LES MONDES NUMERIQUES

Blog des Masters en Sciences Sociales de l'Université Gustave Eiffel

La place nouvelle, de l’image et de la photographie dans un monde du Web 2.0 : L’exemple de Snapchat

TALANDIER Dimitri et MICALAUDIE Sébastien

 

La photographie numérique, le Web 2.0 et l’émergence des smartphones ont modifiés nos habitudes en matière d’usage et production de l’image. Dans ce registre, André Gunthert parle de la l’image conversationnelle. L’image conversationnelle est selon Gunthert une image qui est partagée par les individus et autour de laquelle on va échanger et discuter. Le Web 2.0 et l’image conversationnelle ont conduit à la naissance de plusieurs applications destinées à ces nouveaux usages de l’image tels que Instagram, Twitter ou encore celle qui va nous intéresser : Snapchat.

Snapchat est une application de partage de photos et de vidéos disponible sur plateformes mobile de type iOS et Android. Elle est conçue et développée par des étudiants de l’université de Stanford en Californie. La particularité de cette application est l’existence d’une limite de temps de visualisation du média envoyé à ses destinataires. Chaque photographie ou vidéo envoyée ne peut être visionnée que durant une période de temps allant d’une à dix secondes. Avec cette limite de temps l’image devient alors éphémère, ce qui amène cette question : Quelles-sont les particularités et changement apportés par cette éphémérité de l’image ? Pour essayer de répondre à cette question nous allons montrer dans une première partie quels sont les images échangées par les usagers de Snapchat, puis dans une seconde partie nous verrons comment certains médias se sont accaparés du concept de Snapchat afin d’en faire une vitrine publicitaire. Enfin dans une troisième et dernière partie nous vérifierons si le concept de Snapchat est synonyme de la fin de la photographie populaire traditionnelle au sens du sociologue Pierre Bourdieu.

Les images échangées sur Snapchat

Comme nous l’avons expliqué en introduction, Snapchat est une application de partage d’images et de courte vidéos ne dépassant pas dix secondes. Snapchat doit être alors compris comme une application se reposant sur l’idée de l’image conversationnelle d’André Gunthert.

L’image conversationnelle c’est selon André Gunthert lorsque la photographie trouve son utilité sociale dans la conversation, c’est le fait de partager des images et d’attendre que les utilisateurs discutent autour de celle-ci.

Snapchat étant pensé pour être une vitrine de l’image conversationnelle, il est intéressant de voir quels sont les type d’images que l’on échange sur ce réseau. Mais avant de faire une typologie de ces images il convient d’abord de préciser qu’il existe plusieurs fonctionnalités à l’application. Effectivement il est possible d’échanger ses images et vidéos directement avec d’autres utilisateurs, en sachant que ses images n’ont une durée de vie que de dix secondes maximum. On peut également les partager sur sa « story » qui est une juxtaposition de plusieurs photos/vidéos. Une « story » peut être vue autant de fois que l’utilisateur le souhaite mais chaque élément de la story possède une durée de vie de 24 heures. Il faut savoir que les images et vidéos échangées peuvent être retouchées par l’utilisateur grâce à des outils intégrés dans l’application.

On a donc vu que sur Snapchat on peut échanger des images soit via la story, soit directement en l’envoyant à un autre utilisateur. Il faut savoir que ces images peuvent être commentés, et qu’il y a depuis 2014 une option “chat” qui  permet aux utilisateurs d’échanger à propos de leurs images. On va désormais voir quels types d’image on échange sur Snapchat.

Il y a d’abord le selfie, ou ce que l’on peut appeler l’autoportrait photographique. Généralement réalisé avec un appareil photo numérique, un Smartphone ou un photophone,  il est ensuite souvent échangé et partagé sur les réseaux sociaux.

 

Mephane Kevin. Newyorkais. Noisiel. Janvier 2017.

On trouve également énormément de photographies culinaires de plats cuisinés (ou pas) par les utilisateurs. Ces publications ne sont pas destiné à la publicité et ne sont pas le fait de professionnels. Elles sont uniquement échangées dans le but d’être commentés et discutés.

Karani Zaïd. Sans titre. Février 2016.

Les utilisateurs de l’application se servent également de celle-ci afin d’échanger des images d’événements particuliers tels que des mariages ou des vacances.

