour chaque commentaire négatif, Laura poste, inlassablement, une réponse.
Aujourd’hui, le flot de négativité présent sous sa photo se trouve lui même noyé sous un flot inverse : un élan de positivité et d’encouragements postés comme un bouclier face aux menaces.
“Comme si ce que l’on faisait devenait un acte politique, ou de résistance.” lui glisse par commentaire une internaute. Afficher librement des poils aux aisselles lorsqu’on est une femme dans notre société actuelle : est-ce un acte de révolte ?
III – Peut-on parler d’acte de révolte ?
Révolte : nom féminin, attitude de quelqu’un qui refuse d’obéir, de se soumettre à une autorité, à une contrainte.
Cette définition est tirée du Larousse. Si on l’applique à notre cas, pour considérer le fait de poster une photo de soi avec des poils comme un acte de révolte, il nous faut identifier deux choses : l’autorité, et la contrainte à auxquelles il s’agit de ne pas se soumettre. La contrainte est peu complexe à trouver : c’est tout simplement celle d’enlever ses poils, ou du moins, de les invisibiliser lorsqu’on est une femme. Mais alors, quelle est cette autorité qui soumettrait les femmes ?
De nombreuses études sociologiques portent sur le fait qu’une culture différenciatrice selon le genre serait imposée par la société. C’est notamment le cas de La domination masculine de Pierre Bourdieu. Selon lui, les hommes et les femmes répondent à des habitus leur conférant des rôles, et des champs d’action pré-déterminés. De ces habitus proviennent les adjectifs féminin et masculin. C’est ainsi qu’une femme agissant en dehors de ce champs d’action pré-determiné sera qualifiée de masculine. La pilosité est l’un de ces attributs dits masculins : aussi, ce serait simplement des habitus imposés par la société qui enjoindraient aux femmes d’invisibiliser leurs poils.
Il s’agirait donc finalement d’un acte de révolte contre la société.
Nous pouvons alors nous demander pourquoi cet acte d’opposition à la norme suscite tant de haine ? Finalement qu’en pensent réellement les gens ? Les commentaires négatifs, insultants et désobligeants sont-ils le reflet de la pensée collective ou bien une minorité bruyante ?
Rapport au poil et représentation
I – Opinion personnelle et norme sociale
Nous avons vu dans la partie précédente la masse de commentaires négatifs que peut susciter une simple photographie d’aisselle poilue. Ce qui est frappant c’est à la fois le nombre de ces commentaires, mais aussi leur teneur : juger, à partir de critère soi-disant esthétique, de la présence de poils chez une femme. Si la plupart des auteurs de ces commentaires revendiquent leurs goûts personnels, leur droit de ne pas aimer, le fait que ces goûts, soit disant personnels, soit autant partagés, et qu’ils le soient par des inconnus à cette femme, qui semblent croire avoir non seulement le droit mais, on dirait, le devoir, de lui signifier ce goût personnel, révèle probablement quelque chose. Il faut donc interroger ce rapport au poil, si partagé et si assumé.
Ce goût personnel semble en effet être largement partagé. Sans entrer dans les statistiques, parlons d’abord représentation du poil féminin. Elle est, en effet, remarquablement absente. Dans les publicités, films, séries… et dans les photos de la vie de tous les jours. Il est en effet assez rare de croiser sur nos Facebook, par exemple, des photos de nos amies où, même à la plage ou en petite robe, un poil apparaît. Pour ce qui est du plus flagrant, parlons médias. Aucun poil dans beaucoup de films, même quand ce serait justifié, dans une autre époque ou une situation de survie, par exemple. Ainsi, dans le récent film Cézanne et moi, de Danièle Thompson, toutes les modèles ont les aisselles et les jambes glabres, alors même qu’il se passe au XIXème siècle, et qu’alors l’épilation n’était pas une pratique courante, comme nous l’a si bien montré Courbet. Courbet était bien sûr une exception dans la représentation du poil, tout comme il l’était dans la représentation de la réalité : l’art ne montre des poils féminins que rarement, et toujours accompagné de scandales, au cours de l’Histoire. Aujourd’hui, si l’art a peut-être moins de tabous, c’est la réalité qui a rejoint la recherche de la perfection passant par l’éradication de la pilosité. La représentation suit.
