Ahmed JDAINI
C’est en apercevant un discret QR code, gravé sur une pierre tombale d’un défunt inconnu, que m’est venue une première interrogation. Cette nouvelle épitaphe numérique, à scanner via son smartphone, qui nous donnait accès à un site internet contenant un album photos et des textes choisis par le défunt, allait-il changer durablement nos manières de visiter les tombes ? Le QR code n’est qu’une des formes que peuvent prendre ces liens entre le monde du numérique et le monde des morts. En effet, ces nouveaux usages sont d’une grande diversité, et n’ont de limite que l’imagination de leurs auteurs. Ils sont avant tout le témoignage d’un ensemble de pratiques qu’il s’agit d’interroger et dont on ne peut encore estimer avec précision la portée et la pérennité.
Une question en amenant une autre, je me suis demandé qu’est-ce qu’il advenait de nos données numériques après notre mort physique ? Dès lors, plusieurs axes de recherche étaient possibles. Ayant déjà par le passé approfondi certains d’entre eux, ce travail vient donc en compléter la réflexion. J’ai par exemple, observé la question de la mort et des data aux travers des réseaux sociaux numériques. Plus précisément encore, c’est à la gestion de l’identité du défunt par les proches, sur le réseau social Facebook, qui m’a le plus intéressé.
Nous nous tournons aujourd’hui vers d’autres perspectives. Il s’agit là de s’intéresser à la gestion des données numériques d’un défunt et des différents services payants y afférant. Quels impacts ces nouveaux services du secteur tertiaire auront sur notre rapport à la mort et au deuil ? Il s’agit aussi de s’interroger sur la nature de cette « propriété » numérique. Nous verrons nous léguer notre héritage et nos « biens » virtuels comme tout autres biens matériels ?
Avec le numérique, on a créé des nouvelles manières de faire dans le domaine de la mort. De nouvelles manières de gérer ses données, des manières qui ne sont pas encore fixées. Le degré de consolidation de ces pratiques est encore faible, c’est pourquoi il est intéressant de s’y pencher.
Il existe plusieurs enjeux autour de la question. Il semblerait déjà que tout reste à faire dans ce domaine, car comme le souligne MERZEAU:
« Peu nombreux sont ceux qui s’interrogent sur le traitement des informations post mortem » [1]
[1] MERZEAU LOUISE, « LES DONNÉES POST MORTEM », HERMÈS, LA REVUE 1/2009 (N°53), P.30-31
On traite souvent de la question de la datafication et de la digitalisation, mais la question du sort des données numériques et de leur traitement, après la mort d’un individu, n’est pas beaucoup interrogée. Or, cette question a le mérite d’être posée, dans notre société qui produit de plus en plus de data et dont la croissance d’utilisation du web n’est plus à démontrer.
D’un point de vue démographique, la question de la gestion des données numériques d’un individu décédé se posera inévitablement. Le temps passant, il y aura de plus en plus de données personnelles flottant sur le web.
Vladimir Jankélévitch, dans son ouvrage de 1966 intitulé « La Mort », va distinguer trois types de relations à la mort. Pour commencer « la mort à la première personne », celle du « je », il s’agit là de « ma » propre mort. Il y a ensuite « la mort à la seconde personne », celle du « tu », c’est la mort du proche. Enfin, il y a « la mort à la troisième personne », celle du « il », c’est la mort de l’anonyme ou de l’autre.
La pensée de Jankélévitch sera directement reprise par Fanny Georges et Virginie Julliard. Cette déclinaison va leur servir de base pour la catégorisation des formes que peuvent adopter les différents sites où l’on peut retrouver des références à la mort biologique sur le web.
Dans leurs analyses, elles tentent donc de regrouper les sites en trois catégories distinctes que nous développerons par la suite :
JE | « Mort à la première personne » | Créé par l’individu et/ou pour l’individu – Services (tertiaire) |
TU | « Mort à la seconde personne » | La mort du proche – Présent sur les réseaux sociaux numériques |
IL | « Mort à la troisième personne » | Site correspondant aux cyber-cimetières des années 90 calquant le réel |
C’est cette catégorie du « JE » qui attira toute notre attention et qui sera l’objet précis de notre recherche. L’apparition sur le web de ces services est relativement nouvelle. De nombreuses start-ups se lancent et ont pour objectif de disrupter la mort. Vérifier si un marché de la mort numérique existe bel et bien pour ces entreprises, nous donnera déjà un premier élément de réponse.
