Mathilde Cousin & Alexia Battoia
Introduction
Depuis la création d’internet, et plus particulièrement du Web 2.0, les internautes souhaitent trouver et partager des informations rapidement. D’après une étude Médiamétrie de 2015, le taux de couverture est de 96.4% sur mobile pour les 15-24 ans, contre 83.9% sur desktop et 47.7% sur tablette. Les jeunes sont donc beaucoup plus enclin à utiliser leurs smartphones pour accéder à Internet, en particulier pour utiliser les applications. Facebook, Twitter ou encore Instagram sont des applications utilisées principalement sur mobile pour partager de l’information et s’informer : “Médias, plateformes sociales et sites e-commerce sont sans doute les secteurs les plus touchés par le phénomène. Whatsapp, Instagram ou encore Snapchat, sur lequel sont inscrits 37% des internautes français âgés entre 15 et 24 ans, sont devenus des bassins d’audience énormes”[1].
L’instantanéité est un critère primordial pour les utilisateurs : ils doivent trouver tout de suite ce qu’ils cherchent, sinon ils se désintéressent et passent à autre chose. 66% des Français estiment devoir recevoir une réponse en moins d’une heure lorsqu’ils s’adressent à une marque sur les réseaux sociaux. La notion de temps réel devient de plus en plus importante. Susan Weinschenk, sociologue, explique dans son article “100 Things You Should Know About People: #8 — Dopamine Makes You Addicted To Seeking Information” que nous devenons dépendants à l’information : “les alertes de messages non lus, les nouveaux commentaires sur les profils, les tweets reçus, les récents résultats de recherche… Chaque alerte devient une cloche de Pavlov qui stimule l’internaute en créant une dépendance et des réflexes de conditionnement d’une grande influence sur son comportement”[2].
Cette notion de temps réel et ce besoin d’instantanéité poussent les marques à réagir au niveau du marketing. Elles doivent produire du contenu 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 afin de rester présente auprès de leur cible. Les marques sont donc de plus en plus présentes sur les réseaux sociaux principaux : Facebook, Twitter et Instagram. Surtout, elles investissent des réseaux sur lesquels on ne pensait pas les y trouver. Snapchat en est l’exemple-type : conçu sur mobile et permettant de partager des photographies instantanées entre amis, il semble peu probable d’y trouver des marques. Et pourtant, il est quasiment devenu indispensable d’y être actif et original.
Avec l’arrivée de la fonctionnalité Discover sur Snapchat, et son ouverture à certains médias français, les journaux ont donc également fait leur apparition sur le réseau social, dans une catégorie dédiée. Il s’agit pour eux aussi de se réinventer pour coller à l’image de Snapchat et pour proposer un contenu adapté, à la fois au fonctionnement du réseau social et à une nouvelle cible : “Discover va nous permettre de toucher une audience qui ne fréquente quasiment pas nos sites”[3].
Notre questionnement se portera ainsi sur la communication de marque au travers de Snapchat et de l’image conversationnelle. Est-il possible pour une marque d’adapter sa communication à un support si particulier ? Comment les utilisateurs perçoivent-ils la présence des marques et des journaux sur Snapchat ? L’image conversationnelle peut-elle être mise au service d’une communication professionnelle ?
A travers notre exposé, nous allons tenter de répondre à ces différentes questions. Dans un premier temps, il s’agit de comprendre d’où vient le phénomène Snapchat notamment par l’étude de l’évolution des usages sociaux des images à travers deux aspects : l’image conversationnelle et la consécration du selfie. Pour cela, nous allons retracer la dématérialisation photographique et l’émergence de ce qu’André Gunthert qualifie de “fluidité des images”, pour ensuite nous arrêter sur les réseaux sociaux et l’essor de “l’image conversationnelle”.
C’est ensuite que nous nous attarderons sur Snapchat comme application utilisatrice d’image conversationnelle éphémère. C’est à travers l’historique et l’exposition des enjeux de Snapchat, que nous pourrons nous demander si ce réseau social est un lieu de conversation entre liens forts et/ou faibles.
Dans un second temps, nous analyserons l’appropriation de Snapchat par les marques et les journaux, tant via leurs comptes utilisateurs que via Discover. Nous questionnerons d’abord le positionnement des marques sur ce réseau social : ton employé, images utilisées. Il s’agit de mettre en exergue leur stratégie communicationnelle sur un réseau social n’étant pas destiné à accueillir des articles de presse ou de la communication de marque.
Cette première analyse nous mènera ensuite à questionner le ressenti des utilisateurs de Snapchat vis-à-vis de ces marques et journaux. Nous analyserons si l’absence de liens entre l’utilisateur lambda et un compte professionnel entrave l’appropriation de l’image conversationnelle par les marques.
Evolution des usages sociaux des images : image conversationnelle et selfie
L’arrivée du numérique et d’internet nous a propulsé directement dans une nouvelle ère, celle du web 2.0 dans laquelle l’image est devenue ubiquitaire. Cette ubiquité se traduit notamment par l’émergence de plateformes de partage de contenus visuels, dans un premier temps de photographies puis de vidéos. La toute première fut FlickR (de l’anglais flick through, feuilleter). Les images jouent ainsi un rôle primordial dans le fonctionnement de ces plateformes qui favorisent les échanges entre utilisateurs et créent de nouveaux usages ; nouveaux usages qui aboutissent à l’idée de “l’image conversationnelle”, concept évoqué pour la première fois par Dominique Cardon, Jean-Samuel Beuscart, Christophe Prieur et Nicolas Pissard[4] en 2009, puis reprise par André Gunthert en 2015[5].
Web 2.0, images et réseaux sociaux
Dématérialisation photographique et fluidité des images
Le passage de la photographie argentique vers la photographie numérique composée de pixels fut conséquent, à tel point qu’il s’annonçait au départ comme une catastrophe susceptible de détruire la photographie. Cependant, André Gunthert explique dans L’empreinte digitale que “cette catastrophe ne s’est pas produite”[6]. Malgré la dématérialisation de la photographie, nous continuons de capturer des moments. Celles-ci n’ont donc pas disparu mais se sont vue modifiées : c’est la dématérialisation.
