Par Tatiana Robert
Le 11 Septembre 2001 est une mise en scène du gouvernement et des services secrets américains afin de justifier une guerre en Irak. Le 21 Décembre 2012, la Terre implosera comme l’ont prédit les Mayas il y a des milliers d’années. Le sida est une maladie inventée de toute pièce pour éradiquer les populations sud-africaines. L’attaque de Charlie Hebdo est une mise en scène. Le braquage de Kim Kardashian lui a permis de gagner des millions d’euros en effectuant une fraude à l’assurance.
Ces idées ne sont que quelques exemples épars de ce qui est aujourd’hui remis en question sur le web. Des thèses qui peuvent paraître toujours plus capilotractées nous sont rapportées dans les médias non-alignés, dans des vidéos, via les réseaux sociaux ou forums, accompagnées bien sur de documents censés prouver la bonne foi.
Depuis les années 1990, mais surtout depuis les événements du 11 septembre 2001, les théories du complot sont sources des plus grands fantasmes. Le web 2.0 offre une tribune aux diseurs d’aventures, aux Nostradamus modernes, puisqu’elles finissent toujours par nous revenir aux oreilles. C’est une véritable culture conspirationniste qui a émergé depuis.
Rudy Reichstadt est le créateur de l’Observatoire du Conspirationnisme, aussi appelé Conspiracy Watch. Le conspirationnisme est, selon sa définition, une tendance à attribuer de manière abusive l’origine d’un événement dramatique ou choquant à un affreux complot dont les auteurs conspireraient pour que la vérité soit cachée. C’est un récit alternatif, qui prétend révolutionner la connaissance qu’on a du déroulement d’un événement, et donc concurrencer la version « officielle », acceptée communément.
Psychologiquement, le conspirationnisme est plutôt attirant, dans la mesure où la découverte de ces théories équivaut en terme de satisfaction à la résolution d’une énigme. C’est également une satisfaction personnelle que de se dire “supérieur”, détenteur d’une Vérité que le “commun des mortels” ne peut atteindre.
Comment Internet peut-il être moteur dans la diffusion et l’enracinement de thèses complotistes ? Comment ces thèses peuvent-elles prendre une si grande notoriété ?
Le conspirationnisme, un genre ancien
On peut considérer que la première conspiration, au sens actuel du terme, remonterait à la Révolution française. Promulguée par l’abbé Augustin Barruel, cette théorie racontait que cette révolution était en réalité une conspiration antichrétienne.
Au fil des siècles, de nombreuses autres théories ont été développées, comme par exemple celles à propos des Francs-maçons, des Illuminatis ou encore des reptiliens. Le conspirationnisme est un mouvement qui dure, et semble prendre de l’ampleur ces dernières années, surtout depuis le web participatif.
Pour comprendre comment est née la logique conspirationniste, certains auteurs comme Gérard Bronner font le lien avec la logique abductive. Ce mode de raisonnement, qu’on trouve selon lui souvent dans la recherche scientifique explique ceci : lorsque l’on ne comprend pas un événement, qu’il nous paraît énigmatique, une des réactions mentales que l’on peut avoir serait de chercher une explication permettant de lui faire perdre son caractère énigmatique. Le développement de théories à tendance conspirationnistes pourrait alors être un moyen d’aider à comprendre, ce qui pourrait aussi permettre d’étancher des peurs. On peut voir que parmi les plus grandes théories du complot, ce sont des événements violents et choquants qui sont remis en question : l’assassinat de JFK, les attentats du 11 septembre, les attentats de charlie Hebdo, le virus du SIDA, la mort de Michael Jackson, Elvis Presley ou encore Paul McCartney. Pour ne citer qu’eux, ces événements peuvent susciter des réactions intenses : peur, affolement, panique etc. Ces théories pourraient alors permettre d’exprimer des peurs cachées, intériorisées.