Après une première fouille du web, à la manière d’un potentiel client, il s’agira de sélectionner un panel d’offres – celles qui sont les mieux référencés – et de les analyser. Ce travail préalable nous permettra de construire notre questionnaire. Il s’agira de recueillir des données sur les offres pour interroger les individus. Il se pourrait que nous ayons besoin de compléter ces offres, par d’autres plus hypothétiques. Les sites web pour certains futurs services n’existant pas encore ou étant qu’au simple stade de prototype.
Nous nous intéressons ici principalement aux jeunes. Le profil type du répondant est un jeune de 13 ans à 25 ans – bien vivant – initié aux pratiques numériques. Nous espérons rendre compte de la pénétration (ou possible pénétration) de ces nouvelles pratiques de gestion de la mort dans l’imaginaire de ces jeunes connectés. Les raisons qui nous ont poussé à se tourner vers cette population a été double. Premièrement, nous faisons l’hypothèse que cette partie de la population à plus de probabilité de produire de la donnée numérique et aura aussi plus de “facilité” à se projeter dans cette hypothétique gestion de la donnée. Mais il s’agit surtout du coeur de cible de ces services marchands. S’agissant du mode de diffusion, ce questionnaire sera partagé sur les réseaux sociaux numériques Facebook et Twitter, en auto-administrées.
Au travers de ce questionnaire, nous espérons mesurer l’impact de ces nouveaux services. Sont-ils bien accueillis ? Seront-ils utilisés ? Nous demandons ici aux interrogés de se projeter dans le futur. C’est une manière selon nous de mesurer l’impact sur nos futurs rapports à la mort. Nous tirerons profit de ce questionnaire pour comprendre les perceptions que les individus ont de cette « propriété » numérique. La data est-elle une propriété que l’on léguera comme on peut léguer des objets divers et variés ?
Il aurait été pertinent de coupler cela avec des entretiens semi-directif, ou libre avec des personnes tirées au hasard dans le corpus de répondant. Or il fut difficile de les contacter et d’avoir un témoignage sur le sujet en dehors de la plateforme numérique.
Dans une première partie plutôt théorique, nous débuterons l’analyse par un rappel de nos choix de manière succincte, en s’appuyant notamment sur le travail de JANKÉLÉVITCH et de Fanny GEORGES. Dans une seconde partie, nous nous tiendrons à une description exhaustive des services proposés. Enfin, dans une troisième partie, nous nous analyserons les matériaux recueillis précédemment et tenterons d’apporter quelques éléments de réponses à notre questionnement de départ.
I – Les fondements théoriques de notre analyse
Il y a deux auteurs centraux qui nous ont guidé tout au long de ce travail de recherche. Vladimir JANKELEVITCH avec son ouvrage de 1966 intitulé «La mort». Ainsi que Fanny GEORGES, nous pensons notamment à son très bon article: « Post mortem digital identities and new memorial uses of Facebook: Analysing the memorial page creators’ identity ».
- Valdimir JANKELEVITCH : au fondement de l’analyse de la mort numérisée
Vladimir JANKELEVITCH va distinguer trois types de relations à la mort. Premièrement « la mort à la première personne » il s’agit là de « ma » propre mort, la mienne, c’est une relation subjective à l’objet. Arrive ensuite « la mort à la seconde personne », c’est la mort du proche. Enfin, « la mort à la troisième personne », c’est la mort anonyme ou abstraite mais surtout impersonnelle. JANKELEVITCH a directement inspiré Philippe ARIES mais aussi Michel VOVELLE, et Louis-Vincent THOMAS. Il sera aussi et surtout repris par Fanny GEORGES et Virginie JULLIARD. Cette déclinaison va leur servir de socle pour la catégorisation des formes que peuvent prendre la mort sur le web. Nous nous inscrivons dans la continuité en utilisant nous aussi ces catégories.
2. Georges FANNY et virginie JULLIARD : prolongement et application de l’analyse de JANKELEVITCH
Je meurs…
Cette catégorie de sites web s’appuie sur la notion de « mort à la première personne » développée précédemment. Il s’agit de sites de service, qui moyennant finance vous propose de gérer votre mort. La particularité est que l’individu agit ici de son vivant.
