Introduction
L’usage des nouvelles technologies est souvent associé à une pratique des jeunes générations. Mais étant donné que ces technologies se sont développées dans tous les domaines et se sont maintenant démocratisées, elles touchent désormais toutes les générations et notamment les seniors qui pourraient paraître les plus réservés face à ces technologies et au numérique.
En effet, cette génération a connu de nombreuses évolutions numériques mais n’est pas née avec la révolution digitale contrairement à la génération des digital native qui correspond aux personnes nées entre la fin des années 1980 et le début des années 1990. L’appropriation et l’adaptation à ces nouveaux outils et technologies est donc parue plus difficile pour les anciennes générations qui ont pu les considérer comme ne leur étant pas destinées. Bien souvent, le cliché des seniors qui n’utilisent pas la technologie persiste. Et pourtant, des études ont montré que leurs usages des NTIC avaient considérablement augmenté. A tel point qu’une nouvelle économie est apparue : la silver économie.
En effet, avec une population de plus en plus vieillissante, notamment grâce aux progrès de la médecine et à l’allongement de l’espérance de vie, les seniors occupent une place grandissante dans la société. Au delà de 55 ans, on observe que la population s’équipe de plus en plus en raison, en partie, des recherches et investissements réalisés par les entreprises pour répondre aux besoins de cette tranche d’âge.
Ainsi, nous nous interrogerons sur les réelles motivations des seniors pour l’utilisation de ces nouvelles technologies, à savoir si celles-ci sont issues d’une contrainte établie par une pression sociale ou si elles résultent d’un réel désir d’appropriation de ces nouveaux outils.
Pour répondre à cette problématique, nous nous intéresserons tout d’abord à l’évolution rapide de l’utilisation de ces nouvelles technologies par les seniors. Puis nous verrons en quoi cette évolution peut aussi être due au développement d’une société qui les y a contraint. Enfin, nous évoquerons les liens nouveaux que permettent les nouvelles techniques d’information et de communication ainsi que les réseaux sociaux chez les seniors à travers les différents usages qu’ils en font.
Pour étoffer nos recherches, nous nous appuierons sur les témoignages de trois seniors, âgés de 65 à 81 ans. Lydia, 65 ans, jeune retraitée qui a des pratiques assez développées sur le web, Dany, 73 ans, qui a commencée à utiliser internet pour pouvoir échanger avec ses proches et Raphael, 81 ans, qui utilise internet de manière très rudimentaire.
I. Une évolution rapide de l’utilisation de ces nouvelles technologies
1) Observation de l’évolution de l’utilisation des NTIC par les seniors
Les pratiques numériques des seniors ont connu ces dernières années un essor très important. Selon le sociologue Vincent Caradec, spécialiste des questions de vieillissement, bien que les personnes âgées étaient d’abord réticentes à la découverte de l’outil informatique, elles ont progressivement construit de nouvelles pratiques d’appropriation des outils numériques. Ainsi, en une vingtaine d’années, le téléphone mobile chez les personnes âgées a quasiment rattrapé les plus jeunes1 (82% des 60-69 ans sont équipés sur la période 2009-2012, contre 94% des moins de 60 ans). Chez les plus âgés, après 70 ans, la diffusion est plus lente même si plus d’une personne sur deux utilise un téléphone mobile. En 2016, le baromètre TNS Sofres sur les 55 ans et plus2 indiquait que, même si la génération des seniors était moins équipée que le reste de la population sur les devices mobiles (smartphones : 34% vs 62% et tablettes : 26% vs 32%), le niveau d’équipement en ordinateur chez les personnes âgées tendait à rattraper celui de l’ensemble de la population française avec 63% vs 74%. On compterait même plus d’un senior sur trois sur deux devices différents.
Une des conséquences directe de l’évolution de l’équipement en nouvelles technologies des seniors est l’augmentation du taux d’internautes chez cette génération. Aujourd’hui, 65% des seniors possèdent une connexion internet à leur domicile et 69% affirment avoir au moins un device connecté. On note également que le profil des seniors équipés est équivalent à celui des seniors qui utilisent Internet. On retrouve dans les deux cas des écarts entre les sexes, avec des hommes plus connectés et équipés que les femmes, ainsi qu’entre les tranches d’âges avec les 55-70 ans en tête, et enfin entre leur localisation sur le territoire. En effet, la région parisienne concentre un taux plus élevé de digital seniors.