Le conspirationnisme est une logique de remise en question de la réalité qui fascine et raconte des histoires. Les thèses complotistes sont parfois de véritables ouvrages fictionnels pouvant faire de l’ombre à un roman de grande distribution. L’attrait des théories complotistes s’explique par un phénomène lié au raisonnement mono-causal, manichéen, pendant lequel on a l’impression d’assister à un dévoilement.
Selon Julien Giry, les conspirationnistes veulent montrer que tout est lié, que les choses ne se produisent pas par coïncidence, et que beaucoup de ce qu’on croit n’est en réalité qu’une machination. Encore selon lui, le conspirationnisme se révèle être un véritable mythe, non pas par des aspects magiques ou fantastiques, mais bien par sa prétention de nous exposer une vérité.
Concernant le profil du conspirationniste, des hypothèses sont mises en avant. On se demande si ce ne sont pas les personnes ayant le moins accès à l’éducation, ou à l’information. Mais il semblerait qu’il n’y ait pas vraiment de typologie du conspirationniste.
En tout cas sur le web public, les profils sont plutôt anonymes. Dans les communautés, c’est plutôt sur Facebook ou réseaux sociaux, on voit le plus souvent les vrais noms des personnes.
On a plutôt tendance à croire que ce sont cependant les jeunes qui sont touchés par ces théories du complot. Selon le ministère de l’Education Nationale, 1 jeune sur 5 croirait à la théorie du complot. Outre un désir de transgression exprimé comme cause de cette adhésion aux théories, vient l’exposition forte des jeunes à cet argumentaire. Très présents et actifs sur les réseaux sociaux, ils sont souvent confrontés à ce genre de discours. En effet, ces réseaux sont un terrain fertile pour le développement de théories du complot.
Aujourd’hui ce phénomène prend de l’ampleur. Les médias traditionnels y accordent de plus en plus d’importance, ce qui a un effet publicitaire sur le conspirationnisme. De plus, le web apporte de nouveaux modes d’expressions aux partisans ou opposants de ces théories.
Nouveaux modes d’expression sur le web
Des modes d’expression classique aux modes de diffusion d’aujourd’hui : des modalités d’expression radicalement opposées
Alors qu’avant l’ère d’Internet les complotistes usaient plutôt du bouche-à-oreille pour diffuser de telles théories, elles sont aujourd’hui diffusées surtout via le web. Ici, Internet marque une rupture forte dans le type d’espace d’expression utilisé.
Internet, c’est un espace public qui permet à tous ses utilisateurs d’obtenir une audience potentielle énorme, mais aussi de participer au débat, de commenter un événement. Il permet aussi le partage de rich media, comme des vidéos (souvent sous forme de documentaires dans le cadre des théories du complot). En tant qu’espace d’expression libre, c’est la première plateforme permettant de relayer ces hypothèses, si bien que la presse traditionnelle s’y intéresse et “officialise“ le phénomène en rédigeant des billets à ce propos.
Les récits conspirationnistes revêtaient la forme de conversations et d’échanges informels dans un cercle restreint. Aujourd’hui, ils se diffusent de manière plus formelle et à une échelle potentielle quasi-planétaire.
Si Internet ne renouvelle pas vraiment les thèmes du conspirationnisme, il s’est en revanche accompagné d’une propagation inédite du conspirationnisme dans un espace public au sein duquel le débat a acquis une place importante. Le conspirationnisme se targue d’appartenir à un « contre-espace public », en assumant une rupture avec les médias traditionnels mais aussi avec les espaces publics plus classiques.
En accélérant la vitesse de propagation des informations, internet accélère de fait la diffusion des spéculations complotistes. C’est en particulier les réseaux sociaux qui favorisent la diffusion virale de ce type de contenu, en créant des bulles sociales.
Il peut être opportun d’étudier le phénomène de diffusion d’une rumeur sur le web, puisque les théories du complot se basent sur la viralité pour se diffuser. Le web peut être vu comme une véritable caisse de résonance de la rumeur. Le réseau permet en effet une diffusion facilitée, notamment grâce au fait que les informations sont stockées. L’utilisation toujours plus intensive de réseaux sociaux contribue également à faire s’enraciner les théories du complot.