Nous distinguons trois types de sites qui appartiennent à cette catégorie. Il y a d’abord ceux qui calquent un service déjà existant hors du web et qui le numérise. C’est le cas par exemple des sites qui propose de rédiger nos dernières volontés numériques avec des testaments digitaux (souvent moins cher). C’est aussi le cas pour des sites comme Laviedapres.com qui nous propose, en confiant à un notaire traditionnel nos identifiants, leurs gestions post-mortem. Ces services externalisés semblent mettre l’accent sur l’aspect sécuritaire de nos données. Ces services qui portent souvent le nom de “coffres-forts numériques” restent aujourd’hui assez peu utilisés. Néanmoins, on estime qu’ils se mettront en place d’ici 20 à 30 ans de manière plus massive.
Il y a ceux qui proposent des services qui s’appuyent sur nos pratiques numériques courantes (surf, interaction de type like ou commentaires, etc.). Certains proposent par exemple, de se créer des sites/pages avec espaces mémorielles/commentaires pour les proches, pour qu’ils puissent se recueillir – on souhaite répond ici aux contraintes des familles éloignés géographiquement . Il existe aussi les services d’envoi du « dernier message ». Il s’agirait de rédiger à l’avance des messages pour les envoyer une fois l’individu décédé.
Enfin, il y a ceux qui proposent des expériences radicalement nouvelles, proches d’un imaginaire futuriste. On mêle souvent ici intelligence artificiel et machine learning.
Il ne serait pas surprenant de voir que les grands les géants du web, qui disposent de la data dans leurs serveurs, s’emparent du marché et crée un monopole de la gestion des données post-mortem.
… Tu meurs …
Cette catégorie s’appuie sur la notion de « mort à la seconde personne ». Il s’agit essentiellement des pratiques sur les réseaux de sociabilité numérique, sur lesquelles ont a vu apparaitre des discours autour de la mort des proches – il s’agit bien là de s’occuper de la mort du proche au sens large. Fanny GEORGES y inclut aussi paradoxalement certaines célébrités dont l’individu peut se sentir très proche. La particularité ici est que les individus agissent publiquement au sein de leur cercle de connaissances et le font en finalité de manière collective. On se rapproche ici de la notion de web en clair-obscur, développé par Dominique CARDON.
On se base ici essentiellement sur les usages de Facebook (US) – même si Fanny GEORGES s’est intéressée plus récemment à des terrains en Chine, comme avec le réseau social Weibo. Les pratiques observées et étudiées vont de l’annonce de la mort d’un proche, à l’hommage au défunt en passant par la recomposition de l’identité numérique. Nous pouvons prendre l’exemple d’une personne qui va annoncer, sous la forme d’un faire-part, le décès d’un proche sur sa page de profil. Une première interrogation nous était venu à l’esprit et portait sur le fait de savoir si les usages numériques reprennaient les usages « hors ligne ». Il semblerait que nous pouvions y répondre par l’affirmative la plupart du temps. Fanny GEORGES et Virginie JULLIARD ont fait ressortir un schéma type du processus de l’annonce de la mort sur ce réseau social.
Ce modèle reste général et ce qu’on a pu observer le respecté globalement. Ce dernier débute par l’annonce des funérailles de manière totalement factuelle. Par la suite, les proches (ou supposés proches – il est toujours difficile de savoir qui parle et quel est le lien qui l’unit au défunt ou à l’auteur de la page) peuvent rendre compte de leurs émotions. Le plus souvent par des formules classiques. Ces formules, qui apparaissent au tout début, juste après le décès du défunt, laissent place après un laps de temps plus ou moins long (de l’ordre de quelques jours à quelques mois), à l’expression d’émotions d’un type plus personnel. Les proches peuvent parfois s’adresser directement au défunt avec l’utilisation de la seconde personne. C’est un fait très marquant qui a été relevé à la fois dans les études américaines et françaises. C’est une perception du défunt comme s’il était toujours vivant. Les émotions sont personnelles mais partagées durablement et surtout publiquement.
Cette annonce peut aussi prendre la forme de pages ad hoc dépourvues d’interactions passées. Le proche crée des pages mémorielles en détournant les trois types de pages réalisables sur Facebook (« People », « Groups » ou « Pages »). Notons que la transformation de sa page en page mémorielle officielle (forme particulière) semble avoir été possible qu’en outre-mer dans un premier temps.
