LES MONDES NUMERIQUES

Blog des Masters en Sciences Sociales de l'Université Gustave Eiffel

L’activisme de la jeunesse afro-américaine sur les réseaux sociaux Twitter et Tumblr

 Sonia Leconte, Lauriane Charpentier et Julie Cauquil

(Notes de bas de page)

Nous avions, à travers ce dossier, l’intention de comprendre l’impact des réseaux sociaux sur les mouvements de résistance politico-sociaux, et ce à travers le prisme de l’activisme afro-américain. De part nos expériences personnelles sur les réseaux sociaux, cette communauté nous semblait être plus active que les autres minorités, ce qui en faisait un objet de recherche plus facile à appréhender. Par ailleurs, le mouvement des droits civiques américain nous offrait un point de comparaison sur un type de résistance similaire mais s’inscrivant dans une période antérieure au numérique.

Il s’agira d’établir une structure théorique afin d’explorer les différentes facettes du processus de construction du réseau (cyber-communauté) communément appelé “Black Twitter/Tumblr”, son activisme et les comportements majeurs qui émanent du mouvement. Dans ce but, nous avons recueilli des témoignages tangibles du vécu de ses participants ainsi que leurs opinions au sujet des différentes formes que prend leur activisme sur le Web.

Pour ce faire, nous procéderons à une analyse de discours tenus lors d’entretiens qualitatifs réalisés par l’intermédiaire de Skype, avec des utilisateurs de Twitter et de Tumblr impliqués, ou non, dans ces différents mouvements. Ces entretiens nous ont permis de mieux saisir les enjeux de cet activisme et le rôle qu’occupe les utilisateurs dans ce processus de sensibilisation.

Nous nous appliquerons à examiner la construction de l’identité sociale d’un réseau influent disposant d’une capacité d’impact importante sur la façon dont l’expérience noire-américaine est couverte par les médias. Par ailleurs, nous tenterons de comprendre de quelles façons l’auto-représentation de ce réseau se présente comme un mouvement à contre-courant et comment cette dernière a conceptualisé l’existence afro-américaine en ligne.

Notre étude consistera à comprendre en quoi la nature de chacun de ces deux réseaux sociaux font émerger des actions distinctes, revêtant un degré d’activisme plus ou moins différent et notamment la manière dont ils contribuent à la sensibilisation de la cause afro-américaine. Nos recherches visent donc à approfondir les façons dont la communauté s’approprie ces plateformes pour sensibiliser, dénoncer et résister aux stéréotypes ethniques et sociaux dont elle souffre. Notre réflexion portera, en premier lieu, sur l’accès à Internet ainsi que la pertinence de la notion de fracture numérique entre les groupes ethniques aujourd’hui. Dans cette optique, nous explorerons le contexte d’émergence de l’activisme afro-américain sur les réseaux sociaux et la couverture médiatique initiale dont ce phénomène a bénéficié.

Ainsi, en nous alignant sur la bi-dimensionnalité du discours afro-américain sur les réseaux sociaux, nous étudierons d’abord le combat contre les violences policières puis les tendances dénonçant le manque de représentation des Afro-Américains dans les médias.

Partie 1 – La communauté afro-américaine et les réseaux sociaux

On constate aujourd’hui un nombre conséquent d’Afro-Américains disposants d’un accès Internet, ces derniers présentant une utilisation accrue via les smartphones. Une étude démographique (1) sur les technologies numériques et l’utilisation d’Internet par les Afro-Américains a été menée par le Pew Research Center (2) de juillet à septembre 2013. Les principaux résultats extraits de cette étude avancent le fait que la fracture numérique entre les blancs et les noirs aux Etats-Unis continue de persister bien qu’elle ne soit pas uniforme ou constante selon les plateformes technologiques ou les groupes démographiques concernés.

Communément appelée “digital divide”, la fracture numérique désignant les inégalités vis-à-vis de l’accès à Internet parmi les différents groupes ethniques (particulièrement les communautés blanches et noires) fut d’abord théorisée dans une série de rapports réalisés à la fin des années 1990 par la National Telecommunications and Information Administration (NTIA) (3). Dans ces derniers, les foyers afro-américains sont présentés comme ayant un accès à Internet sensiblement plus faible que les foyers blancs de l’époque. L’étude constate en effet que 26,2% des blancs utilisent Internet chez eux, au travail ou dans un tiers-lieu (4), contre 9,2% des noirs, prouvant que le web était alors encore un espace réservé à des communautés plus privilégiées.

Aujourd’hui, et selon les chiffres avancés par l’étude du Pew Research Center, les Afro-Américains sont toujours derrière de 7 p% en matière d’utilisation Internet globale (87% d’internautes blancs contre 80% d’internautes noirs) et de 12 p% en ce qui concerne l’accès au haut-débit dans les foyers (74% de blancs et 62% de noirs disposent d’une connexion haut-débit). Ces écarts sont davantage prononcés dans certains sous-groupes socio-démographiques. Actuellement, les inégalités raciales dans l’utilisation d’Internet par les plus jeunes ont en grande partie disparu. L’étude démontre que parmi les internautes les plus jeunes (<50 ans), il n’y a pas de différence significative entre les niveaux d’accès au Web des noirs et des blancs. On constate en revanche que les Afro-Américains plus âgés sont beaucoup moins susceptibles d’aller sur Internet ou de disposer d’un service large bande chez eux, par rapport aux blancs avec un profil démographique similaire. Seulement 45% des seniors afro-américains (65 ans et plus) sont des internautes et 30% disposent du haut-débit chez eux, contre 63% et 51% pour les blancs.