Le documentaire Infrarouge d’Ovidie, journaliste, scénariste et écrivaine, interroge la sexualité des jeunes filles, en passant sur la question du poil. Une esthéticienne interviewée confirmait la hausse de la demande en matière d’épilation du maillot. Pour le reste, l’épilation lui semblait la norme.
Difficile de trouver des statistiques récentes sur l’épilation. On en trouve sur l’épilation du maillot : diffusée par la pornographique, elle est encore (un peu) scandaleuse, mais de plus en plus répandu, tandis que le reste est la norme, et n’a donc sans doute pas besoin d’être interrogé. Selon une étude d’Ipsos de 2006(1) (la plus récente !), 83% des Françaises s’épilaient les jambes, 73% les aisselles et 54% le maillot… contre 73% des 15-25 ans sur cette même zone. Difficile de savoir si ces chiffres ont évolués en plus de 10 ans… Mais selon Birchbox(2), en 2015, seulement 1% des Françaises ne toucheraient pas à leurs poils pubiens. Plus récemment, une étude Ifop de 2013(3) interroge le rapport au poil vu sur les femmes à la plage : une aisselle ou jambe mal épilée est donc le comble du laisser-aller pour 39% des interrogées (46% de ceux de moins de 35 ans), et est donc en première position de ce qui dérange les Françaises à la plage. La même étude Ipsos relaye que 80% des femmes interrogées pensent qu’il est important de s’épiler pour être séduisante et 61% des célibataires préfèrent manquer leur rendez-vous galant si elles ne le sont pas. On peut en conclure, ces chiffres renforçant une constatation empirique, que le glabre est fortement intériorisé et préconisé, d’où la conjugaison entre représentation dominante et opinion personnelle.
II – Nos statistiques sur le poil
S’il est difficile de trouver une étude statistique récente et de grande échelle sur le sujet, le questionnaire que nous avons diffusé nous a rapporté 446 réponses, ce qui nous permet de le considérer comme digne d’intérêt dans cette étude et donc de nous en servir pour interroger la perception du poil, en dehors des prescriptions sociétales.
Notre échantillon est constitué majoritairement de femmes, constituant 82,2% des réponses, majoritairement entre 19 et 25 ans, 62,1%. Il faut cependant noter le biais que ce questionnaires peut avoir : il a entre-autre été diffusé sur un groupe pro-poil, militant pour l’acceptation du poil, ce qui peut fausser ce que l’étude rapporte sur la perception du poil. Cependant, le fait même que ce groupe existe est révélateur d’un intérêt nouveau pour le poil, accompagné d’un mouvement militant, permis par le web.
Proportion filles / garçons :
Tranches d’âge :
Que dit cette étude, d’abord, sur la relation aux poils ? 68 filles interrogées ont déjà enlevé les poils de tout leur corps, contre 3 garçons, et 35 filles (0 garçons) ne veulent aucun poils sur elles. Une proportion non négligeable a donc été ou est toujours absolument contre les poils. En dehors de ça, la majorité a déjà enlevé ses poils, de manière ciblée : 328 personnes sur les aisselles, 306 sur les jambes, 312 pour le maillot et 226 sur le visage. On voit ici que la majorité des personnes ont souhaité ou souhaitent toujours être imberbes, mais seulement sur certaines zones (qui se recoupent néanmoins). Cela confirme le fait que la pratique soit répandue. De tous les interrogés, 36% disent enlever leurs poils souvent ou dès que ça repousse, et 60,2% cachent leurs poils à tout prix ou le plus possible. La pratique de l’épilation (ou n’importe quelle technique pour être imberbe) est donc répandue, et le poil, s’il est là, est en majorité caché.
III – Rapport au poil et témoignages
Mais pourquoi cette intolérance ? Les commentaires qui ont accompagné notre questionnaire ont apporté de précieuses informations sur le ressenti intime des femmes face à leurs poils. De par leur nombre, il est impossible de les retranscrire tous, mais beaucoup se ressemblent, entre un rapport difficile, un rapport interrogatif et un rapport libéré.