La viralité : un temps de latence quasi-inexistant dans la diffusion de récits complotistes
Gérard Bronner montre que l’enracinement d’une théorie conspirationniste tient aussi à la forme de sa diffusion : un buzz. En effet, auparavant, les théories se diffusaient et perduraient autour d’événements à plus fort impact. Désormais, le moindre événement est le point de départ de théories proliférant à la manière d’un buzz.
Le temps de diffusion sociale est beaucoup plus court depuis l’arrivée d’Internet et surtout du web 2.0. Les réseaux sociaux sont souvent pris d’assaut par ces théories lors d’événements qui peuvent être remis en question. Comme le montre Gérard Bronner dans son étude, on voit nettement que le temps de latence entre l’événement et la diffusion du premier récit conspirationniste est de plus en plus réduit avec le temps. Ces récits apparaissent seulement quelques jours, voire quelques heures après les événements des actualités.
Tableau 1 : temps de latence entre la médiatisation d’un événement et
l’apparition des premiers récits complotistes, Gérard Bronner (2)
La viralité peut se définir comme un phénomène de concentration temporelle quasi-simultanée de l’attention collective des internautes sur certains contenus.
Le cycle de l’actualité et les stratégies des organismes de presse ont évolué avec les réseaux sociaux : les news se diffusent sous forme de vagues, pendant lesquelles il faut parvenir à concentrer un plus grand nombre d’attentions.
Cependant, si les théories perdurent ensuite dans le temps, c’est aussi parce qu’elles arrivent à captiver l’attention d’un internaute plus longtemps que le temps d’un buzz.
Szabo et Huberman (2008), ont comparé l’audience sur un site de signalement social Digg et sur une vidéo YouTube. Ils en arrivent au constat que la vidéo diffusée via YouTube continue d’engranger une audience dans le temps, tandis que le contenu sur Digg perd progressivement en audience. Sur YouTube, la fidélisation est plus importante, et l’audience se construit peu à peu autour d’un objet vidéo.
Ceci explique pourquoi il existe de nombreuses vidéos exposant les récits complotistes, dont la réalisation n’est pourtant pas à la portée de tous.
La gratuité est également un facteur qui favorise la diffusion de récits complotistes. En effet les coûts d’entrée sur le marché (diffuser un livre, écrire un article) étaient importants auparavant tandis qu’aujourd’hui Internet offre l’accès à un outil gratuit, permettant à celui qui est motivé de diffuser un contenu argumenté.
Internet permet de produire un récit gratuitement, simplement, qui a la capacité de rester stable dans le temps, favorisant de ce fait la mémorisation. Enfin, il rend les contenus disponibles et pérennes. En rendant également possible la mutualisation des arguments de la croyance, Internet devient une bibliothèque de savoir mais également de savoirs complotistes, qui ne sont plus oubliés dans le temps.
Le succès actuel de ces théories du complot peut également reposer sur les nouvelles possibilités d’engagement qu’offre le web 2.0, notamment via la possibilité de commenter, partager une information.
Le web et le numérique comme outils de persuasion
Les modalités d’expression sont différentes dans l’espace public numérique. On y voit une redéfinition des codes discursifs : aujourd’hui les utilisateurs qui partagent peuvent appuyer leurs dires sur une vidéo, une image, un texte ou en créant des liens avec d’autres contenus. Souvent lors de la présentation d’une théorie considérée comme complotiste, on voit l’usage soutenu d’images ou de vidéos. Les images sont bien souvent des montages (on s’en rend compte plus tard), les vidéos, créées par des médias “non officiels”. Le contenu est très rarement sourcé.
Tout ce contenu donne l’illusion d’une vérité qui éclate au grand jour, dont les partisans veulent croire en la véracité.
