Introduction :
L’ère numérique se caractérise par une irruption de dynamiques plurielles qui affectent de manière ubiquitaire de nombreuses sphères de notre société, que ce soit d’un point de vue social, économique, culturel, ou encore scientifique. L’un des milieu qui se retrouve profondément marqué par ces bouleversements soudains, est sans aucuns doute le politique. Bien que celui-ci dispose d’un ancrage qui a été historiquement institué, il connaît cela dit une crise, qui certes n’est pas nouvelle, mais qui semble s’accentuer au fil des années et tend ainsi à menacer sa stabilité. Cette crise concerne celle de la représentation politique. Elle instille en son sein, une perte (qui a été progressive) de confiance de la part des citoyens envers leurs le politique dans toute sa globalité.
C’est ainsi que l’objet des Civic Tech semble se positionner comme un appuie stratégique qui tendrait à traiter ce type de problématique, et ceci de plusieurs manières. De nombreuses définitions existent concernant cette notion de Civic Tech. Mais si l’on devait en retenir qu’une seule, ce serait certainement celle qui a été proposée par le journaliste américain Alex Howard qui figure sur civictechno.fr, plateforme dédiée exclusivement à ce nouvel objet politique. Pour ce-dernier, peut être assimilé à une Civic Tech “tout outil ou processus que les individus ou les groupes peuvent utiliser pour influer sur la scène publique” . Le schéma suivant permet de visualiser de manière un peu plus concrète la portée propre à ce type d’appareil numérique.
Source : Knight Foundation report “The Emergence of Civic Tech” – 2013
Cette définition permet d’illustrer le fait que l’objectif majeur d’une Civic Tech tend à avoir un impact, ou une quelconque influence sur le tissu politique. Ainsi face à cette crise politique majeure, deux visions semblent alors émerger à partir de ces Civic Tech (tant au niveau de leurs conceptions, que des usages qui découlent de leur mise à disposition du public concerné) :
D’un côté nous avons un premier mouvement dit “Top Down” (du sommet du pouvoir vers la société civile) qui se traduit par la production d’initiatives gouvernementales et étatiques qui mettent à disposition aux individus, des outils numériques de consultations. Ce type d’outil permet aux citoyens de consulter le plus souvent gratuitement, une quantité importante d’informations qui sont rendues publiques et sont par conséquent visibles de tous. C’est le principe de la transparence, qui doit permettre ainsi de rallier une partie de la confiance des citoyens qui avait été perdu par le politique. Parmi les différents outils numériques qui s’inscrivent dans cette catégorie on retrouve la plateforme data.gouv.fr, legifrance.gouv.fr, gouvernement.fr,assemblee-nationale.fr, ainsi que bien d’autres sites et applications web. Tous ces outils dit de consultations, sont corrélés à deux notions spécifiques qui émergent à partir de cette révolution numérique, l’open data, ainsi que l’open gouvernment. Ainsi l’open data peut être définit comme étant un processus de publicisation de données relatives à l’État, qui de ce fait deviennent ouvertes et publiques. Ce mouvement partant du haut (donc du gouvernement et des élites politiques), peut se diffuser à différentes échelles allant des collectivités territoriales, aux communes par exemple. L’open data permet d’un point de vue politique de renforcer les dynamiques de transparence, mais aussi de dynamiser certains territoire puisqu’à partir de l’ouvertures de données et d’API (application programming interface) par exemple, il est possible d’enrichir certains mécanismes d’innovations concrètes. Les retombées qui en découlent peuvent ainsi développer l’attractivité de certains territoires. L’open government lui est relatif à la fois à la notion précédemment évoquée, ainsi qu’à la structure même du pouvoir politique. Comme le montre le schéma suivant, on peut définir celui-ci comme: “une doctrine de gouvernance qui vise à améliorer l’efficacité et la responsabilité des modes de gouvernance publique”. La Knight Foundation définit celui-ci comme étant la réunions de projets inscrits dans une logique Top Down, qui permettent à partir de développement de principes de transparences, d’accessibilité de données et services, de produire des changements démocratiques majeurs. Est aussi inclut dans cette définition l’engagement citoyen au sein du système démocratique.