Globalement, 73% des internautes afro-américains (et 96% de ceux âgés de 18 à 29 ans) utilisent un réseau social quelconque. Par ailleurs, Twitter est particulièrement populaire chez les jeunes Afro-Américains : 22% des internautes noirs sont des utilisateurs du réseau social, contre 16% des internautes blancs. 40% des Afro-Américains âgés de 18 à 29 ans qui vont sur Internet déclarent utiliser Twitter, soit 12 p% de plus que le chiffre équivalent pour les jeunes blancs (28% d’entre eux seulement sont des twitteurs). En bref, 72% de tous les Afro-Américains, et 98% de ceux âgés entre 18 et 29 ans disposent soit d’une connexion haut-débit, soit d’un smartphone.

Par conséquent, on assiste à un rétrécissement de la fracture numérique entre les noirs et les blancs aux Etats-Unis, notamment grâce à l’avancé des technologies mobiles accompagnée d’une chute des prix de la technologie et un taux d’adoption des smartphones élevé chez les Afro-Américains (44% selon Aaron Smith (5)). Ces facteurs ont contribué à la présence croissante d’internautes afro-américains parmi lesquels 64% déclarent posséder un smartphone, contre 53% pour les blancs (6). Ce chiffre pourrait justifier les taux élevés d’adoption de Twitter chez les internautes afro-américains. Dans “Race in Cyberspace(7), Nakamura constate que les appartenances ethniques sont de plus en plus visible dans les discours sociaux sur le web. De nombreux médias américains, dont des journaux notoires comme le quotidien “The New York Times” ou le magazine mensuel “The Atlantic” notent l’émergence et font état d’un phénomène baptisé “Black Twitter” (cf. Christian Roman, “Key Hashtags in ‘Black Twitter’ Activism”, NYTimes.com, 13 août 2014 ou bien Donovan X. Ramsey, “The Truth About Black Twitter”, The Atlantic, 10 avril 2015).

Les médias grand public décrivent actuellement ce phénomène web du point de vue du modèle de déficience d’adoption des technologies parmi les utilisateurs afro-américains. Les premiers aperçus du phénomène ont cependant été accueilli avec mépris par les membres dudit mouvement, ces derniers s’opposant à l’argument qui avance que le terme de “Black Twitter” englobe les thèmes principaux de la communauté noire-américaine et ses mouvements sociaux.

Le 9 août 2010, le hashtag (8) #wordsthatleadtotrouble attire l’attention de Farad Manjoo, journaliste du magazine en ligne américain Slate. Le hashtag, présent dans le top des tendances Twitter aux Etats-Unis ce jour-là, fut tweeté et retweeté des centaines de fois par les utilisateurs américains de Twitter, dont la majorité d’entre eux étaient noirs (constat établi à partir des avatars des utilisateurs).

Farad Manjoo publie ensuite un article sur Slate.com, dans lequel il se demande si l’utilisation de Twitter par les Afro-Américains reflète une certaine “fracture entre les noirs et les autres communautés ethniques sur Twitter” (9). Il pose ensuite la question d’un possible “phénomène de ségrégation virtuel”. La question qui ressort du titre de l’article, intitulé “How Black People Use Twitter” est ensuite réduite au terme “Black Twitter”. L’expression sera reprise par les autres médias par la suite. Dans son article, Manjoo propose une analyse des liens sociaux et des modes d’utilisation qui permettent aux jeunes adolescents noirs de dominer les discussions sur le site de microblogage Twitter. Il souligne l’importance de la culture afro-américaine sur Twitter et le fait que les utilisateurs appartenant à cette communauté ont tendance à être plus actifs socialement que les autres : “Ils se suivent entre eux plus aisément, se retweet plus souvent et leurs tweets comptabilisent davantage de réponses destinées à d’autres utilisateurs” (10).

Les “twittos” afro-américains ont souvent été le sujet d’intérêt des médias, notamment car leur représentation sur Twitter a éclipsé celle des utilisateurs blancs américains. Ils possèdent ainsi une capacité d’influence importante sur les tendances Twitter et démontrent une aptitude à déterminer et amener des sujets tendances, ou “trending topics”, se démarquant des actualités “mainstream” quotidiennes à travers l’utilisation de hashtags.

“Je pense que Twitter est pratique pour de tels mouvements car les informations circulent tellement rapidement ! C’est aussi très facile de communiquer des messages aux blancs à travers les sujets tendances.”(11)

  • Marissa Rei (co-créatrice du mouvement BlackOut)

Les utilisateurs Twitter envoient des centaines de millions de messages par jour via le site de microblogage. Les plus populaires sont tweetés, puis retweetés de multiples fois. Une fois que la masse critique s’établit autour d’un mot ou d’une phrase, ces retweets émergent en tant que “tendance”, un indicateur sémantique des sujets populaires parmi les 317 millions (à ce jour) d’utilisateurs. Les blogs et forums rassemblant la communauté afro-américaine sont bien entendu monnaie courante sur le Web mais la communication entre les membres de cette communauté sur les réseaux sociaux est plus intime et immédiate.

Malgré les efforts qu’a entrepris Manjoo pour relier ses observations à des données empiriques (il cite différentes études précédentes) sur les noirs et les réseaux sociaux, son article a déclenché de nombreuses critiques de la part de chercheurs spécialistes du sujet. La description qu’il fait du phénomène a été jugé insuffisante et on a dénoncé l’absence de témoignages tangibles de la part d’individus impliqués dans les tendances dont il fait état. De plus, dans une intention de vulgarisation destinée à ses lecteurs, on note un abus de mots-clefs et de stéréotypes. Son étude ne repose tout simplement pas sur une expérience et il s’agit d’une observation sommaire accompagnée d’un regroupement d’informations.

En outre, l’utilisation du terme “Black Twitter” demeure délicate et doit être considérée avec précaution. En effet, elle exclut les minorités de la dimension 2.0 du Web. Apposer une étiquette sur le phénomène implique qu’il est secondaire et place les principaux concernés dans un espace cloisonné (effet de ségrégation). Les membres de la communauté noire-américaine utilisent Twitter pour communiquer avec des individus du même milieu qui partage leur expérience. Mais lorsque leurs conversations “privées” deviennent “objet de voyeurisme” (12), les interlocuteurs peuvent parfois se sentir comme des bêtes de foire et sont conscients que leur propre discours puisse être manipulé. Le terme a cependant son importance et nous avons tenu à le définir mais il ne sera pas repris dans les pages suivantes.