Création et valeur ajoutée de la preuve
Le numérique a radicalement changé la manière d’agir des complotistes puisqu’il leur a offert des outils gratuits, accessibles à tous, permettant de créer ou modifier une image ou une vidéo en créant un support quasi-professionnel, pouvant mettre en valeur un contenu propagandiste. Dans l’aide qu’il apporte à la falsification de contenus, le numérique joue un rôle important pour rendre les lecteurs crédules. Face à une image retravaillée avec une légende factice, le lecteur n’ayant pas forcément le temps ni les moyens de vérifier l’information peut y croire aisément. Auparavant les outils à disposition des complotistes ne permettaient pas de monter de toutes pièces des “preuves”.
Cela dit, même si de nombreux éléments sont falsifiés, pour être efficaces et remporter l’adhésion, ces théories doivent être fondées sur des éléments réels en s’appuyant sur un socle d’éléments vérifiables. La particularité du discours complotiste est de mélanger le vrai du faux. Les complotistes créent ce qu’on peut appeler des “mille-feuilles” argumentatifs : ils tirent leurs preuves de nombreux domaines scientifiques : biologie, histoire, géopolitique, physique etc. Le but étant encore de mélanger du vrai et du faux, et faire aux lecteur que de tous les arguments avancés, tout ne peut pas être faux.
De surcroît, la vérification de ces récits complotistes requiert de se pencher sur la question un certain temps, ce que tout le monde n’a pas la volonté ou la possibilité de faire.
Il est cependant facile pour les prédicateurs de ce genre de propos de se tirer de situations malaisantes. En effet, l’essence même du complot réside dans le fait qu’il ne peut pas être prouvé. Le complot immunise donc son discours contre tout critique, dans la mesure où il est impossible de prouver de manière catégorique que ce qu’il raconte est faux.
Administration de la preuve
Les preuves sont administrables de manière beaucoup plus aisée. La preuve peut être facilement imposée dans notre navigation : on voit de nombreuses images dans les commentaires, ou encore des vidéos diffusées en autoplay sur le fil d’actualité Facebook.
La mise en place de bulles de filtre est aussi une manière d’imposer un contenu à un lecteur dans la mesure où tous les liens connexes seront de la même veine. Si l’on prend l’exemple d’une navigation sur Youtube de vidéo en vidéo, on saute d’une vidéo à une autre et on reste dans le même cercle. Il est très difficile de sortir d’une bulle de filtre une fois qu’on est entré dedans.
Les théories prennent la forme de récits argumentés, étayés par des sources, des preuves.
Ce sont des récits très attrayants. C’est surtout après les attentats de Charlie Hedbo qu’on vu un fort taux d’adhésion de la part des citoyens français, et particulièrement chez les jeunes.
De nouvelles possibilités d’engagement via le web
Internet est perçu comme un catalyseur du débat, dans la mesure où il devient un espace commun, permettant à chacun de publier, partager, découvrir, s’informer. Il offre également des possibilités de désinhibition, en laissant l’utilisateur choisir son anonymat ou non.
Dans la mesure où Internet incarne l’utopie de la parole libre, et d’un idéal de démocratie participative, les acteurs du web ont tendance à entrer dans un processus de délibération permanente, de commentaire et de discussion.
Le web 2.0 laisse, à ceux qui souhaitent s’engager politiquement, de nouvelles formes d’action. Les internautes peuvent par exemple occuper des forums, des espaces de commentaires, ou encore être très présents sur les réseaux sociaux, sur lesquels il peut d’ailleurs être facile de créer des rapports de forces. Ces rapports de force permettent parfois d’influencer les lecteurs. Certains d’entre eux peuvent considérer le “vainqueur” comme celui qui a raison.
On retrouve des récits complotistes diffusés sur nombre de plateformes d’expression sur le web. La démultiplication des ces espaces d’expression potentielle permet l’engagement multifrontal des complotistes. Ils sont présents sur de nombreuses plateformes sociales : réseaux sociaux, blogs, site internet, forums. Parmi ces complotistes, il est possible de distinguer deux types de partisans : ceux qui en font un métier, et ceux qui sont “croyants”, les partisans.