LAIREDJ Nouredine. Sans titre. Phuket. Février 2017.

Mais sur Snapchat on trouve aussi des photographies qui ne peuvent être rangées dans aucune catégorie et qui sont partagées uniquement dans le but d’être discutés.

À travers toutes ces images qui circulent sur l’application ; il faut comprendre que Snapchat est un réseau social qui fonctionne sur le principe de « picture chatting », plutôt que sur celui du « text-messaging ». Snapchat est donc une application qui comme l’a expliqué André Gunthert privilégie l’usage social de la photographie plutôt que son contenu. Effectivement avec Snapchat on ne cherche pas à réaliser des photographies artistiques (dans lesquelles l’esthétique est l’aspect le plus important), mais plutôt se servir de l’image pour que cette dernière remplace nos mots dans une conversation. Snapchat cherche donc à faire parler l’image.

Snapchat comme vitrine publicitaire

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il convient de s’intéresser à une notion importante, à savoir le “buzz”. Le buzz est un terme anglophone qui est utilisé dans les métiers de la sonorisation, il signifie un bourdonnement ou encore un bruit de fond. Sur internet, on qualifie de buzz un contenu, une vidéo qui devient viral par exemple, consultée par un grand nombre de personnes sur une courte durée. Le terme est aujourd’hui repris dans la presse pour désigner plus largement les bruits, les scandales, les sujets dont on parle. Le buzz, c’est  donc comme l’explique Simon Le Bayon dans sa thèse : Sociologie de la composition des collectifs web 2.0 : le cas de la diaspora bretonne un bruit médiatique qui à aussi comme particularité le fait de se diffuser par viralité, c’est à dire que comme pour un virus, le bruit médiatique se diffuse au gré des échanges. Sur internet cet aspect viral  est bien présent de par les fonctions de mail, de vote, de tag, de recommandation ou bien de commentaire, qui sont autant de fonctions d’amplification de la communication. De plus, les plateformes web disposent d’outils pour mesurer l’audience avec les nombres de vues sur Youtube par exemple our Google analytics et cette capacité de calcul permet d’évaluer et donc d’amplifier encore ce bruit. Adapté au marketing, ce bruit médiatique devient une technique volontaire par laquelle un annonceur tente de faire circuler un message par des canaux alternatifs. Alors que le buzz internet est d’abord un contenu réalisé par des amateurs et qui rencontre un succès imprévu, on voit de plus en plus aujourd’hui des professionnels de la communication qui essaient d’en copier les recettes. La recherche du buzz est devenue  un aspect marketing, et de communication appellé le marketing viral. Les entreprises cherchent par différents moyens d’obtenir un buzz comme Volvo avec sa publicité avec Jean Claude Van Damme faisant le grand écart entre deux camions en 2013, faisant plus de 85 millions de vue au 23 janvier 2017.  Il faut également savoir que le bruit médiatique porte sur la nouveauté, c’est-à-dire qu’un buzz dure jusqu’à ce qu’un autre prenne sa place.

L’application Snapchat fait parti de ces plateformes qui se sont grandement développées à l’ère du web 2.0 et que l’on appelle communément réseaux sociaux. Les plateformes de réseaux sociaux intègrent dans leur construction même le principe de viralité. En effet, si l’on regarde une plateforme comme Facebook, qui s’impose actuellement comme modèle du genre, on se rend compte que la plateforme vise à multiplier les modalités d’interactions entre personnes. Un message, une vidéo ou un lien posté sur un profil deviennent visible par les contacts directs de celui qui poste.  Snapchat comme Facebook est un réseau social qui repose sur le principe de viralité ; on échanges des images, des vidéos et des messages avec les personnes qui constituent nos contacts. Il s’agit donc d’une des plateformes privilégiées pour créer le « buzz » et c’est pour cela que des professionnels de l’information et de la publicité ont décidés de s’associer à Snapchat.