Les recherches de la sociologue Zeynep Tufekci suggère que “l’activisme des micro-célébrités en réseau”, à savoir des “acteurs non-institutionnels présentant des motivations politiques qui utilisent le potentiel des réseaux sociaux pour exposer leurs valeurs personnelles et politiques afin de mobiliser l’attention public autour de leur cause” (13) est essentiel pour mener à bien un activisme efficace sur les différents réseaux sociaux. Ainsi, des figures principales émergent et adoptent un rôle essentiel dans la mobilisation des communautés, en articulant un message et/ou un sujet de plainte uniques. Les hashtags ont un rôle similaire et sont utilisés comme outil de critique social tout en permettant la construction d’une communauté en ligne. N’importe quel internaute est en mesure de suivre des conversations, en cherchant à travers les “feeds” Twitter ou en recherchant un hashtag ou une phrase spécifique. Le hashtag (ou “tag” sur Tumblr), rattaché à une phrase ou bien un seul mot, regroupe différents tweets/posts et permet aux utilisateurs de procéder à une recherche par mot-clé pour trouver des tweets sur un sujet précis.

Toujours selon Tufekci, les usages activistes de Twitter se présentent comme une stratégie d’atteinte et d’organisation d’une certaine résistance politique. Twitter et Tumblr sont deux plateformes sur lesquelles les discours social et politique sont particulièrement développés et libérés. Elles vont permettrent alors d’amplifier et fortifier les différentes opinions des utilisateurs. En tant que cyberespace du Web 2.0, ces deux réseaux sociaux représentent une sphère publique qui encourage le discours et le débat. Outre l’aspect activiste, les réseaux sociaux ont la capacité de connecter les individus, développant un esprit de communauté virtuelle et un sentiment d’appartenance autour de sujets communs et plus généralement de l’expérience noire-américaine.

“Mon réseau social préféré est probablement Twitter car j’ai l’impression que les utilisateurs ont tendance à être plus ouverts d’esprit (en ce qui concerne les débats sociaux et politiques) et pour les mèmes. J’adore les mèmes.” (14)

  • Jenn

La présence et l’impact de la jeunesse afro-américaine est tout aussi palpable sur Tumblr où les utilisateurs reprennent souvent les hashtags popularisés par Twitter. Ils créent également leurs propres tags comme #BlackOut, le plus notable d’entre eux qui a vu le jour sur la plateforme en mars 2015. Internet et plus spécifiquement les réseaux sociaux comme Twitter et Tumblr sont devenus une sorte de berceau de la culture et des causes noires-américaines car ils permettent de rassembler des communautés éloignées et permet aux activistes de se faire entendre plus facilement, plus rapidement. D’après notre utilisation personnelle de ces deux réseaux sociaux, nous avons constaté que les causes défendues et exprimées peuvent être catégorisées en deux types d’activisme que nous tâcherons d’explorer dans les parties suivantes, ces deux derniers s’articulant de manière différente mais toujours à travers l’utilisation de hashtags/tags comme porte-voix et point de rassemblement. Le premier gravite autour de la notion de représentation (stéréotypes, whitewashing, célébration de la beauté noire souvent trop éclipsée en faveur des standards de beauté caucasiens…) et le deuxième s’applique à dénoncer et sensibiliser les internautes au sujet des violences policières infligés aux noirs américains, notamment à travers le mouvement “Black Lives Matter”.

Partie 2 – Civil Rights Movement 2.0

L’affaire “Michael Brown », autrement connue sous le nom de « l’affaire Ferguson » est un point déterminant dans les luttes antiracistes de la communauté afro-américaine sur les réseaux sociaux. En effet, elle a marqué un véritable tournant en terme d’influence et de couverture « amataure » sur le web.

Le 9 août 2014, l’officier de police Darren Wilson abat Michael Brown (aussi surnommé Mike Brown) de six coups de feu à Ferguson, dans le Missouri. La scène n’est pas filmée, cependant certains alliés de la police évoquent un acte de légitime défense tandis que d’autres témoins arguent que la victime avait les bras en l’air au moment de son assassinat. Cette affaire révolte la communauté afro-américaine et ses partisans et donne lieu à 10 jours de manifestations et d’émeutes à Ferguson qui nécessitent l’implication de l’État Américain. En effet, ce dernier, représenté par Barack Obama, impose un couvre-feu et tente de réduire les violences et les pillages ; le gouverneur du Missouri fait quant à lui appel à la garde nationale. Ces mesures ne sont cependant pas effectives : la répression envers les manifestants est violente, des arrestations sont effectuées et la révolte ne fait qu’empirer au fil du temps. Après une période d’accalmie, le conflit prend de nouveau forme le 24 novembre 2014, alors que le grand jury du comté de Saint Louis qualifie l’acte de Darren Wilson de légitime défense et décide de ne pas le poursuivre en justice.

Les réactions face au destin tragique de Mike Brown envahissent rapidement les réseaux sociaux, principalement Tumblr et Twitter où les internautes dénoncent en masse les actes de violences subis par Brown et les manifestants de Ferguson. Plus important encore, ces plateformes apparaissent alors comme un moyen de diffusion, couvrant différentes versions des faits avant même que les médias classiques ne s’emparent de l’affaire. Ce nouveau canal d’information, reposant sur des amateurs qui effectuent des reportages bénévolement, était déjà populaire auparavant (avec, par exemple, les blogs) mais devient d’autant plus important dans le cadre de l’activisme 2.0.