Naissance d’écosystèmes professionnels
Maîtres à fausser
Certains utilisateurs lambdas au départ, en font comme leur métier. En passant un temps inconsidérable à relayer des informations complotistes, à créer des supports falsifiés, ils en font une activité principale. Il est possible d’identifier deux moyens de rentabilité : la publicité mise sur les sites ou la reconnaissance de leur “public”. Vivre du conspirationnisme peut désormais être possible, l’exemple de Thierry Meyssan le confirme.
Celui-ci est un faussaire parmi ceux à l’oeuvre sur le web, qui se détache particulièrement de la masse. Cet homme, qui a fait de complotiste son métier, est aujourd’hui établi à Damas, et utiliserait les revenus qu’il engendre grâce à ses livres et ses blogs pour le financement de régimes totalitaires et dissidents. En effet, ses publications ont désormais un écho international, tant chez ses partisans que chez ses opposants. L’effroyable imposture, son ouvrage publié en 2002, a été un véritable succès libraire. Sa publicité a été faite dans de nombreux médias étrangers, et la presse française l’a vivement critiqué. Cependant, cet essai a été traduit dans 25 langues et est considéré comme un best-seller du genre, en vendant environ 165000 exemplaires l’année de sa sortie.
On peut aussi prendre l’exemple de @tprincedelamour, Thomas Vannier, qui est un utilisateur très actif sur Twitter. Il diffuse très régulièrement des contenus falsifiés à caractère complotiste, en remettant en question les versions officielles.
Hommes politiques
Contrairement à des rumeurs banales qui n’ont pas de sources, ces récits complotistes sont mis en oeuvre par des internautes, des journalistes ou encore des acteurs politiques. Un des exemples les plus probants est celui de Jean-Marie Le Pen qui a déclaré que les attentats contre Charlie Hebdo portaient les marques du modus operandi des services secrets. Pour le prouver, il avance que les frères Kouachi ont effectué un trajet en voiture très particulier après leur attentat, qui représenterait les contours de la carte d’Israël. Il estime aussi que le fait de retrouver des documents d’identité des terroristes est un trop beau hasard pour être vrai. Il est également un fervent adepte aux théories du 11 septembre.
Dans le cas de Jean-Marie Le Pen, l’adhésion de l’opinion publique à ces théories est un fort enjeu politique. Par là, il fait valoir ses positions, et fait adhérer l’opinion en utilisant les rouages du complotisme. Il se justifie par là de son opinion politique, car les théories du complot restent des discours politiques, idéologiques, qui témoignent donc d’un point de vue.
Donald Trump, le nouveau président américain, a beaucoup joué de la diffusion de ces théories lors de sa campagne électorale, remportant l’adhésion de cette frange d’électeurs.
Médias alternatifs et blogosphère
On peut trouver sur le web de très nombreux sites diffusant des théories du complot. Ils se décrivent souvent comme des médias alternatifs, qui prétendent faire “ouvrir les yeux” à ceux qui le veulent bien. Se faisant passer pour des sites d’informations, on peut qualifier ce réseau de complosphère. Ce sont souvent ce sont des personnages médiatiques qui sont derrières ces sites. En les faisant communiquer les uns avec les autres par des liens, ils créent de cette manière une bulle de filtre et gardent les lecteurs dans leurs “griffes”.
En voici quelques exemples, pour ne citer qu’eux :
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- Réseau Voltaire est une association loi 1991 créée en 1997 et dissoute en France en 2007. Désormais installé au Liban, ce réseau fait la diffusion de nombreuses théories complotistes sous forme d’articles. Thierry Meyssan est à la tête de ce mouvement.
- Sputnik est un média d’information russe, considéré par les professionnels de l’information comme un outil de propagande, diffusant des théories similaires aux théories du complot. C’est l’agence de presse officielle de la Russie, créée à l’initiative de Poutine, qui a aussi nommé son directeur. Il diffuse des articles concernant d’actualité, en propageant dans le même temps de nombreuses fausses informations.
