Arthur Deyna
« À la recherche d’une simple photo de la Terre, je tombe sur une image qui laisserai sous-entendre que la Terre est plate. Je crois donc à une blague et voulant me marrer un coup, je vais voir le site d’où vient l’image…
Malheureusement, ce site était sérieux ! Tout du moins, le gars qui le gère se prend au sérieux. (À moins que ce ne soit une vaste blague apparement trop subtile pour moi) Je creuse un peu dans les commentaires de ce site et quelle surprise de voir que l’argument « la courbure de la Terre est nul car quand un bateau s’éloigne et qu’on ne le voit plus à l’oeil nu, il suffit de prendre une longue vue » suffit pour traiter de menteur un des Astrophysiciens les plus reconnus. C’est en creusant un peu qu’on voit que ce gars n’est pas seul… On voit très vite arriver des histoires tel que la Terre est le centre de rotation du Soleil et pas l’inverse, l’ISS ne peut pas exister et j’en passe !
Bref, si un jour quelqu’un me demande pourquoi je veux faire de la vulgarisation scientifique je lui expliquerai cette histoire. » Message de Monsier R, sur les réseaux sociaux, Etudiant et futur Vulgarisateur scientifique.
Ce dossier devait initialement porter sur la «E-Réputation » et la Responsabilité Sociale des Entreprises. Nous avions notamment commencé à étudier les stratégies de communications de Disney. Cependant, les trois entretiens semi directifs que je comptais mener, n’ont pas pu se réaliser. Les deux premiers enquêtés n’ayant pas donné suite, et le troisième responsable ayant annulé le rendez-vous. Dans un second temps, j’ai pensé à étudier les stratégies de « E-réputation » de la Société Générale après le scandale Luxleaks, ou encore de Volkswagen, et la façon dont celles-ci gèrent la face (Goffman) des internautes par le biais des Community Managers. Là encore, je n’ai pas pu avoir d’entretien avec un Community Manager. Plus récemment, sur YouTube, a éclaté une controverse autour de son partenariat avec la Commission Européenne pour procéder à une interview de J. C. Juncker par une YouTubeuse. Cette controverse nous a semblé faire écho au thème des questions démocratiques dans les mondes numériques et le rapport à la vulgarisation des Science humaines.
On pourrait alors se demander en quoi les différentes controverses, qui voient des vidéastes se prendre à partie, peuvent être analysées en termes de mondes sociaux en collisions et en segmentations, et quels sont les enjeux démocratiques les conflits de perspective autour de la vulgarisation des sciences humaines sur la plateforme. Selon Strauss, analyser les phénomènes en termes de Mondes sociaux permet de percevoir le changement social comme le produit de choc des groupes, de leurs intérêts et de leurs segmentations : les associations des groupes, la variabilité des appartenances, les relations et activités organisationnelles. Le monde social est un concept permettant de percevoir le collectif par ce qu’il a de dynamique et d’incertain dans sa forme. Aussi, celui-ci ne désigne pas seulement une communauté de discours mais plutôt une communauté de pratiques (I Baszanger. (Strauss) 1992). On y étudie alors, entre autre, la symbolisation des acteurs, leurs façons de communiquer, leurs appartenances et les lieux ou ils se rencontrent (ici Youtube).
En première année de Licence de sociologie, on a pu voir trois façons dont peut se traduire la sociologie et par extension le savoir des sciences humaines. Dans un premier temps, certains acteurs s’attachent à décrire le réel et à produire des connaissances en se désintéressant d’autres enjeux que ceux des sciences (Merton). On parlera alors ici d’acteurs appréhendant la Science comme productrice d’un avoir comme valeur en soit. Dans un second temps, la Science peut se traduire par une ambition de répondre aux problèmes des acteurs et d’outiller leurs décisions : Par exemple les éditions Dunot qui adressent un savoir universitaire comme répondant au besoin de professionnels, ou encore le consulting. Enfin, on peut aussi appréhender la Science et le scientifique, notamment en Sciences Humaines, comme producteurs d’un savoir nécessairement engagé dans la politique. On voit alors un certains nombre de représentants du monde scientifique conseiller les acteurs politiques (par exemple les économistes Néolibéraux), tandis que d’autres acteurs entretenant leurs extériorités avec le système de décision s’emploient à une pensée critique entendant questionner l’état des choses et bousculer parfois les aises du pouvoir. On essayera de montrer ici que les différents mondes sociaux que constituent les YouTubeurs, rentrent parfois en collision sur la façon dont ils pensent, revendiquent ou pratiquent la Science, et donc nécessairement, sa vulgarisation. Pour finir la vulgarisation scientifique nous amène à considérer les enjeux démocratiques sous deux aspects. Tout d’abord, le fait de permettre l’accès de tous au savoir qui est produit par les scientifiques, est souvent considéré comme participant à l’égalité des citoyens entre eux par leur instruction. Ensuite, et de façon parfois relativement antagonique, on peut considérer que la diffusion du savoir, des questionnements et des controverses scientifiques permettent d’alimenter et d’enrichir les débats publiques, permettant alors l’accès aux citoyens d’une pluralité de discours et de la complexité du réel. On peut alors questionner cela au regard des travaux de M. Callon sur les différentes formes de démocraties techniques, et se demander en quoi ses modèles peuvent être pertinents pour parler des enjeux démocratiques sur YouTube concernant la diffusion des Sciences Humaines. Dans cet article, Callon distingue trois modèles de démocratie technique. Dans un premier temps, le modèle de l’instruction publique, qui part du postulat que les profanes ne peuvent exercer un regard scientifique par l’absence de méthodes neutralisant leurs préjugés. Il s’agit alors d’instruire le peuple par la pédagogie de la Science pour éclairer celui-ci et le tenir au courant des résultats scientifiques. Dans un second temps le modèle du débat public, qui lui aussi distingue la nature des savoirs que peuvent produire profanes et scientifiques. Cependant le savoir produit par les scientifiques en vase clos est trop abstrait pour épuiser le réel. Il s’agit alors pour les scientifiques d’enrichir leurs données en consultant les profanes. Pour finir, le modèle de co construction des savoirs consisterait en l’idée selon laquelle les profanes, en ce qu’ils sont acteurs, et au cœur des phénomènes, développent un savoir scientifiquement légitime qui doit être recueilli par le scientifique : à l’issue de cela, le savoir des scientifiques et des quidams s’alimentent l’un l’autre au cours de leur élaboration et non à posteriori.