Internet semble donc occuper une place de plus en plus importante dans le quotidien des seniors au point que ces derniers l’utilisent de plus en plus pour des activités variées et multiples. Selon une enquête de l’INSEE, réalisée en 2015, l’usage d’internet est moins fréquent et moins diversifié chez les plus âgés. Ces usages d’internet diffèrent fortement selon l’âge. Certains usages sont communs à tous les âges, comme l’envoi et la réception de mail, même si d’autres paraissent exclusifs chez les plus jeunes (notamment créer un profil et poster des messages sur les réseaux sociaux). Cependant, les usages chez les personnes âgées tendent à se diversifier comme en témoignent les résultats du baromètre TNS Sofres sur les 55 ans et plus. En effet, l’appropriation et l’exploitation d’Internet par les seniors s’amplifient. Ils deviennent multi-screens mais ils sont aussi multi-usages d’Internet. En moyenne, les seniors en font trois usages mais le lien, la communication et la vie sociale en constituent une part essentielle avec l’information. On remarque également que certains gestes digitaux sont aujourd’hui ancrés dans leur quotidien comme le visionnage de photos envoyées sur smartphone ou tablette ou encore le suivi des comptes bancaires en ligne.
Ainsi, la technologie peut être vue comme un passe temps pendant la retraite et l’occasion de rester dans une dynamique d’apprentissage et d’évolution. Et comme le montre le baromètre de TNS Sofres, Internet semble même avoir sur les seniors une influence sur leur propre perception d’eux-mêmes et de la société. En effet, on remarque une différence chez les plus de 55 ans qui utilisent Internet et qui se vivent comme digitalisés et les autres. Les premiers se sentent beaucoup moins seniors (à 50%) que les autres (à 70%). De plus, l’utilisation d’Internet aurait aussi un effet bénéfique sur la perception de leur propre vie (84% vs 75%) et sur le regard que les autres leur renvoient (74% vs 67%).
2) La silver économie, un marché encore à conquérir pour les entreprises
En raison de leur présence de plus en plus grandissante dans la société et l’accroissement de l’évolution de leurs usages digitaux, les seniors représentent aujourd’hui un véritable enjeu pour les entreprises du secteur numérique. Celles-ci ont su, au fil du temps, adapter leur offre pour répondre aux besoins de cette tranche d’âge. En effet, l’un des principaux obstacles à la diffusion des nouvelles techniques d’information et de communication auprès des seniors résidait dans la complexité de ces systèmes qui ne prenaient pas en compte les capacités physiques et cognitives de cette génération.
Une étude3 réalisée par la Délégation aux Usages de l’Internet, aujourd’hui disparue au sein de l’Agence du Numérique, visait à proposer des recommandations aux éditeurs d’applications mobiles et aux constructeurs de tablettes leur permettant de proposer des outils optimisés pour les seniors. Parmis ces recommandations, on retrouve l’amélioration du confort de lecture, la facilitation de la prise en main des applications, un accompagnement des séniors sur ces outils pour qu’ils puissent s’y adapter pour un usage quotidien. Ainsi, aujourd’hui, on retrouve de plus en plus de fonctionnalités permettant une meilleure accessibilité pour les personnes âgées. Parmis celles-ci, on retrouve des fonctionnalités plutôt simples mais qui peuvent considérablement améliorer l’expérience utilisateur comme le fait de pouvoir agrandir les textes sur un device (tablette, smartphone ou ordinateur) ou encore l’ajustement du contraste des couleurs de l’écran.
Et pourtant, malgré ces efforts engagés par les entreprises du secteur, l’offre technologique reste toutefois inadaptée. C’est le cas par exemple des sites d’informations sur la santé dont une grande majorité reste réservée aux habitués d’Internet à cause de leur interface complexe. Par ailleurs, toutes les personnes âgées, en raison de la diversité des problèmes physiologiques qu’elles présentent, n’ont pas les mêmes besoins quant à l’accessibilité des sites. Enfin, une trop forte adaptation des offres technologiques à ce public risquerait d’entretenir “une vision de la vieillesse comme une moindre capacité à faire, à apprendre, à interagir”4 et renverrait paradoxalement une image de la vieillesse dévalorisante quand certains seniors tentent de s’en détacher.