Nous avons eu plusieurs commentaires sur un rapport difficile avec ses propres poils : “Je les déteste, et je suis en guerre avec eux”, “Je les hais plus que tout : les miens sont foncés et épais de par mon origine. S’ils n’avaient été que du duvet, je les aurais peut-être laissés mais là c’est beaucoup trop. Ce n’est même pas une question d’influence par la société, mais de bien-être personnel”, “J’ai toujours été complexée donc éradiqués sur moi’, “En dehors de mes cheveux et de mes sourcils, si je pouvais ne plus en avoir, je serais heureuse !”. Ces commentaires traduisent un rapport compliqué, voire une guerre, avec ses poils. Cela semble tenir en grande partie à l’apparence de l’individu, qui ne trouve pas ses poils esthétiques. Si il y a la mention de non-rapport entre cette relation et la société, le regard de l’autre, l’immense majorité mentionne autrui comme un poids qui, presque à lui tout seul, fait peser l’obligation de l’épilation. Ca peut être lié au couple ou à la séduction : “Avant je les retirais, car mon ex trouvais cela sale”, “J’ai la chance d’avoir un copain qui s’en fiche donc je ne m’épile pas souvent”, “Le fait de garder mes poils m’a fait refusé ou regretter des rendez-vous avec des garçons. Je n’arrive pas à m’assumer vis-à-vis d’eux, je n’arrive pas à croire en moi et à ma féminité en étant poilue”. Ce qui est constaté, c’est d’abord que le rejet du partenaire, ici masculin, l’ex, ou au contraire l’acceptation du copain, induit le comportement par rapport au poil. C’est donc en fonction des préférences masculines que les femmes intéressées laissent ou pas leurs poils. De l’autre côté, encore, le poil qui rend, ou qui nous fait sentir, moins désirable, jusqu’à avoir effectivement un effet, puisqu’une interrogée dit avoir refusé des rendez-vous amoureux du fait de sa non épilation. Mais le regard de l’autre va au delà du regard du désir ou de l’appréciation par la personne qu’on aime, car il caractérise aussi le regard d’inconnus, qui a un véritable poids d’après les résultats collectés, tant il reviennent souvent : “Toute seule, je les chouchoute et j’en suis fière. Mais en public, je les cache autant que je peux”, “J’adore mes poils, j’aimerais les laisser vivre, mais pas dès maintenant, je ne pourrais pas supporter le regard des autres”, “J’ai encore peur de me prendre des commentaires négatifs voire méchants de la part de personnes fermées d’esprit”, “J’aimerais pouvoir ne pas porter attention à mes poils mais malheureusement, à cause de la pression sociale, je n’y arrive pas”, “J’ai envie d’arrêter de les enlever mais la pression sociale est forte, quand j’ai essayé ça m’a posé des problèmes, de regards et etc…”. On note l’envie de beaucoup de filles d’arrêter de les enlever, ou au moins de ne pas s’en préoccuper, mais qui se heurtent à la pression sociale ressentie. On voit donc que, parfois, peut-être même souvent, l’épilation n’est pas vraiment un choix, car ne pas l’adopter c’est s’exposer à trop de critiques. Ainsi, par rapport aux photos de femmes avec des poils, les réponses de notre questionnaires les qualifiaient souvent d’actes de courage. Il y a une réelle difficulté à s’assumer “au naturel”, quand bien même on en aurait envie. Si cela peut n’être qu’une pression sociale ressentie, quelques témoignages notent un rejet affiché des poils qu’elle montrent : “J’ai arrêté de mettre des photos sur le net car j’ai eu des problèmes au lycée à cause d’une fille qui s’est foutue de moi sur twitter”, “Au vu des commentaires négatifs sur les vidéos et articles [sur le poil féminin], je ne peux sortir non épilée que si ça ne se voit pas trop”, “Plusieurs personnes ont trouvé ça dégoûtant, que je devrais m’épiler, que je ressemblais à un singe…”, “Avant c’était ma honte n°1, aujourd’hui on a fait la paix. Je me fais toujours insulter de temps en temps, mais être bien avec soi-même n’a pas de prix”. Ces commentaires ne semblent pas être la norme, mais témoignent d’un réel retour de bâton envers celles qui s’affranchissent du glabre.