Au-delà de la simple annonce, d’autres types de post peuvent exister. Ainsi dans certaines de ces pages il est possible d’observer le partage d’articles de presse ou de documents officiels autour de la cause de la mort des individus (le plus souvent en cas de meurtre ou d’attentat), cela a tendance à relancer les débats et les expressions d’émotions dans les espaces commentaires.
… Il meurt.
Cette catégorie s’appuie sur la notion de « mort à la troisième personne ». Il s’agit essentiellement des sites des années 90’, sur lesquelles on a vu apparaitre des hommages aux victimes de guerre, célébrités – il s’agit bien là de s’occuper de la mort de l’autre. La particularité est que ces sites ont été créés après la mort de l’individu auxquel on a rendu hommage, en mimant dans la forme le réel tel que cyber cimetières numériques, où l’on rendait hommage au défunt dans des environnements qui étaient calqués sur des cimetières traditionnels. On retrouve le nom, le prénom et la date de naissance et de décès ainsi qu’un livre d’or. Il en existe de moins en moins.
II – Paysage de l’offre de service
Voici trois exemples de services disponibles sur le web qui ont servi à la construction de notre questionnaire. Ils reprennent la distinction que l’on a faite précédemment dans la catégorie des sites liées à la « mort à la première personne ».
Ceux qui copient de l’existant…
Testamento, propose principalement de rédiger un testament en ligne. Il sera confié à un notaire traditionnel. Ainsi, les identifiants des individus et leurs gestions post-mortem seront garanti. Ici, on est très proche de ce qui peut se faire hors du web.
Les nouveautés softs…
Digital Legacys, propose le cercueil connecté. Le principe est simple, un QR code est placé sur la stèle, en le flashant avec leurs smartphones, les proches du défunt, ont accès à un site web créé par le défunt. Il est possible de mettre des commentaires, regarder les photos et vidéos choisies ainsi que des récits de vies.On mélange ici deux technologies déjà existantes (site web et QRcode). On reste proches des pratiques quotidiennement des internautes. Site web, commentaire, consommation de photo et vidéo en ligne, etc.
Encore plus proche de ces pratiques, Elysway s’annonce comme le réseau social des défunts. A la manière d’une Facebook, il propose un « lieu de mémoire numérique » pour que les proches puissent partager ensemble leurs souvenirs ou leurs photos. Il est aussi possible de laisser des messages sur le mur du défunt. Le like a été remplacé par un « je compatis ».
Les propositions futuriste…
Nous ne sommes ici pas loin de l’un des scénarios de Black Mirror , une série d’anticipation britannique. Eugenia Kuyda, une programmeuse, à créer un chatbot imitant le comportement d’un ami décédé. C’est à partir de milliers de messages, SMS ou e-mails qu’il avait pu écrire qu’elle programmer un bot. Un avatar capable de parler comme lui, de reproduire ses expressions. On mêle ici intelligence artificielle et deep learning. Aujourd’hui, avec son service Replika, elle propose un chatbot qui apprendre de notre manière de parler. Ces services nous interroge sur les nouvelles pratiques de spiritisme à l’âge du numérique.
III – Sondage et typologie des retours
“Il s’agit là de s’intéresser à la gestion des données numériques d’un défunt et des différents services payants y afférant. Quels impacts ces nouveaux services du secteur tertiaire auront sur notre rapport à la mort et au deuil ? Il s’agit aussi de s’interroger sur la nature de cette « propriété » numérique. Nous verrons nous léguer notre héritage et nos « biens » virtuels comme tout autre bien ?” – Questionnement principal
Le questionnaire s’articule en trois axes. Une première partie cherche à définir avec plus de précision le profil socio-démographique du répondant : statut professionnel, âge, sexe, niveau d’usage du numérique et niveau de conscience/intérêt autour de la question des données numériques. La seconde partie cherche à mesurer l’attrait autour des trois types d’offres que l’on a défini auparavant. Nous avons donné, trois exemples dans le questionnaire qui reflètent chacun un type d’offre bien déterminé (Type 1 : Copie / Type 2 : Soft / Type 3 : Futuriste). On s’appuie ici sur la capacité de projection des individus, ce qui n’est pas sans poser des questions méthodologiques. Enfin, la troisième partie cherche à interroger les individus autour de la notion de propriété numérique et de legs de la donnée.
