par Cyndie Mortreuil, Louise Dugas & Pierre-Adrien Carton
Introduction
Les Printemps arabes, Occupy à New-York ou à Londres, Indignados en Espagne ou encore Nuit Debout en France… la dernière décennie a vu naître des mouvements sociaux répondant à des caractéristiques nouvelles. Ce sont des mouvements issus des mouvements altermondialistes, qui se diffusent à partir de la fin des années 1990.
Les mouvements altermondialistes sont nés après les manifestations en novembre 1999 à Seattle contre la conférence de l’OMC. L’altermondialisme est considéré comme une nouvelle génération de militantisme avec de nouveaux combats comme la lutte contre les guerres, la mise en place d’une nouvelle mondialisation, la protection de l’environnement et de nouveaux mode de militantisme associé à de nouveaux codes usant du consensus pour mener les actions. Souvent, les militants sont aussi plus jeunes que dans les syndicats ou les partis politiques.
L’une des caractéristiques principales des mouvements qui nous intéressent ici, est leur résonance internationale, qui en font des mouvements qui dépassent les frontières.
Ensuite, ce sont des mouvements fortement bottom up, on parle aussi de mouvements Grassroots. Ces mouvements reposent sur l’implication de nombreux membres à la base, ainsi les revendications viennent d’en bas et sont portées par les citoyens eux-mêmes. De plus, tous ces mouvements revendiquent un changement profond de la société dans laquelle nous vivons.
Il y a également dans les mouvements sociaux et protestations sociales de la dernière décennie une croissance rapide avec Occupy Wall Street et Occupy Londres en 2011, les Indignés aussi en 2011, les Printemps arabes qui commencent en 2010, et Nuit Debout en 2016.
Un dernier point est l’occupation de places symboliques. Il y a donc une dimension physique importante. Toutefois, cette dimension physique, traditionnelle des mouvements sociaux, rejoint une dimension virtuelle. Une organisation “en ligne” devenue incontournable. Internet et les réseaux sociaux sont primordiaux dans la diffusion et la réussite de ces mouvements.
Nous nous intéressons plus particulièrement dans ce dossier au cas de la France, avec notamment Nuit Debout.
Nous nous demandons dans quelle mesure les réseaux sociaux influent sur la forme des mouvements sociaux ?
Nous allons observer et analyser les transformations qui s’opèrent, que ce soit au niveau de la diffusion de l’information, ou encore des acteurs, et pour finir des rapports de force.
Pour cela nous nous appuierons sur un corpus web dans lequel se trouveront plusieurs vidéos de la chaine Youtube Osons Causer. Nous parlerons également du collectif On vaut mieux que ça qui a utilisé Youtube pour diffuser son message et des témoignages de jeunes pendant les manifestations contre la loi travail. Ils ont également mis à disposition des tutoriels Comment faire grève. Ils estiment eux même qu’Internet, et principalement Youtube, leur permet de s’exprimer et d’avoir un moyen de diffuser leur avis et leur réalité : “On est restés silencieux trop longtemps, les amis. Maintenant, on va leur montrer nos vies, nos rêves, ce qu’ils en ont fait, et ce qu’on ne veut plus qu’ils en fassent“.
Enfin nous nous appuierons sur un entretien qualitatif mené avec Camille, qui a participé activement à Nuit Debout Bordeaux et Antoine, qui a suivi Nuit Debout depuis Londres. Nous utiliserons également des archives d’interviews de Rémy Buisine, connu pour être “le periscopeur de Nuit Debout”.
Transformation de la diffusion de l’information
Internet joue un rôle important dans ces nouvelles formes de mouvements sociaux en donnant un accès quasiment illimité aux connaissances et aux informations. La diffusion de l’information échappe au contrôle des médias traditionnels pour passer aux mains des internautes.
I- Une information qui se diffuse par le bas
La mobilisation nocturne autour de la place de la République du 31 Mars fait suite à la convergence des luttes organisée par des militants, des intellectuels et des artistes engagés. C’est notamment autour de diffusions en province et à Paris du film engagé “Merci patron !” par le réalisateur et journaliste François Ruffin.