Des formes d’expression innovantes et propres au web sont de ce fait utilisées, car il est nécessaire de retransmettre l’urgence de la situation afin de pallier au silence des médias. Sur Twitter, elles prennent par exemple la forme de live-streams. Ainsi, dans le cas de l’affaire Mike Brown, plusieurs utilisateurs de twitter prennent une position de « leader » à travers leur couverture des protestations. Antonio French, conseiller municipal de Saint-Louis, a contribué à documenter l’affaire et a été un intermédiaire entre la police et les manifestants. Non sans conséquences (il a, entre autres, passé une nuit en prison le 14 août 2014), sa prise de position le rend extrêmement populaire et fait de lui un des principaux “live-streamers” de Ferguson. Le plus souvent précédé de la mention “Happening now in #Ferguson”, il partage du contenu multimédia sous différentes formes et retransmet en direct ce qu’il est en train de filmer par le biais d’applications tierces comme Periscope et Vine.

 

C’est l’utilisateur de Twitter @TheePharoah qui a dénoncé la fusillade en premier et en direct, alors qu’il est témoin de l’assassinat de Michael Brown. A l’inverse d’Antonio French, il ne réalise aucune vidéo mais partage une série de photos prises sur la scène du crime et des tweets qui permettent de traduire sa réaction à chaud face à l’événement. Son témoignage via Twitter s’inscrit dans une pratique très courante sur la plateforme, communément appelé “live-tweet”. Il s’agit de commenter, à travers des tweets, le déroulement d’un événement un temps réel. Cette pratique est surtout utilisé par les utilisateurs de Twitter qui désirent commenter leurs séries préférés au moment de leur transmission à la télévision. La conception même du réseau social en fait un outil privilégié de retransmission d’informations et de contenus. Les tweets sont restreints à 140 caractères (les mentions, et contenus multimédia n’étant pas comptabilisés) ce qui impose à l’utilisateur un discours succinct mais percutant.

D’autre part, Twitter a également permis d’organiser des manifestations à grande échelle, ou de programmer une cyber-attaque contre le Klu Klux Klan.

Le réseau a pour avantage de ne pas imposer d’organisation hiérarchique, d’où l’absence d’un leader bien défini dans ces mouvements : les utilisateurs, de toutes origines sociales et de tout âge (majoritairement des jeunes) s’en emparent et les popularisent. Cependant, il est intéressant de noter que certains activistes ont tout de même une influence plus importante que d’autres et que leur popularité et dévotion les rapprochent de la position de “leader” (comme vu ci-dessus, dans le cas des live-streamers). Marissa Rei nous explique qu’elle “était sur les réseaux sociaux quand Mike Brown a été tué.” Elle a, de ce fait, “aidé à la diffusion des informations données par [le mouvement] Black Lives Matter sur Tumblr et Twitter [dans le but] de protester.” (1)

Sur Tumblr, les protestations apparaissent sous des formes plus diverses car la plateforme privilégie tout autant les gifs et les images que le texte (on remarque clairement que le contenu textuel est prédominant sur Twitter). Les jeunes entre 15 et 34 ans sont particulièrement présents sur ce réseau et 64 % d’entre eux se disent intéressés par les causes sociales (2). Il est d’autant plus facile de suivre un événement donné puisque les publications sont suggérées par centres d’intérêt. Contrairement à Twitter, l’utilisateur n’accède pas seulement aux contenus de ses abonnements, mais il peut aussi décider de s’informer selon son envie. Dans le cadre de l’affaire Ferguson, Tumblr a constitué une plateforme de diffusion d’informations s’opposant aux médias. En effet, ces derniers étaient accusés de nier la gravité du drame et de prendre le parti de la police en diabolisant les manifestants.

“C’est presque impossible de ne pas être informé de ces sujets lorsqu’on est sur les réseaux sociaux, on les retrouve partout. Je pense que ça a permis aux gens d’être plus critiques envers les médias, ce qui est une bonne chose. Les médias veulent […] qu’on croit tout ce qu’ils disent […] Ils mentent avec de faux titres et des photos trompeuses. Les gens doivent connaître la vérité.” (3)

  • Jenn

Ainsi, Tumblr et Twitter sont des plateformes où les revendications des partisans de Michael Brown prennent forme, mais où tous les autres partis s’expriment également. Une opposition se crée d’ailleurs sur Twitter entre des internautes se revendiquant “conservateurs” et d’autres se réclamant “libéraux”, ces derniers étant pour la plupart issus de la communauté afro-américaine. Le schéma (4) modélisé par Emma Pierson (statisticienne et blogueuse américaine) illustre ces différences d’opinions et démontre que les deux camps, aux idées radicalement opposées, communiquent peu entre eux. Ce constat soulevé par Pierson est basé sur un échantillon de plus de 200 000 tweets sur Ferguson. En rouge, les conservateurs affectionnent le rôle du policier qui a maintenu le secteur en sécurité, tandis que les libéraux, en bleu, ironisent sur le fait qu’un homme désarmé se soit fait abattre par douze coups de feu. Dans ce contexte, la théorie des “echo chambers” (5) prend tout son sens. En effet, sur un réseau social tel que Twitter, les utilisateurs ont la plupart du temps accès à du contenu s’alignant sur leurs opinions.

Les réseaux sociaux sont donc un excellent moyen pour dénoncer le racisme et poursuivre les revendications portées par le Civil Rights Movement. Certains hashtags se popularisent (#IfTheyGunnedMeDown, #HandsUpDontShoot etc.), et, à l’image de slogans, deviennent une bannière sous lesquelles les différentes idées sont énoncées. Ainsi, tout comme la multiplicité des luttes du mouvement afro-américain des droits civiques, différents idéaux et courants de pensées sont diffusés sur Twitter et Tumblr, avec cependant comme objectif commun de servir l’activisme afro-américain.