Intrinsèque au procédé numérique, elle a fait “basculer [la photographie] dans le régime général des images. Détachée de son exigence de vérité, ayant perdu son autorité, elle se trouve aujourd’hui contrainte de réexaminer son rapport au réel”[7]. Ce sont ces images qui sont indépendants de tout support physique, elles sont “volatiles” et peuvent être transférées plus aisément. C’est cette facilité de télécommunication qu’André Gunthert qualifie “d’ubiquité”[5].
L’arrivée d’internet et du web 2.0 a accru ces échanges de manière considérable. Les photographies et images peuvent aujourd’hui être intégrées à des contenus web diffusables sur internet : c’est ce qu’il qualifie “d’universalité”[5]. Ces nouvelles images sont donc dotées d’une plus grande mobilité appelée “fluidité”[8]. Issue de la “conversion de l’information visuelle en données archivables, modifiables et communicables”[9] cette caractéristique libère la photographie de sa dépendance au support matériel tel que le papier. Aujourd’hui, la fluidité des images est renforcée par l’omniprésence des smartphones, c’est-à-dire par l’intermédiaire de l’appareil photographique intégré associé à la connexion internet embarquée. Selon une enquête réalisée par l’OPI, c’est en 2011 que la tendance se fait ressentir : la vente de smartphones est passée de 2,6 millions en 2009 à 11,4 millions en 2011 passant devant la vente de téléphone “basique” (9,6 millions)[10].
Aujourd’hui, le nombre de ventes de smartphones ne fait qu’augmenter. L’IDC (International Data Group) prévoyait une hausse de 10,1% pour les ventes de ces dispositifs en 2015, soit un total de 1,432 milliard d’unités vendues[11]. Comme dit précédemment, l’avantage indéniable de ces nouvelles technologies est d’offrir une connexion à internet permettant de partager aisément de plus en plus de contenus visuels et donc d’accroître la fluidité. « Avec son téléphone, puis son Smartphone, chacun devient un temps journaliste, reporter, photographe et même cameraman »[12].
De fait, de nouveaux usages de l’image se développent, notamment du côté des amateurs. C’est ce qu’expliquent Dominique Cardon, Jean-Samuel Beuscart, Christophe Prieur et Nicolas Pissard dans leur article “Pourquoi partager mes photos de vacances avec des inconnus ? Les usages de FlickR” : “A côté des manières traditionnelles de fixer les événements rituels de la vie familiale, la photographie est de plus en plus invitée à enregistrer les événements quotidiens, à donner de nouvelles couleurs à la sociabilité de proximité et à favoriser la mise en scène des individualités”[4]. En effet, les smartphones permettent à leurs utilisateurs de prendre des photographies tout le temps, au point de devenir des “touristes du quotidien”[8], mais également de les partager sur des sites dédiés.
L’OPI a montré, dans la même étude de 2011, que les habitudes de partage des images sur les sites communautaires, notamment les réseaux sociaux, ont été multipliées par 2,5 en moyenne entre 2008 et 2011[10]. Autrement dit, les gens partagent 2,5 fois plus leurs images sur les réseaux sociaux en 2011 qu’en 2008. Sur le graphique présenté en annexe, nous constatons que ces nouvelles habitudes de partage sont davantage utilisées par les jeunes : c’est ce que les spécialistes ont appelé la “génération Y”[13]. Comprise entre 15 et 30 ans, elle est composée des « natifs numériques”[13] qui ont grandi avec internet, les réseaux sociaux, les jeux vidéo et les smartphones, premier outil de partage utilisé.
Nous assistons donc, par l’intermédiaire de la dématérialisation, de la fluidité, des échanges grandissants et de l’émergence des smartphones à un “élargissement de l’espace de circulation des photographies avec le développement et la généralisation numérique”[4]. Cependant cet élargissement ne s’arrête pas à la simple utilisation de “caméra embarquée” dans un téléphone. Effectivement, l’apparition des réseaux sociaux tels que Facebook renforce cette fluidité avec l’essor d’un nouveau type d’images : “l’image conversationnelle”.
Réseaux sociaux et essor de “l’image conversationnelle”
Notion inventée par John Arundel Barnes[14] en 1954, l’idée de réseau social est sujette à des analyses sociologiques se basant sur la théorie des réseaux et la théorie des graphes. François Ost et Michel van de Kerchove définissent le réseau comme étant une “trame ou une structure composée d’éléments ou de points, souvent qualifiés de nœuds ou de sommets, reliés entre eux par des liens ou liaisons, assurant leur interconnexion ou leur interaction et dont les variations obéissent à certaines règles de fonctionnement”[15].
Cette idée de liens est très importante dans la définition d’un réseau social. C’est ce que le sociologue américain Mark Granovetter explique dans sa théorie des liens forts et des liens faibles. Effectivement, dans son essai The strength of weak ties[16], il affirme que la force des liens est caractérisée par l’association de quatre paramètres : le temps passé ensemble, l’intimité entre les individus, l’intensité émotionnelle qui s’en dégage et la réciprocité du lien entre ces deux entités.
Les liens forts sont constitués des liaisons que nous entretenons avec les membres de notre cercle familial, il s’agit de relations puissantes, soutenues et, la plupart du temps, régulières. Ce sont les liens forts qui sont à l’origine de la cohésion sociale. Bien qu’inévitables et indispensables, ces liens suivent parfois le fonctionnement d’un circuit fermé : les relations ne sortent pas du cercle familial.
Les liens faibles, quant à eux, sont plus larges : ils sont constitués de nos connaissances plus ou moins proches, comme les amis ou les collègues. Au contraire des liens forts, ceux-ci ne peuvent fonctionner en circuit fermé.