On peut donc se demander si la vulgarisation scientifique des Sciences Humaines et la confrontation des mondes sociaux qui en résultent, nous permettent de considérer que YouTube se rapprocherait relativement de l’un de ses trois modèles. En d’autres mots, peut-on parler de YouTube comme devenant une sorte de média à part entière (qui sélectionne les informations par le biais de son fonctionnement interne), un lieu de pure vulgarisation scientifique ou les quidams viennent s’instruire des contenus proposés (instruction publique) ? Peut-on observer cela plutôt comme un enrichissement significatif du débat publique, en permettant au profanes d’alimenter les controverses avec des savoirs scientifiques qu’ils s’approprient (Débat public) ? Ou, peut-on parler de YouTube comme d’un lieu ou les quidams se mettent eux-mêmes à créer du contenu et à alimenter ainsi l’état et l’accès aux connaissances relatives aux questionnements politiques ?
I. Contenu YouTube, Humour et pensée critique d’extrême droite ?
Pour commencer, nous allons illustrer les premières formes prises par le lien entre humour et pensée critique sur YouTube. On entend alors montrer dès 2011 que les vidéastes se constituent en différents mondes sociaux relativement étanches les uns aux autres. On observera les logiques de professionnalisations des vidéastes. On cherche aussi à mettre en avant le rapport entretenu entre le contenu de YouTube, les médias plus institutionnalisés et le débat public. Enfin, on cherche à montrer que les vidéastes représentant la pensée critique « d’extrême droite » (National Socialiste ici) considérent l’espace de YouTube comme un espace nourrissant la démocratie et la liberté d’expression : le web comme outil de « subversion ».
A) Humour Français sur YouTube: Stand Up et Jump Cut
Les contenus YouTube ne semblent pas être exempts de mode : autant de périodes ou des types de contenus spécifiques semblent particulièrement mis en avant par la plateforme, par ses algorithmes, ou par le public de YouTube (nombre de visionnage et de partage). En France, à partir de 2011 il semble que ce soit le Podcast humoristique qui ait émergé sur YouTube. On peut aussi noter la montée en popularité de créateurs de contenus spécifiques à YouTube : Chose qui n’est pas anodine car, premièrement, une partie des vidéos YouTube sont du contenu Télévision plus ou moins officiellement Uploadé, et la renommée qu’obtenait les contenus YouTube était rarement attachée durablement au créateur de contenu qui, en ce sens alimente sa chaine. On y voit alors de jeunes adultes récemment majeurs, se filmer dans un décor non professionnel. On pourrait y percevoir alors une nouvelle forme de Stand Up médié par, et créé pour, le Web 2.0 : l’acteur est seul et s’appuie sur un rythme relativement soutenu pour aligner les blagues. On peut noter divers procédés de montages vidéo qui créent en eux-mêmes du rythme tel que le Jump Cut, et parfois des mises en scènes scénarisées. On peut prendre l’exemple de Norman, notamment pour représenter cette première vague de ce qu’on appellera en France : les YouTubers. Ce vidéaste comptabilise 8 345 926 abonnés et 1,3 milliards de vues, soit environ 156 vues pour un abonné, depuis qu’il a ouvert son compte en Janvier 2011. Dans une relative continuité, dès le second semestre 2012, on a vu émerger des collectifs d’humoristes vidéastes qui se sont regroupés en chaines tel que le Studio Bagel ou Golden Moustache par exemple qui comptabilisent chacun plus de 400 millions de vues pour plus de 2.5 millions d’abonnés.
On peut alors noter deux choses, tout d’abord les différents vidéastes ont tendances à se revendiquer, ou du moins, se reconnaitre réceptif à la culture vidéo ludique. Par exemple, le collectif Golden Moustache et les frères Descraques ont lancé la Web Série Le visiteur du futur, et se revendiquent comme « geeks » dans la chaine secondaire French Ball, ou encore, Cyprien qui a lancé une chaine de gaming (CyprienGaming) avec Squeezie, un YouTubeur testeur de jeux vidéos. Dans un second temps on peut observer une relative professionnalisation des créateurs de contenus sur YouTube. Si le terme fait débat, on peut tout de même noter que de plus en plus de vidéastes tendent à tirer un revenu de leurs contenus. Premièrement, par le nombre de vues, ou encore la monétisation des vidéos avec un contenu publicitaire. Deuxièmement, par le recours au placement de produits plus ou moins officiels (Cyprien, Norman…). Troisièmement, la professionnalisation dans un domaine adjacent à la publication des vidéos : certains YouTubers se lancent alors dans le Stand Up IRL (Norman, Kevin Razy), ou encore, en étant embauché par des chaines de télévisions. Par exemple, la Chaine Studio Bagel rachetée à 60% en 2014 par Canal+, ou encore Golden Moustache appartenant à M6, selon le Nouvel Obs. les contenus créés par les vidéastes sont alors aussi diffusés à la télévision. Pour finir, on peut noter que certains vidéastes portent un regard critique à ses diverses sources de revenus et cette relative professionnalisation, Antoine Daniel par exemple, connu pour ses vidéos humoristiques tournant en dérision du contenu YouTube, revendiquant une certaine autonomie et le refus des placements de produits. Une source de revenu alternative qui se développe est le Crowdfunding : Il s’agit pour le public de faire des dons, par l’intermédiaire de sites (Tipee par exemple) sur la base du volontariat, visant à financer la production du contenu, ou à rémunérer le vidéaste lui-même. Cette professionnalisation, et le fait que les médias rendent compte du succès des YouTubers, nous amène à penser parfois ces vidéastes comme des entrepreneurs devenant une marque, avec une viralité des contenus à entretenir, une communauté à constituer (un public à construire) et un capital sympathie à développer. Les reportages des journaux télévisés présentant alors parfois les YouTubers comme des entrepreneurs de l’Economie de l’attention.
B) Dieudonné et le web comme outil de « subversion » : du stand up au podcast et à la diffusion d’une pensée critique d’extrême droite.