Schéma 1 : les pôles de l’Open Government
En parallèle à cela, il est possible d’observer un mouvement “Bottom Up”,(partant ici de la société civile jusqu’au sommet du pouvoir) qui fait intervenir différents acteurs qui sont le plus souvent issus de la société civile, marquant ainsi une certaine rupture avec le statut de professionnel de la politique. Ces citoyens lambda créent et ont recours à l’utilisation d’outils implications qui permettent d’affirmer un certain empowerment produit à partir de l’usage de ces nouvelles technologies numériques. A contrario des outils gouvernementaux, ceux issus de la société civile sont plutôt fragmentés en essaims. Parmi ces-derniers on retrouve les exemples de change.org, make.org, Stig, DemocracyOS France et bien d’autres cas. La particularité propre aux outils dits d’implication réside dans la composante souvent militante qui est inhérente au dispositif crée. Ainsi le citoyen est invité à prendre part soit à un projet spécifique, soit à tout simplement proposer différents projets, ou encore à formuler des opinions. La Knight Foundation définit ce type d’action comme étant la résultante d’une action de la communauté (community action) qui répond à une logique de pair à pair incluant des logiques de partages, collaboration, et constitutions de fonds (ou encore ressources). La visée ici correspond à la résolution de problèmes civiques concrets, tels que la problématique de l’inclusion du citoyen au sein des appareils politiques, le développement de tissus associatifs, ou encore la mises en place de plateformes de soutiens à échelle locale.
Certains de ces acteurs civiles, nourrissent une certaine méfiance à l’égard du gouvernement, c’est d’ailleurs ce qui peut les amener à formuler ce type de projet. D’autre au contraire souhaitent établir des alternatives en dehors du cadre étatique, afin de stimuler à nouveau l’intérêt des citoyens envers le fait politique.
Ainsi, les civic tech marquent-elles un tournant démocratique majeur par rapport à notre système de démocratie représentative? Si cela est le cas, en quoi ces-dernières entrent-elles en rupture avec le système qui est actuellement en place ?
C’est en gardant ce questionnement à l’esprit que nous étudierons ici de manière non-exhaustive les productions socio-techniques qui sont issues de ces versants relatifs aux Civic Tech. Nous essayerons ainsi de voir si les deux approches évoquées antérieurement sont réellement dissociées de manière stricte, ou peut-on envisager une certaine porosité des champs créés à partir de ces deux différents types d’outils ?
I- Vers une ouverture du gouvernement, le standard des outils dits de consultations :
A partir des années 1990 l’augmentation du niveau d’accès et d’utilisation d’Internet en France conduit l’État à engager des initiatives de modernisation de l’action publique, en s’investissant sur la création d’outils numériques, promouvant ainsi la participation citoyenne par la mise en circulation des données et des informations administratives. On note le rapport au Premier ministre « Internet, un défi pour la France » de Martin Lalande Patrice en 1997 comme étant la première proposition pour l’ouverture des administrations françaises au monde d’Internet, dans le but d’améliorer les conditions de vie des citoyens. Entre les différentes possibilités de cette ouverture on retrouve l’intérêt d’affirmer la volonté politique de bâtir la société française de l’information ». Ensuite on observe une préoccupation graduelle de l’État français de la numérisation des services publics, comme outils de consultation des citoyennes.
Dans le but de mieux comprendre la forme d’engagement du gouvernement français avec les civic tech, on va mentionner et décrire quelques uns des différents outils de consultation et d’implication qui sont créés et soutenus, soit par la sphère politique officielle, soit par des acteurs sociaux en collaboration avec cette-dernière. Cela va nous permettre de comprendre quels sont les types de participation des citoyens désirés par le gouvernement concernant les politiques publiques, et quel est leur impact sur le système démocratique actuel.