- Egalité et Réconciliation est une association politique initiée par Alain Soral en juin 2007. Soral est considéré comme essayiste et idéologue français. Ses positionnements politiques sont relativement brumeux du fait qu’il se réclame de gauche tout en étant très proche du FN. Egalité et Réconciliation est une association dont les personnages phare gravitent autour de l’extrême droite, comme Dieudonné ou encore Marc Georges.
De véritables entreprises naissent de ces théories complotistes. Tout un écosystème d’acteurs se cache derrière un nom de média ou de communauté.
Regroupement des “croyants”
Afin d’impliquer encore plus leur lectorat (c’est également fait dans le cas des médias traditionnels), les médias alternatifs, ou “non-alignés”, mettent en visibilité leurs articles sur des communautés Facebook. Ils usent de certaines techniques rédactionnelles afin d’attirer un maximum de commentaires et de lecteurs : titres aguicheurs, articles polémiques…
Ainsi ils peuvent réunir de larges audiences et favoriser le partage entre lecteurs. Le web social permet aux théories du complot de s’enraciner. Les fonctionnalités de partage, de commentaires, introduisent une notion de dialogue dans lequel les esprits naïfs ou non s’engagent. Les nombreux facteurs psychologiques et la satisfaction que procure ce processus de dévoilement encourage les lecteurs à éventuellement modifier leurs opinions et s’engager dans une communauté.
Les médias alternatifs postent du contenu quotidiennement, ce qui a pour effet de plonger leur audience dans les théories de manière quotidienne. Leur grille de lecture s’en voit modifiée et ils acquièrent des éléments de référence.
Egalité et Réconciliation | Wikistrike | Sputnik | ReOpen911 | Les moutons enragés |
155K | 24K | 1,100K | 34K | 44K |
Tableau 1 : nombre de j’aime sur les pages de
communautés Facebook tirées de médias alternatifs
De nombreux groupes sur Facebook sont également créés par des utilisateurs lambdas. On en retrouve un bon nombre autour du Réseau Voltaire, ou encore des groupes comme “On nous cache tout” (9000 j’aime). Ce dernier est, sur le web, un forum étudiant des sujets comme “les dessous du sport de haut niveau”, ou encore le “contrôle des populations” et les “conspirations”.
Sur Facebook, l’espace de commentaire est un lieu du débat et d’adhésion. La publicisation d’une opinion peut être faite par tout un chacun. Ce n’est pas un journaliste mais c’est un citoyen comme un autre qui s’exprime, ce qui favorise l’adhésion des lecteurs, qui peuvent retrouver une sensation d’appartenance.
La communication devient beaucoup moins difficile entre les lecteurs, la mise en relation est plus rapide car il n’y a pas besoin de créer de compte. Le degré d’implication est faible.
Selon Rudy Reichstadt, Internet nous confère un privilège d’extraterritorialité qui permet de s’improviser enquêteurs.
Stratégies sectaires
Avoir une forte présence sur le web permet aussi pour certains d’obtenir une légitimité.
Certaines personnes développent alors une forme de stratégie sectaire. Au delà de la présence d’un leader reconnu collectivement, un faible nombre de citoyens motivés peuvent influencer une minorité et devenir des leaders d’opinion dans des communautés restreintes.
Sur Twitter, on peut retrouver Thomas Vannier, alias @tprincedelamour, guide d’une petite communauté active. Il récolte 17,2k j’aime à lui tout seul. Avec une moyenne de 9 tweets par jour, il reste très fortement présent sur le réseau social. Ses tweets sont très souvent accompagnés de photomontages destinés à faire valoir ses opinions et sa mission : le “rassemblement des patriotes, pour une France retrouvée”.
On peut observer un phénomène de starification et d’idolâtrie des leaders d’opinion. Les lecteurs semblent les remercier “de leur avoir ouvert les yeux”.
On observe donc la formation de communautés autour d’un intérêt politique. L’élaboration de théories du complot émane d’un fantasme : mettre au clair ses idées, dégager la vérité de tout ces “mensonges”. Une volonté se dégage aussi des médias “non-alignés” : éduquer, inculquer.