La difficulté du marché des seniors réside donc dans un certain équilibre à trouver entre leurs différentes attentes. Il ne suffit pas uniquement de tenter de s’adapter à leurs besoins, il faut également prendre en considération leurs désirs. Les séniors cherchent avant tout à être rassurés et accompagnés dans leur approche dans le digital mais souhaitent aussi garder une vraie autonomie et ne pas se sentir stigmatisés comme “seniors”.
De nombreuses initiatives ont vu le jour ces dernières années pour pallier à ces problèmes d’adaptation. Parmi elles, on citera l’avènement des cours d’informatique5 et de nouveaux services créés, notamment dans les entreprises et start-up ayant pris conscience de l’opportunité que représente le marché des seniors. Parmi elles ont été élaborées des solutions d’interfaces clients personnalisables permettant de configurer la page d’un site internet ou d’une application mobile pour une navigation simplifiée, avec des visuels plus larges et une assistance sonore (par exemple, l’application Tabbya). Il existe également des plateformes communautaires ainsi que des réseaux sociaux spécialisés pour les seniors comme Famileo, le “journal familial qui fait le bonheur des grands-parents”, ou encore Les Talents d’Alphonse, qui permet de mettre en relation les internautes avec des retraités proposant leurs services. Ces plateformes permettent de renforcer le lien social et de lutter contre l’isolement des personnes âgées en les connectant entre elles mais aussi avec les plus jeunes générations.
La technologie leur permet aussi une plus grande autonomie et leur offre de nouveaux services facilitant leur maintien à domicile. C’est le cas de certains objets connectés comme par exemple les médaillons de téléassistance (Présence Verte), des montres connectées ou encore des stylos connectés permettant aux personnes âgées de ne pas avoir à se déplacer pour signer des documents contractuels (Anoto). Récemment, au CES 2018 de Las Vegas, de nombreuses entreprises ont d’ailleurs exposé des solutions permettant aux seniors de rester plus longtemps à leur domicile6.
Pour conclure cette première partie, les seniors ont donc su développer une utilisation d’Internet répondant à leurs besoins tout en leur faciliter la vie. Mais leur perception à l’égard d’internet reste partagée. En effet, le Baromètre des 55 ans et plus nous montre qu’une courte majorité (51%) des répondants ont un sentiment plutôt positif contre 47% qui en ont une appréciation négative. Les principales causes de ce rejet sont justifiées à 62% par une faible appétence pour la toile et à 21% par des difficultés de formation et de prise en main des outils.
II. L’implication des seniors dans le numérique : résultat de contraintes sociétales
1) Le concept de fracture numérique
Le développement rapide des nouvelles technologies a engendré en France, une disparité d’accès à ces dispositifs. Ce phénomène, aussi appelé “fracture numérique” est la cause de différents facteurs. Les inégalités d’accès aux NTIC sont conditionnées par le niveau social des individus. En effet, pour utiliser ces diverses nouvelles technologies, notamment un ordinateur connecté à Internet, il est nécessaire de disposer de tout l’équipement qui peut se montrer onéreux (ici, un ordinateur correctement paramétré ainsi qu’une connexion à Internet). Il s’agit dans un premier temps d’une dimension financière. Au fil des évolutions technologiques, les prix ont baissé, limitant ainsi ce facteur. Selon le CRÉDOC, le Centre de Recherche pour l’Etude et l’Observation des Conditions de vie, en dix ans, les inégalités d’équipement en ordinateur, Internet et téléphone mobile ont été divisées par deux. Selon l’enquête Conditions de vie et aspirations de ce même observatoire, 15 % des Français n’ont pas Internet à domicile à l’été 2016. Mais la proportion atteint presque un septuagénaire sur deux (43 %), 25 % des bas revenus et 21 % des personnes souffrant d’un handicap ou d’une maladie chronique. On constate donc que les seniors sont les plus concernés par ce manque d’équipement.