« Data.gouv.fr » constitue une plateforme numérique de l’État français gratuite et libre d’accès, qui fonctionne dans le but de l’ouverture des données publiques de l’État et des administrations. Elle est développée par « Etalab », site qui est rattaché au Premier ministre ainsi qu’à la Direction Interministérielle du Numérique et du Système d’Information et de Communication de l’Etat (DINSIC).
Le site « Data.gouv.fr » a été administré pour la première fois en 2011, sous le service du Premier ministre François Fillon et fut développée par l’entreprise « Logica ». Ensuite, une deuxième version du site était lancée en 2013 par la mission « Etalab » et son développement était matérialisé par le logiciel libre « Comprehensive Knowledge Archive Network » de l’ « Open Knowledge Foundation », ce qui a rendu possible la réalisation des contributions par les citoyens et les différentes associations.
Cette plateforme sert essentiellement à la mise en disposition des jeux de données utilisés par les services de l’Etat et des administrations, pour promouvoir leur ouverture aux acteurs qui pourraient être intéressés par celle-ci (citoyens, services publics, organisations, entreprises, etc.), dans un concept de transparence démocratique au regards du public. En même temps, ce service incite les citoyens à la réutilisation de ces jeux de données, en permettant à ces-derniers de les rendre plus complets, en les enrichissant ou simplement en les diffusant. La publication d’un jeu de données sur la plateforme est réalisée sous une licence qui définit les droits de son réutilisation, et qui est dans la plupart des cas l’Open Licence (« Licence Ouverte »).
Les données publiées dans la plateforme sont réparties au sein des 9 catégories thématiques suivantes : « Agriculture et Alimentation », « Culture », « Économie et Emploi », « Éducation et Recherche », « International et Europe », « Logement, Développement Durable et Énergie », « Santé et Social », « Société », « Territoires, Transports, Tourisme ». Un jeu de données peut appartenir à plusieurs thématiques à la fois, ainsi qu’à plusieurs mots clés associés.
En observant les informations inscritent au niveau du tableau de bord du site on se rend compte qu’il y a une activité assez grande dans cette plateforme. Jusqu’à aujourd’hui on compte 33.425 jeux de données, 125.538 ressources, 23.455 utilisateurs, 1.285 organisations, 1.708 réutilisations et 1.753 discussions. On peut aussi voir à travers la rubrique “Activité de la communauté” l’intervalle de publications exprimé en heures. On remarque ainsi que le flux d’activité reste dynamique, puisque la fréquence de publications reste élevée (au vue de l’échelle de temps qui est ici donnée). Les individus sont ainsi plutôt actifs et publient du contenu (sous forme de commentaires) assez souvent.
En résumé, à partir de la navigation du site « data.gouv.fr » on voit se manifester de manière tangible, la volonté de l’Etat français d’inclure les citoyens et citoyennes au sein des procédures de production, d’utilisation, de réutilisation et de diffusion des connaissances d’intérêt public.
« NosDéputés.fr » correspond à une plateforme qui s’investit d’un rôle de médiateur, faisant le relais entre les citoyens et leurs élus, en fournissant des informations sur l’activité politique de chaque député de l’Assemblée nationale Française. Cet outil de civic tech forme aussi un lien de communication entre les deux, en invitant le public à interagir avec la vie politique en donnant son avis sur les débats parlementaires, et en assistant (via une inscription en amont) aux assemblées.
Ce site constitue une (parmi plusieurs) initiative du collectif « Regards Citoyens », une association de citoyens bénévoles formée en 2009 qui compte actuellement une quarantaine de membres, manifestant l’intérêt de faciliter l’ouverture des institutions démocratiques via le partage de l’information au public.
