Juliette Sergent et Léa Le Viennesse
Aujourd’hui la science est partout et la compréhension de celle-ci intéresse de plus en plus de personnes. C’est pourquoi, la vulgarisation scientifique, touchant tout autant sciences dures et sciences molles, s’est développée ces dernières années notamment sur les réseaux sociaux mais plus encore sur des plateformes telles que Youtube via des vidéos explicatives. La diffusion des NTIC (nouvelles technologies d’informations et de communications) a entraîné un bouleversement dans la production scientifique. En effet, Internet a permis la numérisation de très nombreuses productions scientifiques, de travaux divers ou encore d’archives. En parallèle, on a pu observer une forme de démocratisation de la science et notamment de la production de celle-ci, supérieure à tout ce qui a pu être fait jusqu’alors. Cette démocratisation est en réalité en grande partie l’expression d’amateurs, de passionnés, de journalistes ou encore de quelques professionnels souhaitant diffuser leurs connaissances sur un thème donné tout en parvenant à rendre intelligible leurs propos, leur permettant ainsi d’être accessible à un maximum de personnes. Certains n’ont pas de formation, pas de diplôme, ces acteurs peuvent avoir étudié les lettres et présenter des vidéos de science et s’adressent à un public large et hétérogène allant du fin connaisseur au premier débutant. On parle donc de « vulgarisation scientifique ». Il semblerait que cette expression soit un problème en soi. Le terme de vulgarisation dénote plusieurs choses. Tout d’abord, il signifierait que le langage scientifique ne peut être compris de tous et que l’on aurait besoin d’un intermédiaire, un médiateur réalisant une passerelle entre deux mondes visiblement opposés (sphère scientifique et sphère publique). D’autre part, selon Dominique Wolton, (directeur de recherche au CNRS) la vulgarisation scientifique doit faire face à un enjeu de taille : « elle consiste à faire cohabiter quatre logiques plus ou moins concurrentes et conflictuelles : celles de la science, de la politique des médias et du public. » S. De Cheveigné s’est intéressé à cette notion, il établit « qu’il n’y a pas de forme idéale pour la communication d’un savoir scientifique, tout simplement parce qu’il n’a pas de public unique. » De fait, il faudrait très certainement décliner au pluriel l’expression de « vulgarisation scientifique » tant elle prend des formes multiples. Toutefois, nous avons pu remarquer que la forme la plus utilisée aujourd’hui et surtout celle qui est le plus accessible est la vidéo publiée sur des plateformes comme youtube. Ces vidéos sont souvent construites sous forme de cours et tentent de simplifier un point spécifique des sciences sociales ou des sciences dures afin de le rendre compréhensible.
Nous nous intéresserons plus particulièrement à la réception de ces vidéos ; qui les regarde, dans quels buts, qu’est-ce qui les amène à les regarder et en quoi le visionnage de ce genre de vidéos change dans l’intérêt scientifique des spectateurs et dans leurs pratiques d’Internet. Pour répondre à ces questions, nous étudierons dans un premier temps la démocratisation de la vulgarisation avant et avec Youtube, puis dans un second temps, nous nous demanderons quels sont les publics visés, qui regarde, dans quelles circonstances et pourquoi.
L’élaboration de réponses à ces questions s’est fait grâce à la réalisation de deux entretiens qualitatifs avec des personnes qui regardent régulièrement des vidéos de vulgarisation scientifique sur Youtube, Sophie et Thibault. En parallèle, nous avons aussi analyser quelques comptes Youtube de vulgarisation scientifique comme les pages de DanyCaligula, Poisson Fécond ou encore Horror Humaum Est.
Partie une : Démocratisation de la science : vers une vulgarisation sur Youtube.
Avant Youtube
La vulgarisation scientifique, c’est-à-dire l’acte de rendre intelligible des connaissances scientifiques complexes afin de les transmettre à des néophytes ou même au grand public, n’est pas né avec Youtube. En effet, la vulgarisation scientifique a accompagné un mouvement plus large de démocratisation de la science.
Nous pouvons donc retrouver des traces de vulgarisation à partir du XVIème siècle, en passant par le mouvement des Lumières qui cherchait alors à venir à bout de l’obscurantisme et jusqu’à aujourd’hui. En effet dès le XVIème siècle, l’élite intellectuelle tente d’étendre ses connaissances à un public de plus en plus large – bien que le public concerné reste encore une minorité assez restreinte -. Les découvertes scientifiques commencent à intéresser d’autres personnes que les scientifiques. Leur diffusion se fait alors dans des cabinets de curiosité chez des particuliers, dans les premiers livres de vulgarisation comme l’Entretien sur la pluralité des mondes de Fontenelle écrit en 1686 ou encore, pour un public plus large, dans les foires avec des jeux de mathématiques ou de physique s’attirant l’émerveillement des spectateurs.
Les premiers articles de vulgarisation scientifique apparaissent à la fin du XVIIème souvent dans des magazines généralistes ; ces articles sont techniques mais étant donné qu’ils passent de plus en plus souvent du latin au français, ils deviennent de plus en plus accessibles.
La vulgarisation scientifique se poursuit ensuite pendant le XVIIIème siècle, une période considérée comme étant “l’âge d’or de la vulgarisation scientifique” selon une expressions de François Pacaud. En effet, le XVIIIème est un moment où la vulgarisation s’ouvre aux femmes, aux enfants et au peuple grâce à des ouvrages plus orientées, des quotidiens de presse ou encore grâce aux premières Encyclopédies dont la très célèbre Encyclopédie rédigée sous la direction de Diderot et D’Alembert et publiée de 1751 à 1772.
Du XXème siècle à nos jours, l’accès aux connaissances scientifiques se fait de plus en plus aisément ; les musées et bibliothèques deviennent attractifs et s’ouvrent à un public très divers. Cette accessibilité s’étend encore avec la création des Créative Commons et de l’open source. Ces organisations ou désignations remplacent des droits d’auteurs qui restreignaient trop les publications scientifiques pour les rendre accessible à plus de personnes – sous réserve d’un certain respect des travaux et de leurs auteurs -. De cette manière, de nombreux articles scientifiques, bases de données ou logiciels sont partagés et une communauté de ressources scientifiques libres est créée.