Dans le cadre de l’affaire Ferguson, plusieurs Tweets ont émergés pour protester contre la violence policière. Le premier est créé par un membre du mouvement Black Lives Matter, DeRay Mckesson, 29 ans, qui manifestait à Ferguson contre l’assassinat de Michael Brown. Les policiers se montrent menaçants à l’égard de cette émeute, Mckesson prend donc une courte vidéo, un vine, avec son smartphone et la partage sur Twitter. Il ajoute comme légende : “Il y a combien de flics alors qu’on est seulement 40 ? C’est de la folie.” (6), pour démontrer l’absurdité de cet affrontement.

Rapidement, des jeunes de la ville de Ferguson reprennent le hashtag #BlackLivesMatter, abrégé en #BLM, afin de dénoncer les violences policières à l’encontre des Afro-Américains. Le mouvement est créé en 2012 par trois femmes suite à l’acquittement de George Zimmerman, responsable du meurtre de Trayvon Martin (tout juste âgé de 17 ans lors de sa mort) (7). Bien que Black Lives Matter soit une conséquence directe du meurtre de Martin, le mouvement ne sera reconnu nationalement qu’après la mort de Mike Brown.

#BlackLivesMatter est donc revendiqué comme un mouvement à part entière par ses créatrices, Alicia Garza, Patrisse Cullors et Opal Tometi. Il a pour vocation de défendre la communauté afro-américaine contre le racisme, dénoncer les violences policières et l’indifférence de l’État. Sa particularité est qu’il a un but inclusif, c’est à dire que la parole n’est pas seulement attribuée à un homme noir cisgenre (8) hétérosexuel mais que la communauté queer, ou encore les femmes, sont tout autant influentes. Ce hashtag, facile à retenir, – qui provient de la conclusion d’une note sur Facebook d’Alicia Garzia : “Our Lives Matter, Black Lives Matter.” – permet néanmoins d’englober des revendications multiples et essentielles en matière de justice sociale. Cela a sans doute contribué à son succès, si bien qu’il a également été utilisé lors de manifestations, écrit sur des t-shirts ou des panneaux.

Les mouvements tels que #BLM ou #HandsUpDontShoot représentent une grande évolution en matière de militantisme. En effet, le Civil Right Movements (9), au XXe siècle, a mis en exergue le combat de Martin Luther King, considéré comme un leader d’opinion. L’initiative de Rosa Parks, qui avait refusé de céder sa place à un Blanc dans un bus, était isolée mais le Civil Right Movements l’a soutenue a posteriori en organisant le boycott des bus de Montgomery, dans l’Alabama. Les revendications de cette organisation prennent en compte les profils dits “respectables” mais excluent les autres minorités au sein-même de leur communauté. Sur les réseaux sociaux, en suivant par exemple #BlackLivesMatter ou #IfTheyGunnedMeDown, c’est tout l’inverse qui se produit : les actions sont collectives et reposent sur la masse des partages, mais chaque individu peut se faire le porte-parole d’un message qui le concerne plus particulièrement autour d’une problématique donnée. Tous les manifestants ont donc exactement la même valeur. Les entretiens que nous avons effectués prouvent l’impact de ces mouvements sur les internautes qui se sentent concernés par le sujet.

“Je dirais que je suis plutôt investie. Je poste sur ces sujets plusieurs fois par jour. Avec Twitter c’est plutôt : “Qu’est-ce que tu en penses, quel est ton ressenti à cet instant précis ?” Donc, c’est facile de créer une longue discussion sur les choses qui t’importent dans un laps de temps très réduit. Je me surprends (surtout ces derniers temps) à parler politique sur Twitter et, de part les retours que j’ai, je sais si les gens sont d’accord ou non. C’est une bonne opportunité pour un débat.” (10)

  • Jenn

L’activisme sur le web permet surtout aux minorités de s’exprimer. C’est clairement le cas des femmes (11), d’ordinaire victimes de racisme et de sexisme, qui semblent ici en position de leadership, car ce sont majoritairement elles qui lancent les initiatives sur les réseaux sociaux. Il suffit de songer aux créatrices de #BLM mais aussi à Marissa Rei, co-fondatrice de #BlackOutDay ou à April Reign, fondatrice de #OscarsSoWhite. Elles s’emparent d’un nouvel espace de parole qui ne leur est pas facilement accordé par les médias traditionnels. Cette idée est confirmée unanimement par les personnes que nous avons interrogées.

“Nous sommes toujours à la tête des mouvements mais notre contribution est souvent effacée.” (12)

  • April Reign

Marissa Rei partage l’opinion d’April quant au traitement, par les médias, des femmes victimes de violences policières. Selon elle, ces femmes sont “souvent effacées, oubliées et représentent, pour certains, un mythe.” Elle trouve cela triste, “sachant que ce sont des femmes qui sont à la tête de Black Lives Matter” (13). Les noms de Rekia Boyd, Yvette Smith, Pearlie Smith ou Tyisha Miller sont en effet bien moins connus que ceux de Eric Garner, Mike Brown, Tamir Rice ou Freddie Gray.

Si ces mouvements sur les réseaux sociaux ont acquit une grande popularité, ils peuvent aussi être dénigrés. The Blacksmith (@RDSmith1025), que nous avons interrogé, se montre très critique à l’égard de ceux-ci. Il leur reproche “d’être des mouvements racistes” et dit de Black Lives Matter que “c’est un groupe n’ayant aucune considération pour les noirs en général, et encore moins pour les hommes noirs à moins qu’ils soient queer, homosexuels ou utiles à la cause” (14). Par ailleurs, certains hashtags sont incompris. C’est le cas par exemple de #BlackLivesMatter, qui est souvent accusé de hiérarchiser les communautés, comme le pensait Jenn lors de sa découverte du mouvement :

“Je me souviens que, lorsque #BLM a commencé sur Twitter, j’ai d’abord été confuse. Toutes les vies ne sont-elles pas importantes? Puis j’ai consulté les hashtags et lu les témoignages. J’ai mis de côté mes privilèges et ma culpabilité et j’ai compris qu’ils ne disent pas que les vies blanches ne comptent pas. Ils disent simplement que oui, toutes les vies importent, y compris celles des noirs donc agissons comme tel.” (15)

  • Jenn

Cependant, en considérant que les personnes noires sont opprimées et font partie d’une minorité, il paraît logique de revendiquer leur existence et leur droit d’expression et de représentation, ce qui n’enlève rien à la valeur des autres communautés. Ainsi, #AllLivesMatter, qui a également été employé, ne correspond pas aux idéaux originaux du mouvement (16). Les créatrices avaient pourtant donné leur accord pour utiliser la formulation – preuve du succès de leur hashtag – à condition que les revendications soient conformes à leurs valeurs. Défendre la communauté afro-américaine à l’aide de ce hashtag contribue en fait à l’invisibiliser davantage.