Si la genèse de Nuit Debout peut apparaître comme une construction classique de manifestation entre initiés, elle repose déjà sur plusieurs éléments distinctifs. Le premier est celui de la convergence des luttes, l’idée de pouvoir rassembler de nombreux individus dont les combats divergent mais dont les intérêts temporaires concordent, ici contre la loi travail de 2016. Le second point de distinction est l’engouement dès le début de masses d’individus, notamment ceux ayant participé aux diverses projections du film “Merci Patron !”.
D’abord appelée “Nuit Rouge” elle deviendra “Nuit Debout”, encore une fois afin d’éviter une connotation trop partisane, toujours dans une démarche de convergence.
C’est alors qu’interviennent les réseaux sociaux faisant office de mégaphone à la portée international. Ainsi les évènements Facebook se sont multipliés partout en France et en Europe. Nuit Debout a su profiter de la forte viralité “anti loi travail” déjà présente sur internet pour faire grossir les rassemblements.
Enfin, comme le rapporte Antoine, étudiant à Londres pendant les évènements de 2016, le fait que certaines des personnalités à l’origine de Nuit Debout comme Frédéric Lordon aient déjà bénéficié d’une couverture sur internet a joué dans le gain rapide de popularité du mouvement auprès des jeunes. “Je connaissais déjà Lordon grace à une vidéo d’Usul, du coup quand j’ai vu qu’il était impliqué dans Nuit Debout, ça m’a donné envie de m’impliquer d’avantage; même depuis Londres, et on avait un groupe local Londres Debout avec sa page Facebook etc… y’a une grosse communauté Française là bas donc c’est pas étonnant mais on avait nos infos par internet donc oui les réseaux sociaux ont joué un très grand rôle dans l’organisation de mouvements hors de France”.
Twitter et Facebook sont des réseaux très utilisés dans la diffusion de l’information. Quasiment toutes les personnalités publiques et politiques ont un compte Twitter pour s’adresser directement aux personnes qu’ils veulent toucher. Mais avant d’être un outil de communication pour les politiques, Twitter est une “place publique” où de nombreux militants se retrouvent pour réagir, discuter et échanger des informations. Cet outil permet à tout le monde de partager des informations et son opinion sans restriction. D’ailleurs pendant Nuit Debout le hashtag #NuitDebout a été utilisé plus de 2 millions de fois, cela montre bien l’importance des réseaux sociaux dans le mouvement. Twitter a aussi été utilisé comme moyen de communication directement par le mouvement Nuit Debout avec le compte @NuitDebout , ce compte est aujourd’hui toujours actif et relaie des informations militantes. Grâce à ce compte Twitter les organisateur de Nuit Debout peuvent eux même diffuser les informations qu’ils souhaitent sans l’intermédiaire des médias traditionnels.
« On ne souhaite pas se déplacer sur les plateaux de télévision. Si les médias veulent de l’information, c’est à eux de se rendre directement sur les lieux. On ne veut pas être dépendant d’un manque d’intérêt médiatique, c’est pourquoi Twitter correspond aux valeurs du mouvement : horizontalité, transparence et partage. »
Si Twitter est un outil pour s’informer sur les mouvements sociaux il faut tout de même faire attention à ce qu’on lit, il y a de nombreuses fake news qui sont publiées pour discréditer des mouvements sociaux. Il faut réussir à avoir un certain recul avec les informations diffusées sur le réseau et pouvoir en vérifier les sources.
Les outils web communautaires issus du quotidien s’invitent en politique. Si nous avons cité Periscope et Facebook, nous pouvons également mentionné Discord, un chat textuel et vocal initialement développé pour des communautés de joueurs en ligne. Cette dernière plateforme a notamment fait parlé d’elle lors de la campagne présidentielle 2017 pendant laquelle la France Insoumise s’est organisée et a lancé plusieurs projets de propagande électoral à partir de cet outil. Nous pouvons noter par exemple le jeu vidéo fiscal kombat, le site mélenchonouimais permettant d’apporter des informations sur le programme du candidat, le mélenphone ou encore un simulateur d’impôts. A noté que le Front National utilise également Discord. On voit donc que ces outils de diffusion n’agissent pas seulement lors de mouvements sociaux mais également lors de campagnes électorales.