Parallèlement aux différents débats publics suscités autour de Dieudonné, autour de la liberté d’expression des humoristes d’une part, et d’autre part, autour de son orientation politique vers certaines doctrines « Antisionistes » (positionnement dans le débat sur le conflit Israélo-Palestinien, supposant qu’une communauté organisée Juive agirait officieusement) on voit celui-ci orienter ses pratiques professionnelles hors des circuits traditionnels, avec la volonté parfois de créer des médias « alternatifs ». C’est, notamment sur YouTube, que Dieudonné redécouvre une certaine audience (ces spectacles étaient déjà en partie sur YouTube, publiés par des internautes quidams). En créant une chaine dès 2014, Dieudonné Officiel qui, à ce jour, comptabilise 51,5 millions de vues pour 188 000 abonnés, soit environ 272 vues pour 1 abonné. On voit alors se prolonger le débat public et s’exprimer les opinions antisionistes sur le web et notamment YouTube. L’affaire de la quenelle notamment qui resurgit par exemple en décembre 2013, et qui tend à devenir selon Le Point « une affaire d’état ». C’est effectivement posé à un moment, la question de pénaliser cette pratique et d’interdire certains spectacles. On remarque alors que les contenus proposés par Dieudonné varient entre des interventions à visée humoristique, de nature promotionnelle pour les spectacles, ou encore des vidéos visant à commenter l’actualité et répondre à des « clashs ». On voit alors des vidéos de Dieudonné traitants de politiques extérieures, de ses procès ou encore des attentats de Charlie Hebdo. On peut noter que ce format ressemble aux interventions de Jean Marie Lepen sur la plateforme (« Journal de Bord » avec une audience plus limitée de 2 millions de vues). Celui-ci revendique alors l’utilisation du web comme outil de « subversion », contournant alors les sanctions légales considérées comme de la censure. L’idée étant de faire émerger une révolution contre les institutions alors considérés comme non démocratiques et illégitimes. Par l’humour, la vulgarisation d’une pensée critique d’extrême droite, et enfin une posture militante il y a l’idée de faire « tomber » le « vieux monde » et ses « élites ». Par exemple celui-ci entendrait « mettre les banques à genou » (Nouvel Obs de Mai 2016).
C) L’émergence de la pensée critique d’extrême droite sur YouTube.
Si la figure de Dieudonné a cristallisé pendant un temps les débats et représente un ensemble précis de thèse, on sait que celui-ci n’est pas un théoricien. On peut alors prendre l’exemple d’Alain Soral, qui se revendique comme théoricien d’une pensée critique dans une démarche similaire à celle de Dieudonné et publie aussi des vidéos par le biais de médias de « contre-culture » (le discours étant néanmoins plus ouvertement politique).
Les discours d’Alain Soral, outre l’antisionisme (qui accuse les « sionistes » de pousser le peuple à la guerre civil) se veut constituer une critique des médias (ayant été journaliste auparavant), ce qui fait Echoc à l’affaire Dieudonné. En tant que Marxiste déçu et, d’éducation catholique celui-ci entend défendre un projet politique correspondant à « la gauche du travail et droite des valeurs » (page d’accueil du site Egalité et Réconciliation). Autrement dit, celui-ci vise les électeurs conservateurs et les travailleurs des classes populaires (employés, ouvriers, travailleurs précaires…). Il se revendique donc comme anti-libéral sur tous les plans, aussi bien économiques qu’au niveau des mœurs et des normes sociales (conservateur). Cela se traduit par exemple sur ses positions quant aux rapports Hommes/Femmes, celui ci ne considérant pas que l’eternel féminin idéalisé doive être relativisé (la question du genre). Il se revendique comme sociologue mais n’est cependant pas considéré comme un chercheur de Sciences Humaines par le monde universitaire. Cette distance entre les sociologues universitaires et Alain Soral est d’autant plus exacerbée que les élèves de sociologie (nous) et le corps professoral sont essentiellement composés de classes moyennes supérieures qui sont critiques à la fois envers le libéralisme économique et envers le conservatisme des mœurs et des valeurs. On vient donc de voir que le discours Soralien se distingue du discours universitaire en deux points, premièrement à un niveau méthodologique (hostilité envers les codes universitaires et « intellectuels »), ensuite à un niveau politique et sociologique (pas les mêmes discours). En ce sens, on peut parler d’une pensée critique d’extrême droite non universitaire.
Dieudonné n’est cependant pas l’unique artisan de la visibilité de Soral sur YouTube, on peut observer un grand nombre de chaines qui postent des vidéos « documentaires » s’accordant sur ses thèses. On peut chiffrer ce succès en notant que la chaine YouTube Egalité et Réconciliation (ERTV) créée en Septembre 2010 comptabilise 15.7 millions de vues et 38 000 abonnés. La plus ancienne vidéo datant de 2011 parlait alors de la reforme des retraites. On peut commencer à s’interroger sur ce qui pourrait expliquer ce succès. On tente ici d’expliquer se succès autrement que par l’analyse politique qui revient souvent : consistant à dire que les individus qui adhérent à ses thèses sont incultes, et ignorants. Tout d’abord, on a vu que le discours de Soral se base sur des présupposés politiques, il y a donc un public déjà convaincu par ses thèses qui regarde les vidéos. Dans un second temps, on peut observer que, ce que les médias appellent la « Facho sphère » est un réseau de militants et de théoriciens qui fonctionne en vase clos. Ainsi, les sources d’informations qui se revendiquent « alternatives » se citent entre elles, créant alors un écosystème d’information qui est difficilement re traçable en termes de sources. Ensuite on peut constater que, les citoyens Français étant de plus en plus instruits (accès aux études) ceux-ci développent une volonté de comprendre la teneur des débats publics et politiques, tout en comprenant en partie les failles de chaque discours : la solution aux « problèmes » de la France n’est pas nécessairement dans un des programmes proposés par les candidats aux élections, les politiciens professionnels constituent une élite technocratique et ceux-ci ne respectent pas toujours la loi, les scientifiques ne sont pas à l’abri de se tromper, les journalistes ne sont pas neutres et la nature de l’information et du savoir est politique. Autant d’éléments qui peuvent susciter une défiance envers les « élites ». On observe bien alors une crise de légitimité qui touche le journalisme, les sciences et la politique. Partant du principe que la compréhension des phénomènes sociaux intéresse le publique YouTube on comprend alors le succès de Soral, qui propose des vidéos relativement courtes qui veulent expliquer des phénomènes macroscopiques en des termes accessibles. On lance aussi l’hypothèse qu’un des éléments qui empêche la diffusion du savoir universitaire est une forme particulière d’anti-intellectualisme. L’anti-intellectualisme qui considère comme stigmatisant les codes de ceux qui se revendiquent « intellectuels » rend inaudible les discours universitaires, mais n’annule pas la volonté des acteurs de prendre part au débat publique et de le comprendre. Par anti-intellectualisme on entend notamment parler de la culture anti-école. La culture anti-école, selon Paul Willis, est le fruit d’un rapport de classe : les enfants des classes populaires se retrouvant en situation de domination dans l’institution scolaire qui se massifie, renversent les normes de celle-ci et constituent alors une contre culture. La culture anti-école serait alors présente dans la culture ouvrière, populaire, et plus récemment la culture urbaine, si l’on extrapolait. Dans un second temps on peut aussi émettre l’hypothèse selon laquelle la culture anti-école se diffuse sous l’effet du genre. Pour cela on s’appuie sur les travaux d’Ayral Sylvie « La Fabrique Des Garçons ». L’auteure nous explique ici que l’acquisition des codes scolaires et la réussite scolaire nécessite une certaine docilité de l’élève. Or, la socialisation masculine incite les garçons à défier cette autorité et à se faire punir pour être reconnu par leurs pairs comme des dominants. Enfin, on peu expliquer ce succès par l’absence des universitaires sur YouTube : effectivement à l’époque ne figurait pas de vulgarisateur de sciences humaines qui auraient pu contredire Soral de façon précise et détaillé sur YouTube et ainsi donner une grille d’analyse alternative à celle qu’il propose.