En outre, certains ont accusé BLM en janvier 2017 du kidnapping d’un homme blanc pro-Trump (17). Le hashtag #BLMKidnapping s’est ainsi popularisé rapidement, ce qui a discrédité le mouvement. Des personnalités ont pris position contre BLM, c’est par exemple le cas de Glenn Beck, conservateur et animateur de radio, qui appelait à une marche contre BLM, dans le but de rendre justice à la victime. D’autres, au contraire, on tout de suite pris position pour défendre le mouvement. L’avis de nos enquêtés est contrasté :

“Je pense que BLM est dépeint comme un mouvement discriminatoire ou intrinsèquement violent car les gens pensent que les personnes noires sont violentes et ne comprennent pas que nous demandons justice et égalité. Ce kidnapping est malheureux mais les personnes impliquées ne sont pas rattachées à BLM si ce n’est qu’elles sont noires. Les gens s’attendent à ce que toute personne noire soit représentative de BLM alors que ce n’est pas le cas.” (18)

  • Marissa Rei

“BLM est une organisation raciste qui a pour but de démoniser les blancs, qui manifeste dans les rues et appelle à la mort des policiers. BLM est dépeint comme un mouvement agressif est discriminatoire parce que c’est ce qu’il est.” (19)

  • The Blacksmith

C’est finalement l’image de l’activiste aux idées extrêmes qui est décriée. Sous couvert de défendre une cause, il lui arrive parfois de stigmatiser d’autres minorités.

“J’ai été témoin de comportements abusifs à l’encontre d’autres personnes marginalisées. Dans l’effort de combattre le racisme, ils peuvent afficher des comportements homophobes. C’est le cas si leur activisme n’est pas intersectionnel […]” (20)

  • Marissa Rei

De fait, tous ne se sentent pas représentés par les mouvements présents sur les réseaux sociaux. Parmi les personnes que nous avons interrogées, les plus investies, Marissa Rei et April Reign, sont à l’origine de certains des hashtags et ne songent pas à s’éloigner de leur communauté. Jenn, qui est blanche, peut être gênée par la virulence de certains manifestants mais ne se sent pas légitime pour critiquer leurs actes. The Blacksmith, qui fait partie de la communauté afro-américaine, ne se reconnaît pourtant pas dans les revendications de ces mouvements qu’il trouve contre-productifs et dangereux.

Partie 3 : Question de la représentation

L’activisme des jeunes Afro-Américains ne s’arrête cependant pas aux violences policières. L’industrie du cinéma n’est pas étrangère à ces mouvements, subissant elle-même de nombreux reproches de la part de la communauté noire présente sur les réseaux sociaux. Ainsi, Tumblr et Twitter ont, nombre de fois, été un moyen de dénoncer le manque de représentation à Hollywood ; à l’écran mais aussi derrière la caméra.
En janvier 2015 apparaît pour la première fois le hashtag #OscarsSoWhite alors que, parmis les quatre catégories de récompenses destinés aux acteurs (à savoir, “Best Actor”, “Best Actress”, “Best Actor in a Supporting Role” et “Best Actress in a Supporting Role”), pas une seule personnalité de couleur n’est nominée. Le mouvement, créé par April Reign, a alors pour but de mettre en lumière un problème majeur à Hollywood : le manque de diversité. Rapidement, le hashtag gagne en popularité, donnant voix aux jeunes noirs fatigués de ne pas se voir représentés à l’écran :

“#OscarsSoWhite, quand une personne noire ne peut être nominée (sans parler de gagner) que si elle joue un esclave ou un servant.” (1)

  • QUEEN OF DRAGS (@wjlly2) 15 Jan 15

On reproche principalement le manque de nominations pour le film d’Ava DuVernay, ‘Selma’, retraçant le combat de Martin Luther King Jr., pour lequel l’acteur principal, David Oyelowo, et la réalisatrice n’ont pas été retenus. Deux points sont alors soulevés : premièrement, les acteurs noirs sont limités en rôles. Deuxièmement, les nominés dans les catégories comprenant la réalisation, le scénario, le montage etc. sont tous blancs. Ainsi, bien qu’appelé “OscarsSoWhite”, le mouvement ne condamne pas que la cérémonie mais bien le système d’Hollywood : c’est le manque d’opportunités pour les personnes de couleurs qui est mis en cause, aussi bien devant la caméra que derrière.
Malgré les critiques, les nominations de 2016 ne montrent aucune amélioration. Le manque de nominations pour ‘Straight Outta Compton’, Will Smith, Samuel L. Jackson, Idris Elba et les acteurs de ‘Creed’ (en dehors de Sylvester Stallone) provoque une réaction encore plus virulente que celle 2015. Les internautes appellent au boycott de la cérémonie et de grand noms du cinéma vont même prendre part aux critiques: les Smith, Spike Lee, Angela Bassett et bien d’autres se disent désintéressés des Oscars, adhèrent au boycott et défendent les réactions outrées qui ont enflammé Internet. Chris Rock, qui présente la cérémonie cette année-là, décide de centrer son discours sur la controverse et l’Académie se voit obligée de répondre. Une semaine après l’annonce des nominations, Cheryl Boone Isaacs, alors présidente de l’Académie, annonce plusieurs changement quant aux membres et aux votes.
Les conséquences d’#OscarsSoWhite se font enfin ressentir en 2017. A peine les nominations sont elles annoncées que plusieurs articles affichent qu’il n’y aura pas d’#OscarsSoWhite cette année. Les nominations sont, en effet, beaucoup plus diverses que les années précédentes et il n’y a aucun doute sur le rôle que les réseaux sociaux ont joué dans cette victoire : c’est Internet qui a permis à la communauté afro-américaine de se faire entendre.