II- La viralité de l’information
Une fois sur les réseaux sociaux, l’information répond à une dynamique nouvelle : celle de la viralité. Plus une information sera partagée, plus elle sera visible, et plus il deviendra difficile de la nier. Les mouvements qui nous intéressent ont tous connu une forte croissance. Celle-ci peut s’expliquer par leur présence en ligne. Dans le cas de Nuit Debout par exemple, les réseaux sociaux ont joué un rôle important. Et pour Camille c’est la possibilité de partager ce qu’elle vit en direct avec des personnes qui sont loins : “Twitter pendant Nuit Debout ça a pas mal marché. Les gens disaient en direct ce qui se passait. Sur Periscope aussi. Même mon père regardait Nuit Debout. Ils filmaient les assemblées générales, et ma soeur, qui était à Montréal, elle nous regardait aussi”. C’est également le cas pour Antoine, qui n’était pas en France au moment des événements : “je suivais pas mal ce qui se passait sur Periscope, ça me permettait de voir les trucs en direct et d’avoir l’impression d’y être. Je me disais que comme ça je ratais pas complètement tout, je vivais les manifs avec eux, même si bon c’est quand même pas comme y être vraiment”.
Pour Camille, ce qui est important c’est que “ça permet de créer un truc plus globale” le mouvement dépasse donc les frontières pour avoir une résonnance internationale.
Certaines personnes sont même devenues des “experts” de périscope. C’est le cas par exemple de Rémy Buisine, rebaptisé “le périscopeur de Nuit Debout”. D’après France TV, il aurait réuni le 3 avril plus de 80000 internautes, à qui il permettait de suivre en direct les événements. Ceci dénote d’un engouement pour le mouvement au delà des personnes présentes sur place. Rémy l’explique en disant qu’il a “répondu à une curiosité. Personne ne comprenait ce qui se passait”. Il est important de souligner que cet intérêt massif pour les événements de la place de la République se réveille très tôt. Rémy rencontre le succès dès la 3ème ou 4ème Nuit Debout.
Cet engouement rapide, Camille l’a également noté dès les premières réunions de Nuit Debout Bordeaux : “Je suis allée à la première réunion, ça s’appelait Nuit Rouge à ce moment là. Une semaine plus tard on en faisait une seconde pour organiser notre première Nuit Debout. Et y’avait pas mal de gens… Je dirais bien 70 personnes.”
Rémy Buisine lui aussi, lors d’une interview toujours disponible sur Youtube confiait son agréable surprise face à la croissance rapide du mouvement : “L’assemblée générale recueille peut être 1000, 1200 personnes par jour. Elle est en train de grossir au fur et à mesure que le mouvement avance et du coup c’est assez impressionnant. […] Au départ on avait peut-être 200 à 300 personnes, le premier soir où je suis venu y’avait 3 morceaux de bois 1 feu de camp et des gens qui faisaient du tam-tam autour, ce qui fait que ça avait pas l’air très crédible… Le lendemain je reviens, je vois des gens qui préparent des commissions, par thème…”
Si Nuit Debout a pu réunir autant de personnes en si peu de temps, pour Camille, c’est grâce aux réseaux sociaux : “c’est à la fois le bouche à oreille, mais surtout, il y’a eu un événement facebook qui a pas mal tourné. […] Facebook, c’est ce qui marche le mieux. Avec les événements, c’était plus simple de faire tourner les informations.” C’est un avis partagé par Ludovic Torbey, de la chaine Youtube Osons Causer, qui l’exprime dans sa vidéo Nuit Debout : analyse à chaud, decryptage et perspectives : “Toutes ces initiatives ont été diffusées par les réseaux sociaux, par le web, et donc s’appuient sur le partage des gens, le bouche à oreille. Le web c’est qu’un bouche à oreille numérique, des gens qui se partagent l’info. [Par exemple la pétition] loitravail.lol a prévu toute une série de visuels à partager sur Facebook pour expliquer les problèmes que posent chaque article de la loi et c’est comme ça qu’il y a eu l’élan vers le million et quelques de signatures.”