II. Vulgarisation scientifique, enjeux démocratique autour du savoir
On a donc vu que les contenus web YouTube en rapport avec le débat public et les enjeux démocratiques ont été pendant un temps produits entre démarche humoristique et posture militante, par un monde sociale proche de la pensée critique d’extrême droite. On a vu aussi que les YouTubeurs des autres mondes sociaux sont souvent plus jeunes, rattachés à une culture vidéo ludique et confrontée à des logiques de professionnalisations. On a vu aussi que le discours Soralien tient son succès de la nature inaudible du discours universitaire. Or, on observe depuis quelques années une vulgarisation scientifique qui entend justement rendre audible le discours universitaire. On va alors se demander si la démocratisation du savoir est un apport au débat démocratique, et si la vulgarisation des sciences dites exactes implique les mêmes choses que la vulgarisation des sciences humaines.
A) Sciences dures, vulgarisation scientifique
On voit émerger en France des YouTubers qui vulgarisent les sciences exactes. On peut prendre l’exemple de la chaine E-penser, qui nous semble pertinente pour illustrer cette communauté de pratique. Dans le cas d’E-penser, on peut vraiment parler de viralité du contenu qui se diffuse et gagne en popularité de façon progressive. La chaine traite de tous sujets scientifiques, de la physique, aux neurosciences en passant par la chimie. Elle comptabilise depuis sa création en août 2013 57 millions de vues et 821 000 abonnés (avec environ 70 vues par abonnés). On peut alors relever plusieurs éléments concernant les vulgarisateurs de science durs sur YouTube avec cet exemple. Tout d’abord l’idée n’est pas de l’initiative d’universitaires mais s’inspire des vulgarisateurs scientifiques qui ont déjà eues du succès aux Etats –Unis (le vidéaste revendiquant s’inspirer de chaines telles que MinutePhysics ou encoreVeritassium). Ensuite on pourrait se demander si les vulgarisateurs ne s’inscrivent pas dans un éthos scientifique : effectivement selon Merton, le communalisme consiste pour les scientifiques en la volonté de partager le fruit des recherches scientifiques de façon ouverte aux membres de la communauté. On voit alors le pont se faire entre communauté de savoir universitaire et communauté de partage de l’idéal des Hackeurs (P. Flichy). De même on voit alors les vidéastes faire un travail de vulgarisation travaillant à transmettre le savoir universitaire sans en imposer les codes, avec un rapport ludique au savoir, et l’usage d’une pédagogie euphémisée par le recours fréquent aux analogies et parfois même à l’humour. Il semble ensuite y avoir recoupement entre les YouTubeurs humoristes et les vulgarisateurs de sciences dures : la culture vidéo ludique semblant les rassembler. Par exemple le vidéaste d’E-penser a gagné en popularité grâce au partage de son contenu sur des forums et sites internet spécialisés dans les sciences, les jeux vidéos ou la culture « geek », et suite à la mise en visibilité de ses vidéos par Antoine Daniel. Il participe de même à la chaine French Ball et fait des Caméos dans certaines vidéos des membres du Studio Bagel. Pour finir on remarque que la logique des revenus, si ce n’est de la professionnalisation touche aussi ses YouTubeurs. Par exemple, outre les comptes Tipeee, le vidéaste de Dirty Biology est allé vivre à l’étranger pour pouvoir vivre de ses vues YouTube. Le YouTubeur d’E-penser quant à lui a déjà fait un placement de produit en faisant une vidéo/expérience pour le film « Seul Sur Mars », et a arrêté d’exercer professionnellement son travail de codeur pour se consacrer aux vidéos. Dans la continuité de cela on peut observer un certains nombre de chaines qui entendent vulgariser le savoir théorique de la pensée logique et critique, sans pourtant avoir une posture militante. Des chaines telles que la Tronche en biais qui étudie les biais cognitifs et scientifiques ou encore Horizon Gull, qui se distingue par un discours critique des pratiques qui seraient amenées à « manipuler » les individus (Journalisme sensationnaliste, marketing, communication politique…). On y voit la volonté d’illustrer les mécanismes sociaux sans pour autant les présenter comme la résultante d’une intentionnalité d’un acteur unique. En se sens on voit émerger une première vulgarisation de méthode scientifique critique alternative aux thèses « antisionistes ».
B) La vulgarisation des sciences humaines : Une vulgarisation Culturelle ?