Toutefois, en plus d’un accès facilité, la vulgarisation scientifique parvient aussi à se diversifier dans ses supports. Ainsi, de différents types de vulgarisation scientifique abondent : il y en a sur tous les sujets, pour tous les niveaux, et sur tous les supports. Ces supports vont des encyclopédies aux livres pour enfants en passant par les documentaires mais peuvent aussi notamment s’étendre également à la télévision. En effet, de nombreuses émissions de télévision s’attaquent à la vulgarisation scientifique comme le faisait « C’est pas sorcier », une émission de vulgarisation de sciences dures diffusée de 1993 à 2014 qui a eu énormément de succès et a notamment beaucoup été utilisé dans les écoles primaires et qui reste encore aujourd’hui visionnée sur Youtube, ou comme « Secrets d’Histoire », une émission de vulgarisation historique présentée par Stéphane Bern. Il existe même aujourd’hui des chaînes de télévision en grande partie consacrées à la vulgarisation scientifique comme Planete + et ses dérivés diffusés sur les chaînes du groupe Canal+ ou encore Discovery Channel. Finalement, la vulgarisation scientifique se fait aussi sur Internet par l’intermédiaire de blogs, de sites et bien évidemment via des vidéos Youtube.
Youtube et la vulgarisation
Sur Youtube, les personnes qui réalisent des vidéos de vulgarisation scientifique sont souvent des amateurs, des passionnés. Ils n’ont pas la même légitimité qu’un scientifique qui publierait un livre de vulgarisation et ne cherchent pas à l’atteindre. Le type de vulgarisation qu’on retrouve sur Youtube est différente ; ce sont des passionnés qui s’adressent à d’autres passionnés ou d’autres potentiels futurs passionnés. Leur légitimité ne se construit pas par rapport à leur curriculum vitae mais est forgé par le jugement des internautes. Ces derniers se tourneront vers les youtubeurs les plus populaires, ceux qui prouvent leur sérieux par leur curiosité et leurs connaissances hors cadres. Ainsi, un youtubeur comme Usul2000 -qualifié comme un des « gros » de la vulgarisation scientifique par Thibault, l’un des interrogé – est, par exemple, une personne qui n’a pas fait d’étude de sciences humaines et sociales, ni d’économie ou encore de droits. Il n’a que son Baccalauréat mais a en revanche énormément lu les œuvres de Karl Marx, Thomas Picketty ou encore Pierre Bourdieu. On remarque donc qu’il y a une forme de rattrapage qui s’effectue, une compensation, où l’amateur vient acquérir les connaissances nécessaires à la vulgarisation, non pas par le biais des études supérieures classiques mais par une volonté d’apprendre, une certaine curiosité, et l’approbation déjà fournie des autres internautes notamment via le nombre d’abonnés.
En outre, il faut également noter l’importance des sources. Il parait, en effet, important pour les personnes qui regardent ces vidéos de pouvoir faire confiance aux vulgarisateurs. Ces derniers acquièrent aussi de la légitimité en informant des sources qu’ils ont utilisées. Effectivement, ces youtubeurs abordent parfois des thèmes très complexes et se doivent comme les scientifiques de préciser leurs sources afin de rendre transparent ce sur quoi ils s’appuient. Un youtubeur de sciences sociales, DanyCaligula, lors de sa vidéo sur le vote ajoute en description environ une vingtaine de sources internet, provenant du Monde Diplomatique, de Mediapart, ou encore de « scienceshumaines.com ». La quantité des sources est une donnée primordiale, mais la qualité de celles-ci n’est pas non plus négligeable. Il ne s’agit pas, ici, de n’importe quelle source internet, de blogs ou de sites militants ; mais bien, pour la plupart, de sources officielles et répandues.
La vulgarisation internet, et spécifiquement sur YouTube, entraine également une dimension qu’on en retrouve pas avec des supports papiers ou des articles de scientifiques. Les internautes peuvent, et même sont invités, à participer au débat et à la réflexion notamment dans les commentaires. En effet, ce genre de plateforme est ouverte à tous, elles sont gratuites et tout le monde peut aimer la vidéo, la commenter ou encore la partager sur d’autres réseaux comme Facebook ou Twitter. On peut donc supposer que la vulgarisation scientifique par le biais de YouTube, entrainerait une plus grande visibilité des avis personnels ou même de la critique. Cette dernière n’est plus réservée aux paires d’un scientifique ayant produit des connaissances, mais au citoyen lambda pouvant alors donner son avis. La vulgarisation des sciences sociales crée du débat, elle multiplie la critique. Ainsi, la vidéo de DanyCaligula sur le vote à engranger de nombreux commentaires tel que :
-Elle Sday : « +DanyCaligula et si TOUS les abstinents votaient blanc.. ? ils seraient bien obligés de les voir et de les prendre en compte =) »
MyLoft : « +Elle Sday : OK : mais pour en faire quoi ensuite ? En France le vote blanc n’a pas la moindre valeur juridique. Tout le monde dit votez blanc plutôt que rien mais quelle valeur a le vote blanc sur le système politique ? »
Lors du visionnage de de vidéos de vulgarisation, l’internaute se retrouve face à de véritables communautés créées autour de passions communes. Il est invité à y participer ou peut tout simplement se positionner comme spectateur tel que Sophie et Thibault nous ont confié préférer faire. En tout cas, inclure l’internaute dans ce genre de communauté, ainsi que les citations entre youtubeurs et les liens vers d’autres vidéos – provenant du fonctionnement de Youtube – pousse les internautes à revenir sur ce genre de vidéos, à s’abonner mais aussi à passer du temps sur la plateforme : aller d’une vidéo à l’autre.
Un format accessible
Le succès de la vulgarisation scientifique sur Youtube tient à quelques éléments primordiaux tel que le temps de la vidéo, son attrait visuel ou encore le ton pris par le vulgarisateur pour présenter ses connaissances.