Pour lui, ce n’est pas simplement un hasard ou de la chance si ces informations deviennent virales mais un processus réfléchit sur lequel les acteurs du mouvement comptent pour se faire entendre : “on diffuse par le bas et on compte sur la viralité”.
III- Le moyen de diffuser des avis et des réalités
La chaine Youtube On vaut mieux que ça ! est créée le 23 février 2016 dans le but d’appeler les gens à témoigner sur leurs conditions de travail et de libérer la parole des citoyens, afin de lutter contre la loi travail. Misant sur la viralité, la chaine réunit de nombreux youtubeurs connus, qui comptent sur leurs communautés pour assurer la croissance du mouvement. Ils expriment vouloir légitimer les gens et recentrer le débat sur les personnes qui sont directement concernées.
La chaine youtube propose également une vidéo intitulée TUTO – Comment faire grève ? dans laquelle le youtubeur Linguisticae donne immédiatement le ton : “la grève est un droit fondamental qui permet aux travailleurs de faire entendre collectivement leurs revendications.”
Postée le 4 mars 2016, 5 jours avant les manifestations du 9 mars, la vidéo n’indique pas explicitement appeler à la grève contre la loi travail, mais informe de façon générale sur le droit de grève, soulignant par exemple qu’il est “absolument interdit d’interdire de faire grève et vous ne pouvez pas être sanctionnés pour cela.” Le collectif permet ainsi de répondre à des questions auxquels ne répondent pas les médias traditionnels. Ils apportent l’information aux citoyens, qui peuvent la transmettre facilement en partageant la vidéo. La vidéo a été vue 19629 fois.
Avec cette transformation de la diffusion de l’information c’est aussi une transformation des prises de paroles qui s’opère. Le web donne l’opportunité à tous de s’exprimer, et nous verrons que cela modifie drastiquement les acteurs des mouvements.
Transformation des acteurs
I- Une prise de parole renouvelée : prendre part au débat public
Cette transformation des acteurs s’inscrit dans une transformation plus large des militantismes. Les formes traditionnelles d’engagement comme les partis politiques et les syndicats n’arrivent plus à mobiliser autant qu’avant. La nouvelle génération militante ne se retrouve plus dans les mouvements et les organisations structurés mais préfère des actions ponctuelles telles que Occupy, Indignados ou Nuit Debout. Les mouvements sociaux étudiés montrent que cette nouvelle forme d’engagement est rarement suivie par des actions.
Grâce aux réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter la prise de parole est désormais démocratisée. Tout le monde peut prendre la parole, il n’y a plus de barrière à la prise de parole. Sur Twitter il suffit d’ouvrir un compte pour prendre part au débat public.
Cette démocratisation de la parole se retrouve aussi dans les mouvements sociaux étudiés. En effet lors des commissions ou des AG de Nuits Debout par exemple tout le monde était invité à prendre la parole et à partager son vécu et ses idées. Cette possibilité de prise de parole est l’un des principes même de l’internet et de ces mouvements. En effet dans les médias traditionnels et dans les partis politiques se sont toujours les mêmes individus qui ont la parole. Dans le film l’Assemblée cette prise de parole par tous et par des non initiés à cette pratique est très visible. Lors de Nuits Debout ou des manifestations contre la Loi Travail en 2016 de très nombreux militants se sont exprimés sur les réseaux sociaux et notamment Twitter.