Dans le même essai, M. Granovetter certifie que la force d’un individu ne provient donc pas de ses liens forts mais de ces liens faibles. Effectivement, il évoque la « force des liens faibles » : ceux-ci sont ouverts et donc diversifiés, ils permettent de pénétrer d’autres réseaux sociaux, alors inaccessibles par les liens forts. Ce sont donc les liens faibles qui facilitent l’intégration sociale d’un individu. Ils sont aussi à l’origine du “Phénomène du Petit Monde” établi par le psycho-sociologue Stanley Milgram[17], selon lequel tout individu serait relié à n’importe quel autre individu sur Terre, et ce par une courte chaîne de relations sociales. Il définit le concept des “six degrés de séparation”, lui-même basé sur l’expérience préalable de John Barnes[14 bis], grâce à laquelle il inventa la notion de réseau social.
Ce sont notamment ces deux théories qui ont permis de fonder le principe de réseautage : “ensemble des moyens virtuels (internet) mis en oeuvre pour relier des personnes physiques ou personnes morales entre elle”[18]. Le réseautage, et donc les réseaux sociaux, permettent ainsi d’enrichir le capital social[19] de chaque individu via la “possession d’un réseau durable de relations plus ou moins institutionnalisées d’interconnaissance et d’interreconnaissance” ou autrement dit “l’appartenance à un groupe”.
Nous assistons bien évidemment à l’émergence des premiers réseaux sociaux tels que Meetup et Friendster en 2002. Détrôné deux ans plus tard par MySpace (2004), il devient le tout premier site à forte popularité (plus de 100 millions d’utilisateurs en 2007)[20] ; il sera remplacé en 2008 par Facebook. S’enchaînent alors la création des géants du web 2.0 tels que Facebook (2004), FlickR (2004), Youtube (2005), Twitter (2006), TumblR (2007) ou encore Instagram, Pinterest et Snapchat (2011) dans lesquels l’image photographique prend de plus en plus de place, jusqu’à devenir le principal contenu présent sur la plateforme.
Les smartphones ont poussé l’utilisation de l’aspect conversationnel des images à son paroxysme. “Comme l’arrivée du cinéma ou de la télévision, celle de l’image conversationnelle transforme en profondeur nos pratiques visuelles”[8]. Prenons rapidement l’exemple de Snapchat dont la particularité première était de communiquer via les images. Application uniquement disponible sur smartphone, au contraire d’Instagram qui, utilisant aussi les images comme vecteur conversationnel, se voit être disponible sur ordinateur, Snapchat représente aujourd’hui 20 millions de photographies échangées par jour.
Snapchat et l’image conversationnelle éphémère
Historique et enjeux de Snapchat
Snapchat, créé en 2011 par Evan Spiegel et Bobby Murphy, deux étudiants de l’Université de Stanford en Californie[21], se décrit aujourd’hui sous le slogan “nous réinventons la façon de prendre des photos et des vidéos mais aussi de les partager. Nos produits permettent de communiquer plus facilement, profiter de chaque instant et découvrir le monde en s’amusant”[22]. Aujourd’hui elle est “la seule plateforme à avoir une pénétration aussi forte sur toute une génération”[23].
Dans le cadre de notre étude, nous avons diffusé un questionnaire en ligne qui a récolté 128 réponses. Notre enquête confirme la théorie précédente. En effet, l’intégralité des 14-17 ayant répondus utilisent Snapchat, environ 96% des 18-25 ans et des 26-35 ans l’utilisent également. La tendance chute légèrement avec “seulement” 43% des +36 ans conquis par l’application.
Pour créer cette application au fort taux d’utilisation, Evan Spiegel et Bobby Murphy affirment, en 2011, s’être inspiré de l’affaire judiciaire d’Anthony Weiner, élu de New-York qui aurait été obligé de démissionner après avoir envoyé des photographies à caractère sexuel à plusieurs femmes[24]. Ces photographies ayant laissé une trace, ils eurent l’idée de créer une application basée entièrement sur le caractère éphémère des échanges.
Snapchat a donc pour particularité l’existence d’une limite de temps de visualisation du média envoyé, c’est-à-dire que les images et/ou vidéos envoyées ne sont visibles, par leur(s) destinataire(s), que pendant un lapse de temps défini, allant de 3 à 10 secondes. Le caractère conversationnel se voit donc modifié légèrement. Effectivement les utilisateurs communiquent via l’image, mais ne garde aucune trace de cette conversation. Nous nous rapprochons alors des caractéristiques d’une conversation orale.
Le tout premier but est de pouvoir envoyer des médias photographies ou vidéo à nos propres contacts. Snapchat évolue ensuite via l’ajout de nouvelles fonctions. En 2014, Snapchat annonce la publication de messages publicitaires : la modification apportée étant que ces messages sont diffusés à large échelle, seul l’utilisateur décide de consulter ou non les médias poussés par l’application.
Fin 2014, il devient possible de communiquer avec nos contacts via messagerie. Presque identique aux systèmes de messagerie déjà existants, la particularité se situe une fois de plus au niveau du caractère éphémère proposé par l’application. Effectivement, les messages disparaissent une fois la conversation quittée. C’est également en 2014 que Snapchat propose un système de paiement via cette messagerie : Snapcash[25].
En 2015, Snapchat lance la fonction Discover, un service de diffusion de vidéos et/ou photographies par les médias traditionnels tels que Le Monde. C’est par l’intermédiaire de ce nouveau service que Snapchat peut dorénavant monétiser son contenu et créer un espace publicitaire pour les annonceurs. C’est notamment sur ce nouvel aspect que la suite de notre exposé portera.
En 2016, Snapchat change de nom pour s’appeler aujourd’hui Snap inc[21]. C’est la même année que Snap inc. acquière l’entreprise canadienne Bistrips qui crée alors l’application Bitmoji. Cette dernière permet aux utilisateurs de concevoir un avatar à leur image dans le but d’accentuer le caractère conversationnel des images en lui faisant vivre des situations à travers des bandes dessinées.