Cette plateforme comprend une liste exhaustive des députés, avec un profil personnel détaillé pour chacun, qui offre plusieurs types d’informations sur son activité politique : des données sur la présence et la participation du député en séance d’hémicycle, des informations concernant ces prises de contacts, mais aussi sur ses responsabilités relatives à sa thèse politique, son activité législative, ses productions parlementaires et ses questions posées au gouvernement. On retrouve aussi un champ lexical relatif à ses thèses politiques, un historique des fonctions et des mandats, et finalement des commentaires postés par des citoyens sur son activité.
Dans un même temps, le site contient une rubrique qui réunie des dossiers traités à l’Assemblée, en informant les internautes sur la répartition par groupes de travail sur chaque dossier, sur les principaux orateurs, sur les documents législatifs concernés, et sur les mot clés. Enfin, une rubrique sur les membres de cette plateforme existe aussi, en donnant des informations sur les procédures à engager afin d’assister aux débats en séance publique de l’Assemblée nationale et en référant sur leur profils personnels, qui pourtant ne comprennent presque aucune information personnelle, et beaucoup d’individus ont recours à l’usage de pseudonyme afin de masquer leur identité.
Entre les différents dossiers référés dans la plateforme, on choisira de mettre l’accent ici sur celui qui correspond aux débats sur la « Confiance dans la vie publique ». Ce sujet a recruté beaucoup d’attention de la part du public ainsi que de la classe politique, montrant que la perte de confiance dans la sphère politique constitue une réalité que le gouvernement s’efforce de résoudre au travers de cette loi notamment.
On observe qu’il se classe comme étant le premier débat par rapport au nombre de commentaires écrits par les citoyens et citoyennes membres de la plateforme. Les 309 commentaires qu’il a reçus correspondent à un effectif beaucoup plus considérable que ceux qui pourraient être relatifs à d’autres dossiers (dont la vaste majorité s’accommode d’un nombre de commentaires avec deux ou un chiffre). Il est aussi en même temps, le deuxième dossier le plus discuté à l’Assemblée, comptabilisant ainsi plus de 3763 interventions de députés. Le premier concerne le « Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 – projet de loi de finances pour 2018 » datant de décembre 2017, et ayant 8911 interventions de députés et 84 commentaires de citoyens (chiffre plus bas que celui propre au dossier sur la confiance dans la vie publique). Ces deux informations démontrent que même si cette plateforme comprend des membres qui sont déjà intéressés par la vie politique, leur attention était beaucoup plus attirée par ce dossier particulier que par rapport à tous les autres. Cela montre aussi que la participation de la classe politique concernant ce dossier à été majeure au regard de l’ensemble des autres dossiers de la plateforme.
Après avoir vérifié le fort intérêt du public et des députés français sur le sujet de la restauration de la confiance en la vie publique, on se pose désormais la question de savoir si une quelconque l’orientation politique des élus qui ont participé le plus sur ce processus peut être définie comme étant une variable interprétative concernant ce dossier, afin de détecter si cela est plutôt promu par certains parties ou idéologiques politiques spécifiques.