La prise de parole reste tout de même limitée, à cinq minutes lors des AG de Nuit Debout ou à 280 caractères sur Twitter. Jusqu’à novembre 2017 la limite de caractères était même de 140 ce qui réduisait encore plus la possibilité de s’exprimer malgré la possibilité de faire des thread (série de tweet) qui ne sont pas forcément faciles à lire pour les non habitués. Cette limite nécessite donc une synthèse des idées ce qui peut entraîner une nouvelle forme de limite.
Il y a aussi la peur de s’exprimer, des personnes qui ne sont pas habituées à parler ne se sentent pas toujours légitimes à s’exprimer ou ont peur d’être ridicules et de ne pas savoir faire. La limite est donc toujours existante mais elle s’atténue avec les nouveaux outils de communication. On peut émettre l’hypothèse que des personnes qui commencent à prendre la parole sur internet sont, par la suite, plus enclins à prendre la parole lors de réunion ou des AG des mouvements sociaux. La prise de parole sur internet peut donc être un premier pas vers un engagement militant hors des réseaux sociaux.
II- Le changement de la figure du leader
Comme nous l’avons vu dans la première partie, les réseaux sociaux sont extrêmement utiles lors de la diffusion d’informations notamment pour les rassemblements et les manifestations. Traditionnellement ce sont les syndicats et les partis d’opposition de gauche qui organisent les manifestations contre le gouvernement et qui lancent des appels à la grève. Avec les réseaux sociaux et notamment Facebook et Twitter, des mouvements comme Nuit Debout peuvent aussi reprendre ce rôle. Il y a donc un renouvellement des acteurs. Les militants et les mouvements prennent eux même les décisions sans consulter les syndicats.
Camille se souvient qu’à Nuit Debout Bordeaux, même si “niveau comm ça a pas toujours été parfait non plus”, ils avaient à cœur de lancer officiellement un appel à la grève générale en leur propre nom : “les manifs c’est toujours appelé par les mêmes, la CGT etc. Là on voulait dire, ouais, bah nous on est 1500 et on a du poids”.
Les internautes sont par ailleurs très inventifs dans leurs manières d’appeler à la grève. Nous pouvons noter par exemple l’appel à la grève du 28 avril par les youtubeurs de On vaut mieux que ça ! sous forme d’une vidéo mêlant humour et rappels historiques.
Et les réseaux sociaux jouent un rôle important de ce renouvellement de la figure du leader. Dans leur vidéo d’analyse de Nuit Debout, Osons Causer parle de “l’appel du 9 mars où 3 citoyens ont obligés les syndicats à changer leur agenda de manif” il souligne que ce sont des “citoyens normaux qui ont changé le calendrier de manif de la CGT, c’est 3, 4 gars qui créent un event Facebook, et boum ça change”.
Ces mouvements, en légitimant les citoyens, leur permettent de regagner confiance dans leur capacité à se positionner sur la scène politique et militante. Les réseaux sociaux leur apporte l’opportunité d’avoir une force de frappe égale à celle de groupe plus importants. Cela va également permettre de réveiller un intérêt chez des personnes a priori peu averties.
III- Susciter l’intérêt de personnes peu politisées
En apportant l’information aux gens, et en leur permettant de prendre la parole, les réseaux sociaux créent de nouveaux acteurs politiques. De plus, le fait que les mouvements soient nouveaux incitent les gens à franchir le pas. Pour Camille par exemple, il a été plus facile de rejoindre Nuit Debout que n’importe quel autre mouvement car il était encore en construction : “c’était nouveau, c’était quelque chose d’ouvert. C’est plus compliqué de se dire ‘bon je vais aller dans tel syndicat’ que de rejoindre quelque chose qui est nouveau pour tout le monde. T’as autant ton mot à dire que tous les autres. […] Moi j’ai toujours été très politisée mais je suis pas engagée dans un truc en particulier. Et Nuit Debout je me sentais à l’aise parce que j’étais pas obligée de me coller une étiquette.”