La forme des vidéos n’est jamais réellement la même. Certains décident de réaliser des vidéos relativement courtes, entre 1 et 3 minutes, c’est le cas du gérant de la chaîne intitulée Horror Humanum Est, qui s’intéresse à des épisodes précis de l’histoire. L’utilisation de vidéo très lui permet d’une part d’aborder énormément de sujets – une trentaine d’épisodes en février 2017 – mais surtout d’attirer des internautes qui n’ont pas le temps ou veulent des informations rapides. De plus, cette durée de vidéo permet de ne pas perdre l’attention de spectateur ou plus simplement de ne pas le décourager avant même d’avoir cliqué sur Play. D’autres Youtubeurs, comme DanyCaligula, réalisent des vidéos plus longues – entre 10 et 30 minutes-. Leur objectif est de se pencher sur un sujet donné et de l’expliquer assez longuement pour en montrer tous les aspects : de la démocratie, à la « génération Y » en passant par la « nouvelle philosophie » et le vote. Les sujets explorés sont particulièrement vastes et l’analyse qui en ai faite cherche à être aboutie.
Une fois que la durée de la vidéo satisfait les attentes et les besoins de l’internaute, pour garder l’attention de celui-ci, le Youtubeurs doit rendre sa vidéo attractive. Pour y parvenir, bien souvent, les Youtubeurs présentent cette forme d’apprentissage comme un jeu, et non comme une contrainte. Ils utilisent des animations, des images, des vidéos et des objets pour parvenir à capter l’attention de l’internaute. Ce type d’outils peut être retrouver dans les vidéos de « Poisson Fécond ». Par exemple, dans sa vidéo intitulée « 6 trucs fantastiques sur les Trous Noirs », le décor est lié au sujet de sa vidéo. Nous retrouvons alors un thème et des accessoires liés à l’espace, afin d’intéresser l’amateur et gagner sa confiance. Ce genre de technique a notamment été utilisée par les présentateurs de « C’est pas Sorcier », des vidéos de vulgarisation scientifique que nous retrouvons désormais sur le Web. L’objectif de cette émission était de capter l’attention du téléspectateur, en lui apprenant des choses simples grâce à des objets, à des maquettes et à des constructions, voire des reconstitutions en miniature d’un phénomène.
Une autre manière de plaire aux internautes qui est grandement utilisé est la présentation de sujets sérieux par le biais de l’humour. Ainsi les vidéos de Horror Humanum Est sont complètement décalées, le ton humoristique contraste avec la dureté des sujets abordés. C’est un effet voulu, le youtubeur tente de prendre constamment le contre-pied de l’enseignement qui pourrait être fait par le biais des manuels scolaires officiels. Il explique des épisodes de l’Histoire relativement peu connus afin de montrer les erreurs humaines dans la gestion des ressources ou encore l’atrocité des colons en Algérie par exemple. Ses vidéos prennent donc un biais relativement humoristique (malgré parfois la « gravité » des sujets abordés) de par leur présentation – animations rappelant celles qui pourraient être utilisées pour un public d’enfants-, la musique – musique classique- et sa voix révélant une ironie et un second degré permanents. Il faut noter que cette manière de faire quelque peu décalée ne remet en aucun cas en cause le côté scientifique et historique des propos tenus. De la même manière un youtubeur comme « Poisson Fécond », un étudiant en psychologie, ne se présente pas comme un spécialiste mais comme un « créateur de petites vidéos où on apprend des trucs avec humour ». L’humour est alors un moyen d’amorcer une dimension ludique. Il semblerait que cela soit, là encore, un outil permettant de se distinguer d’une production scientifique traditionnelle, et de diffuser des connaissances par un biais plus « souple ».
Finalement, le youtubeur faisant de la vulgarisation scientifique cherche également à attirer des abonnés en incluant les internautes, en cherchant à les faire participer à la manière de ce que font les mouvements DIY -Do It Yourself-. Effectivement, dans son article « Bricoler, domestiquer et contourner la science : l’essor de la biologie de garage » Morgan Meyer montre que l’usage du DIYbio est devenue une pratique fréquente : les individus construisent leur propre matériel, et partagent celui-ci sur des réseaux comme YouTube. Dans sa vidéo « seul sur Mars », Poisson Fécond fait une mise en situation : il propose des activités et des expériences, comme fabriquer de l’eau ou reconstituer une radio pour communiquer avec la Terre. L’objectif est de créer un univers, un jeu, où l’amateur serait transformé en astronome. De cette manière, l’internaute est invité à participer, à se questionner – ce qu’il peut notamment faire dans les commentaires -. En effet, cette vidéo invite à la réflexion : laisser parler l’imagination et la créativité du téléspectateur. Ainsi, il rappelle que la science, ce n’est pas uniquement de l’apprentissage de nouvelles connaissances mais c’est aussi se poser des questions.
Deuxième partie : La vulgarisation sur Youtube : pour qui, pourquoi et quels effets ?
Vulgarisation sur Youtube, un profil particulier
La vulgarisation sur Youtube s’adresse à toutes les catégories de la population. Cependant, il semblerait que les individus âgés de 18 à 35 ans soient les plus intéressés par ce genre de contenu. En effet, les deux enquêtés que nous avons interrogé lors d’entretiens, rentraient dans cette tranche d’âge – Sophie et Thibault ayant tous les deux 21ans -. Lors de notre observation de la chaîne Youtube de Dany Caligula, nous avons trouvé une vidéo dans laquelle il présente les statistiques concernant son public : la courbe est plus élevée dans la catégorie des 18-24 ans (38%) et des 25-34 ans (35%). Tout le monde peut regarder ce genre de vidéos, toutefois comme ces dernières proviennent des nouvelles technologies, elles sont techniquement davantage adressées aux jeunes ou du moins, elles intéressent d’avantage les plus jeunes. En effet, ces derniers sont des individus qui utilisent déjà internet et sont familier avec la plateforme Youtube.
Nous pouvons remarquer que les Youtubeurs qui réalisent ce genre de vidéos ont également entre 18 et 35 ans, il s’adresse donc supposément à leur génération. En effet pour poster des vidéos sur Youtube, il faut savoir maîtriser un minimum certains outils informatiques. De ce fait, les jeunes seraient plus à l’aise avec cette plateforme numérique.