Que retenir de tout ça ? Que la pression autour du poil est bien réelle, d’abord. Les femmes interrogées les détestent parfois : ils sont ennemis, ils rendent laide, ils sont trop là. La frénésie de l’épilation touche un certain nombre d’interrogées. Elles s’épilent parfois pour elle, mais souvent pour le regard de l’autre. Dans les situations de séductions, couple ou flirt, le poil peut être un obstacle. La pression sociale est très ressentie, dans les regards et parfois les insultes, alors même que beaucoup s’interrogent sur leur rapport à l’épilation, qui nécessite somme toute beaucoup d’investissement, et de douleur. Quelques témoignages rapportent le sujet du poil en famille : difficile de passer outre le regard de ses proches.
Mais surtout, beaucoup d’interrogées ont, en réalité, envie de s’émanciper du poil, non pas de tout laisser pousser à tout prix, mais surtout de pouvoir choisir de s’épiler ou non. Et cette démarche semble parfois se réaliser malgré la pression constatée : 75 filles interrogées ont dit avoir déjà laissé pousser leurs poils, que ce soit définitif ou occasionnellement. Beaucoup d’entre elles le font au terme d’un questionnement global sur leur rapport à l’épilation – énormément de témoignages disent détester la pratiquer – et leur perception du poil : le terme “apprendre à aimer” autour du poil témoigne d’un effort conscient sur soi.
(1)Selon l’enquête Ipsos Les Français et l’épilation : opinions, attitudes et comportement, 2006
(2)Etude réalisée par Birchbox, en 2015, auprès de 3600 Françaises
(3) Etude Ifop sur un échantillon de 1005 Françaises de plus de 15 ans
(4) Lectures, cours, famille, discussions et féminisme également
Partie 3
Le poil sur le web : vecteur de la lutte féministe
I – Diffuser ses poils pour faire passer un message féministe
La libération du poil est donc intimement liée au combat féministe, mais de quelle façon cette démarche s’inscrit-elle sur le web ? Lors de la diffusion de notre questionnaire, nous avons demandé aux personnes interrogées sur quels medium avaient-elles vu des femmes arborant des poils. Si Facebook est le grand gagnant (avec 85% de réponses positives), la plateforme Youtube n’est pas en reste avec 43,1% de réponses positives. On y trouve notamment la vidéo Je teins mes poils en rose de la youtubeuse Simplement Debora. Elle a presque 17 000 abonnés et publie des vidéo depuis février 2014. La vidéo Je teins mes poils en rose est tournée au format vlog et on y voit Debora se décolorer les poils des aisselles puis les teindre en rose, comme tant de youtubeuse avant elle ont pu le faire avec leurs cheveux. Dès le début de la vidéo elle met les choses au clair avec un message : “je défends les droits des femmes et la fin du sexisme, pas la beauté de mes aisselles”. Ici la question n’est donc pas de savoir si on aime ou on n’aime pas, mais bien d’interroger sur la norme de l’épilation. “J’ai fais ça parce que, déjà, je trouve ça cool. Je trouve ça stylé et beau. Je veux montrer aux gens qu’on peut trouver ça beau les poils. Et aussi je me dis que, les gens maintenant dans la rue quand ils vont me regarder ils vont pas se dire ‘oh elle a des poils’ ils vont se dire ‘oh elle a des poils roses’ tu vois. Et souvent je pense qu’il y a des personnes qui vont plus se permettre de me demander ‘pourquoi tu as des poils roses ?’ et là ce sera une occasion de plus de diffuser le message dont je te parlais par rapport à l’épilation… Que je fais ça pour une cause féministe.” confie-t-elle. Cette vidéo est la plus vue de sa chaîne : elle a été visionnée plus de 253 000 fois.
