Mélanie KAROGLU
Certains jeux vidéo marquent l’actualité vidéoludique tant ils sont prisés, joués, et dérivés sur des supports divers. Pokémon fait indéniablement partie de ces jeux. Il s’agit à la base d’un jeu où vous incarnez un dresseur qui part chasser les pokémon, ces petites créatures aux pouvoirs puissants, dans l’espoir de tous les capturer, jusqu’au dernier.
Mais si Pokémon se joue d’habitude sur des consoles vidéo portables, Niantic marque de son empreinte le domaine de la réalité augmentée. Jouable sur smartphone, il s’agit de capturer des pokémon dans le monde réel. Entre découverte géographique et activité ludique, Pokémon GO s’inscrit dans l’actualité du Big Data et de la réalité augmentée.
Le jeu fait marcher, découvrir et incite des foules à courir pour attraper un pokémon rare qui vient d’apparaître sur la carte. Malheureux à celui qui n’aura pas su ou pu l’attraper alors que tous ceux qui l’entourent ont réussi à l’avoir.
Phénomène de mode ou enjeu à long terme, Pokémon Go déplace les foules, littéralement. Certains pokémon n’apparaissent qu’à certains endroits, et certaines villes sont plus prisées pour la chasse que d’autres.
Mais alors, comment jouer quand la géographie influe sur le jeu ?
Démarche
Ma première démarche a été de regarder sur Facebook les groupes créés suite à la sortie du jeu. Celui-ci propose trois équipes : l’équipe Jaune, l’équipe Bleue et l’équipe Rouge. Chaque joueur choisit son équipe au début de son aventure. J’ai ainsi envoyé une demande à rejoindre le groupe Facebook de la « Team Jaune » de Pokémon GO. Comme son nom l’indique, il s’agit d’un groupe fermé où les joueurs de l’équipe Jaune peuvent communiquer ensemble sur Facebook. Après que ma demande ait été acceptée, j’ai pu évoluer au sein de ce groupe de joueurs de Pokémon GO, qui s’échangent conseils de déplacement et expérience de jeu. Ma démarche est d’abord ethnographique, pour mieux m’imprégner des expériences des joueurs. Cette ethnographie m’a aidée à distinguer plusieurs caractéristiques. Enfin, dans un second temps, j’ai posté plusieurs questions pour intensifier ma démarche et comprendre mieux l’univers de Pokémon Go à travers les réponses que certains joueurs m’ont données.
Pokémon GO : Les cartes interactives
Les cartes interactives sont un exemple frappant de la collaboration et de la géolocalisation incitées par ce jeu. Chaque pokémon a son spot, c’est-à-dire un endroit géographique où sa fréquence d’apparition est la plus forte. Les joueurs recensent alors leurs découvertes et trouvent dans les cartes interactives un recueil d’informations qui influent sur leurs déplacements. En effet, certains ont créé des sites web cartographiant la France avec les différents spots. Ceux-ci ont été indiqués par les joueurs eux-mêmes, et tout le monde peut accéder à cette information, et être libre d’y indiquer les siennes à son tour. L’aléatoire du jeu fait que chaque expérience de joueur est unique et fait de chaque joueur un détenteur d’informations qu’il peut transmettre aux autres s’il le souhaite.
Exemple de cartes : Pokemap, Pokemon Go Map Live, Go MAP et PokemonGoMapInfo, Go Radar.
Les joueurs imaginent donc une cartographie du jeu. Ci-dessous une carte réalisée par un joueur et postée sur un groupe Facebook de Pokémon GO.
Ainsi, ils sont autant joueurs qu’acteurs. La géographie influe sur les pokémon qui apparaissent. Ainsi, certaines villes sont moins fournies que d’autres en pokémon. De plus, le jeu impose de marcher car il existe des œufs de pokémon qui ne vont éclore qu’après une certaine distance parcourue. Ainsi, les joueurs doivent se déplacer. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ça marche.
Pokémon GO : Les modifications des habitudes
Plusieurs interrogations me sont venues en posant ce sujet, orientant de ce fait les questions que j’ai posées à plusieurs joueurs du groupe facebook de la Team Jaune.
« Moi j’essaie d’y aller au moins 1 fois par week-end j’habite à 1h30 de la villette et je vais à la villette les aprem quand les cours me le permettent sachant que j’ai cours sur paris».
Le jeu a connu un tel élan et une telle médiatisation que les joueurs n’hésitent pas à effectuer de longs déplacements pour capturer les pokémon qu’ils n’ont pas.