En outre, les vidéos de vulgarisation sur Youtube plaisent à une jeune génération grâce à leurs contenus. Ils sont habitués à certains codes dans ces vidéos qui correspondent à leurs attentes et qui ne doivent pas ressembler à ceux de la télévision. En effet, par exemple, la chaîne YouTube « La minute science », a présenté une vidéo – « Une brève histoire de la voie lactée » – dans laquelle certains aspects n’ont pas plu aux internautes. Dans cette vidéo, il commence par évoquer le mythe antique de la déesse Héra et pour pouvoir expliquer l’histoire de la voie lactée, il utilise des schémas et des dessins. Toutefois sa voix donne l’impression qu’il récite un texte, un aspect vivement critiqué dans les commentaires : « Super vidéo, mais dommage que ta voix ressemble à celle des présentateurs de M6 ». De plus, son but est de faire des vidéos courtes, comme l’indique son pseudonyme « la minute ». Grâce à cela, il n’ennuie pas ses téléspectateurs et reçoit des commentaires tels que « Super boulot » ou « Au top comme d’hab ». Une vidéo trop longue aurait tendance à effrayer les internautes, d’autant plus lorsque ceux-ci sont habitués à ne pas accorder beaucoup de temps à un sujet ou encore à se désintéresser rapidement. L’amateur en science n’a pas besoin de se concentrer, ni de réfléchir : il doit simplement écouter et apprendre pendant 5 minutes. L’internaute n’est pas toujours un passionné et n’a donc pas envie d’accorder une heure à l’astronomie. C’est pourquoi ce genre de petite vidéo connait un réel succès sur YouTube.
De plus, nous avons pu observer que les pratiques des individus ont changé avec Youtube. Avant, ils se documentaient, s’informaient grâce à d’autres supports, comme les livres ou des journaux. Avec l’arrivée d’internet et sa facilité d’accès, le passionné à tendance à s’éloigner de ce genre de support, et à préférer la “facilité” de Youtube. Lors de notre entretien avec Sophie, elle nous évoque le fait que Youtube lui a donné “une nouvelle plateforme pour étudier les sciences.” Par ailleurs, l’individu interrogé se situe également dans cette tranche d’âge et paraît pleinement engagé dans ce domaine.
Youtube remplace-t-elle les autres plateformes ?
Au premier abord, nous pourrions penser que Youtube serait la plateforme utilisée car elle se présenterait comme une solution de faciliter pour acquérir de nouvelles connaissances. Toutefois, de nombreux autres supports existent, comme les livres ou les documentaires, et ces supports ne semblent pas être pour autant mis à l’écart. En effet, nos enquêtes nous ont révélé que les individus s’intéressent aux sciences sur Youtube, pour les raisons que nous avons évoquées auparavant, mais ne se documentaient pas uniquement grâce à cela. Youtube serait vu comme un « bonus » dans leur apprentissage, pour leur curiosité. Cela leur permet de voir d’autres choses qu’il n’aurait peut-être pas vu dans des livres. De plus, cela leur permet également de voir le point de vue scientifique (s’il y en a un) du Youtubeur, mais aussi des autres internautes. En effet, regarder les avis des autres est une pratique assez courante, comme le font nos deux enquêtés : « Je suppose que je préfère garder un certain recul. J’aime me placer en spectateur. En plus je ne cherche pas forcément le débat, je ne pense pas que les pavés par écrit en dessous d’une vidéo soient un moyen très efficace et juste pour exprimer l’entièreté de son point de vue. ». Ainsi même si, en l’occurrence, nos deux enquêtés ne participent pas aux commentaires, ils apprécient tous deux de les consulter « que ce soit de la blague à la construction argumentée ». Ils aiment « connaître les avis des autres gens qui ont regardé la vidéo et pour savoir s’ils partagent le même avis qu’[eux]. », comme le rapporte Sophie.
L’utilisation de Youtube comme un moyen d’approche de la vulgarisation scientifique ne semble pas apparaitre au même moment que pour les autres plateformes. En effet, lorsque nous avons une question précise à poser, la tendance générale serait d’aller chercher la réponse dans un livre spécialisé ou plus simplement sur Wikipédia. La vulgarisation scientifique sur Youtube intervient au contraire comme un moyen de s’occuper, de se distraire. En effet, Sophie nous révèle aller sur Youtube quand elle s’ennuie : « Quand je regarde beaucoup de vidéos d’affilées, c’est souvent que je m’ennuie ou que je n’ai rien d’important à faire, ou le contraire. *rires*». Regarder une vidéo de vulgarisation sur Youtube serait donc un moyen de détente, ou d’occuper son temps de façon ludique. On ne va pas sur youtube comme on irait ouvrir un livre de vulgarisation.
D’une autre manière, regarder des vidéos sur Youtube peut devenir comme une habitude, un réflexe automatique. Pour Thibault, regarder ce genre de vidéos est devenu une habitude, le soir quand il rentre de l’université : « En fait je vais sur YouTube tous les jours, c’est un peu un rituel quotidien. Etant abonné à ces chaines, je reçois les notifications de sorties des vidéos, je vais donc les regarder en général le jour de leur sortie ». Sophie, quant à elle semble moins régulière dans ses pratiques : « Y’a des moments où je peux en regarder une trentaine dans une journée et faire ça toute la semaine. A d’autres moments, je peux n’en regarder aucune et m’intéresser à autre chose ». Toutefois, lorsqu’elle regarde des vidéos, c’est souvent parce qu’elles « apparaissent dans [s]on fil d’actualité ». Ainsi, le fait de regarder des vidéos de vulgarisation sur Youtube reviendrait surtout à un moment de détente spontané déclenché par les notifications envoyés par la plateforme, elles-mêmes issus des abonnements créés par les internautes. Le visionnage de ce genre de vidéos se fait donc ensuite sur le long terme avec des youtubeurs préférés, au même titre qu’on pourrait suivre les vidéos d’un chanteur ou s’abonner à une chaîne de cuisine.