On voit conséquemment se développer des vulgarisateurs de sciences humaines. On peut noter que ceux-ci entendent présenter un ensemble de savoirs sans forcément les incarner ou revendiquer l’appartenance à un courant particulier. Il s’agit alors de vulgariser et diffuser la science qui vise à décrire et connaitre le monde : le savoir comme valeur en soit. On note parfois des prises de positions politiques (le plus souvent de gauche), qui arrivent alors dans un second temps et sont présentées comme découlant des apports de la connaissance universitaire. Cependant à cette période on ne peut pas encore clairement parler de vulgarisation de la pensée critique de gauche. On peut illustrer ces propos avec la chaine spécialisée d’histoire de Nota Bene par exemple avec 454 000 abonnés et 26,5 Millions de vues depuis août 2014 (avec environ 58 vues pour un abonné). On peut aussi parler de Stupid Economics pour l’économie ou encore de Danny Caligula pour la philosophie depuis avril 2011 avec 4.6 millions de vue et 120 000 abonnés (38 vues par abonné). On voit aussi se développer des chaines spécialisés sur la critique d’art. Par exemple le vidéaste de la chaine La Fossoyeur de film est sociologue de formation. On remarque les mêmes logiques de professionnalisation. Dans le cas des vulgarisateurs des sciences humaines on ne trouve cependant pas de placement de produit mais une sollicitation plus systématique au crowdfunding (sur Tipeee). Tous ces acteurs tendent à constituer une communauté de pratique, un monde en soit, puisqu’ils produisent parfois des contenus en collaboration et incite leurs public à visionner certaines chaines. De même on peut observer, entre autre sous l’impulsion de vidéastes tel que Nota bene la tentative dès 2014 de se regrouper en une chaine commune qui puisse mettre en avant les différentes chaines des membres et leurs contenus : Il s’agit de la chaine de la Vidéothèque d’Alexandrie. Celle-ci est présentée comme une association sous la loi 1901 se matérialisant par un site internet et la chaine YouTube en question. Il s’agit aussi de créer un lieu de rencontre clos entre vidéastes qui peuvent alors échanger sur leurs pratiques, discuter ou encore jouer à des jeux vidéo ensemble. Pour finir on peut se demander si l’ambition de cette chaine de mettre en avant des vidéos de nature « culturelles » n’est pas une tentative du monde social des vulgarisateurs de s’unir sous une même bannière : le terme « culturel » renvoyant alors aux contenus de sciences exactes, de sciences humaines, d’art, de science réflexive…. On peut donc parler alors ici de Vulgarisateurs Culturels. On voit alors une conception du savoir qui se vulgarise et prend un rôle dans un modèle d’instruction public (Callon). On observe alors une tentative de démocratiser le savoir universitaire sans en imposer les codes, et même parfois en mobilisant l’humour. Cependant on peut se demander si le rapport ludique au savoir et la volonté de voir des vidéos culturelles, de se cultiver et donc de se distinguer, est un fait social qui se diffuse verticalement, ou si celui-ci est toujours le fait des classes moyennes supérieures qui seraient présentes sur YouTube.
III. Vulgarisation des Sciences humaines et pensée critique de gauche sur YouTube
On a donc vu se développer une vulgarisation des sciences exactes, de la logique, ou encore des sciences humaines qui se constituent progressivement en un monde social relativement apolitique considérant plutôt la science comme productrice de savoir ayant une valeur en soit. On a aussi vu que les logiques de professionnalisations pouvaient varier, et qu’on pouvait relativiser l’ambition de démocratiser le savoir. On peut cependant relever qu’une des particularité saillante des sciences humaines est d’avoir pour objets des sujets qui sont très fréquemment politisés et mobilisés dans le débat publique mais aussi politisable de façon bien plus immédiate que les questions d’art ou de sciences exactes. On va essayer de montrer que la vulgarisation des sciences humaines n’implique pas les mêmes enjeux démocratiques que la vulgarisation des sciences exactes. Tout d’abord parce que la vulgarisation de la science en tant que valeur en soit (vulgarisateur culturels) expose les débats internes au monde universitaire sans forcement outiller concrètement le débat extérieur. Ce n’est pas le cas d’une conception de la science en tant que productrice de pensée critique. Ensuite, parce que la pensée critique peut amener jusqu’à un certain point à une posture militante. On prend ici l’exemple du vidéaste « Usul » qui semble défendre une vulgarisation de la pensée critique de gauche, et notamment la Sociologie critique Bourdieusienne, sur YouTube et ainsi proposer une grille d’analyse alternative à celle de Soral.
A) Une tradition d’une pensée critique de gauche présente sur YouTube
Dans leurs démarches, les vulgarisateurs tells qu’Usul semblent se distinguer du monde social des vulgarisateurs culturels précédemment évoqués. Notamment au niveau des références qu’ils citent. Tout d’abord on observe un encrage dans une certaine tradition de la pensée critique des médias. Par exemple les documentaires de Pierre Carles se revendiquant parfois d’une sensibilité anarchiste et indépendant des médias qui ne permette pas à de tell discours de s’exprimer (ses documentaires étant diffusés gratuitement et parfois disponibles sur YouTube grâce aux internautes). On peu prendre notamment le film consacré à Bourdieu « La Sociologie est un sport de combat » issu d’une trilogie. On trouve aussi des travaux qui dénoncent une certaine collusion entre les professionnelles de la politique et ceux du journalisme. Collusion qui serait induite par le fait que ces professions soient pratiquées par des individus partageant les mêmes origines sociales, et donc une proximité de classe (Pas vu pas pris de1998, ou encore Fin de concession en 2010). On peut aussi citer les travaux de Serge Halimi « Les nouveaux chiens de gardes » publiés en 1997 puis sortis en film en 2012, dénonçant les règles du marché du travail journalistique tendant à subordonnés les pratiques journalistiques aux intérêts de groupes financier possédant de fait économiquement les médias traditionnels. Pour finir on peut aussi citer le collectif critique de média Acrimed.
Une autre source revendiquée par le vidéaste est lié au mouvement d’éducation populaire. La Scoop le Pavé (créée en 2007) et ses conférences gesticulées qui sont filmées et diffusées par les internautes sur YouTube (Franck Lepage notamment). Il s’agit alors d’une part de vulgariser une critique du Néolibéralisme et d’autre part de travailler avec le public de conférences gesticulées : créer collectivement de l’analyse sur les dominations vécues. On voit alors une ambition qui semble s’approcher du modèle de co construction des savoirs. Franck Lepage notamment revendique cette pratique en s’opposant frontalement à Alain Soral et ses thèses.
B) Emergence d‘une vulgarisation de la pensée critique de gauche dans un modèle de débat public ?