“Je pense que les réseaux sociaux ont eu un énorme impact sur Hollywood. L’industrie devient de plus en plus diverse […]. Il y a plus de représentation pour les gens de couleurs, la communauté LGBT etc. et c’est génial.” (2)

  • Jenn

Beaucoup, y compris April Reign, célèbrent la diversité des histoires mêmes qui ont été données aux acteurs de couleurs : là où ‘Moonlight’ suit l’histoire d’un homme qui se cherche dans des circonstances tragiques, ‘Hidden Figures’ célèbre des femmes fortes et victorieuses. Reign remarque que “pendant trop longtemps, on a donné [aux gens de couleurs] des films où ils y apparaissent brisés. Il suffit de regarder les actrices afro-américaines qui ont remporté des prix dans les catégories “Meilleure Actrice” et “Meilleure Actrice dans un Rôle Secondaire”. Ce sont des femmes qui n’ont joué que des personnages brisés comme, par exemple, Halle Berry dans ‘Monster’s Ball’” (3).

Malgré cette “victoire”, Reign admet qu’il y a encore place au progrès. Elle mentionne entre autres le manque de personnages LGBT, ainsi que le problème de “whitewashing”, à savoir le fait qu’un personnage de couleur soit représenté par un acteur blanc. Bien que le whitewashing concerne aujourd’hui principalement la communauté asiatique, c’est un problème qui est encore souvent dénoncé par les jeunes Afro-Américains sur les réseaux sociaux. En 2010, le film ‘Avatar: Le dernier maître de l’air’, adapté du dessin animé du même nom, fait controverse alors que les personnages de la série, exclusivement basés sur les cultures asiatiques et inuits, sont tous représentés par des acteurs blancs ; à l’exception des “méchants”. Le terme de “racebending” apparaît alors, dérivé du terme “bending” (4) utilisé dans la série ‘Avatar’. L’expression fait ici référence à l’action de changer la couleur de peau d’un personnage de fiction dans le cadre d’une adaptation (5). D’abord utilisée dans le but de dénoncer le whitewashing à Hollywood, les internautes des réseaux sociaux vont rapidement “ré-inventer” le terme, se le réapproprier afin d’en faire quelque chose de positif.
Ce “mouvement positif” va alors, naturellement, se développer parmis d’importantes communautés de fans sur les réseaux sociaux, et plus précisément sur Tumblr, tels que les Potterheads (surnom donné aux fans des romans et films ‘Harry Potter’) mais aussi les fans du film d’animation à succès ‘La Reine des Neiges’. Il consiste à ré-imaginer (sous forme de fanfiction, de dessin, d’animation etc.) des personnages universellement reconnus comme blancs afin que les minorités puissent s’y identifier et se sentir représentées. Il s’agit ainsi de combattre la discrimination présente à Hollywood en faisant usage des mêmes outils : si l’industrie du cinéma veut user du whitewashing alors les internautes, eux aussi, vont changer l’ethnie déjà établie de leurs personnages favoris.

Bien que le mouvement soit défendu par toutes les communautés de couleurs, ce sont les internautes afro-américains qui semblent être les plus actifs. En effet, ils dominent largement en terme d’appropriation de personnages, de représentation et d’influence. En 2013, ‘La Reine des Neiges’, s’attire les foudres des utilisateurs de Twitter et Tumblr pour son whitewashing du peuple sami ; certains personnages étant clairement inspirés de cette culture mais dépeint comme blancs. Si la controverse s’essouffle rapidement, certains internautes, face à l’énorme succès du long métrage, appellent tout de même à une rectification et demandent aux artistes sur Tumblr de représenter les deux personnages principaux comme des femmes de couleurs. Malgré une grande diversité d’adaptations, ceux sont les représentation d’Elsa et Anna en tant que femmes noires qui se popularisent le plus, en particulier celles de l’utilisatrice juliajm15 (6), jusqu’à être repris dans plusieurs articles du site d’information Buzzfeed (7).

La situation se répètera chez les fans de ‘Harry Potter’. Des internautes afro-américains commencent à promouvoir l’idée d’une Hermione Granger noire. Le personnage étant victime de racisme tout au long de la saga, il leur semble logique de faire d’elle une femme de couleur.

“Tout ce qui touche Hermione a franchement plus de sens si elle est noire. On se moque de ses cheveux? Des gens n’arrivent pas à prononcer son nom et/ou n’essaient même pas? Elle est victime de racisme? […] Dites-moi le contraire.” (8)

  • twinkleofafadingstar

Un débat se crée alors entre ces internautes et d’autres fans, durant lequel le manque de preuves concernant la couleur de peau d’Hermione dans les livres devient un argument essentiel. La notion de “racebending” prend alors un tout autre sens: il ne s’agit plus seulement de représentation dans les médias mais aussi, comme le dit Alanna Bennet (9), “d’apprendre à ne plus imaginer, automatiquement, chaque personnage de fiction comme une personne blanche” ; surtout lorsque la couleur de peau de ce personnage est ambigüe. “Black Hermione” devient si populaire que l’auteur des romans, JK Rowling, en défend l’idée et qu’une actrice noire est sélectionnée pour jouer le rôle d’Hermione dans la pièce de théâtre ‘The Cursed Child’. Beaucoup commence alors à envisager Harry Potter comme un homme de couleur. D’abord dépeint comme un personnage d’origine indienne, cette nouvelle interprétation du héro, contrairement à Hermione, ne fait pas vraiment parler d’elle en dehors de Tumblr. Il faudra attendre que de jeunes afro-américains “prennent les choses en mains” et se présentent comme une interprétation valide du personnage lors du BlackOut (10) ou encore du Black History Month (11) pour que l’idée d’un Harry de couleur gagne en popularité et atteigne à nouveau l’auteur des romans.