Le côté addictif de la plateforme
Les deux individus que nous avons interrogés se passionnaient déjà pour les sciences et Youtube ne leur a pas fait découvrir ce domaine. Cependant, nous pouvons nous demander si Youtube leur permet d’aller plus loin dans leurs recherches. Cette plateforme numérique a-t-elle fait évoluer leur intérêt pour ce domaine en particulier ?
Thibaut, étudiant en master de sociologie, s’intéresse à des vidéos qui le concernent ainsi que ses études. Youtube serait donc pour lui un moyen d’approfondir ses connaissances ou d’aborder d’une manière différente des concepts qu’il a déjà abordé. De plus, il souhaite compléter ses recherches universitaires, entendre d’autres personnes que ses professeurs parler de sciences molles. Sophie quant à elle, étudiante en licence d’histoire, s’intéresse aux sciences dures, à savoir l’astronomie. L’intérêt de Sophie pour l’astronomie est donc dissocié de son parcours scolaire, Youtube serait alors pour elle un moyen de se distraire, une façon d’aborder des connaissances qu’elle n’a plus l’occasion de croiser ailleurs.
Toutefois, le fait que ces vidéos soient présentes sur la plateforme apporte un nouvel aspect à leur visionnage : une forme d’addiction. En effet, la plateforme Youtube induit un système de notifications, le redémarrage automatique de nouvelles vidéos et la proposition ciblée de nouveaux contenus. Ainsi, le site présente les outils adéquats pour créer une réelle addiction chez les internautes. Nous pouvons donc être amener à regarder des vidéos de deux minutes pendant plusieurs heures, tout comme Sophie : « Y’a des moments où je peux en regarder une trentaine dans une journée et faire ça toute la semaine ». L’internaute ne maîtrise plus le temps. Ce genre de comportement peut s’expliquer par le fonctionnement même de la plateforme comme nous l’avons dit mais signifie aussi que certains Youtubeurs sont convainquant ; ils attirent et retiennent l’attention du public, qui cherchent alors à voir toujours plus de vidéos, ce qui peut les amener à ne plus se rendre compte du temps qui passe. Les vidéos étant souvent de durée relativement courtes, le visionnage d’une vidéo de plus ne semble pas être de grande importance, c’est ainsi que se met en place un comportement qui pourrait, dans les cas les plus extrêmes, être qualifié comme une forme d’addiction.
Cependant, nous avons appris que l’intérêt scientifique de ces deux jeunes étudiants n’avaient pas évolué grâce à Youtube : Ni pour Sophie qui répond à ce questionnement par « Non pas forcément, ça m’a juste donné une nouvelle plateforme pour étudier les sciences. » ; Ni pour Thibaut qui, lui, dit : « Non je ne pense pas. Elles ont peut-être plutôt fait évoluer mon intérêt pour la façon de transmettre les savoirs scientifiques. » Les Youtubeurs ne seraient donc pas encore assez convainquant pour cela ou le format même des vidéos ne permettrait pas d’enclencher un intérêt plus poussé chez les internautes. Youtube serait désormais aussi légitime que les livres, les documentaires dans la vulgarisation scientifique. C’est une plateforme qui permet d’avoir une approche facilitée et attrayant des sciences. Mais elle ne se détache pas, pour autant, des autres formes de vulgarisation, elle n’est pas privilégiée, ou en tout cas elle ne semble pas apporter un nouvel intérêt pour le domaine scientifique.
La vulgarisation scientifique sur Youtube est un phénomène qui prend de l’ampleur. Le nombre de vidéos et de youtubeurs qui se spécialisent dans ce genre de vidéos ne cessent de se multiplier. Ce phénomène s’explique par le succès que rencontre ces vidéos.
En effet, cette nouvelle méthode de vulgarisation se caractérisant par son contenu attractif, sa facilité d’accès, ses durées relativement courtes, les mises en scène ou encore la communauté qu’elle permet de créer sont autant de points qui plaisent aux internautes. Toutefois, nous avons pu remarquer que ces derniers sont majoritairement une classe d’âge précise – les 18-35 ans- qui n’utilisent pas Youtube comme ils utiliseraient d’autres plateformes. Loin de la réponse immédiate sur des questions précises que nous apportent très facilement les Encyclopédies en ligne ou hors ligne, les vidéos sur Youtube apparaitraient comme une distraction, un moyen de palier l’ennui ou même comme une habitude. Ainsi, la plateforme Youtube change le rapport à la vulgarisation scientifique puisqu’elle permet d’aborder la science de manière différente et puisqu’elle change les habitudes liées à la vulgarisation en passant d’un moment spécifique à une pratique régulière voir quotidienne.
Sources
- Jacques Lecomte, « La vulgarisation scientifique en débat », Sciences Humaines.
http://www.scienceshumaines.com/la-vulgarisation-scientifique-en-debat_fr_10160.html
- Véronique Carminati, « Une brève histoire de la vulgarisation scientifique : du XVIe siècle à nos jours » basé sur un cours de Fançois Pacaud, « la médiation scientifique : définition, usages, pratiques ».
http://masterabd.hypotheses.org/174
- Site Web de Horror Humanum Est
http://fr.horrorhumanumest.info/
- Compte Youtube de DanyCaligula :
https://www.youtube.com/user/DanyCaligula
- Compte Youtube de Poisson Fécond :
https://www.youtube.com/user/PoissonFecond
Grille d’entretien :
- Parcours et situation actuelle
- Age, occupation, activités
- Les études effectuées
- Professions des parents
- Intérêt scientifique
- A quelles sciences t’intéresses-tu ? Pourquoi ?
- Avant youtube ?
- Autres moyens de connaissances ? (Livres, encyclopédie, blogs, Wikipédia)
- Les vidéos Youtube
- Quel type de vidéos regardez-vous ? (Sciences dures/ molles)
- A quelle fréquence ?
- Dans quelle circonstance, plaisir, distraction ? Pourquoi allez-vous vers ces vidéos ?
- Participation active à la vidéo/sujet ? (Commentaires)
- Est-ce que vous apprenez de nouvelles choses ? Ou vidéo sur sujets déjà connus ?
- Depuis quand regardez-vous ce genre de vidéos ? Comment les avez-vous connus ?
- Avez-vous des youtubeurs favoris ?