La réduction de la fracture numérique passe également par l’apprentissage des codes et des usages de l’outil informatique. Les programmes scolaires s’adaptent progressivement, intégrant de plus en plus d’enseignement ayant attrait au numérique. De plus les “digitals natives”, génération décrite comme ayant grandie avec ces nouvelles technologies, se sont montrées particulièrement à l’aise avec les différentes évolutions. Ainsi, les citoyens connectés sont de plus en plus nombreux et la fracture numérique tend à se réduire progressivement. Cependant, les aînés restent en retrait, voire exclus de cette évolution.
Selon Houssein Charmarkeh, chercheur en science sociale, “les difficultés d’appropriation du numérique des seniors ne peuvent se réduire à la fracture numérique”7. En effet, selon lui, il s’agit avant tout d’un manque de compétences permettant d’appréhender un surnombre d’informations. Les usagers quotidiens d’Internet ont appris à utiliser des outils qui facilitent la recherche, devant un nombre toujours croissant d’informations. Ce manque de compétence en comparaison avec les nouvelles générations peut s’apparenter au fait que « chaque génération serait marquée par une affinité particulière avec certaines technologies, celles qu’elle a découvertes dans son enfance ou dans sa jeunesse […]. Il est probable que chaque génération augmentera significativement son degré de pratiques [numériques] au cours des prochaines décennies » (Le Douarin, 2012)8. De ce fait, le manque de compétence des seniors est d’autant plus important.
Raphael, 81 ans, à la question “Estimez-vous que les nouvelles technologies sont omniprésentes dans votre quotidien?” :
“Dans l’ensemble, on peut se passer du numérique, car moi par exemple je n’utilise pas ces technologies ; mais il faut quand même suivre les petites évolutions : le téléphone, les messages… Si on ne connait pas le numérique on est bloqué, et ceux qui maîtrisent sont en avance.”
Ici, l’intéressé fait état du fait qu’il est nécessaire de connaître l’existence des technologies, sans forcément savoir les utiliser. Pour lui, Internet ne répond pas à un réel besoin, pourtant, il est contraint d’avoir connaissance des possibilités que permettent le numérique par rapport à son omniprésence.
2) Omniprésence du numérique dans le quotidien des français
Désormais, nous sommes tous confrontés aux dispositifs technologiques dans notre quotidien. En effet, la société s’est adaptée au développement des nouvelles technologies en offrant un rôle très important au numérique. L’espace public lui-même a été profondément modifié par l’apparition du digital. Le tissu urbain regorge de dispositifs numériques : panneaux publicitaires connectés, mise à disposition d’écrans interactifs informatifs, expositions digitales. Les actions quotidiennes telles que faire ses courses, prendre les transports ou encore visiter un lieu, ont été considérablement simplifiées. On peut par exemple désormais constituer son panier de courses en ligne et se le faire livrer à domicile. Il est également possible de consulter les horaires exacts des services de transports, ce qui transforme radicalement le délai d’attente des utilisateurs. De la même manière, les capacités de déplacement ont été facilitées par l’avènement des GPS, fortement utilisés par tous les détenteurs de smartphone.
Lydia, 65 ans, à la question “Avez-vous été témoin de l’arrivée du numérique dans votre quotidien ? Quelles sont les transformations majeures qui vous ont marquée ?”
“Les rendez vous médicaux que l’on prend par Internet, les réservations d’hôtels où Internet est presque incontournable. Pour les bus, les horaires sont bien écrits sur les arrêts. La poste : réclamations que sur Internet et plus au guichet… On va dire que la SNCF reste accessible comme autrefois, l’hopital aussi, l’électricité reste accessible par téléphone. Le pire oui c’est les impôts et les banques.”
Ici le sujet nous fait part de l’omniprésence ressentie vis-à-vis du numérique. En effet, l’utilisation des nouvelles technologies qui pourrait s’apparenter à un choix est devenu petit à petit une obligation notamment avec les divers dispositifs mis en place pour la numérisation des démarches administratives.
3) Une administration électronique
Devant l’utilisation massive d’Internet en France, les services officiels et nationaux ont investi dans la mise à disposition de procédures en ligne. Ainsi, il est par exemple désormais possible, de faire une demande de passeport en ligne. Ces procédures connectées permettent un gain de temps pour les utilisateurs ainsi que pour les fonctionnaires. De la même manière, un grand nombre de démarches telles que les demandes d’accès aux aides, pour les plus démunis, se font sur Internet.