L’exemple d’Usul nous permet d’incarner concrètement le monde social des YouTubeurs vulgarisateurs de la pensée critique de gauche. On note d’abord que ce vidéaste a commencé à produire du contenu sur la culture vidéo ludique. En effet son émission 3615 Usul réalisé dès 2011 consistait en l’analyse critique d’un domaine particulier des jeux vidéos (la presse spécialisé, le crowdfunding, un jeu…) couplée avec une lecture politique ou sociologique. Les vidéos obtiennent d’abord une audience sur le site jeuxvidéo.com. Le vidéaste a alors commencé en proposant un contenu mixte appliquant les sciences humaines sur le monde vidéoludique. C’est en 2014 avec la chaineUsul2000 que le vidéaste se lance véritablement dans une vulgarisation des sciences humaines, allant de la sociologie Bourdieusienne, aux économistes atterrés. La chaine comptabilise 6 millions de vues, les chiffres manquent cependant de pertinence car un certains nombre de ses vidéos sont supprimées à cause des droits d’auteurs (celui ci illustre son propos avec des images d’archives de l’INA, de radio ou encore de télévision). Celui ci revendique alors proposer des grilles de lectures universitaires alternatives à la pensée critique d’extrême droite et s’identifie au Trotskysme par exemple. Usul défend alors sur YouTube une pensée structuraliste (voire Structuro-constructiviste) visant à décrire les rapports de dominations et les phénomènes sociaux en refusant toutes explications mono causales impliquant l’intentionnalité d’un acteur précis. Un exemple particulièrement saillant ou l’on retrouve implicitement cette volonté, est la vidéo « Mes chers contemporains : Le Journaliste (David Pujadas) » supprimée depuis peu de la plateforme. En fournissant alors une alternative à la pensée critique d’extrême gauche, on peut se demander si la vulgarisation des sciences humaines critiques et la collision des mondes socio qu’elle suggère ne participe pas à enrichir ou a développer un modèle se rapprochant de celui du débat public : permettant alors de stimuler les controverses entre les internautes « quidam » sur le web.
IV. Les vulgarisateurs de sciences humaines avec une posture Militante : entre logiques de professionnalisation et controverses/clashs.
On a vue que la vulgarisation des sciences humaines est parfois amenée à diffuser un discours critique au sens politique du terme, et implique alors d’autres enjeux démocratiques que la vulgarisation culturelle (savoir en tant que valeur en soit). On cherche à prolonger cette thèse, en insistant cette fois sur le fait que les disciplines universitaires à visée critique, lorsqu’elles sont vulgarisées, peuvent être plus facilement liées à une posture militante, et que cette dernière n’est pas unanimement acceptée par les différentes communautés de pratiques des YouTubeurs.
A) Emergence d’une posture Militante : Quand la pensée critique se rapproche d’enjeux politiques d’actualités.
On a pu voir un certain nombre de YouTubeurs vulgarisateurs de sciences humaines, ou encore d’art, s’impliquer politiquement et ouvertement dans le cadre de leurs activités sur YouTube et produire à certaines occasions du contenu militant. C’est cette création de contenu politique militant que l’on définit ici comme une posture militante. On peut alors parler du mouvement « On vaut mieux que ça » créée en réaction contre le projet de loi El Khomri début 2016 (février). Il s’agit alors d’un collectif, d’une page web, et d’une chaine YouTube, incarné et alimenté initialement par un regroupement de 22 YouTubeurs de sensibilité de gauche. On remarque alors que cette posture militante est adoptée essentiellement par des vulgarisateurs de sciences humaines, d’art ou de méthode scientifique (logique) (Parlons Y-stoire, Hacking Social, Dany Caligula, Usul, Nota Bene, Linguisticae…). On note aussi des liens avec le journal Fakir et la présence de YouTubers féministes militants. Le but du mouvement étant de faire émerger la parole des travailleurs et de fédérer un mouvement pour empêcher la loi de passer. Dans un second temps, celui ci fera écho aux manifestations Nuit debout, considérant alors l’espace public comme un lieu de débat public ou pourrait se co-construire des solutions politiques collectivement et en partant du terrain. On doit aussi nuancer notre propos en spécifiant que les YouTubeurs se présentent en leur nom propre, le fait de faire allusion à leur chaine permettant essentiellement de relier le personnage à sa notoriété et de le rendre plus facilement identifiables par les internautes. De même certains YouTubeurs ne créent un contenu engagé que dans le cadre de cette chaine collective et non de leur propre chaine. C’est le cas du vidéaste Nota bene que nous avons assimilé précédemment au monde social des vulgarisateurs culturels.
Outre les différentes critiques qui ont étés adressées à ce mouvement qui seraient trop orientées politiquement et ne feraient pas totalement un effort de convergence entre les classes populaires périphériques (« de banlieue » ou de péri-urbain), on voit alors certains YouTubers adopter une posture militante à plus ou moins long terme, et qui est plus ou moins prolongée dans les contenus propres à leurs chaines individuelles. On peut alors prendre l’exemple de la chaine Osons Causer avec 4 millions de vues et plus de 100 000 abonnés, qui adopte dès sa création en Juin 2015 une volonté de vulgariser une pensée critique de gauche couplée aux sciences humaines et à une posture militante. Ceux-ci créent alors du contenu directement sur leur chaine en rapport à l’actualité sur des thèmes comme l’économie internationale, le racisme, les attentats, la législation du travail, l’institution scolaire (Bourdieu), la campagne présidentielle…. De manière plus générale le contenu entend répondre de façon critique aux discours et prises de positions politiques sur le plan National (politique politicienne), Européen et Mondial, en partant de citations et en prenant parfois directement à partie les politiciens.
Dans un troisième temps on peut observer la montée en popularité des vidéos du Raptor Dissident, qui suscite la controverse et critique frontalement les mouvements On vaut mieux que ça et Nuit debout, non dans leur finalité mais dans leur mise en place. Il s’agit d’un vidéaste qui s’appuie sur un personnage fictif pour défendre de façon un peu plus euphémisée la pensée critique revendiquée comme « dissidente » avec l’ambition parallèle de transmettre l’argumentation avec de l’humour. Le terme dissidence renvoie ici aux différentes thèses développées en parties par Alain Soral, et donc défendues par, ce que certains journalistes appellent la facho-sphère. On peut alors y perçoit alors des thèmes classiques de ces grilles d’analyses, à savoir : critiquer les volontés progressistes, des thèses de gauche, en faveur d’un traditionalisme des valeurs, et la volonté d’invalider ou d’enrichir la lecture féministe de la domination en terme de genre par une lecture en terme de classe (critique des thèses soixantuitarde, virilisme…). Celui-ci critique alors la dimension numérique de la mobilisation, ce qui pose alors des questions sur la façon dont les mouvements sociaux se forment aujourd’hui. Se crée alors un échange de vidéos entre les deux mondes sociaux en collision qui font alors débattre les internautes en commentaires. On peut donc se demander si cette collision de la pensée critique « dissidente » à sensibilité d’extrême droite, et de la pensée critique de gauche, outre la dimension politique en terme de parti, à pour résultante l’enrichissement du débat public. En effet la question de savoir comment un mouvement social de la jeunesse doit et peut prendre forme au niveau matériel et numérique est une question relativement absente des médias télévisuels, notamment pour des questions de support : la télévision nous donnera à voir un débat entre deux experts, ou encore un documentaire ; tandis que la plateforme vidéo du web 2.0 permet à des vidéastes plus ou moins connus de prendre part à une controverse de façon plus ou moins argumentée : chaque vidéo publiée devenant alors un lieu de débat possible entre les internautes dans les commentaires. Il serait intéressant de faire une étude plus approfondie des commentaires postés lors de controverses, ou de clashs sur des sujets politiques entre des vidéastes. On peut se demander aussi, si à terme, on pourrait voir émerger un modèle de co-construction du débat public entre quidam et universitaires : mélangeant alors forum et production/vulgarisation de savoir.