Dans l’ensemble, Snap inc. a pour but principal de surfer sur la vague de l’image conversationnelle et ce à travers le caractère éphémère des échanges. En effet, les utilisateurs communiquent quasiment exclusivement au travers des images que ce soit statiques ou en mouvement, en se sentant davantage libre. C’est au travers de ces images que de nouvelles conversations se créent. André Gunthert affirme alors :
“La victoire de l’usage [conversationnel] sur le contenu est particulièrement flagrante avec Snapchat (2011), une application mobile de messagerie visuelle qui propose l’effacement de la photo quelques secondes après sa consultation. Le caractère protégé de la conversation comme la fugacité du message iconique ont fait le succès de ce média auprès de la population jeune, qui l’utilise à un rythme proche du SMS. En programmant la disparition de l’image, Snapchat ajoute une dimension ludique, mais aussi une liberté supplémentaire pour l’usager, encourageant un usage informel ou relâché. L’application illustre clairement l’abandon du territoire de l’oeuvre et de l’élaboration au profit de la conversation en acte. Déjà largement perceptible sur la plupart des réseaux sociaux, ce déplacement suggère de décrire les pratiques ordinaires de l’image comme un nouveau langage.”[8]
C’est également cette appropriation du langage visuel qui nous propulse directement à “une réinvention du quotidien”.[5] “[…] Nous n’avons jamais disposé d’un outil aussi conversationnel, social et narratif que le système smartphone / réseaux sociaux.”[5] C’est en partie de là que Snap inc. tire son atoût majeur. Disponible uniquement sur smartphone, il entraîne de nouveaux usages.
C’est aussi par ces nouveaux usages que nous entrons dans une ère de consécration du selfie, terme apparu en 2013. “Si les autoportraits à bout de bras peuvent être préférés à la banale photo d’identité comme portrait de profil, ils s’accompagnent surtout de messages ou de légendes qui dévoilent le caractère fortement contextualisé de leur usage.”[5]
Snap inc. accentue cette notion par l’intermédiaire de la création d’une nouvelle fonction, dont les jeunes sont friands : les filtres. Ces filtres permettent aux utilisateurs, via une reconnaissance faciale, de changer de tête. Cette application est donc totalement appropriée à l’existence du selfie.
Snap inc. se base donc totalement sur l’aspect conversationnel des images en ajoutant une dimension de disparition s’approchant des usages de la conversation orale. Cependant ce caractère, principe intrinsèque à l’application, a tendance à se perdre. Il est effectivement possible de réaliser une capture d’écran des visuels envoyés par nos contacts. Que devient alors le caractère éphémère ?
Même au sein du service de messagerie, il est dorénavant possible d’enregistrer les messages en restant appuyé dessus un certain temps. Cette sauvegarde a été davantage accentuée par la possibilité de sauvegarder notre propre story, aussi bien sur l’application que sur le téléphone.
Dans l’idée originelle, le concept même de cette application procurait aux utilisateurs une sensation de liberté ; la liberté d’envoyer n’importe quel type de photographie sur une durée spécifique. Avec le développement des nouvelles fonctionnalités (filtres, people, discover, etc.) Snap inc. tendait vers un élargissement du réseau de communication des usagers. Et pourtant, l’ensemble des possibilités de détournement, évoqué ci-dessus, a contribué à un enfermement du réseau : le développement de nouvelles fonctionnalités n’a pas suffi pour agrandir le cercle de communication qui, au contraire, se recentre sur les liens forts.
Snapchat, une conversation entre liens forts ?
L’accroissement des possibilités de sauvegarde rapproche Snap inc. d’une messagerie “standard”, entraînant ainsi les usagers à ne communiquer qu’avec les personnes proches d’eux, comme ils le feraient par SMS : ils recherchent l’affinité. Notre enquête a corroborer cette particularité. Effectivement, 74,2%, soit 95 répondants sur 128 affirment utiliser Snapchat pour les amis. Seulement 7 répondants l’utilisent davantage pour suivre des comptes people.
L’idée de liens forts, et à contrario de liens faibles, est une théorie conçue par le sociologue américain Mark Granovetter dans son essai The Strength of weak ties. Il y affirme que la notion de lien est caractérisée par quatre paramètres : le temps passé ensemble, l’intimité entre les individus, l’intensité émotionnelle qui s’en dégage et la réciprocité du lien entre ces deux entités[16]. C’est pourquoi les amis et la famille s’insère dans les liens forts, contrairement aux connaissances réciproques, ou non, qui entrent directement dans les liens faibles, partie sur laquelle nous reviendrons.
Après analyse des réseaux sociaux, tels que Facebook, cette théorie s’affine avec l’idée des conversations numériques. “Intégrées par l’intermédiaire d’outils polyvalents aux systèmes connectés, les formes visuelles sont devenues un embrayeur puissant des conversations privées et publiques.”[5] Néanmoins, les conversations sont différentes en fonction de la personne avec qui l’utilisateur entre en contact. Les conversations entre liens forts sont des conversations bijectives, c’est-à-dire appelant à la réponse, alors que les conversations entre liens faibles ne le sont pas forcément.
Les échanges entre liens forts font parties d’une sorte de prolongation de la vie : il s’agit la plupart du temps d’échanges intimes et insignifiants, faisant suite à une rencontre physique par exemple. Ces discussions concernent à peu près tout et n’importe quoi. Aux antipodes, les relations avec les liens faibles permettent davantage d’échanges informationnels.
Le but initial de Snap inc. était donc d’offrir une liberté dans la conversation, ici visuelle, entre les liens faibles. Il s’agissait davantage de conversations privées, sans importance ou sans information réellement majeure. Toute l’importance des échanges et la compréhension réside dans le contexte des images.
“La photographie connectée fait du selfie le véhicule d’un type bien particulier de communication : le signalement instantané d’une situation, spécifiquement destiné à un récepteur. L’image devient ici un message visuel, dont l’interprétation dépend étroitement du triangle formé par son émetteur, l’occasion représentée et le destinataire visé, autrement dit présente un fort degré de dépendance au contexte”.[5]
Premièrement indiqué par une phrase accompagnant la photographie, il est aujourd’hui possible d’accentuer cette contextualisation. Différents moyens ont alors été déployés par Snap inc., tels que l’indication du km/h, de la ville dans laquelle l’émetteur se trouve, de la météo, ou encore les bitmojis évoqués précédemment.