La mise en place de ce type de dispositifs résulte d’après Laëtitia Roux9, docteur en science de la gestion, du lancement, en 1998, du Programme d’Action Gouvernemental pour la Société de l’Information (PAGSI). Le but principal de ce programme était l’amélioration de la qualité des services pour les usagers ainsi que la mise en place d’une administration électronique. Toujours selon Laëtitia Roux, le développement de l’administration électronique se compose de cinq phases :
- l’information, la mise en place d’informations basiques, qui peuvent parfois éviter aux utilisateurs un déplacement physique
- l’interaction, afin de minimiser les déplacements et l’usage des courriers, les échanges sont effectués par emails. Cependant, ce mode de communication n’a pas fait ses preuves, jugé inefficace par les usagers en 2004. L’arrivée des chatbots sur de nombreux sites Internet de vente en ligne par exemple, pourrait être une solution adaptée à l’administration, permettant un premier contact tout en permettant de répondre à des micro-demandes
- la transaction, phase durant laquelle les téléprocédures peuvent être complétées en ligne
- l’intégration, la phase finale, sorte de multi-plateforme au sein de laquelle tous les services sont accessibles à travers une seule et unique authentification, et qui permet à l’utilisateur de ne jamais se déplacer
Aujourd’hui, nous nous approchons de la dernière phase avec des services de plus en plus connectés ayant pour objectif la dématérialisation totale des procédures. D’après l’INSEE10, on constate que les pratiques administratives ne sont pas encore complètement instaurées dans les habitudes des internautes, bien que la majorité d’entre eux utilisent Internet pour obtenir des informations administratives (60% des 24-29 ans et 20% des 80 et plus). Dans le dossier du CREDOC11, à la question “Comment les Français réagissent-ils à la perspective de devoir accomplir l’essentiel des démarches Internet en ligne?”, quatre personnes sur dix se disent « très » ou « assez » inquiètes face à cette éventualité. Les plus âgées (72% des 70 ans et plus) et les moins diplômées (68% des non-diplômées) témoignent d’un niveau d’inquiétude plus fort encore. Les inquiétudes sont d’autant plus fortes que la personne est depuis peu de temps équipée d’un accès à Internet à domicile, et plus encore lorsqu’elle ne l’est pas. Devant cette crainte, certains internautes décident de s’équiper et tentent de s’adapter.
Lydia, 65 ans, à la question “Vous sentez-vous contrainte d’utiliser Internet pour des démarches en ligne?”
“Oui absolument par exemple pour la sécurité sociale on a plus le choix, sans parler de la déclaration d’impots, plus le choix. Absolument ce sont des contraintes. Par exemple, quand on me demande des relevés bancaires sur 3 mois, je dois utiliser Internet car ma banque va me renvoyer sur mon compte en ligne si je demande quelque chose. Il n’y a plus d’humain à qui s’adresser. J’appréhende d’ailleurs beaucoup mon avancé dans l’âge car je ne serai bientôt plus autonome à ce niveau là, je vais avoir besoin d’aide”
Au delà de la dématérialisation des démarches administratives classiques, qui dans d’autres pays d’Europe sont plus développées, puisque la France arrive 8ème sur le classement (source CREDOC), certains pays européens tels que l’Estonie ont mis en place une procédure de vote aux élections présidentielles en ligne. La transition vers une e-administration se confirme donc et les aînés ont besoin d’accompagnement pour leur démarches administratives. Le risque du développement de la société de l’information, qui par définition repose sur les nouvelles technologies, est l’isolement des aînés qui se retrouvent en marge de la société. D’après le dossier “Les pratiques numériques des seniors : une réponse à des pressions sociales de conformité” de Jordan Ribier12, 72% des professionnels de l’informatique estiment que les seniors s’exposent à un plus grand risque d’isolement en même temps que la société de l’information se développe.