B) La vulgarisation culturelle contre la posture militante ?
On a vu que la confrontation des mondes sociaux de YouTubers vulgarisant du savoir critique pouvait enrichir le modèle de débat public et se matérialiser par des mouvements sociaux. Or la définition implicite du rôle du savoir que portent les vulgarisateurs de la pensée critique, et la posture militante qui en découle parfois, peut s’avérer incompatible avec la définition du savoir comme valeur en soi qui est tenue par les vulgarisateurs culturels par exemple.
On voit par exemple cela lors de la controverse qui a éclatées au sujet du long métrage indépendant « Pardon YouTube » créée par les trois chaines Osons Causer, Autodisciple et Le corps La maison L’esprit. Ce long métrage diffusé gratuitement sur YouTube notamment prend pour cadre une interview entre une YouTubeuse Life style et J.C. Juncker, organisée entre Google et la commission Européenne. L’ambition étant de dénoncer des censures et des menaces qu’aurait reçue la YouTubeuse quant aux contenus de ses questions, et d’illustrer une campagne de communication qui serait en fait du Lobbying de la part de Google, visant à influencer la commission Européenne. Suite à cela, la chaine YouTube Guilhem de YouTube poste la vidéo « Comment Autodisciple vous a hacké » qui lance une controverse sur le long métrage « Pardon YouTube ». L’ambition étant de critiquer la validité du documentaire, lequel n’aurait pas appliqué une démarche scientifique (lancer une hypothèse, documenter les faits, et accepter d’invalider son hypothèse le cas échéant). C’est donc en partie la posture militante qui est ici critiquée. De plus le documentaire est soupçonné de sur-interpréter une censure, tandis que celle-ci aurait un titre racoleur et viserait à faire un maximum de vue: un coup de buzz. Parallèlement à cela, on remarque qu’un nombre important de vulgarisateurs culturels ont repartagé la vidéo de Guilhem de YouTube dans le but de lui donner de la visibilité. Deux raisons sont avancées, premièrement certains partagent la vidéo car ils souscrivent à la critique. Deuxièmement, d’autres veulent que l’esprit critique et la méthode scientifique se diffuse, il s’agit donc de partager un contenu critique qui, pour l’occasion remet en question des éléments relativement consensuels, à savoir : critiquer Google et le lobbying. Il s’agit donc de vouloir diffuser une méthode scientifique et journalistique permettant à l’internaute de remettre en question les contenus qui le confortent dans ses opinions. Le dernier volet de cette controverse, qui n’est pas encore close, consiste en la réponse des vidéastes Osons causer et Auto disciple « ENCORE PARDON : les chiens de garde de YouTube? ». Cette réponse à pour ambition de montrer qu’il existerait une certaine proximité entre les YouTubeurs influents. Cette proximité entre des YouTubers à succès qui se côtoient dans les conventions et se regroupent entre « professionnels » induirait la constitution d’une élite sur YouTube qui défendrait ses intérêts et ceux de la plateforme : en ce sens les YouTubeurs culturels sont alors accusés d’être les « chiens de garde de YouTube » (Référence aux travaux de Serge Halimi). Dans cette réponse on voit en creux se dessiner un conflit des deux mondes sociaux sur le rôle que doit prendre le savoir et donc son vulgarisateur : entre un savoir neutre comme une valeur en soit, et un savoir critique et engagé (posture militante).
On voit donc les mondes sociaux que constituent les vidéastes rentrer en collision sur le rôle du savoir, sur des controverses alimentant le débat public, ou encore cherchant à faire émerger un modèle de co-construction des controverses et du savoir.
Pour finir, on observe que la posture militante se prolonge parfois par une sorte de professionnalisation des vidéastes dans le journalisme ou la politique. Par exemple Osons Causer et Usul créent du contenu pour la chaine YouTube Médiapart.
Pour conclure :
On a donc vu que l’analyse des vidéastes vulgarisateurs de sciences comme mondes sociaux nous amène à considérer des enjeux autour du savoir et du modèle de démocratie technique qui peut prendre forme au travers de la plateforme. On peut alors se demander si YouTube se rapproche d’un des modèles de M. Callon.
On peut alors soulever des éléments qui semblent orienter la plateforme YouTube vers un modèle d’instruction publique. Notamment du fait du succès des vulgarisateurs culturels qui entendent diffuser un savoir qui représente les controverses internes à l’université, mais ne laisse pas forcement de place aux controverses publiques : puisque le quidam abandonne ses préjugés et ses questions initiales au contact du savoir scientifique du vulgarisateur. De plus les logiques de professionnalisation des YouTubeurs, leur popularité, le fait que ceux-ci soient considérés comme des entrepreneurs qui doivent « gérer leur communauté », le fait que YouTube soit cité comme une source par les médias, et enfin le fait que des journaux et journalistes (France 24, Médiapart) et des professionnels de la politique créent leur chaine (Mélenchon, Fillon, Philippot…) tend à faire de YouTube un média à part entière qui traite l’information qu’il diffuse de part son fonctionnement interne. On se rapproche donc du modèle d’instruction publique en ce que le quidam n’intervient pas dans la controverse, et que parfois, cette controverse est présentée comme un conflit de personnes entre les YouTubers influents (on parle alors de drama ou de clash, mettant en jeu les réputations plus que les thèses).
Reste cependant à noter que la vulgarisation du savoir critique des sciences humaines sur YouTube peut parfois permettre à la plateforme de s’approcher du modèle du débat public. La pensée critique est revendiquée de nature incertaine et contre intuitive, elle est autant sujette à controverse qu’elle provoque et enrichit celle-ci. On peut alors se demander si à terme, se développera ce modèle ou les scientifiques et vulgarisateurs sur YouTube enrichiront leur savoir et seront confrontés aux internautes qui critiqueront dans les commentaires les inexactitudes, tandis que le savoir vulgarisé alimentera le débat public en grilles d’analyses qui seront récupérés et modifiés par les quidams. Ce modèle nous donnerait alors à voir un gigantesque lieu de débat universitaire à ciel ouvert et hors de l’université : un lieu ou les débats publics peuvent prendre forme de façon plus complexe et nuancée que dans les médias à proprement parler qui diffusent des informations.