Un autre résultat se dégage de notre questionnaire : pour les hommes, l’un des moyens de voir des femmes avec des poils est la pornographie. Si cette réponse peut, de prime abord sembler contradictoire (on accuse souvent la pornographie d’être à l’origine de la hausse de demande d’épilation intégrale du maillot chez les femmes) elle ne le serait finalement peut-être pas tant que ça. En témoigne Lucie, qui possède le site luciemakesporn.com, et qui se décrit elle même comme une une réalisatrice de films pornographiques féministes. Loin de tomber dans un fétichisme du poil, les corps féminins des films que Lucie met à disposition sur son site peuvent être ou ne pas être poilus : comme dans la réalité finalement. Car c’est le message à retenir : l’idée ce n’est pas de remplacer un diktat par un autre, c’est de permettre aux femmes d’avoir le choix. C’est d’ailleurs ce que nous dit Elsa, une jeune femme ayant déjà diffusée des photos d’elle avec des poils sur internet, et que nous avons eu la chance d’interroger : “je pense qu’il faut déjà déculpabiliser la femme et son corps, qu’elle en dispose comme elle veut, sans qu’un homme ou une société lui dise quoi faire… Que son choix soit en conscience, non conditionné car sinon ce n’en est pas un”.
Et pour aider à déculpabiliser les femmes, Facebook est un allié de choix. C’est en effet la plateforme sur laquelle la plupart de nos enquêtés ont été amenés à voir des photos de femmes avec des poils. Le réseau social permet de partager très rapidement du contenu et donc de le rendre visible à une majorité de personnes, que celles ci soient à la recherche de ce type de contenu ou non (d’après notre questionnaire, 42,6% des personnes interrogées sont tombés complètement par hasard sur des photos de femmes avec des poils). On trouve sur le réseau social des groupes entièrement dédiés à la visibilité du poil féminin, à l’instar de la page “Tous à poil et poil pour tous”. Elsa nous confiera d’ailleurs, à propos d’un groupe facebook dédié au poil : “Je sais plus comment j’ai atterri sur ce groupe mais j’y ai trouvé une motivation un soutiens et cet été c’était le premier été que j’ai passé avec mes poils totalement naturels même en bikini et j’ai découvert que c’était une force ! Ce groupe, c’est une grosse part, c’est grâce à ça que j’ai franchis le pas aussi vite ! On avance ensemble, soudés, et contre les oppressions. Même si on est pas tous sur le même accord, on est tous ouverts. Sur le groupe il n’y a pas que des personnes qui s’acceptent comme elles sont, il y a de tous les avis, mais tous sont ouverts et bienveillants. Ceux qui ne le sont pas sont virés”. Lorsqu’on lui demande pourquoi elle a choisi de diffuser des photos d’elle avec des poils, Elsa nous répond : “c’était pour aider les autres à voir que c’était acceptable, que c’était possiblement beau… Et oui, c’était militant aussi”.
II – Montrer ses poils à l’ère du numérique : un acte utile ?
Montrer ses poils sur le web, on l’a bien compris, n’a rien d’anodin. C’est un acte féministe à part entière, qui montre un modèle de féminité poilue, libérant la femme des carcans de la beauté traditionnelle obtenue au prix d’artifices et de douleurs. Du moins, c’est ce qu’il prétend. Les témoignages recueilli par le questionnaire se recoupent : il faut du courage pour montrer cette partie du corps taboue. On a montré que ce courage était motivé pour la cause féministe, c’est à dire pour aider les femmes à être les égales des hommes, en l’occurrence au niveau pilaire : mais ce courage est-il récompensé ? Le message est-il perçu par les femmes qui s’épilent, les femmes en général, et même les hommes ? Peut-on penser que la société pourra tolérer le poil féminin grâce à des photos sur le web ?