III. Mais également aux liens nouveaux que permettent les tics et les réseaux sociaux
1) Un moyen de rester plus facilement en contact dans une société de plus en plus en mouvement
Nous l’avons vu, les seniors ont su adopter le numérique pour diverses raisons (démarches administratives en ligne, suivi des comptes…) mais qui n’émanent pas forcément d’un véritable désir mais plutot de contraintes liées à une société de plus en plus digitalisée. En revanche, certains usages motivent beaucoup plus les seniors à s’équiper et utiliser les NTIC. En effet, la perspective de pouvoir rester en contact plus facilement avec la famille, de plus en plus souvent éloignée géographiquement, est un facteur qui entre en compte chez les seniors pour s’équiper en nouvelles technologies. La famille joue d’ailleurs un rôle non négligeable dans l’évolution des pratiques numériques chez les personnes du troisième âge. L’étude d’Annabelle Boutet et de Jocelyne Trémenbert sur les non usages des TIC montre à quel point l’entourage et l’environnement social a une importance dans l’approche des nouvelles technologies chez les seniors. En prenant le contre-exemple des non-usagers, elles ont pu montrer que “l’absence d’usages d’Internet dans l’entourage est décisive pour les non-usagers : 49 % des non-usagers interviewés déclarent que peu ou pas de personnes utilisent Internet dans leur famille”. Ainsi, une personne âgée vivant dans un environnement beaucoup moins exposé aux nouvelles technologies sera moins encline à s’y intéresser.
C’est également grâce de la famille que provient l’acquisition des outils technologiques. Vincent Caradec explique dans son article paru dans Gérontologie et Société13 que la plupart des appareils acquis par les seniors sont en réalité des cadeaux de la famille, voir des collègues lors des départs à la retraite. Dans son étude, il apparaît que sur 13 téléphones portables acquis chez les personnes interrogées, 10 avaient été reçus en cadeau. Il explique également que “ces cadeaux réalisent un équipement qui, sans eux, n’aurait sans doute pas eu lieu”. Dans nos propres entretiens, nous avons pu remarqué également cette tendance. En effet, deux de nos répondants ont affirmé que leurs matériels numérique (smartphone et tablette) avaient été reçus en cadeaux par leurs enfants. Encore une fois, ils n’auraient probablement pas eu ces équipements sans l’implication de leur famille et ils n’auraient peut-être pas fait l’achat par eux mêmes.
Le fait que l’équipement émane directement de leurs enfants peut permettre aux seniors de mieux s’y adapter. Leurs enfants, voir petits-enfants, ont un rôle de médiation et les seniors sont alors beaucoup plus accompagnés dans leur apprentissage et adaptation aux nouveaux outils. Dans un article sur les grands-parents, leurs petits-enfants et les NTIC, Laurence Le Douarin et Vincent Caradec montre que les petits-enfants sont plus “impliqués dans l’assistance à l’usage” que leurs enfants. Le Douarin et Caradec en distinguent deux aspect : le dépannage et l’apprentissage. D’une part, les grands-parents font souvent appel à l’un de leur petits-enfants lorsqu’ils rencontrent un problème informatique. D’autre part, les petits-enfants vont permettrent au seniors de découvrir de nouvelles fonctionnalités dont ils ignoraient l’existence ou ne savaient pas utiliser (comme la rédaction et l’envoi de SMS). De plus, ils vont également leurs montrer comment résoudre d’eux-mêmes leurs problèmes informatiques, leur permettant ainsi d’élargir leurs capacités d’usages.
Les NTIC sont alors vues comme facilitant les liens intergénérationnels. Et, toujours dans un soucis de garder le contact avec leurs enfants et petits-enfants, les personnes âgées se laissent aller à utiliser les messageries instantanées (Skype, Messenger, WhatsApp) et des réseaux sociaux.
2) Les usages des personnes âgées sur les réseaux sociaux
Aujourd’hui, en France, l’utilisation des réseaux sociaux est devenue l’une des activités favorites des seniors sur internet. En effet, selon une étude14 réalisée par CCM Benchmark Institut, 80% des seniors connectés utilisent les réseaux sociaux. Ce chiffre montre bien une nouvelle tendance. C’est majoritairement motivés par la volonté de rester en contact avec leurs proches que les seniors s’intéressent à ces nouveaux modes de communication, puisque selon la même étude, 74% d’entre eux s’inscrivent dans ce but. Dans une moindre mesure, les seniors surfent sur les réseaux sociaux pour regarder des photos et des vidéos (42%) et publier ou partager des articles et des photos (36%). Ces réseaux sociaux deviennent alors un moyen de se divertir, en jouant notamment à des jeux en ligne ou en découvrant de l’information spécialisée (notamment avec l’apparition de groupes destinés aux seniors). Inscrits en grande partie sur le réseau social Facebook, un nouveau monde s’offre alors à eux, permettant de découvrir le quotidien de leurs nouveaux “amis”, souvent présents sur la plateforme en amont. La moyenne d’âge des utilisateurs de Facebook a ainsi considérablement augmentée, avoisinant les 34 ans15 en comparaison avec un réseau social tel que Snapchat, dont 71%16 des utilisateurs ont moins de 25 ans.