- Est-ce que ton intérêt pour les sciences a évolué grâce à Youtube ?
Entretien avec Sophie :
– Bonjour Sophie. Merci de nous recevoir et d’avoir accepté de répondre à nos questions. Avant de commencer, ça vous dérange pas si on se tutoie ?
– Bonjour, euh.. de rien, avec plaisir. Non pas du tout, il y a pas de soucis.
– Alors on va commencer par des questions un peu général : peux-tu te présenter ?
– Alors, je m’appelle Sophie, j’ai 21 ans, je suis actuellement en troisième année de licence en histoire à Paris 8.
– Et dans quoi travaillent tes parents ?
– Ma mère travaille dans une entreprise de plastique où elle achète toute la journée différents produits pour les revendre par la suite. Et mon père, avant, il était mécanicien. Et maintenant il achète des pièces de moto pour les revendre ensuite sur internet.
– Donc tu t’intéresses des vidéos de vulgarisation scientifique sur Youtube. Peux-tu nous dire exactement quel genre de vidéos tu regardes ?
– Oui je m’intéresse particulièrement à youtube, je passe beaucoup de temps sur cette plateforme à regarder différents genres de vidéos comme les sciences et plus les sciences dures, surtout les vidéos qui concernent l’astronomie.
– C’est un sujet qui t’as toujours passionné ?
– Alors oui, j’ai toujours été attirée par cet univers, j’ai dû commencé à m’y intéresser quand j’étais toute petite, je sais pas, vers 8-9ans. En fait, je m’intéressais pas uniquement à l’astronomie mais tout ce qui se rapprochait du climat ou des catastrophes naturelles, les sciences dures en général. Je regardais beaucoup de films sur ce sujet et j’avais beaucoup de livres de vulgarisation qui étaient approprié à mon âge, comme les « Incollables », « Copains des Sciences » et tout ça…
– Et aujourd’hui ça s’est donc reporté sur les vidéos Youtube ?
– Oui, c’est vrai que c’est pratique ce genre de vidéos, on peut apprendre plein de choses en peu de temps.
– A quelle fréquence regardes-tu ce genre de vidéos ? Sur l’astronomie ou sur d’autres sujets.
– Ca dépend des fois. Y a des moments où je peux en regarder une trentaine dans une journée et faire ça toute la semaine. A d’autres moments, je peux n’en regarder aucune et m’intéresser à autre chose. Et me documenter sur ce sujet via d’autres plateformes.
– Tu peux nous donner des exemples des différents supports que tu utilises à part Youtube ?
– Bah Wikipedia quand il me faut un réponse rapide ou d’autres sites internet. Ou sinon des livres mais toujours de vulgarisation pour que ce soit simple à comprendre parce que je suis pas une scientifique quand même. *Rires*
– *Rires*. Dans quel état d’esprit es-tu quand tu regardes ces vidéos ? Tu les cherches ? Tu les regarde pour le plaisir ?
– Alors, bonne question. Quand je regarde beaucoup de vidéos d’affilées, c’est souvent que je m’ennuie ou que je n’ai rien d’important à faire, ou le contraire. *rires*. Des fois elles apparaissent dans mon fil d’actualité, je clique sur une et après mon après-midi est programmé, je m’arrête plus. Mais sinon, oui il m’arrive d’en chercher quand je me pose une question ou tout simplement pour m’informer. Ah oui, je cherche aussi beaucoup de vidéos de la NASA qui nous permettent de regarder le soleil ou autres choses dans l’espace en direct. Je regarde aussi les conditions de vie des astronautes donc on s’éloigne de la vulgarisation scientifique dans ce cas. Mais ça reste toujours facilement compréhensible.
– Est-ce que tu regardes des vidéos sur des sujets que tu connais bien ?
– En soi, je ne maîtrise aucun sujet mais oui c’est vrai que j’ai plus tendance à aller vers des sujets que je connais un minimum ou qui m’intéresse un minimum. Histoire d’approfondir mes connaissances. Par exemple, ma planète préférée, c’est Saturne, donc j’aurai plus tendance à aller regarder des vidéos sur son sujet que sur d’autres planètes.
– Quand tu regardes des vidéos, est-ce que tu participes à la discussion dans les commentaires ou par d’autres moyens ?
– Non jamais, je ne mets jamais de commentaires. Tout simplement parce que je ne connais pas les gens et quelque part j’ai peur de communiquer avec eux. Mais par contre oui il m’arrive de lire les commentaires, seulement pour connaître les avis des autres gens qui ont regardé la vidéo et pour savoir s’ils partagent le même avis que moi.
– Depuis quand regardes-tu ce genre de vidéos ?
– Euh, je m’en souviens plus. Quand j’étais en troisième je crois, fin collège.
– Pourquoi ? Qu’est-ce qui t’as donnée envie de les regarder ?
– Alors si mes souvenirs sont bons, en physique, on a vaguement parlé du système solaire en cours avec des vidéos comme « C’est pas sorcier » du coup je me suis dit qu’il existerait peut être d’autres vidéos dans ce genre. Donc je suis allée sur Youtube pour voir ce qu’il y avait.
– T’en a pensé quoi ? Ça t’a tout de suite plu ?
– Le sujet m’intéressait déjà donc oui, et puis c’est sympa comment s’est présenté, genre il y a des petits décors autour, des dessins parfois, toujours des illustrations pour te faire apprendre et c’est ce qui te fait accrocher je pense.
– As-tu des youtubeurs favoris ?
– Alors laisses moi réfléchir, il y a déjà Poisson Fécond. Lui, évoque différents sujets, pas seulement la vulgarisation scientifique du coup c’est assez diversifié et ce que j’aime c’est qu’à chaque fois il est dans une sorte de rôle. Il utilise des schémas et aussi l’humour pour te présenter son sujet. Il y a aussi La Minute Sciences que j’aime bien, c’est des vidéos assez courtes du coup on a pas le temps de s’ennuyer mais c’est assez condensé. Et pour finir je dirai e-penser, encore une fois lui aussi utilise l’humour. En fait c’est ça qui me plait, comme je regarde aussi beaucoup de vidéos humoristiques sur Youtube, si c’est mélangé à la science c’est encore mieux.