Le questionnaire que nous avons diffusé est intéressant : 11,1% seulement estiment que cette démarche n’est pas utile. Sur ceux qui restent, 60,7% trouvent même qu’elle est nécessaire et devrait pouvoir être démocratisée, vue à grande échelle. La réception de ces actes en tant que féministes est donc plutôt bonne, montrant une réelle volonté de se pencher sur la question, et de dévoiler plus de poils. En effet, la clé de l’acceptation c’est la représentation. Le fait que le poil n’apparaisse pas dans les médias est un vecteur de la pression du glabre, puisqu’il ne permet pas aux femmes de s’imaginer comme n’y correspondant pas : ce qui n’a pas de modèle est “hors norme”. Il y a même un contre-modèle, que Mona Chollet montre dans Beauté Fatale en citant Stéphane Rose : “Il relève l’agressivité normative des médias people : le site de Voici a recours à une ‘loupe magique’ pour déceler un duvet décoloré, imperceptible à l’oeil nu, sur le visage de Madonna lors d’une première, et claironne que la chanteuse y est apparue ‘plus poilue que jamais’. Las sensibilité de chacun(e) à la norme esthétique du corps glabre peut être variable; mais, ici, on est dans tout autre chose : dans le besoin puéril de nier la vérité élémentaire selon laquelle des poils poussent sur les corps et les visages des femmes comme des hommes”. Il y a donc déni de la femme poilue, la norme montrée dans les médias étant la femme lisse, sauf dans le cas où elle est pointée du doigt, pour montrer une sorte de monstruosité, de laisser aller impardonnable. Montrer des femmes poilues volontairement, heureuses et pas plus laides, c’est montrer que la vie avec poils n’est pas une erreur qui condamne la femme à être rejetée. Le discours est là, encore, peut-être, un peu marginal mais bien présent, et c’est ce qui est important. Mais il est important de se poser la question des effets de ce discours. Atteint-il l’objectif escompté ? L’objectif n’étant pas, évidemment, l’arrêt total de l’épilation pour toutes les femmes, mais simplement que toutes les femmes puissent prendre conscience de la normalité du poil, afin de ne plus en souffrir, et d’avoir le choix quand à l’épilation, un vrai choix non dicté par la norme. Le questionnaire nous montre un pari plutôt réussi, puisque, après avoir vu des photos de femmes poilues, 18,5% continuent de s’épiler mais réfléchissent à leur rapport avec leurs poils et l’épilation, tandis que 33,9%, soit une majorité, à changé son point de vue et son comportement vis à vis de ses poils. Il faut cependant nuancer, ou plutôt compléter l’importance des photographies dans le processus d’acceptation du poil. De nombreux témoignages, bien sûr, en soulignent l’importance : “Je pense important cette démarche car j’ai commencé à enlever mes poils ados parce que je pensais que c’était sale, c’était en tout cas l’image véhiculée à l’époque. Il faut montrer que c’est naturel et qu’il n’y a pas de mal à laisser nos poils tranquille !”, “Au début je voyais quelques aisselles poilues sur Instagram. On va dire que ça m’a aidé à trouver ça beau ! Mêler pilosité à la mode (je fais des études de mode), à la ‘féminité’ (maquillage, vêtements…), montrer qu’une fille peut être belle avec des poils, je pense clairement que c’est le chemin de l’acceptation du poil chez la femme. Le poil féminin DOIT FAIRE partie de notre paysage à tous, ce n’est qu’une question d’habitude”. Mais les photos ne font pas tout. Une part non négligeable de sondées, 23,5%, estiment en effet que ce n’est pas ce qui a été décisif dans leur changement de perception du poil. Il semble que ces photographies doivent être, pour toucher véritablement, accompagnées de plusieurs types de réflexion, comme l’ont montré certaines réponses : “C’est plutôt les témoignages et des incitations à réflexion trouvés sur internet qui m’ont poussée à remettre en cause ce diktat, que seulement des photos. Même si je pense que de voir des photos de femmes avec leurs poils m’aide à changer mon regard sur un corps féminin poilu (qu’on ne voit jamais sinon!)”, “Avoir une vie sexuelle epanouie avec quelqu’un qui accepte les poils, arriver à la fac et s’intéresser au féminisme, se sentir plus libre, avoir un cours de socio du corps (et des poils!!), m’intéresser aux choses plus naturelles, entre autres, ça a beaucoup changé mon point de vue”. C’est donc un acte de réflexion complet qui s’appuie sur une communauté. Les photographies sont importantes, mais de nombreux facteurs entrent en jeu et sont mobilisés pour la défense du poil. A noter aussi que l’acte de réflexion ne se fait pas immédiatement : “Il m’a fallu du temps, et beaucoup de témoignages pour les accepter et les aimer, et donc à m’aimer telle que je suis”. On voit aussi que l’acceptation des poils se complète et complète une acceptation plus large de soi-même et de son corps, que les femmes, particulièrement, ont besoin plus que jamais de revendiquer.