En somme, Snapchat est une application paradoxale : elle prône la conversation visuelle privée, c’est-à-dire entre liens forts, tout en mettant en place de nouvelles fonctionnalités permettant la communication entre liens faibles. C’est le cas, par exemple, de la notification de capture. Freinée par la possibilité de capturer les images reçues, Snap inc. met en place un moyen de dissuader cette sauvegarde : la notification. L’utilisateur envoie une image, si elle est sauvegardée, ce dernier se voit notifier immédiatement de la capture écran du récepteur.
Bien que de nouvelles formes de comptes se soient développées (comptes people, comptes de marque ou encore “comptes-média” propulsés dans la fonction Discover), Snapchat était donc davantage basé sur les conversations privées sans limite. Qu’en est-il aujourd’hui ? Gary Vaynerchuk, gourou des réseaux sociaux, affirme :
“Quiconque produit du contenu de qualité a une chance de s’accaparer une partie de l’attention des utilisateurs. Certains, à l’image du rappeur DJ Khaled ou d’Arnorld Schwarzenegger, l’ont bien compris et se montrent très actifs sur la plateforme. Il y a une réelle opportunité pour les marques. C’est pourquoi nous incitons tous nos clients qui ciblent les 15-20 ans à communiquer sur la plateforme.”[23]
Les marques face à l’instantanéité des images et de l’information : une appropriation en demi-teinte
Notre étude sur sur la présence des marques et des journaux sur Snapchat questionne donc l’appropriation de l’image conversationnelle sur un réseau social principalement fondé sur l’image. Notre sondage, ainsi que l’analyse du comportement des marques sur l’application, nous ont permis de comprendre le ressenti des utilisateurs face à ces professionnels et la démarche de ces derniers, sur un réseau social créé pour le partage de photographies entre liens forts.
Un changement de ton et de positionnement nécessaire
Chaque réseau social à ses particularités, il est donc nécessaire pour les marques d’adapter leur communication à chaque canal. Twitter impose des messages courts (140 caractères maximum), Instagram donne la part belle à l’image travaillée et aux hashtags, Facebook est plus libre et permet de poster n’importe quel type de contenu. Snapchat, quant à lui et comme dit précédemment, est un réseau social basé sur l’instantanéité des “snaps”. Alors que les utilisateurs “lambdas” peuvent aisément s’emparer de l’image conversationnelle au quotidien et avec leurs proches, les marques et journaux n’ont pas l’habitude de communiquer de cette façon. Il leur faut donc se réinventer pour toucher leur public.
Allociné, en exemple ci-dessus, utilise un ton léger pour s’adresser aux utilisateurs de Snapchat. Les couleurs sont vives, le ton est informel. Tout l’enjeu des marques réside effectivement dans le ton qu’elles adoptent pour s’adresser aux utilisateurs : elles doivent faire attention à être ni trop distantes puisque Snapchat est un réseau social de proximité, ni trop familières car elles ne font pas partie des liens forts des utilisateurs. Il leur faut trouver le juste milieu afin de ne pas paraître trop intrusives, à ne pas brusquer l’utilisateur qui utilise habituellement l’application pour communiquer avec son cercle proche.
Certaines marques se servent ainsi de Snapchat pour promouvoir une image de marque proche du consommateur, une image amicale et accessible. C’est le cas, par exemple, de Michel et Augustin. Cette marque française de produits alimentaires est très présente sur les réseaux sociaux via la technique du guerilla marketing[26]. Cette technique vise à promouvoir les produits d’une marque à faible coût, par des opérations marketing générant un maximum de “réactions émotionnelles pour qu’ils [les clients] se rappellent des marques d’une manière différente de celles utilisées habituellement”. Michel et Augustin souhaite ainsi adopter une image de marque différente des autres. Elle poste souvent des stories sur Snapchat présentant l’envers du décor. Dans le cadre du lancement d’un nouveau produit par exemple, la marque montre ce qu’il se passe dans les bureaux et toute la préparation autour de ce lancement.
Cela donne l’impression à l’utilisateur d’être impliqué dans le processus créatif. Il peut par exemple entamer un chat avec la marque et donner son avis. Ainsi, la marque semble plus accessible et améliore son image. Elle se démarque des autres et reste dans l’esprit des consommateurs comme une marque au capital sympathie important et non comme une marque cherchant à tout prix à faire du profit.
Pourtant, les résultats de notre sondage montrent que les utilisateurs qui suivent des marques ne sont pas majoritaires sur Snapchat. En effet, plus de 91% des sondés déclarent ne pas suivre de marques sur Snapchat. Il semble donc que l’application ne soit pas le réseau social offrant le plus de visibilité aux marques, contrairement à Facebook ou Twitter par exemple.
Sur la partie Discover, l’enjeu est également de taille. Les journaux doivent proposer l’actualité de manière humoristique ou en adoptant un ton léger afin de captiver l’audience de Snapchat. Les images principales des articles, ainsi que leurs titres, doivent être percutants afin de pousser l’utilisateur à cliquer.
Sur ces captures d’écran Discover, on peut noter que les titres sont accrocheurs et jouent sur des mots clés et des images fortes : un homme avec un masque, des mots forts tel que “terroristes”. Mais on trouve aussi des sujets plus légers, comme le titre de Melty portant sur “Ces stars célibataires à épouser d’urgence en 2017”. La diversité des sujets est importante sur Discover et vise à cibler un public le plus large possible. On remarque également que certains articles sont en anglais, bien que nous soyons sur la version française de Snapchat. Les chiffres n’étant pas communiqués, nous ne pouvons pas déterminer si ces articles génèrent beaucoup de vues. Cependant, les réponses à notre questionnaire nous permettent de définir la portée de Discover en France.
Presque 76% des sondés ne regardent pas les articles sur Discover. Cela peut sembler logique dans le sens où l’information n’est pas le but premier des utilisateurs de Snapchat. Il s’agit plus pour eux d’une application de communication que d’une application d’informations.