– Est-ce que ton intérêt pour les sciences a évolué grâce à Youtube ?
-Alors non pas forcément, ça m’a juste donné une nouvelle plateforme pour étudier les sciences.
Entretien avec Thibault :
– Bonjour Thibaut, merci de m’accorder cet entretien. Alors pour commencer, est-ce que tu peux me parler de ton parcours et de ta situation actuelle ? Qu’est-ce que tu fais dans la vie en ce moment ?
– Eh bien bonjour, je suis actuellement en master 1 sciences de l’éducation parcours Intervention Sociale à l’UPEC. Avant ça j’ai passé une licence de sociologie à l’université Paris IV Sorbonne.
– Du coup t’es un peu familier avec les sciences humaines ?
– C’est plus ou moins mon domaine oui, même si ça se cantonne surtout à la sociologie, je ne suis pas un pro d’éco, d’histoire ou de philo par exemple.
– D’accord. Et tu as quel âge ? T’as des activités particulières à côté de tes études ?
– J’ai 21 ans. En ce moment pas particulièrement, le master me prend déjà pas mal de temps. En licence par contre je prenais des cours de batterie. Mais comme depuis cette année je vis seul à côté de Créteil je n’ai pas pu continuer.
– Et à côté de tes études, tu portes un intérêt pour les matières scientifiques (sciences molles, sciences dures) ? Tu t’investis dedans ?
– Oui bien sûr, j’ai choisi ce type d’études justement car ce sont des domaines qui m’intéressent particulièrement. Surtout les sciences « molles » comme tu dis. Du coup j’aime bien bouquiner sur des sujets qui sont en rapport aux sciences sociales, parfois aller à des colloques, etc.
– Tu apprends de nouvelles choses grâce à ça ? Des choses que tu pourrais ne pas voir ou apprendre dans tes études ?
– Oui, mes études étant axées principalement sur les politiques sociales ça me permet de toucher à des sujets qu’on n’aborde pas forcément dans mon cursus. Après il m’arrive assez souvent d’y retrouver des choses, de percevoir des continuités.
– Du coup, tu n’es pas attiré par les sciences « dures » ? (Astronomie, physique etc.) Qu’est-ce qui t’a donné le gout pour ce domaine ? A quel moment tu t’es dit « c’est ça qui me plait » ?
– C’est pas que ça ne m’intéresse pas du tout mais disons que je suis beaucoup plus attiré par les sciences molles. J’y ait un petit bagage, la plupart des réflexions que je construis se situent dans cette orientation. Par exemple je me sens beaucoup plus attiré par le traitement social de ces questions, leur influence sur les représentations ou les croyances y étant liées, que sur les connaissances s’inscrivant directement dans ces champs.
– C’est ta famille, tes amis qui t’ont « influencé » ?
– J’ai choisis la sociologie un peu par hasard je dois l’avouer. En terminale ES on avait une petite entrée dans le domaine en survolant des auteurs comme Durkheim, Marx ou Bourdieu. Ayant des résultats plutôt satisfaisant dans cette matière et étant un minimum intrigué par la discipline. Après, en licence, j’ai beaucoup aimé la façon de penser, les choses qu’offrait la socio et j’ai pas mal accroché. Du coup aujourd’hui je ne me vois pas faire grand chose d’autre. Je ne pense pas particulièrement qu’il y ait eu un impact direct de mes amis ou ma famille, personne n’ayant jamais étudié cette discipline dans mon entourage. Je pense que mon professeur de lycée a surtout eu cet impact en me rendant vraiment curieux vis-à-vis de la socio.
– Ah oui ? Qu’est-ce que font tes parents ?
– Alors ma mère travaille dans l’administration de l’Institut National de l’Audiovisuel, l’INA, mais je ne me souviens pas de l’intitulé du poste exact. Mon père est dessinateur-projeteur dans une entreprise qui fabrique des machines pour emballer des yaourts.
– D’accord, donc c’est vraiment ton univers à toi que tu as appris à découvrir ! Tu as parlé de livres que tu lisais dans ce domaine pour te documenter. Tu fais ça par obligation ou pour le plaisir ?
– Je ne distingue pas forcément ces deux choses. Je trouve les références grâce à mes cours, et sont souvent conseillés dans ceux-ci d’ailleurs, mais j’en retire presque toujours quelque chose qui relève de « l’intérêt personnel ». Sinon je peux aussi faire la démarche de moi-même. Par exemple je me suis abonné au Monde Diplomatique. Je considère ce journal comme une revue de sciences humaines, au sens très large, car la grande majorité des articles sont rédigés par des historiens, sociologues, etc.
– La presse, les livres, permettent de s’enrichir comme tu le fais, mais est-ce que tu utilises aussi des versions numériques ? Comme Youtube ?
– Oui !
– Et donc, tu fais quoi sur Youtube ? Qu’est-ce que tu regardes ?
– De manière générale ou plus spécifiquement par rapport aux sciences humaines ?
– Principalement autour des sciences humaines
– Et bien cela dépend pas mal des sujets traités en fait. Je suis quelques chaines, d’histoire, de philosophie ou de sociologie, souvent à vocation engagée.
– Tu as des noms de chaînes en particulier que tu voudrais citer ?
– Et bien pour l’histoire des choses comme « Horror Human Est » ou « C’est une autre histoire ». Pour les approches philo/socio je pense à des choses comme »Cyrus North » ou « Le Stagirite ». Je regarde de temps à autres les vidéos des « gros » de youTube, comme Usul ou Danny Caligula par exemple.
– De temps à autres ? C’est à dire ?
– Je suis abonné à leurs chaines mais en fonction des sujets je vais regarder certaines vidéos plutôt que d’autres. Je trouve leur contenu assez inégal en fait.
– Tu n’as donc pas une fréquence précise ? Quand est-ce que tu vas principalement regarder leur vidéo ? Et pourquoi ? Par curiosité, parce qu’elle passait dans ton fil d’actualité, par ennuis ?