Graphique 1 : Diagramme issu du dossier “Confiance en la vie publique”
Pour répondre à cette question on va utiliser des données statistiques incorporées par la plateforme, qui sont relatives à la segmentation partisane des différents groupes de travail ayant pris en charge l’étude de ce dossier. Ainsi comme on peut le voir à partir de cette visualisation, le parti politique qui semble avoir recruté le plus grand nombre d’interventions, correspond aux Républicains (LR 868 interventions). Par ailleurs ces-derniers sont aussi ceux qui ont monopolisés le plus de temps de parole (28% de l’effectif de total). En seconde position (tant au niveau des interventions qu’au niveau des temps de paroles), on retrouve le parti de la majorité présidentielle LREM (La République En Marche). Ces deux éléments nous permettent de confirmer qu’il semblerait que les groupes majoritaires de l’Assemblée semblent effectivement (de par leur poids), dominer par leur implication la gestion de ce dossier parlementaire d’un point de vue purement statistique. On pourrait ainsi se laisser tenter de penser qu’une forme de polarisation partisane (qui serait en l’occurrence ici orientée de droite) a alimenté le traitement de ce dossier de confiance en la vie publique. Mais si l’on s’intéresse plus en détails aux éléments de cette représentation, on remarque que, bien que les partis de gauche soient naturellement (au vue de la formation de cet nouvel hémicycle) en infériorité numérique, ils arrivent cependant à réaliser des scores d’interventions et de temps de parole assez élevés (comparativement par rapport à leurs effectifs respectifs). Ainsi que ce soit pour la Nouvelle Gauche (anciennement PS), qui dispose de 27 sièges, ou encore pour la France Insoumise qui en possède 17, le nombre d’interventions de ces deux partis reste quasiment équivalent (environ 450 interventions), et correspond à peu près à la moitié du montant réalisé par la LREM ou par LR. Ce phénomène est d’autant plus parlant lorsqu’il concerne les temps de parole (quantifiés en mots prononcés). Là encore la NG et LFI semblent obtenir un score équivalent (15%), mais ce qui est intéressant ici, c’est que ce score se rapproche nettement de celui de LREM (qui est de 18%) alors qu’il s’agit de la majorité présidentielle. Cela peut nous indiquer que la gauche porte à l’instar de la droite un réel intérêt pour ce dossier parlementaire qui touche en plein cœur la problématique que nous nous sommes posées.
Visualisation 1 : Répartition des groupes politiques dans l’hémicycle
(http://www2.assemblee-nationale.fr/instances/liste/groupes_politiques/effectif/(hemi)/true)
En résumé, bien que le traitement de ce dossier soit marqué par l’implication d’une mouvance de droite, il demeure relativement difficile de lui prêter un quelconque marqueur idéologique. Cela semble nous indiquer que la confiance en la vie publique est un dossier qui concerne l’ensemble du politique, il ne subit par conséquent l’influence d’aucun prisme partisan et semble intéresser l’ensemble des élus politiques quel que soit leur étiquette.
Une seconde particularité propre à cette plateforme numérique traitant du politique, se traduit par la mise en place de nuages de mots interactifs qui sont propres à chacun des dossiers traités et mis en ligne. L’étude de ce dernier nous permet de nous indiquer, d’une part si la thématique fait l’objet d’un tropisme partisan qui est discernable à partir d’une observation concrète du forum. Mais aussi, si d’autre part elle fait l’unanimité dans la classe politique, et comment cette-dernière est-elle perçue par ces acteurs politiques. D’un point de vue de sa conception, cette visualisation s’appuie sur l’étude sémantique des extraits des interventions mises en ligne traitant de ce dossier. Ici sont répertoriés les termes et mots-clefs qui sont les plus récurrents et qui apparaissent le plus souvent au sein de l’ensemble du corpus (qui regroupe l’intégralité des prise de paroles, et interventions parlementaires). Ainsi chaque mot renvoie l’utilisateur vers un lien qui correspond à une page où l’on peut consulter toutes les interventions qui mentionnent ou utilisent le terme en question.
Graphique 2 : Nuage de mots issu du dossier “Confiance en la vie publique”
Autre aspect, la taille du mot détermine le poids de celui-ci au sein du corpus étudié. Plus ce dernier est volumineux, plus cela est indicateur d’une volumétrie importante (en d’autres termes il apparaît de manière récurrente au sein des interventions).
Prenons l’exemple du terme “confiance” et “transparence”, arbitrage qui se justifie par le fait que ces deux mots ont un poids qui semble relativement important, et sont à la fois tous deux relatifs à un champs lexical particulier qui est hautement corrélé à de nombreuses notions qui relèvent des politiques de la participation (via la configuration de la démocratie participative) et de la sociologie politique.