Les journaux ont également des comptes sur lesquels ils postent des stories. Ils n’hésitent pas à user des filtres offerts par Snapchat et à poster des snaps sur le ton de l’humour pour rajeunir leur image parfois vieillissante. “Chacune d’entre elles [les stories] est un véritable paquet-surprise qui mélange montages vidéos et micro-interviews, avec un ton le plus souvent décalé”[27]. Le Figaro use également de ce ton décalé et des fonctionnalités proposées :
Les journaux, tout comme les marques, adoptent une posture différente sur Snapchat, comparé aux autres réseaux sociaux. Sur Facebook ou Twitter, leurs contenus se veulent professionnels et marketing : annonce de sortie de produits, promotions, publicités. Sur Snapchat, on remarque le changement de ton et de posture des marques, qui souhaitent montrer l’envers du décor et rajeunir leur image de marque, tout du moins dans leurs stories.
L’absence de liens comme frein à l’appropriation
de l’image conversationnelle
Comme évoqué auparavant, Granovetter a théorisé les liens faibles en expliquant qu’ils sont constitués de simples connaissances. Ces liens faibles sont “forts” dans le sens où ils permettent à un individu de développer son réseau et de pénétrer d’autres sphères que celles composées par les liens forts. Des réseaux sociaux tels que Viadeo ou LinkedIn représentent la mise en oeuvre parfaite de “la force des liens faibles” : grâce à nos collègues, on se crée un réseau professionnel et on peut entrer en contact avec d’autres individus.
Granovetter, dans son essai “The strength of weak ties”, évoque également l’absence de liens et le décrit en ces termes :
« Sont inclus dans les liens “absents” l’absence de relation et les liens sans signification substantielle, comme par exemple quand deux personnes vivant dans la même rue se salue par un hochement de tête, ou le lien que l’on a avec le marchand de journaux. Que deux personnes se connaissent de noms ne changent pas leur lien de catégorie si leur interaction est négligeable. »[16]
Comme nous l’avons expliqué dans la première partie de notre étude, Snapchat permettait à l’origine de poster des images de soi à destination de la famille ou d’amis, donc à ses liens forts. L’application ayant évolué, les utilisateurs peuvent maintenant suivre des personnes n’appartenant pas à leur cercle proche : soit des liens faibles, soit des personnes n’ayant aucun lien avec eux. L’intérêt de notre étude est d’étudier le comportement des utilisateurs de Snapchat face à cette intrusion d’inconnus dans un réseau social d’abord destiné à des échanges entre proches.
Si nous reprenons les deux graphiques montrés précédemment, nous nous rendons compte que très peu d’utilisateurs suivent les comptes de marques sur Snapchat, ou lisent les articles de la partie Discover. On peut donc penser à un rejet de ces liens absents, qui ne sont pas adaptés au support. Ainsi, nous avons demandé aux sondés ce qu’ils pensent de la présence des marques et des journaux sur Snapchat. Concernant les marques, les avis divergent. Voici les principales remarques que nous avons relevé :
- C’est inutile
- C’est de la publicité déguisée / du marketing
- Snapchat c’est la sphère intime : amis, famille, petit copain.
- Un bon choix stratégique en terme de communication
- Ca peut être cool pour les nouveautés et les bonnes affaires
- C’est un moyen de s’adapter aux tendances et de créer une proximité avec les consommateurs
Il est intéressant de constater que la plupart des réponses optent pour une posture détachée : l’analyse n’est pas faite du point de vue du répondant, mais de manière globale. Les sondés parlent de “marketing”, de “s’adapter aux tendances” ou de “consommateur”. Ils ne s’incluent pas dans les réponses, n’utilisent pas le “je”. Ils ne se sentent pas concernés, alors que ce sont des utilisateurs de l’application et qu’ils sont donc les premiers concernés.
Cette distance inconsciente peut être expliquée par l’absence de liens entre l’utilisateur lambda et les marques. L’utilisateur n’ayant aucun lien avec la marque, il va considérer sa présence sur Snapchat d’un point de vue extérieur. On ne retrouve donc pas le même engouement pour les marques que sur d’autres réseaux sociaux comme Facebook ou Instagram. Sur ces deux réseaux sociaux, il est possible de partager du contenu avec son cercle de liens forts et de liens faibles. On peut donc suivre des marques et partager ce qu’elles postent, contrairement à Snapchat. En effet, le partage de contenu ne fait pas partie des fonctionnalités de Snapchat. La seule façon de le faire est de faire une capture d’écran d’un snap pour le reposter ensuite sur son compte. Le problème qui se présente a été expliqué plus haut : lorsqu’on fait une capture d’écran, l’utilisateur en est informé. Cela peut donc être un frein pour un utilisateur lambda qui voudrait capturer le snap d’une marque.
L’absence de liens entre les marques et les utilisateurs de l’application est donc un frein à l’utilisation de l’image conversationnelle. L’aspect intime de l’application, son association aux liens forts, rend difficile pour les marques l’appropriation du réseau social.
En ce qui concerne les journaux et la partie Discover de l’application, on ne retrouve pas le même positionnement des utilisateurs. Certes, plus de 75% des sondés disent ne pas regarder les snaps Discover, mais les avis sont donnés d’un point de vue plus subjectif et plus personnel. Nous avons également relevé les réponses les plus pertinentes à la question “Que pensez-vous de la présence des journaux et sites de news (Le Monde, Cosmopolitan etc.) sur Snapchat Discover?” :
- Ce n’est pas ma manière de m’informer / Twitter est plus adapté
- Je ne connais pas
- Je regarde de temps en temps, mais ce sont des articles légers et pas super intéressants
- Je ne les consulte pas, je me sers uniquement de snap pour suivre mes amis
- Cela permet de se tenir au courant de l’actualité avec humour
- Snapchat est un service de messagerie et non d’information, ce n’est donc pas leur place; on ne vient pas sur Snapchat pour s’informer
- C’est un bon moyen de communication sur un réseau social qui est très tendance
Lorsqu’on analyse les réponses à cette question, on remarque que le “je” est beaucoup plus utilisé et que les réponses sont plus personnelles. Les utilisateurs se sentent donc plus concernés par la présence des journaux que par celle des marques. On peut expliquer cela par le fait que les articles sont disponibles pour tous les utilisateurs et qu’il n’y a pas besoin de s’abonner à un journal pour voir ses articles sur Discover : ils sont accessibles depuis la page d’accueil ou dans la partie dédiée. L’utilisateur n’effectue donc pas l’action de s’abonner au journal, il peut lire les articles sans devoir créer “d’attache” avec lui. La capture d’écran des articles n’envoient pas de notification, ce qui décomplexe l’utilisateur.