« Pour ma part j’habite Montreuil. J’ai changé mes habitudes niveau trajets boulots le matin pour être au max en bus et passer par de nombreux pokestop et devant des petits squares où j’ai le plus souvent une belle surprise… entre midi et deux j’essaie d’aller au Louvre et alentours. Tous les vendredis après-midi je fais un circuit spécial bus + marche – je ne regarde pas trop où je vais et me déplace un peu au hasard très drôle et sympa. La Villette j’y ai passé 2 week-end c’est LE supermarché du Pokémon je donne facilement des RDV au Troca alors que j’y allais jamais etc… quoiqu’il en soit je n’ai jamais été autant en extérieur que depuis cet été que je suis sur P.Go ! Top !!! »
« Pour ma part, j’ai également changé mes habitudes. J’habite Boulogne et je travaille sur Vincennes donc je dois traverser tout Paris. Le matin, je ne change rien mais le soir j’essaie de trouver quotidiennement des nouveaux trajets. Je prends le métro ou le rer de Vincennes pour me rendre dans Paris : île de la cité, jardins du Luxembourg, tuileries, jardin des plantes et surtout champs de mars trocadéro. C’est loin de chez moi (1h30 environ).
En général après ma chasse je rentre à pied jusqua boulogne ou en bus. Depuis troca, tuileries ou île de la cité. ça fait une trotte mais j’aime bien marcher et le 16e est plutôt calme en soirée (pour les arènes) et jai toujours besoin de me refaire en ressources après les chasses. Le bus est idéal pour ça. »
Les transports en commun, comme le tramway et le bus, permettent de chasser, là où le métro et le RER rendent la chose plus compliquée. Les joueurs ci-dessus nous permettent d’apprendre que même les transports jouent un rôle important dans la chasse de pokémon. Même Pokémon GO prend cela en compte car pour ceux qui se déplacent en voiture et qui sont voyageur et non conducteur, il ne faut pas dépasser une certaine vitesse si le joueur souhaite pouvoir voir des pokémon apparaître dans le radar du jeu. Le jeu modifie les habitudes de déplacement. Changement d’itinéraire, déplacement dans des lieux jugés riches en pokémon, distance parcourue volontairement plus longue…
« Je préfère marcher dans tout Paris et traquer ce que je vois dans mon radar, prendre un vélo, sauter dans un bus, marcher, chasser et finir par rentrer chez moi autrement qu’en métro(boulot-dodo). »
« Et nous avons déjà parcouru 50 km pour venir à la Villette, avant de passer la nuit à Montsouris. Aujourd’hui et vivant à la campagne, nous jouons peu et attendons la prochaine grosse MAJ, mais si nous devons parcourir des kilomètres pour chasser à Paris, ce sera aussi dans l’intérêt de partager d’autres moments conviviaux avec la Yellow Team »
Esprit de compétition mais aussi de collaboration, l’idée est de tous les attraper mais permet aussi de réunir les joueurs. Ils devinent qui est en train de jouer par la posture et le téléphone dans la main.
Je me suis moi-même déplacée à la Villette pour être au plus près des joueurs et regarder leurs comportements. Ils viennent souvent en famille ou par groupe d’amis et se réunissent tous dans des endroits importants de la Villette. Les joueurs parlent spontanément entre eux, pour poser des questions sur les pokémon par exemple. J’ai également vu des mouvements de foule où une grande partie des joueurs présents se déplaçaient jusqu’à la rue où un pokémon rare et/ou puissant apparaissait. J’ai moi-même suivi le mouvement et ai pu constater que les joueurs étaient capables de marcher tous regroupés ainsi pendant un laps de temps très long et même de courir car l’apparition d’un pokémon est limitée dans le temps et disparaît au bout de quelques minutes.
Sur le groupe Facebook, j’ai demandé aux joueurs les spots géographiques qui leur semblaient les plus intéressants et les plus utiles pour attraper plein de pokémon. Ci-dessous la carte que j’ai réalisée avec les mentions des endroits mentionnés.
Ainsi, nous pouvons relever les endroits prisés par les joueurs, ceux qui attirent le plus et ceux dans lesquels nous sommes le plus susceptibles de les trouver.
« Perso j’habite à près d’une heure de la villette mais j’y allais pendant les vacances du matin au soir, pas tout les jours. Y avait de la qualité et de la quantité niveau pokemon, mais avec la rentrer et les changement de spawn j’y vais plus, un peu aussi à cause de la distance. Donc en temps que joueur lambda tant que c dans un parc à Paris avec de bon spawn je suis prêt à y aller »
« J’habite dans le 77 et je suis allée jusqu’à la Villette pour une journée complète avec des amis. Je mets environ 1h30 pour y aller en transport. »
Pokémon Go : Les réseaux sociaux
Pokémon Go peut tout à fait se jouer seul. Mais l’utilisation des réseaux sociaux montrent que les joueurs peuvent jouer seuls ‘ensemble’ ou jouer ensemble. Nous allons voir ça plus en détail à travers une catégorisation des différents types de publication sur le réseau social Facebook. Deux groupes Facebook ont été utilisés pour réaliser cette catégorisation, et chaque catégorie se retrouve dans chacun de ces groupes. Les groupes utilisés sont : Pokémon Go Paris et Pokémon Go Paris Team Jaune.