Au terme de notre recherche, nous avons recueilli 47 réponses au questionnaire. Les résultats de l’étude étant tributaire de ce chiffre, il est difficile pour nous d’affirmer avec conviction que nos résultats d’analyses sont pertinents. Il mériterait un approfondissement en doublant ou triplant le nombre de réponses au questionnaire. Néanmoins, cela nous donne un début de tendance. Les résultats étant de manière générale très polarisés. Quels sont donc ces fameux retours ?
A – Le profil du répondant :
La population des répondants est composée de 19 individus de sexe masculin et de 28 individus de sexe féminin. Soit environ 59 % de femmes pour 41% d’hommes (voir figure ci-dessous). La moyenne d’âge tourne autour de 20 ans et demi. La médiane est de 21 ans. Il s’agit en grande majorité d’étudiants ou de jeune diplômée. Les plus jeunes étant des collégiens et/ou collégiennes.
La très grande majorité des répondants estime avoir un niveau élevé de production de données numériques (données web produites, présence sur le web, traces, etc.). Sur une échelle de 0 à 10, on arrive à une moyenne de 8. Ils ont conscience des traces qu’ils produisent. On vérifie par la même, que ce sont des jeunes dits “connectés”.
B – Les offres :
EXEMPLE D’OFFRE CONCRET, SELON LE TYPE :
TYPE 1 : Testamento – un testament numérique
La société propose de préparer un testament en ligne. Ensuite, il sera confié à un notaire traditionnel.
TYPE 2 : Digital Legacys – identité numérique
Les proches du défunt ont accès à un site web créé par le défunt. Ainsi, on peut proposer un cercueil “connecté”. Un QR code est placé sur la stèle, en le flashant avec leurs smartphones, les individus ont accès au contenu du site en question.
TYPE3 : Replika – chatbot
On mêle ici intelligence artificielle et deep learning. À partir de milliers de messages, SMS ou e-mails appartenant à un individu, on recrée un avatar (bot) capable de reproduire tes expressions langagière de la personne.
Concernant les offres qui copient les choses existantes (Type 1) – en apportant une légère couche de numérique – comme Testamento, l’avis est plus partagé que pour les autres offres. Il reste néanmoins globalement positif. Sept personnes sur dix disent se voir l’utiliser ou possiblement l’utiliser dans le futur.
L’avis est plus tranché pour les deux autres offres. Les offres que l’on qualifie de soft (Type 2), comme celles de Digital Legacys, sont majoritairement rejetées. 80 % des répondants disent qu’il ne l’utiliserons pas. Les propositions définis comme futuriste (Type 3), comme celles de Replika , sont eux aussi majoritairement rejeté. Environ trois quarts des répondants ne se voient pas utiliser ce type de service (“Ca va trop loin dans le délire”). On note que le pourcentage de refus catégorique est moins élevé que pour les services de Type 2. En effet, comparativement, on observe un taux plus élevé de réponse positive (“possiblement” et “oui”) pour les services de Type 3. Cela peut s’expliquer par un phénomène de curiosité. Les propositions futuristes, sont plus à même de générer de la curiosité, car elles sont dans la radicalité innovante, mais surtout, elle font appel à un imaginaire progressiste connoté positivement.
In fine, on peut dire globalement que les répondants restent plutôt “conservateurs” dans leurs choix. Le terme conservateur ici n’a pas de connotation positive ou négative. Il marque seulement une différence avec les deux autres types d’offres.
C – La propriété et le legs :
La majorité des répondants n’ont pas le sentiment que la data leur appartient en exclusivité. En effet, la moitié des répondants disent ne pas avoir le sentiment que les données qu’ils produisent leur appartiennent du tout et 50 % soulignent que cette appartenance est double (partagé entre eux et l’hébergeur).
Néanmoins, concernant le legs de données environ la moitié disent vouloir que leurs proches héritent de la donnée. L’autre moitié refusant totalement ce legs ( “Non, je veux que tout soit effacé à ma mort.”).