En effet, depuis le 27 janvier 2015, Snapchat a ajouté une nouvelle fonctionnalité à son application : il s’agit de l’espace “Discover”. Discover est conçu comme une plateforme hébergeant des chaînes propres pour un nombre limité d’éditeurs de presse. Snapchat a donc sélectionné plusieurs partenaires tel que MTV, CNN et National Geographic. Ces différents partenaires  alimentent leurs chaînes avec des contenus exclusifs. Ces contenus ont la particularité de respecter les codes de Snapchat notamment la tonalité (ludique, infotainment) mais aussi la grammaire (vidéos verticales, importance des images, animation). Ils sont aussi éphémères et disponibles seulement 24 heures avant d’être remplacés. L’espace Discover présent sur Snapchat permet donc à des professionnels de s’accaparer une pratique, un usage de l’image populaire et d’ainsi faire la promotion de leurs propres produits.

Il existe également l’espace live sur Snapchat qui permet au utilisateurs de réaliser une “Story collaborative” autour d’un évènement, d’une ville ou bien même d’une région. Avec le ”live”, l’usager de Snapchat devient plus que jamais un journaliste du quotidien car les images et les vidéos prisent pour être échangées sur le live sont diffusées partout dans le monde et peuvent être observées par tous les utilisateurs de l’application. Snapchat et le live permet donc à ses usagers de devenir des producteurs de l’information.

Les fonctionnalités « Discovers » et « live » font échos avec la notion de « buzz » vue précédemment car l’on retrouve les caractéristiques essentiel du bruit médiatique à savoir diffuser une information de manière viral et dont on entend parler pendant une période courte afin d’être rapidement remplacée par un autre « buzz ».

On voit avec l’image ci dessous du « live de Snapchat » qui portrait un événement sportif (un match de basketball opposant les Lakers de Los Angeles aux Cavaliers de Cleaveland), que l’utilisateur peut devenir un producteur de l’information car la photo est prise par un spectateur présent dans les tribunes. Comme pour Adam Stacey et sa photo des attentats du métro de Londres en 2005, l’utilisateur de Snapchat prend la place du journaliste sportif car il diffuse une image en direct de l’évènement. Il nous donne des indications sur le score et commente même l’action à travers la phrase « KOBBE AGAINST LEBRON ». Par l’utilisation de Snapchat, se crée un échange entre utilisateur et permet de lancer une diffusion publique par l’intermédiaire des stories.

Anonyme. Sans titre. Live Snapchat Cavaliers vs Lakers. Février 2016.

La fin de la photographie traditionnelle

Peut on parler de photographie traditionnelle à une époque où celle-ci est devenue conversationnelle, éphémère et ultra connectée ?

Pour répondre à cette question il faut d’abord définir ce qu’était la photographie populaire et traditionnelle avant l’arrivée du Web 2.0 et l’avènement de la photographie numérique. Pierre Bourdieu a travaillé  sur cette question dans son ouvrage Un art moyen : Essai sur les usages sociaux de la photographie. 

Dans son ouvrage Bourdieu nous explique que dans les milieux populaires où la photographie est au départ très cher avant de se démocratiser, la photographie est avant tout une pièce unique. Le plus souvent, les photographies représentent des moments collectifs et rares (mariage, naissance, réunion de famille etc.). Cela va changer avec la première guerre mondiale, les familles vont prendre en photo le soldat qui va partir au front pour en garder un souvenir et ce dernier emmène des photos de sa famille avec lui. On peut dire qu’il y avait autrefois un usage de la photo un peu plus du registre de l’individualité et de l’intimité chez les milieux populaires. On peut également mettre en avant le fait qu’autrefois, les photographies n’étaient pas réalisées par n’importe qui mais avant tout les hommes qui prenaient en photo leurs familles.  On peut alors observer un décalage avec nos pratiques actuelles et surtout avec l’usage social qu’avait autrefois la photographie. Car Snapchat est une application qui est pensée pour que l’image soit échangée et partagée par les utilisateurs alors que la photographie des milieux populaire du début du XXème siècle est quant à elle pensée pour rester dans des sphère très individuelles et très personnelles. On ne se sert pas de l’image pour discuter mais plutôt pour immortaliser un moment et pour garder un souvenir immuable d’un instant donné.

Ce que nous explique, P. Bourdieu dans son étude c’est que : “La pratique photographique est fonction de l’intégration de la famille en même temps qu’elle a une fonction d’intégration au titre de rite de solennisation.” En d’autres termes la photographie traditionnelle a pour fonction d’intégrer un individus dans sa cellule familiale mais également de rendre immortel, solennel un moment passé avec cette même famille. Si l’on s’intéresse à l’usage de la photographie traditionnelle avec le regard de P. Bourdieu, il paraît plus judicieux de parler de pratique familiale de la photographie plutôt que de pratique populaire.