Pour finir, un modèle de co-production des savoirs dans le cas de Youtube nous semble moins certains. C’est pourtant le modèle que semble vouloir développer Usul dans la conférence de février 2016 « Vulgarizators » qu’il a donné à L’ENS et qui est diffusée sur YouTube. Celui-ci considère que le peuple est de plus en plus instruit (en termes de diplôme), et a donc de plus en plus accès au savoir critique. Ce savoir critique implique une perte et une crise de légitimité des médias et des méthodes traditionnelles de gouvernementalités. Il incite alors tout internaute à se comporter en vulgarisateur et en « expert citoyen » en devenir : « mon rêve secret c’est que tout le monde vulgarise tout ». Les quidams ne se contentent plus de commenter mais créent du contenu lié à leur domaine de connaissance (comme Wikipedia). Ainsi chaque citoyen expert mettrait en avant ses idées en les appuyant sur des recherches et des documents. Recherches rendues possibles grâce au Web. Le manque de légitimité du quidam, la posture critique des internautes et le fait qu’il doive citer ses sources permettrait alors de garantir la qualité du contenu. On verrait alors un modèle dans lequel on ne parlerait pas de vidéastes mais de contenus de controverses, produits par des quidams qui se documentent, comme des experts citoyens : co construisant alors du savoir critique, on verrait alors les citoyens se constituer en des communautés de savoir, dans la continuité de l’idéal démocratique d’internet et des universitaires.
Les présents travaux s’appuient essentiellement sur de l’ethnographie de contenu vidéo de la plateforme YouTube. Il pourrait s’avérer intéressant de soumettre les différentes hypothèses, que nous avons soulignées, à l’étude des commentaires des internautes et à la réception du contenu.
(Le retard dans la publication du dossier est du à l’incompatibilité de WordPress avec google chrome je pense)
Bibliographie :
-Ayral S. La fabrique des garçons. Sanctions et genre au collège. puf, Paris, 2011, 205 pages
-CALLON M. « Des différentes formes de démocratie technique », Gérer et comprendre, Annales des Mines, janvier 1998, pp. 63-73.
-Dubois M. « Introduction », L’Année sociologique, 2/2013 (Vol. 63), p. 345-357.
– Patrice F. Une histoire de la communication moderne. Espace public et vie privée. Paris : La Découverte, 1991. – 281 p.
-Merton R. 1938, « Science, Technology and Society in Seventeenth Century England »
-Willis P. E., L’École des ouvriers. Comment les enfants d’ouvriers obtiennent des boulots d’ouvriers, Éditions Agone, coll. « L’ordre des choses », 2011, 456 p.
-STRAUSS Anselm (textes réunis par Isabelle BASZANGER) (1992), La Trame de la négociation. Sociologie qualitative et interactionnisme, Paris, L’Harmattan. 319 p.
Sources Ethnographiées
Halimi S. Les Nouveaux Chiens de garde, Liber-Raisons d’agir, novembre 2005, 160 p
Presse web
–http://tempsreel.nouvelobs.com/les-internets/20140306.OBS8757/studio-bagel-golden-moustache-la-guerre-de-l-humour-est-declaree.html
-http://rue89.nouvelobs.com/2016/05/31/web-dieudonne-prend-michael-moore-264165
–http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2013/12/30/01016-20131230ARTFIG00404-d-o-vient-la-quenelle-de-dieudonne.php
–http://www.lepoint.fr/societe/affaire-dieudonne-la-recette-de-la-quenelle-31-12-2013-1775740_23.php
Sites annexes
Egalité et Réconciliation : http://www.egaliteetreconciliation.fr/
On vaut mieux que ca :http://www.onvautmieux.fr/
Scop Le Pave: http://www.scoplepave.org/l-equipe-du-pave
Vas niquer ta mère(Raptor Dissident):http://vasniquertamere.com/
Vidéos/chaines Youtube
-Norman : https://www.youtube.com/user/NormanFaitDesVideos
-Golden Moustache : https://www.youtube.com/user/GoldenMoustacheVideo
-Studio Bagel : https://www.youtube.com/results?search_query=studio+bagel
-French Ball : https://www.youtube.com/user/FrenchBallchannel
-Web série des Descraques :https://www.youtube.com/user/watchthevisitor
-Cyprien Gaming : https://www.youtube.com/user/CyprienGaming
-Antoine Daniel : https://www.youtube.com/user/MrAntoineDaniel et https://www.youtube.com/channel/UCJRljQ8OcyfzHBYpS_bDbow
———–
-Dieudonné Officiel : https://www.youtube.com/user/iamdieudo4
-JM Le Pen: https://www.youtube.com/user/jmlpofficiel
-ERVT : https://www.youtube.com/user/ERTVtube
———–
-E-penser : https://www.youtube.com/user/epenser1
-Dany Caligula: https://www.youtube.com/user/DanyCaligula
-Nota Bene : https://www.youtube.com/user/notabenemovies
-Dirty Biology : https://www.youtube.com/user/dirtybiology
-La tronche en biais : https://www.youtube.com/user/TroncheEnBiais
-Horizon-gull : https://www.youtube.com/channel/UCGeFgMJfWclTWuPw8Ok5FUQ
———–
-Pas vu pas pris Pierre Carles : https://www.youtube.com/watch?v=6DgOE9KZZME
-Franck Lepage conférence Gesticulée : https://www.youtube.com/watch?v=9MCU7ALAq0Q
-Usul: https://www.youtube.com/user/usulmasta
-Conférence Vulgarizators Usul : https://www.youtube.com/watch?v=124BhP3bR8E
-Osons causer: https://www.youtube.com/channel/UCVeMw72tepFl1Zt5fvf9QKQ
———–
-Controverse autour de Pardon YouTube :
–https://www.youtube.com/watch?v=8X-VTJr7zUQ
–https://www.youtube.com/watch?v=ImxRAErNrsk
–https://www.youtube.com/watch?v=HrFAeRrH3EM
-Exemple de page Tipeee: https://www.tipeee.com/e-penser
-Source image libre de droit : https://pixabay.com/fr/appareil-photo-photo-black-ic%C3%B4ne-1265913/