Pour finir, il faut noter que, si la pression sociale reste forte, les zones touchées par l’épilation augmentent, et les hommes sont de plus en plus, eux aussi, attirés par l’épilation, la présence de groupes pro-poils, de blog abordant la question, de photos et de réflexion témoigne de la présence du poil sur le web, et de la volonté de le libérer. L’enthousiasme avec laquelle à été accueillie notre démarche est elle aussi révélatrice.
Conclusion
Le poil, on l’a vu, est un vecteur crucial de l’émancipation féminine. La pression sociale autour du poil féminin est bien réel. Or, la question du poil se pose de plus en plus : de nombreuses femmes choisissent de s’élever contre ce diktat et de diffuser un nouveau mode de pensée, nécessaire pour changer de point de vue sur le poil. Cette lutte ne concerne pas que le poil, mais remettre en question le poil, c’est remettre en question les injonctions destinées au corps féminins, et donc le libérer des contraintes tacites qui pèsent encore, après les contraintes attestées du légal visées par les premières luttes féministes. Cette lutte est cristallisée par le poil de plusieurs façons.
D’une part, nous avons montré que le web était une plateforme qui permettait de dynamiser et de diffuser à une plus grande échelle les réflexions autour du poil. L’émergence de cet outil permettant l’expression de tous est un élément clé du succès qu’a le mouvement de libération du poil aujourd’hui : nous avons montré que, en effet, avoir accès à des photographies, témoignages et encouragements avaient joué un grand rôle auprès de nos interrogées qui ont décidé de moins s’occuper de leurs poils. Facebook et Youtube, notamment, permettent à un public de plus en plus jeune à remettre en question ces injonctions.
Lié à cela, la clé de la remise en question de l’épilation passe, en partie, par des photographies montrant une alternative à cette pratique, et remettant en cause les préceptes des publicité, notamment, et des médias en général, qui voudraient qu’une femme poilue soit immédiatement mise au ban de la société. Bien que cet acte soit en quelque sorte un défi, au vu de l’accueil plus que négatif dont nous avons constaté l’existence, il est de plus en plus soutenu et bienvenue, et permet effectivement de faire changer les mentalités.
Si le poil cristallise cette question d’émancipation du corps féminin, il va de concert avec beaucoup d’autre mouvements de même acabit permis par le web : le Body-positive est un vrai mouvement d’acceptation de soi et fleurit sur les réseaux sociaux.
Le poil est donc bien une question sociétale de plus en plus traitée, en témoigne l’apparition de nombreux sujets dédiés sur le web, de photographies et, bien sûr, l’enthousiasme provoqué par notre étude. Le web a joué un rôle crucial dans cette libération, qui marche avec une libération plus complète du corps de la femme. Il est toujours tabou, nous l’avons constaté, mais les démarches autour de lui reçoivent de plus en plus de soutien, et ont de réelles conséquences sur les mentalités. Même à un rythme lent, ces nouvelles luttes féministes permise par le web, dont le poil est un représentant, atteignent de plus en plus de monde et il ne serait pas si utopique de dire que, peut-être bientôt, l’égalité des genres sera atteinte véritablement, légalement et moralement, en laissant chacun avoir le choix, sans pression sociale relatives à son genre.
Annexes
Références / sources :
Vidéos :
https://www.youtube.com/watch?v=jQreW-blGAk La question épineuse du poil
https://www.youtube.com/watch?v=VtAqm-OMe74 Je teins mes poils en rose
photo de profil de laura de
https://lachasseusedoppression.wordpress.com/2016/12/16/damnation-du-corps-au-naturel/
article sur le blog de Laura où elle revient sur son harcèlement
l’histoire du féminisme en france
http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0151963807925314
représentation de la pilosité dans les médias en france
http://www.huffingtonpost.fr/2015/06/15/femmes-poils-fieres_n_7569952.html
ces femmes laissent pousser leurs poils et en sont fières
Retranscription d’entretiens :
Questionnaire : https://docs.google.com/forms/d/12Btr74-CT0hsBIJBeUjKks0uIs0OHRMhnxwc7f_0gWM/edit#responses