Expérimentation et témoignage
Le 3 février 2017, une expérimentation témoigne bien des stratégies des complotistes pour faire adhérer au plus grand nombre à leurs théories.
“Le 3 février, j’ai aimé et retweeté un tweet de Louis Imbert, journaliste au Monde, spécialisé dans l’actualité de l’Iran et du Moyen-Orient (sujets très controversés aujourd’hui). Ce tweet diffusait un article de William Audureau :
Peu après (quelques heures maximum), je reçois une notification de Twitter m’indiquant que j’ai été cité dans un tweet de ReOpen911, compte avec lequel je n’ai aucun lien.
Les autres personnes citées avec moi sont ceux qui ont aimé le tweet de Louis Imbert, en exprimant implicitement être en accord avec lui.
Moi qui désire alors aller plus loin, je clique sur cet “exemple de fact-checking”, un lien me menant vers une vidéo Youtube.
“Ben Laden a-t-il vraiment revendiqué les attentats du 11 Septembre?” est une vidéo éditée par l’association ReOpen911 (5500 likes sur Youtube), et présentée comme un extrait du documentaire “Ben Laden, storytelling et démocratie”, lui-même également édité par ReOpen911. Dans cette vidéo de 2 minutes 56, dont la musique de fond est plutôt anxiogène, on entend une voix-off féminine exposer des preuves selon lesquelles Ben Laden n’a “joué aucun rôle dans les attentats du 11 septembre”.
Intriguée, je regarde jusqu’à la fin de la vidéo. Les noms de spécialistes présentés m’interpellent et je décide d’aller voir plus loin. Le Dr. Abdel El M. Husseini est présenté comme linguiste et spécialiste du Moyen-Orient. Il aurait effectué une enquête pour le magazine télévisé allemand Monitor. Si celui-ci existe bel et bien, il n’y a cependant aucun moyen de trouver la moindre trace des propos de cet homme. Lorsque je fais une recherche sur Google du nom de ce Dr., je trouve plusieurs liens vers des publications libraires, qui reprennent la citation de la vidéo. En premier lieu, je trouve l’ouvrage de Jim Marrs, The Terror Conspiracy : Deception, 9;11 and the Loss of Liberty. L’auteur est un adepte de la théorie du complot. Le deuxième ouvrage que je trouve est écrit par Eric D. Williams, The Puzzle of 911: An Investigation Into the Events of September 11, 2001, qui est également l’auteur de livres à fort penchants conspirationnistes. En revanche, aucun lien ne me prouve réellement l’existence de cet homme.
Je décide donc d’aller encore plus loin et de faire une capture écran du prétendu portrait du Dr. Abdel El M. Husseini. Je lance la recherche dans Google Images et ce que j’y trouve ensuite confirme mes doutes : aucun image n’est trouvée. La seule chose que je trouve est un article diffusé dans le site allemand Uebersetzer Portal, site mort depuis juillet 2008. Dans cet article on retrouve en allemand, mot pour mot, les citations diffusées dans la vidéo de ReOpen911.
J’effectue d’autres recherches sur les deux prochains noms cités : Bruce Lawrence et Gernot Rotter, qui ne s’avèrent pas plus concluantes que les précédentes.
Je me doute qu’il existe une communauté autour de cette association. En quelques clics, je parviens à trouver leur communauté sur Facebook, qui engrange 35k j’aime, et où des community managers publient quotidiennement des contenus d’actualité à tendance complotiste. J’y trouve des publications avec de nombreux commentaires, plutôt virulents. La communauté complotiste est donc active, quotidiennement, plus de 15 ans après les événements qui ont secoué la planète.
Ce parcours m’aura pris environ une trentaine de minutes, et tout autant d’onglets ouverts. Pour moi c’est clair, je suis face à un authentique récit complotiste, qui porte toutes les caractéristiques de ce genre d’énonciation. En vérifiant ce genre de contenu, je me suis lancée dans une bulle de filtre si intense qu’il est difficile de m’en sortir.