Même si Discover est critiqué par un certain nombre d’utilisateurs, on remarque que son rapport avec les utilisateurs est plus simple que celui qu’ils entretiennent avec les marques. L’absence de liens représentent un moindre frein dans le cas des journaux que dans celui des marques. Cela s’explique par le fait que suivre une marque sur Snapchat implique une action de la part de l’utilisateur, qui ne comprend pas l’intérêt de s’abonner à une marque avec qui il n’a aucun lien. Pour l’utilisateur, on ne s’abonne à quelqu’un sur Snapchat que s’il fait partie de son cercle proche, de ses liens forts. Lire un article sur Discover ne correspond pas non plus à l’utilisation de base du réseau social, mais n’implique pas d’interaction avec l’auteur de l’article et ne vient donc pas briser le cercle de liens forts.
Conclusion
Nous sommes aujourd’hui dans une ère où l’image visuelle, fixe ou animée, est prédominante. Omniprésente, elle nous entoure à un tel point que nous finissons par l’oublier. Paradoxalement, nous ne faisons plus attention aux images qui nous entourent et pourtant nous les utilisons quotidiennement pour communiquer : affiches publicitaires, magazine, réseaux sociaux tels que Facebook, Instagram et Snapchat.
Nous ne pouvons plus nous dissocier de ces images : nous assistons à l’essor d’un nouveau type d’images et de nouveaux usages langagiers : c’est la photographie connectée qui mène à l’image conversationnelle. Les usages conversationnels de l’image sont, eux aussi, omniprésents au XXIème siècle : Snapchat en est l’exemple le plus flagrant. Effectivement, le principe même de l’application est de communiquer entre utilisateurs via l’utilisation quasi unique d’images.
Ces images sont rendues davantage conversationnelles par leur contextualisation. Effectivement, apporter un contexte à notre image permet de lui apporter un sens ; les selfies se voient attribuer un autre sens que celui du narcissisme. Cette communication visuelle ne se fait pas uniquement entre liens forts, c’est-à-dire entre cercles restreint de connaissance : les marques aussi surfent sur la vague.
Paradoxalement, les marques ont toujours utilisé l’image pour communiquer, que ce soit au travers de presse people, de journaux, de magazine ou encore d’affiche publicitaire, mais elles n’ont pas réussi à s’approprier le réseau social visuel qu’est Snapchat. Supprimant en partie les complexes liés à l’image et offrant une liberté accrue à ses utilisateurs, Snapchat se voit comme le réseau social incontournable en terme d’usage conversationnel de l’image. Et c’est pourtant là tout le problème des marques.
Considéré comme un réseau “personnel”, comme un réseau “intime”, les marques n’ont pas réussi à s’approprier Snapchat afin de communiquer avec les utilisateurs de cette application. L’absence de lien établie par Granovetter est une première explication : les marques n’ayant tissé aucun lien “intime” avec les consommateurs, il leur est évidemment difficile de “snaper” avec les utilisateurs de l’application sans donner l’impression de pousser à la consommation inutile ou de s’immiscer dans leur vie privée.
Notre étude a démontré que l’usage de l’image conversationnelle n’est pas forcément adaptée à la communication des marques. Lorsqu’une marque fait irruption dans un réseau social destiné à des conversations entre liens forts, le quidam fait preuve de pudeur et a l’impression de ne plus être “entre amis”. La présence des marques, mais également des journaux, semblent dénaturer l’utilisation première de Snapchat et tout ce que l’application représente. Il semble donc que le processus soit long, voire interminable, pour que les marques soient considérées comme étant “de la famille”, malgré leurs efforts.
Notes
[1] http://www.journaldunet.com/media/publishers/1173852-les-francais-sont-mobile-first/
[2] http://veilletourisme.ca/2010/01/18/l%E2%80%99instantaneite-ou-la-tendance-du-temps-reel/
[3] “Snapchat Discover débarque en France avec 8 médias partenaires”, Journal du Net, 15/09/2016.
URL : http://www.journaldunet.com/media/publishers/1184680-snapchat-discover-debarque-en-france-avec-8-medias-partenaires/
[4] “Le développement des sites de partage construits sous forme de réseaux sociaux, dont FlickR est l’emblème, a permis de faire émerger un nouvel usage conversationnel de la photo. Dans ce contexte, un cliché n’est pas un récit partagé par des proches, mais une conversation à grande échelle entre des participants qui ne se connaissent pas dans la vraie vie.”
Dominique Cardon, Jean-Samuel Beuscart, Christophe Prieur et Nicolas Pissard, “Pourquoi partager mes photos de vacances avec des inconnus ? Les usages de FlickR”, Réseaux n°154, février 2009, [en ligne].
URL : https://www.cairn.info/revue-reseaux-2009-2-page-91.htm
[5] André Gunthert, L’image partagée. La photographie numérique, Paris, Textuel, 2015.
[6] “Mais la catastrophe ne s’est pas produite. Alors que toutes nos images sont désormais composées de pixels, […]. Nous continuons à photographier nos enfants ou nos vacances, et même si nos albums de famille se consultent sur un écran d’ordinateur, nous ne doutons pas plus de ces images que de celles que délivrait jadis le photographe de quartier. Non qu’il n’y ait ici et là des cas de retouche ou de manipulation, périodiquement signalés par les spécialistes – mais, à vrai dire, ni plus ni moins qu’autrefois”.