Les échanges qui ont lieu sur les réseaux sociaux entre les seniors et leur entourage ont la particularité de se dérouler principalement sur les espaces publics de ces réseaux. En effet, les seniors ont souvent des difficultés à distinguer la dimension public/privée, présente notamment dans Facebook. Des messages très personnels sont alors publiés dans la sphère publique, ce qui peut déstabiliser les autres usagers. D’autres limitent l’utilisation de Facebook à la lecture de certains messages ou informations sans avoir la capacité d’y répondre.
Les réseaux sociaux, sont également un nouveau moyen de faire des rencontres. Une floraison de sites de rencontre dédiés aux seniors voient alors le jour. Adaptés à leur usages, ces plateformes simplifiées offrent la possibilité de créer des profils détaillés et diffèrent des nouvelles applications de rencontres, utilisées par les jeunes générations. Ces sites dédiés aux personnes âgées permettent par exemple de rédiger de longs textes, plutôt que des messages courts et concis. La sélection des profils se fait d’avantage vis-à-vis des profils sociaux que des photos.
Lydia, 65 ans, à la question “Utilisez-vous les réseaux sociaux ?”
“J’ai essayé Facebook mais je n’y ai pas trouvé d’intérêt. En revanche je suis inscrite sur des sites de rencontres dédiés aux seniors. Cela me permet d’échanger avec de nouvelles personnes et je l’espère un jour, de refaire ma vie avec quelqu’un. La solitude c’est difficile alors ça aide, un peu d’avoir ce genre de chose.”
Ici, la personne interrogée témoigne de la création d’un rapport quotidien avec certains utilisateurs des sites. Au delà de la réelle volonté de créer une relation à caractère sentimentale, il s’agit avant tout de nouer des liens sociaux. Ces sites de rencontre sont un moyen de lutter contre l’isolement ressenti ou vécu par les seniors.
Afin de rester en contact avec les proches, tout en tentant de faire travailler certaines fonctions cognitives, des maisons de retraites médicalisées proposent de nouveaux services. C’est le cas notamment de l’entreprise Korian qui propose un service de “journal” en ligne. Le principe repose sur la volonté du patient, ainsi que celle de ses proches, de rester en contact. Les proches disposent d’une application mobile qui permet de créer des posts composés d’une photo et d’une description courte. Ces posts, sont ensuite imprimés sous forme de “gazette” distribuée au patient par l’équipe soignante. La personne reçoit alors des nouvelles de sa famille, avec possibilité de lui répondre s’il est accompagné ; la famille quant à elle peut transposer ses habitudes numériques (posts sur les réseaux sociaux, communications autour du quotidien) à un nouveau réseau social.
Conclusion
De nombreux stéréotypes sont véhiculés concernant la génération des seniors actuels. Mélange de peur et d’appréhension, on estime, souvent à tort, que les seniors sont une population non connectée et même victime d’e-exclusion. Pourtant, de plus en plus, ces papy-boomers se familiarisent avec le numérique, dont ils ont vécu les nombreuses évolutions et s’approprient leurs propres usages.
A travers cette évolution et l’appropriation progressive du numérique par les seniors, on constate l’accroissement d’une silver économie. Cette économie nouvelle, plaçant à l’honneur la recherche et l’adaptation du quotidien numérique aux capacités des seniors, permet notamment un développement économique conséquent. Le vieillissement de la population en Europe nécessite le développement de la silver économie.
Bien que les contraintes ressenties par certains seniors soient réelles, comme les contraintes administratives qui les obligent à passer par des dispositifs numériques dans l’exercice de leur citoyenneté, ou encore la pression sociale de l’entourage, la majorité des seniors connectés trouvent un réel apport dans les solutions digitales. Cette population concentre alors ses usages sur des pratiques de recherche d’informations et de mise en relation avec l’entourage.