Après tout, qui va bien prendre la peine de vérifier tout ça ?”
Le conspirationnisme fonctionne comme un véritable réseau : entremêlement de sites, réseaux, communautés qui se citent entre eux. C’est la force de la complosphère.
Après les attentats de Charlie Hebdo, le gouvernement français a commencé à étudier sérieusement la question des théories du complot, estimant qu’elles ont, notamment, une grande incidence sur la cohésion sociale et sur les valeurs démocratiques actuelles.
Quelques moyens sont aujourd’hui mis en place pour amoindrir ces théories, notamment le fact-checking, qui devient une véritable valeur ajoutée du métier de journaliste.
Tout récemment mis en place, le Décodex commence à faire mouche sur le web et à acquérir de la notoriété (positive ou négative), sur les réseaux sociaux notamment.
Parmi les conseils que les Décodeurs prodiguent, l’équipe du Monde spécialisée dans le fact-checking, nous trouvons celui-ci : “prendre du recul et prendre le temps de vérifier les informations données dans les contenus multimédia”.
Sources
- Jean-Baptiste Soufron, « Le virus du conspirationnisme », Esprit, 11/2015 (Novembre), p. 31-50.
- Gérald Bronner, « Pourquoi les théories du complot se portent-elles si bien ?
L’exemple de Charlie Hebdo », Diogène 2015/1 (n° 249-250), p. 9-20. - Padis Marc-Olivier, « Le style paranoïaque à l’ère numérique », Esprit, 11/2015 (Novembre), p. 51-61.
- Nicolas Loïc, « Les théories du complot comme miroir du siècle. Entre rhétorique, sociologie et histoire des idées », Questions de communication, 1/2016 (n° 29), p. 307-325.
- Serfaty Viviane, « La persuasion à l’heure d’internet. Quelques aspects de la cyberpropagande », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 4/2003 (no 80), p. 123-131.
- Ledoux Aurélie, « Vidéos en ligne : la preuve par l’image ? L’exemple des théories conspirationnistes sur le 11-Septembre », Esprit, 3/2009 (Mars/avril), p. 95-106.
- Froissart Pascal, « Rumeurs sur Internet », Les cahiers de médiologie, 1/2002 (N° 13), p. 201-204.
- Kreis Emmanuel, « De la mobilisation contre les » théories du complot » après les attentats de Paris des 7 et 9 janvier 2015 », Diogène, 1/2015 (n° 249-250), p. 51-63.
- Bronner Gérald, « L’espace logique du conspirationnisme. Espaces logiques classiques », Esprit, 11/2015 (Novembre), p. 20-30.
- Giry Julien, « Le conspirationnisme. Archéologie et morphologie d’un mythe politique », Diogène, 1/2015 (n° 249-250), p. 40-50.
- Entretien avec Ledoux Aurélie, Propos recueillis par Padis Marc-Olivier, « Doute conspirationniste et regard critique », Esprit, 11/2015 (Novembre), p. 8-19.
- Madelin Henri, « Rumeurs et complots », Études, 11/2002 (Tome 397), p. 477-488.
- Lagrange Pierre, « Quels arguments opposer aux amateurs de conspirations ? », Mouvements, 5/2002 (no24), p. 113-119.
- Beauvisage Thomas, Beuscart Jean-Samuel, Couronné Thomas et Mellet Kevin, « Le succès sur Internet repose-t-il sur la contagion ? Une analyse des recherches sur la viralité », Tracés. Revue de Sciences humaines [En ligne], 21 | 2011
- Claudine Tiercelin – C.S. Peirce et le pragmatisme, Paris, Puf, 1993.
- Albertini Dominique, Bouchet-Petersen Jonathan, Rudy Reichstadt : une vision du monde de plus en plus paranoïaque, journal Libération, mars 2016
- Reichstadt Rudy, Conspirationnisme : un état des lieux, Fondation Jean-Jaurès, février 2015