L’accessibilité de l’information sur internet est un élément clef du renouveau du militantisme chez certains jeunes dépolitisés par exemple. Antoine nous décrit sa formation politique par les vidéos sur YouTube : “J’ai surtout appris à me politiser en regardant beaucoup de vidéos sur YouTube… C’est plus facile, que de se lancer dans un bouquin quand on y connait rien et on peut la partager, en parler avec ses amis etc.”
Cette politisation par internet est bien-sûr dépendante des acteurs qui auront investi l’espace de formation politique sur la toile. La “fachosphère” regroupe, par exemple, un ensemble de sites affiliés aux idéaux d’extrême droite et s’est développée dès le milieux des années 2000, devançant ainsi les autres colorations politiques comme l’explique Antoine : “c’est étrange d’ailleurs parce qu’internet a pas mal été le repaire du FN pendant un temps et dès qu’on cherchait une vidéo sur un sujet politique on tombait sur du contenu d’extrême droite. Ça a un peu changé avec Usul ou Osons Causer maintenant”. C’est grâce à Usul et à Osons Causer que certaines personnes assez peu politisées ont commencé à s’intéresser au mouvement Nuit Debout. “A force de voir des vidéos d’Osons Causer sur Facebook, j’ai regarder d’autres vidéos qui expliquaient ce qui se passait. C’est comme ça que j’ai commencé à m’intéresser au mouvement et que j’ai décidé d’aller à République pour voir ce qui se passait et participer en vrai ” nous raconte Adèle. Ces vidéos YouTube permettent de rendre accessible à un plus grand nombre certains mouvements en essayant de les expliquer. Il y a aussi un pendant qui vise à décrédibiliser les mouvements c’est par exemple le cas avec des chaînes comme le Raptor Dissident. Sa vidéo Loi du Travail et Nuit Debout : Expliquez Moi Cette Merde est d’ailleurs la première vidéo sur YouTube lorsque l’on fait une recherche pour “Nuit Debout”.
Transformation des rapports de force
Internet, et surtout les réseaux sociaux, modifient les rapports de force traditionnels. Grâce à la portée des messages sur le web, un individu seul peut avoir autant de poids qu’un groupe, et les militants peuvent s’accorder un droit de réponse face à la presse officielle. Ils peuvent faire entendre leur vérité, et celle-ci aura autant de valeur que n’importe quelle autre information.
I- L’écho d’un seul individu/la force du groupe
Nous l’avons vu plus haut, internet modifie la façon dont l’information se diffuse. Or ce changement n’a rien d’anodin. En effet le fait que l’information émane et se partage principalement de pair à pair change l’état du rapport des forces, et plus particulièrement celui entre la masse identifié par “le grand public” et certaines élites de pouvoir. Si les réseaux sociaux bénéficient aux organisations, ils augmentent également la portée du message d’un individu seul. Ainsi sa parole portera beaucoup plus loin et prendra d’autant plus d’importance qu’elle sera relayée grâce aux fonctions de partage. De plus, la personne n’a pas besoin d’être connue pour que son message soit grandement diffusé, avec la viralité le message peut très rapidement touché un grand nombre de personne. Il faut bien sûr y apporter une nuance, si le web permet, en effet, au plus grand nombre de s’exprimer, peu peuvent encore le faire de manière efficace. Et c’est évidemment ceux qui maîtrisent au mieux les codes de communication liés au réseau global qui seront les plus entendu.
Et en corollaire, les individus se retrouvent plus difficilement isolés s’ils sont connectés par les réseaux sociaux. Grâce à l’anonymat, le pseudonymat, sans tenir compte de la distance géographique qui les sépare ou de leur statut social, les internautes peuvent alors se fédérer en communautés. Les prérequis pour rejoindre une communauté sur internet ne sont pas inexistants, mais ils restent cependant assez faibles, surtout pour une population habituée aux usages du web.
Cette création de communautés grâce aux réseaux sociaux permet un plus grand poids lors des actions et permet de réunir des personnes qui ne se serait pas forcément rencontrées autrement que par le biais des réseaux. Cela permet aussi de créer des mouvements nationaux ou internationaux plus simplement car la communication entre les individus est facilité avec les réseaux sociaux.