Parmi ceux qui souhaitent léguer, il y a deux raisons principales qui en ressort. La première est économique (environ 80 % de ceux qui disent oui). La seconde est pragmatique et liée à la gestion de l’identité numérique, surtout celle des réseaux sociaux. On répond donc bien à deux types de besoin. Des besoins purement économiques liée à la gestion de nos portefeuilles de monnaie cryptographique de type Bitcoin ou autre (“mon argent numérique”, “mon compte paypal”) et des besoins plus pratiques liés à la gestion de l’identité numérique (“pour qu’il puisse les gérer et effacer ce qu’ils veulent”). Nous pouvons raccrocher ces deux types d’actions à la notion wébérienne de l’action rationnelle en finalité.
Un cas a été posé au répondant, (“imagine si tu avais accès à la page Facebook ou au Twitter de tes arrières grands-parents.”). Si nous devions faire de l’analyse de sentiment, nous dirons que l’avis est plutôt défavorable (“ca ne me plairait pas”, “négatif”, “difficile à vivre”, “malsain”, “trop privé”).
“C’est des trucs de jeunesse, pas obligé de tout voir dans le détail, avant c’était pareil, mais ca laissait pas de traces ”
Certains restent néanmoins curieux de la chose (“intéressant”, “plairait peut-être”).
Il est intéressant de voir que la question de l’héritage se pose en terme de “construction”. On a la volonté de choisir/filtrer ce qu’on lègue : “J’aurais pas aimé voir le facebook de mon grand-père, on doit choisir ce qu’on va léguer, construire un imaginaire pour les descendants. Symboliquement, il m’avait donné ca montre pour que je la transmet à mon tour.”.
Dans les remarques libres, beaucoup disent ne s’être jamais posé la question avant ce questionnaire. Ce qui est en soi une source d’information supplémentaire à prendre en compte dans l’analyse des résultats.
Conclusion
Nous sommes dans une époque où l’on voit se générer de plus en plus de données numériques. Ces traces numériques sont très volumineuses en nombre, mais ne contiennent qu’une faible densité d’informations directement exploitables ou porteuses de sens.
En s’interrogeant sur le lien entre le monde numérique et le monde des morts, ce travail essaye de comprendre les nouveaux usages qui sont faits, mais aussi les transformations socio-culturelles qui en découlent.
Une influence sur l’expérience du deuil est très certainement probable. S’agissant des services en lignes, seul l’avenir nous diras s’ils seront persistants ou éphémères.
Néanmoins avec cette première petite étude, nous pouvons dessiner une tendance. À première vue, les services de mort 2.0 qui fonctionne le mieux, sont ceux qui ne se distingue pas réellement des pratique hors lignes. Les services qui recherchent la rupture ou qui sont dans la radicalité sont moins porteurs selon les avis recueillis.
Il est important de noter qu’aucune réelle garantie de pérennité ne peut être donnée par ces entreprises, malgrès le discours implicite. En effet, une autre interrogation porte sur la durabilité de ces données. Les archives numériques sont-elles impérissables ? Guillaume Rashia est de ceux qui doutent de cette pérennité. Il soulève plusieurs problèmes à résoudre si l’on veut rendre pérenne cette information. En commençant par l’obsolescence et la dégradation des supports : optique pour le CD, magnetique, flash pour le SSD etc. Leurs durées de vie sont faibles, elle est estimée à 10 ans. Le second problème concerne le matériel ou le dispositif de lecture qui est lui aussi est obsolescent. On peut aussi parler de l’outil logiciel pour extraire et comprendre l’information – recomposer un document dans le format adéquat. On peut prendre l’exemple de documents Word d’il y a 15 ans qui ne sont plus compatibles aujourd’hui.
Néanmoins, au-delà de ces défis technologique, la question reste ouverte. Qu’adviendra-t-il de nos données numériques après notre mort ?
Bibliographie
ARIES Philippe, L’Homme devant la mort, Paris, Le Seuil, 1977.
GEORGES Fanny, Post mortem digital identities and new memorial uses of Facebook: Analysing the memorial page creators’ identity, 2014, pp.82-93
MERZEAU Louise, « Les données post mortem », Hermès, La Revue 1/2009 (n°53), p.30-31
THOMAS Louis-Vincent, Anthropologie de la mort, Paris, Payot, 1975.
VOVELLE Michel, La Mort et l’Occident, De 1300 à nos jours, Gallimard, coll. Bibliothèque des Histoires, 2000.
Annexes
Lien du Google Form : https://goo.gl/forms/LszOdrYS6DTnvC983