Pourtant, les disparités d’accès à Internet sont existantes, la fracture numérique n’est pas un mythe, mais si celle-ci a considérablement réduit en quelques années. Un des facteurs les plus importants concernant la fracture actuelle demeure le manque de compétences numériques et/ou leur réduction, due à l’avancée dans l’âge.
Afin d’atteindre la résorption complète de cette fracture, il est nécessaire de lutter contre l’exclusion des personnes âgées, qui dès lors qu’elles ressentent de la solitude, se voient diminuées et ne souhaitent pas poursuivre un apprentissage tel que celui des nouvelles technologies. Le développement de la silver économie devrait pouvoir passer par le développement de moyens d’accompagnement humain à l’égard des seniors.
A la vitesse à laquelle la technologie se développe, les digitals natives d’aujourd’hui seront-ils en mesure d’appréhender les technologies futures et de trouver et revendiquer une véritable place dans une société numérique ?
Dossier réalisé par Catherine Martin et Noémie Brion
Notes
(1) Les seniors d’aujourd’hui sont moins inquiets et plus ouverts aux évolutions de la société, URL : http://www.credoc.fr/pdf/4p/269.pdf
(2) Infographie TNS Sofres : l’adoption du digital par les seniors, URL : https://www.offremedia.com/infographie-tns-sofres-ladoption-du-digital-par-les-seniors
(3) Seniors et tablettes interactives, Délégation aux Usages de l’Internet, 2011 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00630788/document
(4) “Bien vieillir grâce au numérique”, Amandine Brugière et Carole-Anne Rivière, 2010, Fypéditions
(5) “Des cours d’informatique pour les seniors”, La Quotidienne, France 5, URL : https://www.youtube.com/watch?v=3vhaUc6_QLI
(6) Sophie Joussellin, CES 2018 : les nouvelles technologies au service du maintien à domicile des seniors, RTL, 14/01/2018, URL : http://www.rtl.fr/actu/futur/ces-2018-les-nouvelles-technologies-au-service-du-maintien-a-domicile-des-seniors-7791792967
(7) Revue Française des Sciences de l’information et de la communication, n°6, 2015. Disponible sur : https://rfsic.revues.org/1294
(8) Eloria Vigouroux-Zugasti, Olivier Le Deuff. Le senior connecté. H2PTM’15, Oct 2015, Paris, France. 2015.
(9) L’administration électronique : un vecteur de qualité de service pour les usagers ?, Laëtitia Roux, 2010, URL : https://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2010-2-p-20.htm
(10) Enquêtes sur les technologies de l’information et de la communication auprès des ménages (TIC) 2014 et 2015
(11) Consommation et modes de vie N° 288 • ISSN 0295-9976 • avril 2017, URL : http://www.credoc.fr/pdf/4p/288.pdf
(12) Jordan Ribier. Les pratiques numériques des seniors : une réponse à des pressions sociales de conformité. Sciences de l’information et de la communication. 2016, URL : https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01382528/document
(13) Vincent Caradec, Générations anciennes et technologies nouvelles, Gérontologie et Société, n° spécial, 2001, pp. 71-91
(14) Infographie : Les seniors et les nouvelles technologies, CCM Benchmark Institut, janvier 2017 URL : http://www.ccmbenchmark.com/etude/221-les-seniors-et-les-nouvelles-technologies?f_partner=NLBsponso
(15) www.2803media.fr
(16) https://www.blogdumoderateur.com/chiffres-reseaux-sociaux/
Bibliographie
“Les seniors et le digital : une population aussi connectée”, Rozenn Perrichot, le 13 avril 2016, URL : https://www.blogdumoderateur.com/seniors-digital-connexion/
Infographie créée par TNS Sofres : l’adoption du digital par les seniors, le 8/04/2016, URL : https://www.offremedia.com/infographie-tns-sofres-ladoption-du-digital-par-les-seniors
“L’accès des seniors aux technologies de l’information et de la communication (TIC) : vers une plus grande démocratisation”,Mordier Bénédicte, Retraite et société, 2016/3 (N°75),p.99-114. URL : https://www-cairn-info-s.fennec.u-pem.fr/revue-retraite-et-societe-2016-3-page-99.htm
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