- Spots
- Partager les pokémon qu’on a capturé (les bons et les mauvais)
- Demander des conseils sur le jeu
- Demander des conseils sur les spots
- Partager l’apparition des Pokémon rares
- Partager des photos amusantes
- Partager sa localisation et demander des informations sur le lieu
- Partager sa localisation et demander si d’autres joueurs sont présents
- Demander si certains sont intéressés pour attaquer une arène, autre élément du jeu
- Partager le nom des joueurs qui tricheraient
« Quelqu’un connaît un spot à Magmar ? » Les joueurs jouent avec les autres. Pokémon Go n’est pas un jeu replié sur lui-même. Sa logique même est celle de demander aux autres de partager leurs informations sur la présence des pokémon, pour ensuite aller suivre ces indications.
« Pour ceux qui sont dans le coin, il y a de très gros pokémon au mont saint michel »
Il y a donc des communautés géographiques qui se forment. Par exemple, il existe le Facebook « PokémonGoParis » qui permet aux joueurs parisiens de se réunir sur un même groupe Facebook.
Pokémon GO : la communication par l’image
Comme énoncé dans la partie précédente, les joueurs usent des réseaux sociaux pour partager informations, expériences de jeu, anecdotes amusantes et collecter des informations. Mais une chose frappante qui apparaît est l’image. L’image est omniprésente.
Plusieurs catégories sont associées à l’image :
- la carte proposée par le jeu
- l’image des arènes
- l’image du pokémon rencontré
C’est une façon de communiquer. Un joueur qui présente la carte de l’emplacement sur lequel il se trouve permet d’en apprendre beaucoup. Si la carte est vide, c’est qu’il se trouve dans un coin abandonné du jeu et c’est une façon d’exprimer sa tristesse. Si la carte est remplie de pokémon et d’arènes, c’est une façon d’exprimer sa joie et sa fierté.
Pokémon GO : Déplacements dans le monde réel
La particularité de Pokémon Go est que le jeu est virtuel mais prend place dans le monde réel. Aussi, l’action principale est réelle : il s’agit du déplacement. Comprendre les stratégies de déplacement des joueurs, c’est aussi comprendre les motivations qui se cachent derrière ces déplacements, comprendre pourquoi les joueurs acceptent d’en faire de si longs, suivent des mouvements de foule, des courses effrénées pour attraper le pokémon. Je me suis entretenue avec quelques joueurs du groupe facebook de la Team Jaune auxquels je leur ai posé quelques questions. Les réponses reçues permettent de dégager des éléments de compréhension. Ces réponses sont mises entre guillemets et proviennent majoritairement de joueurs masculins.
Intéressons-nous aux mouvements de course qui ont été médiatisés. Je me suis intéressée à la raison qui pousse les joueurs à courir. Ils seraient dus à l’adrénaline, celle du compte-à-rebours avant que le pokémon rare ne disparaisse. Cette adrénaline est elle-même motivée par les autres joueurs qui courent.
« Oui [je cours], car il était très rare. Dans d’autres cas, parce qu’en plus de la rareté, tout le monde courrait à côté, c’était entraînant. »
« Oui [je cours] quand il est vraiment rare, parce que pour l’adrénaline, c’est grisant ^^, ce n’est ni plus ni moins la même chose qu’un jeu de piste. »
« Oui, dans le sens de courir non pour les œufs mais pour se dépêcher de trouver un pokémon rare ou pour avoir rapidement une arène avant qu’elle ne soit prise. Pour être plus précis, quand je vois un pokémon rare apparaître dans un lieu que je connais, je sais quels sont les endroits où il peut être et donc je peux m’y précipiter »
Le jeu possède donc un attrait de rapidité car ceux qui n’auraient pas couru pour le pokémon peuvent risquer de le regretter s’ils n’ont pas eu le fameux pokémon que les autres auraient réussi à avoir. Ne pas avoir le pokémon, c’est être en reste par rapport à ceux qui l’ont eu, ces derniers pouvant crier et exulter de leur victoire.
Les joueurs sont également motivés à l’idée de compléter le pokédex, à l’instar du jeu vidéo originel. En effet, le dresseur possède un pokédex, une sorte d’encyclopédie où chaque pokémon a sa place réservée, qu’il convient d’attraper pour la remplir. Ainsi, il y a une certaine fierté à remplir son pokédex.