André GUNTHERT, « L’empreinte digitale. Théorie et pratique de la photographie à l’ère numérique », [en ligne], publié le 03/10/2007.
URL : http://www.arhv.lhivic.org/index.php/2007/10/03/506-l-empreinte-digitale#pnote-506-7
[7] Quentin BAJAC, La photographie. Du daguerréotype au numérique, Paris, Gallimard, 2010, p.345.
[8] “Comme l’écriture avait transformé le langage en information, lui apportant d’irremplaçables propriétés de conservation, de reproduction ou de transmission, la numérisation, en réduisant la matérialité des images, leur confère une plasticité et une mobilité nouvelles. Sous l’espèce de fichiers faciles à copier ou à manipuler, l’objet iconique devient image fluide.”
André Gunthert, “L’image conversationnelle”, Études photographiques n°31, Printemps 2014, [en ligne], publié le 10/04/2014.
[9] André Gunthert, “L’image fluide”, L’image sociale – Le carnet de recherches d’André Gunthert, [en ligne], publié le 9/09/2015.
URL : http://imagesociale.fr/2044#footnote_0_2044
[10] Observatoire des Professions de l’Image, “Les chiffres officiels 2010 du marché de la photo et de l’image en France et dans le monde”, [en ligne], (consulté le 20/03/2016).
URL : http://www.gnpp.com/files/posts/000027-opi2011.pdf
[11] Zdnet, “Chiffres clés : les ventes de mobiles et de smarphones”, [en ligne], publié le 28/01/2016.
URL : http://www.zdnet.fr/actualites/chiffres-cles-les-ventes-de-mobiles-et-de-smartphones-39789928.htm
[12] Philippe Joutard, “Révolution numérique et rapport au passé”, Le Débat 2013/5 (n¨177), [en ligne], p.145-152, (consulté le 30/03/2016).
URL : http://www.cairn.info/revue-le-debat-2013-5-page-145.htm
[13] Monique Dagnaud, Génération Y. Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la subversion, Paris, Presse de Sciences Po, coll. Nouveaux débats, 2013.
[14] John Arundel Barnes, “Class and Committees in a Norwegian Island Parish”, Human Relations, 1954.
[14 bis] John Arundel Barnes réalise une expérience sur une île Norvégienne, Bremnes, consistant à en étudier l’organisation sociale via l’analyse de l’ensemble des relations entretenues entre les individus de cette communauté. Il émet l’hypothèse que tous ces habitants sont reliés entre eux via des chaînes d’interconnaissance plus ou moins longues. Après analyse, il en arrive à la conclusion que ces interconnexions, au nombre de 4, peuvent s’étendre à la planète entière.
“L’ensemble de la population est pris dans un filet serré de parenté et d’amitié qui non seulement lie les uns aux autres tous les habitants de cette île, mais qui les relie aussi à leurs parents et amis dispersés dans toute la Norvège, et effectivement à travers toute la planète”.
John Arundel Barnes, “Class and Committees in a Norwegian Island Parish”, Human Relations, 1954.
[15] François Ost et Michel van de Kerchove, De la pyramide au réseau ? Pour une théorie dialectique du droit, Publication des Facultés universitaires Saint Louis, n° 14, Bruxelles, 2002, p.24.
[16] Mark S. Granovetter, The strength of weak ties, [en ligne], American Jounral of Sociology, Volume 78, Issue 6, May 1973, p.1360-1380, (consulté le 07/04/2016).
URL : https://sociology.stanford.edu/sites/default/files/publications/the_strength_of_weak_ties_and_exch_w-gans.pdf
[17] Wikipédia, “Étude du petit monde”, [en ligne], mis à jour le 06/02/2016, (consulté le 09/04/2016).
URL : https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89tude_du_petit_monde
[18] Wikipédia, « Réseautage social », [en ligne], mis à jour le 19/02/2016, (consulté le 09/04/2016).
URL : https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9seautage_social
[19] Pierre Bourdieu, Le capital social, In : Actes de la recherche en sciences sociales, volume 31, janvier 1980, [en ligne], (consulté le 09/04/2016).
URL : http://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1980_num_31_1_2069
[20] Wikipédia, “MySpace”, [en ligne], mis à jour le 07/04/2016, (consulté le 10/04/2016).
URL : https://fr.wikipedia.org/wiki/Myspace#Succ.C3.A8s
[21] Wikipédia, “Snapchat”, [en ligne], mis à jour le 16/01/2017, (consulté le 18/01/2017).
URL : https://fr.wikipedia.org/wiki/Snapchat
[22] Site officiel de Snapchat.
URL : https://www.snap.com/fr-FR/
[23] Le Journal du Net, “Snapchat est la seule plateforme à avoir une pénétration aussi forte sur toute une génération”, [en ligne], mis à jour le 04/05/2016.
URL : http://www.journaldunet.com/ebusiness/crm-marketing/1177781-gary-vaynerchuk-vaynermedia/
[24] “Snapchat : Evan Spiegel, l’homme qui refuse des milliards”, [en ligne], Le Nouvel Obs, 18 novembre 2013.
URL : http://o.nouvelobs.com/high-tech/20131118.OBS5862/snapachat-evan-spiegel-l-homme-qui-refuse-des-milliards.html
[25] Le Journal du Net, Ce que vous ignorez pouvoir faire avec Snapchat, [en ligne], mis à jour le 22/06/2016, consulté le 17/01/2017.
URL : http://www.journaldunet.com/media/publishers/1179218-ce-que-vous-ignoriez-pouvoir-faire-avec-snapchat/
[26] Wikipédia, “Guérilla marketing” [en ligne], consulté le 20/12/16.
URL : https://fr.wikipedia.org/wiki/Gu%C3%A9rilla_marketing
[27] Anne Kerloc’h, rédactrice en chef adjointe et responsable du pôle participatif de 20 Minutes.
URL : http://www.journaldunet.com/media/publishers/1176989-snapchat-stories-medias-francais/