Ainsi, le “racebending” s’inscrit dans une importante lignée de mouvements qui célèbrent la culture afro-américaine. Parmis ces mouvements se trouve le BlackOutDay, une campagne créée par l’utilisateur T’von (12) et son amie, Marissa Rei (13), et qui a émergée sur Tumblr. Aussi appelé BlackOut, ou (anciennement) BlackSelfieDay et BlackFriday, le but est de promouvoir la beauté de la communauté noire par l’intermédiaire de selfies, gifs et vidéos. En revanche, si le BlackOut ne se limite pas aux résidents américains (tous les utilisateurs noirs sont invités à poster des photos d’eux-même ce jour-là), il n’en reste pas moins un mouvement créé et promu par de jeunes afro-américains en réponse au traitement de leur communauté dans les médias “classiques” (principalement à la télévision) aux Etats-Unis. La youtubeuse américaine et activiste Franchesca Ramsey explique que “malheureusement, on ne parle des noirs dans nos médias que lorsqu’il s’agit de criminels et meurtriers” (14). BlackOut est donc, entre autres, devenu un moyen de combattre les images négatives et stéréotypées que les médias donnent des Afro-Américains (à savoir, le manque de réussite scolaire, professionnelle…) par une représentation positive de la communauté : les internautes noirs peuvent montrer une autre facette d’eux-même rarement mise en valeur à la télévision.

Bien que les organisateurs actuels du BlackOutDay admettent que le hashtag ait une finalité socio-politique (15), sa cible principale demeure bel et bien la communauté noire des réseaux sociaux. Le BlackOut est un évènement créé pour eux, pour les aider à s’affirmer, leur apprendre à s’aimer et leur offrir un “espace sécurisant et sans jugement”.

“[…] célébrer la beauté des noirs est de la plus haute importance. Je suis fatigué de voir la “norme européenne” dominer en terme de canons de beauté. Il est temps de montrer que les noirs, eux aussi, sont beaux. J’aime tous les gens de couleurs, mais ceci est pour nous.” (16)

  • T’von

De plus, le mouvement met en avant la diversité au sein même de la communauté. Il n’est pas seulement question de célébrer la différence entre les noirs et les autres cultures, mais aussi de mettre en valeur les membres de cette communauté qui sont d’autant plus marginalisés : ceux qui s’identifient comme LGBT, qui ont un handicap etc. (17)

C’est cet aspect positif de BlackOutDay qui aura permis au mouvement de prendre forme rapidement : à la surprise de ses créateurs, il n’aura fallu attendre qu’une semaine pour que le hashtag se démocratise sur Tumblr (avant de s’étendre sur d’autres réseaux sociaux dont, principalement, Twitter) :

“Nous avons commencé [BlackOut] parce qu’il y avait beaucoup de négativité en ligne et très peu de représentation pour les noirs ordinaires. Pour faire connaître le mouvement, nous avons demandé à des bloggers noirs populaires de partager notre annonce. Le mouvement s’est répandu en moins d’une semaine.” (18)

  • Marissa Rei

Il semble donc évident qu’il existe une véritable demande de la part des internautes afro-américains pour ce genre de démarche.

En conclusion, il est évident que les réseaux sociaux jouent un rôle important dans l’activisme afro-américain actuel. En effet, ils permettent à la communauté de se faire entendre et de dénoncer, de diverses façons, le racisme dont elle est victime. Twitter et Tumblr sont deux réseaux extrêmement populaires chez la jeunesse afro-américaine, et ce pour différentes raisons.
Twitter est particulièrement apprécié parce qu’il unifie et, de part ses hashtags, donne voix à la communauté et qu’il permet aux internautes de partager des informations rapidement.

“Twitter est mon réseau social préféré parce qu’il me permet de rester informée et qu’il regroupe beaucoup de point de vues différents.” (19)

  • Geneva

Il a donc beaucoup été utilisé pour dénoncer les violences policières, la façon dont les médias “classiques” dépeignent les Afro-Américains ou encore le manque de représentation à Hollywood.

Tumblr est, quant à lui, salué pour les diverses formes d’interaction qu’il offre. Effectivement, à la différence de Twitter, le réseau social englobe texte, image, vidéo, son (…) et permet de lier activisme et création. Ainsi, il semble naturel que des mouvements tels que BlackOut ou encore le “Racebending” se soient particulièrement développés sur cette plateforme étant donné qu’ils dépendent beaucoup de médiums visuels.

Cependant, l’activisme par les réseaux sociaux n’est pas sans abus. Il peut arriver que certains internautes aillent trop loin et qu’une bonne intention (à savoir dénoncer un commentaire ignorant) se transforme en harcèlement. Marissa Rei reproche à certains mouvements activistes de ne pas être intersectionnel et dit avoir été “[témoin] de comportements abusifs envers d’autres groupes marginalisés” (20). Geneva, une utilisatrice de Tumblr avec qui nous nous sommes entretenus, parle d’un “environnement toxique” où l’on admet pas que quelqu’un puisse faire une erreur (21). Elle déplore l’aspect trop négatif souvent engendré par l’activisme en ligne et préfère ne pas utiliser les réseaux sociaux lorsqu’il s’agit de se battre pour ses droits.

Elle rejoint tout de même l’avis de Marissa Rei, April Reign et Jenn quant au succès des mouvements en ligne. Toutes sont d’accord pour dire qu’ils ont un véritable impact sur la société et qu’ils permettent aux plus ignorants de s’éduquer sur les problèmes que subit et dénonce la communauté afro-américaine.

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