« Toute cette génération a voulu un jour être dresseur pokemon, et c’est un rêve qu’on nous a offert. »
Les longues marches sont dues aussi à l’envie d’explorer et de découverte. Parce qu’ils sont obligés de visiter certains endroits spécifiques qui possèdent un ou plusieurs pokémon que d’autres endroits ne possèdent pas, les joueurs découvrent de nouveaux coins et se déplacent massivement et font de longs trajets.
« Pokémon GO est juste un jeu qui nous fait sortir de chez nous, de nos salons, de nos chambres, tout simplement. Il n’y a jamais eu plus de joueurs qu’avant ! Sauf qu’aujourd’hui on joue à découvert ! Ajouté à cela il y a le fait que les Pokémons ont traversé les générations »
« Le jeu me donne une raison d’avoir envie de sortir de chez moi et le fait que j’aime la marche fait le reste. J’adore aussi voyager et découvrir des coins que je ne connais pas. Le jeu est bien pour ça. »
Mais aussi pour marcher.
« Mon objectif principal : marcher. Ma médecin m’a dit de faire plus d’activité sportive et je lui ai dit que j’avais du mal à trouver un sport qui me motive assez pour sortir de chez moi. Le footing, j’ai tendance à abandonner l’hiver. Elle me dit : marchez au moins 10 000 pas par jour »
Enfin, une des raisons de ce succès vient de la franchise elle-même.
« J’avais déjà entendu parler d’ingress et je souhaitais tester mais la franchise pokemon est plus connue et je crois que le jeu a un plus grand potentiel de renouvellemznt et aussi une plus grande communauté et c’était l’occasion de découvrir cette franchise que j’ai loupé plus jeune, ce qui est un plus pour un geek ![…]. Ce jeu est novateur mais en plus il porte sur une franchise ultra connue dont le but était déjà d’explorer pour trouver des pokemons. Ça ne pouvait que marcher ! »
« Ce jeu est différent car il repose sur du casual gaming, ce qui est très rare, mais en même temps de manière très récurrente. Ce n’est pas du casual comme Candy Crush, mais en même temps une fois les actions accomplies, si on ne part pas chasser on ne peut pas faire plus. En somme le jeu parvient à être addictif car on agit et en même temps pas trop obligatoire. La raison du phénomène vient pour moi au fait que tout le monde connaisse Pokémon, que le jeu est gratuit et surtout qu’il y a eu une belle médiatisation. 4) »
« Il est le premier qui se base sur une licence ultra connue et qui a comme concept de se déplacer, d’échanger et d’attraper. Grosso modo, de faire exactement ce qu’on faisait dans le jeu d’origine »
Le jeu permet donc à ceux qui sont nés avec de redécouvrir le jeu, de s’immerger dans la franchise d’une façon nouvelle, tout en accordant à ceux qui ne connaissent pas Pokémon de découvrir la franchise pour mieux, peut-être, rebondir sur les jeux sortis sur nintendo ds et 3ds.
CONCLUSION
Il n’est pas question ici de savoir si Pokémon Go est un jeu qui va marcher dans la continuité ou s’il est voué à disparaître. Quelle que soit l’issue de ce jeu, il a mis en exergue la logique d’interaction et de coopération dans un espace géographique des joueurs. Pokémon Go a été très relaté car la particularité du jeu, c’est de le rendre visible. Il est facile de voir les joueurs de Pokémon GO jouer. De par leur regroupement dans certains endroits, cette visibilité est accrue.
« Dans l’avenir, les jeux mélangeront de plus en plus la réalité et le virtuel »
Le succès de Pokémon GO semble montrer la voie à de nouveaux jeux faits de ce mélange virtuel/réel et les joueurs eux-mêmes le pensent.
Pokémon GO n’est pas le premier jeu à utiliser ce mélange mais c’est le premier jeu à avoir bénéficié d’une telle médiatisation : télévision, youtubeurs, articles de presse… Tout l’été nous avons pu en entendre parler. Les rassemblements à la Villette ont été reportés à la télévision, les mouvements de foule, de course. Ce qui surprend avec Pokemon Go, c’est la liesse et les mouvements de foule que le jeu engendre.
Chaque joueur se construit sa propre expérience du jeu, avec ses coins préférés, ses trajets personnels. Mais l’attrait de Pokémon GO, mais aussi ses caractéristiques, se situent dans une logique de collaboration, de compétition et de partage d’informations. Les joueurs se déplacent ensemble, courent ensemble, attrapent ensemble et affichent aux yeux de tous leurs trouvailles, leurs échecs et leurs parcours.