II- Un droit de réponse
Les réseaux sociaux permettent de répondre directement aux médias traditionnels comme la télévision, cette nouvelle interactivité bouscule le rapport de force de l’information. Internet permet donc de plus facilement réagir, commenter et diffuser ce discours libéré au plus grand nombre. L’un des indicateurs de cette transformation est bien sûr la réaction des détenteurs historiques du discours vis-à-vis de ces nouveaux acteurs.
On peut également souligner qu’Internet, qui pendant longtemps s’est suffit à n’être qu’un outil de réponse aux médias traditionnels, s’est émancipé de se rôle et est aujourd’hui considéré par certain comme une une véritable alternative aux médias. Les médias traditionnels se retrouvent d’ailleurs de plus en plus contraints de commenter l’activité des réseaux sociaux et d’être, à leur tour, dans une position de réaction face à une information qui provient en réalité des réseaux sociaux. Or ce nouveau cycle médiatique peut donner plus de poids aux individus qui n’étaient jusqu’ici que de simples spectateurs passifs.
Dans le cas de Nuit Debout la pétition lancée par Caroline de Haas sur le site Change.org est un bon exemple d’une initiative qui a été largement retransmise par les réseaux sociaux et dont le succès a, à posteriori, fait réagir les médias traditionnels.
L’un des signes de la place qu’Internet a pris dans la prise de parole face à un régime ou un gouvernement est la propension des régimes dictatoriaux à couper l’accès au réseau. Par exemple, à la suite des révoltes récentes en Iran le régime a coupé Internet sur les téléphones portables. Empêcher la population d’avoir accès à internet montre l’utilisation qu’Internet peut avoir dans les manifestations et les révoltes contre un gouvernement. Le gouvernement veut empêcher les informations qu’il ne contrôle pas de circuler, il ne veut pas que des témoignages de ce qui ce passe à certains endroits du pays circule, il coupe donc internet. Cette tactique de limitation de l’accès à internet est très courante lors d’affrontements forts entre une population et son gouvernement. Internet est le nouveau média à abattre pour limiter l’accès aux informations, pour isolé, pour désorganiser.
Conclusion
Les réseaux sociaux et Internet ont transformé la forme des mouvements sociaux de plusieurs manières. Les réseaux sociaux ont énormément facilité l’organisation du militantisme. La possibilité de créer un évènement Facebook par exemple permet une mobilisation et une organisation plus faciles. Tout le monde a très facilement accès aux informations concernant le mouvement. Avec le partage possible sur Facebook et Twitter les informations touchent énormément d’individus très vite. Des personnes qui ne sont pas forcément issues des milieux militants peuvent très facilement être au courant des actions menées et y participer. C’est surtout le cas pour des mouvements nouveaux comme Nuit Debout.
La diffusion de l’information sans passer par des médias traditionnels et dominants est aussi une transformation. Ce basculement de la source d’information permet aux minorités et aux dominés de faire entendre leur voix sans passer par des médias qui leur laissent rarement la parole. Aujourd’hui avec les réseaux sociaux tout le monde peut faire entendre sa voix et avoir accès à énormément d’informations. Ils permettent donc de s’exprimer et aussi de créer des communautés très vastes rassemblant des individus sans restriction. Il faut cependant rester vigilant sur la place que l’on donne aux réseaux sociaux dans la création de mouvement sociaux. S’il ils aident le mouvement à s’organiser et à prendre de l’ampleur ils en sont assez rarement la cause première.
Internet permet aussi d’organiser une lutte commune plus simplement car toutes les luttes se retrouvent sur les réseaux sociaux. Le militantisme tend vers l’intersectionnalité comme on l’observe dans des mouvements comme Nuit Debout avec des commisions sur le féminisme, sur l’écologie, ou sur les animaux. Des militants ou des personnes sensibles à certains militantisme se regroupe dans un seul grand mouvement grâce à la diffusion des informations à grande échelle avec les réseaux sociaux.