– En fait je vais sur YouTube tous les jours, c’est un peu un rituel quotidien. Etant abonné à ces chaines, je reçois les notifications de sorties des vidéos, je vais donc les regarder en général le jour de leur sortie, le soir. En fait je ne me limite pas au contenu des vidéos, j’aime beaucoup m’interroger sur la façon dont ces vidéos sont construites, les angles privilégiés ou tous, les réactions des viewers dans les commentaires, quelles notions font débat, etc.
– Les réactions ? Tu participes aussi au contenu de la vidéo grâce aux commentaires ?
– Non jamais. Je les lis beaucoup mais je n’écris jamais.
– Pourquoi ?
– Je suppose que je préfère garder un certain recul. J’aime me placer en spectateur. En plus je ne cherche pas forcément le débat, je ne pense pas que les pavés par écrit en dessous d’une vidéo soient un moyen très efficace et juste pour exprimer l’entièreté de son point de vue. En tout cas je ne pense pas que cette forme suffise pour avoir un échange véritablement constructif, les interlocuteurs se multipliant souvent, l’hostilité arrivant rapidement, etc.
– Et les réactions des autres internautes sont semblables aux tiennes ? Ou elles t’énervent au contraire ?
– C’est pas parce qu’elles sont différentes des miennes qu’elles m’énervent ! De toute façon, il y en a tellement et vraiment différentes, que ce soit de la blague jusqu’à la construction argumentée qu’il y en a pour tous les goûts, quelles que soient les opinions ou l’état d’esprit. On voit se dégager des tendances mais il y a vraiment de tout. Certains sont convaincus par la vidéo, d’autres s’y opposent totalement, d’autre se posent de manière critique, etc. Globalement il y a des similarités, nous regardons les mêmes vidéos que les gens qui nous ressemblent, socialement ou politiquement à mon avis. Après j’aime voir les nuances dans cette réception justement.
– Tu passes beaucoup de temps à regarder les commentaires ?
– C’est extrêmement variable, en fonction des sujets des vidéos, du nombre de commentaires, etc. Je peux y jeter un simple coup d’œil comme y passer une dizaine de minutes. Les regarder tous serait beaucoup trop chronophage parfois.
– Tu t’intéresses plus à la vidéo en elle-même ou à ses commentaires ?
– Oh je ne sais pas trop, l’un va avec l’autre forcément. Par contre comme je l’ai déjà dit, quand je m’intéresse à la vidéo je ne veux pas seulement dire que je m’intéresse au sujet traité, mais aussi beaucoup à sa construction, etc.
– Et comment tu as connu ce genre de vidéos, ce genre de Youtubeurs ?
– La plupart du temps grâce aux recommandations automatisées de YouTube ou par les recommandations de certains YouTubers, qui jouent un rôle « d’influenceurs ». De fil en aiguille, on en trouve un, puis un autre,… ça peut être exponentiel.
– Ton entourage ne t’as jamais parlé de l’un d’eux ?
– Pour me le faire découvrir tu veux dire ?
– Oui
– Pas que je me souvienne en tout cas. Après j’ai un ami qui connait beaucoup le monde de YouTube et certains Youtubers alors c’est possible qu’il m’en ait conseillé certains en cinéma par exemple qui m’ont ensuite fait découvrir certains en sciences humaines. Il y a des connivences et des cercles de connaissances dans ce milieu.
– Tu as appris des choses grâce à elle ? Parce que ce ne sont pas des professionnels des sciences humaines
– Bien sûr ! Même les non professionnels peuvent apprendre des choses à d’autres. Sur le contenu même j’ai découvert certains événements historiques ou légendes mythiques par exemple, ou encore certaines œuvres. Avec la multiplicité des domaines il arrive forcément un moment où je vais apprendre de nouvelles choses. Mais la force de ces chaines découle selon moi surtout des manières de transmettre ces informations. Ce sont des vidéos, pas de simples lignes de texte. Par exemple, bien que je connaisse déjà pas mal la mythologie grecque, la chaîne « c’est toute une histoire » propose de les raconter au travers de tableaux ou en croisant les regards disciplinaires au travers de collaborations avec d’autres YouTubers.
– Du coup, est-ce que tu penses que ton intérêt pour les sciences a évolué grâce à Youtube ?
– Non je ne pense pas. Elles ont peut-être plutôt fait évoluer mon intérêt pour la façon de transmettre les savoirs scientifiques.
– Et ça t’as donné envie de transmettre ce savoir à ton tour ?
– Oui un peu je pense. J’ai toujours eu envie de transmettre des choses, j’ai longtemps voulu être prof pour ça d’ailleurs. Ils ont un statut que l’on peut envier en fait. Transmettre des savoirs tout en ayant une image très cool, jeune et accessible. Parfois je me dis que certaines choses en sociologie devraient être impérativement partagées à plus car elle ne sont pas du tout accessibles. On se dit « pourquoi pas moi ? »
– Du coup ces vidéos, ces Youtubeurs t’ont permis de comprendre que toi aussi tu pouvais le faire. Tu aimerais lancer ta propre chaîne Youtube ?
– Je ne sais pas. Il faudrait déjà s’assurer que ce tu veux faire, de la façon dont tu veux le faire, n’existe pas déjà. Il y a tellement de contenu qui existe que c’est impossible de tout connaitre. Il est aussi difficile de se convaincre de sa propre légitimité à transmettre du savoir, sans biais. Il faut aussi avoir du temps, des connaissances techniques et du matériel pour proposer un contenu intéressant. Aujourd’hui la qualité des vidéos, tout domaine confondu, est vraiment élevée !
– A la fin de tes études pourquoi pas alors ! Et tu avais commencé à t’intéresser à ces vidéos à quel âge ?
– Oulah ! Je pense que je devais avoir 18-19 ans, ça a dû correspondre à mon entrée à la fac et à mon intérêt grandissant pour la sociologie. Après je pense aussi qu’il n’y a pas si longtemps que ça n’existait pas toutes ces chaines et ce genre de contenu. Ou en tout cas leur visibilité était moindre. Je pense que ce sont ces deux facteurs qui se sont couplés pour ma part.
– D’accord. Ton intérêt peut donc encore évoluer ! Merci d’avoir pris du temps pour répondre à mes questions.