Lorsque l’on parle de l’usage et de la pratique de la photographie, il faut selon Bourdieu également prendre en compte le fait que l’engagement dans la pratique dépend de l’image sociale de ladite pratique. Autrement dit selon la catégorie sociale auxquelles un individu appartient sa pratique en termes de photographie sera plus ou moins importante.  Dans son ouvrage, P. Bourdieu écrit : « Le rapport que les individus entretiennent avec la pratique photographique est par essence médiat, parce qu’il enferme toujours la référence au rapport que les membres des autres classes sociales entretiennent avec la photographie et par là à toute la structure des rapports entre les classes. Outre les intérêts propres à chaque classe, ce sont les rapports objectifs, obscurément éprouvés, entre la classe comme telle et les autres classes qui s’expriment indirectement à travers les attitudes des individus à l’égard de la photographie.» L’idée que P. Bourdieu défend ici, c’est que la pratique traditionnelle de la photographie est d’abord et avant tout une pratique de classe et donc une pratique sociale qui sert à cliver les différentes classes sociales présentent dans la société. Effectivement dans son ouvrage, il nous montre en observant les paysans du béarn que l’usage de la photographie dans les milieux populaires est très peu présente car considérée comme « snob ».

Néanmoins s’il est vrai que l’usage social de la photographie traditionnelle est très loin de celui que nous offre Snapchat il est important de noter qu’au sein des autres sphères  sociales et notamment de celle de la haute-bourgeoisie il y a un écart dans les usages sociaux du médium photographique. En effet dans la haute-bourgeoisie, on voit apparaître les premiers albums photos, ils rassemblent les principaux portraits des membres de la famille mais on y voit aussi des portraits des amis et des relations. C’est un outil qui permet alors de matérialiser leur réseau relationnel et familial. On peut également y trouver des portraits des membres de la famille royale ou impériale et de certaines célébrités politiques et médiatiques dont on va acheter les portraits photographiques auprès d’éditeurs spécialisés. Il y a une certaine ambivalence entre la sphère de l’intime et la sphère du public.  On peut donc voir que part leur volonté de matérialiser leurs réseaux relationnels, les membre de la haute bourgeoisie pratiquaient déjà le partage d’image et cela même si ces dernières n’avaient pas vocation à être des images conversationnelles.

Conclusion 

Avec l’apparition de Snapchat, l’image a acquis un nouveau statut sur les réseaux sociaux à l’instar du street art : l’éphémérité. Avec l’ajout d’un timer à la visualisation de photo, snapchat ajoute un nouveau degré de conversation par l’image qu’Instagram ou Facebook n’ont pas. Un vrai dialogue, par l’ajout de texte à l’image, se crée entre utilisateur allant même par ne plus passer par un chat conventionnel. Les images comme les selfies prennent donc un autre sens, surtout avec l’ajout d’un filtre humoristique, transformant leur apport simplement esthétique en un support de conversation.

Snapchat, par la fonction discover, a ouvert son application aux entreprises qui cherchent à faire le buzz. Profitant de sa popularité actuelle, et utilisant ses codes, les marques crée de véritable publicités, courtes mais présentes durant 24h.

Malgrès cela, ces publicités ne peuvent être considérés comme des images conversationnelles, bien qu’elles utilisent le même support. Elles véhiculent seulement un message marketing à l’inverse des utilisateurs lambda qui se partagent des moment de leur vies.

Bibliographie

André Gunthert, « L’image conversationnelle », Études photographiques, 31 | Printemps 2014. [En ligne], mis en ligne le 10 avril 2014.

URL : http://etudesphotographiques.revues.org/3387. Consulté le 01 janvier 2017.

Pierre Bourdieu, Un art moyen : Essai sur les usages sociaux de la photographie, Paris, Les Éditions de Minuit, coll. « Le sens commun »,‎ 1965, 368 p.

Cristian Joschke, Aux origines des usages sociaux de la photographie. La photographie amateur en Allemagne entre 1890 et 1910, Actes de la recherches en sciences sociales, 4, 2004, 112p.

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