En prospectant à partir d’outils de data mining, on remarque que le terme “confiance” apparaît de manière homogène au sein du milieu partisan. Le parti qui semble avoir fait usage du plus de fois ce terme au cours de leurs discours semble correspondre à la France Insoumise (parti dont la part de présence à travers le filtre “confiance” concernant la retranscriptions des prises de paroles atteint environ 63% des interventions, face au parti de la majorité présidentielle qui en regroupe environ 48%). Cependant si on souhaite sur le plan idéologique regrouper les différents partis selon un clivage traditionnel droite-gauche, on remarque alors que la mise en exergue du terme “confiance” dans les discours se répartie de manière homogène. Ainsi la gauche (LFI, GDR, NG) semble arriver en tête puisque leur fréquence à travers le filtrage du terme confiance, atteint environ 81%. Mais la droite (LREM et LR) atteint une fréquence d’environ 70% sur le corpus déployé, ce qui nous incite à conclure que malgré une différence de 10% entre les deux courants idéologiques, l’usage du terme confiance semble se répartir de manière égale. En d’autres termes nous arrivons ici à confirmer de manière algorithmique que la confiance semble en effet être un enjeu qui dépasse les clivages partisans. Force est de constater que la crise relative à cette-dernière semble être un enjeu majeur qui intéresse le politique.
Intéressons nous dès à présent au terme de la “transparence” afin de voir si celui-ci provoque des clivages et disparités plus marquées que ce que l’on a pu observer à partir du mots-clés “confiance”. Ce terme semble apparaître de manière égale, que ce soit au sein des discours issus de prises de paroles réalisées parmi les intervenants affiliés chez Les Républicains (LR), que ceux qui sont propres aux interventions des partis de gauche (LFI et NG). On atteint en effet une proportion qui s’élève à environ 75% de l’ensemble des discours où le terme transparence fait l’objet d’un usage particulier. Sur le plan partisan, on peut donc supposer que l’usage cette notion fait l’objet d’une répartition uniforme que ce soit au sein de la droite ou de la gauche. En confirmation avec l’analyse du précédent terme qui était relatif à la confiance, nous observons ici clairement que la clivage traditionnel droite-gauche semble être dépassé concernant ce type de thématique politique.
Sur le plan idéologique si l’on souhaite ajouter La République En Marche à la mouvance de droite, une domination émerge et tend à une surreprésentation totale (qui dépasserait même le seuil de 100% de la totalité de corpus étudié). Il est donc difficile de dire si la transparence peut être investie par une forte prégnance de la part d’une idéologie de droite (ou néo-libérale). Néanmoins le clivage partisan demeurent bien plus parlant lorsque l’on s’intéresse à la sémantique des discours prononcés. Par exemple concernant cet aspect relatif à la quête de plus de transparence en la vie politique, c’est ici l’enjeu de la réserve parlementaire qui semble animer les débats entre le clivage droite-gauche. Cette dernière finalement supprimée depuis janvier 2018, a été fortement défendu par LR, alors que la gauche (à travers notamment LFI) semblait plutôt se diviser à l’idée de maintenir un tel appareil. Si Les Républicains justifient la nécessité de cette réserve par le fait qu’elle permet de stabiliser l’ancrage territorial des députés (cf. Xavier Breton LR : “Cette réserve parlementaire était décidée et affectée par les élus en lien avec leur territoire, de manière transparente. Demain, qu’aurons-nous ? Des crédits qui seront transférés au bon vouloir des ministères. C’est nous qui allons être dessaisis. Il faut revenir sur cette décision, parce que c’est un mauvais signe pour l’aménagement du territoire, mais également pour le fonctionnement de notre démocratie, qui révèle le poids excessif des administrations.”), la gauche semblent être plutôt critique et centre ses attaques sur les conflits d’intérêts ainsi que l’opacité produite par cette démarche qualifiée par certains de discrétionnaire (cf. Ugo Bernalicis LFI :“…Le problème, au fond, de cette réserve, c’est son côté discrétionnaire. Ce n’est pas condamnable en soi, mais cela pose un problème à partir du moment où la décision revient à une seule et unique personne, à savoir le ou la député-e.”) .
Le fonctionnement de ce site vise à répondre à une crise déclinée sous 3 niveaux, de la démocratie représentative en France, décrits comme : « crise d’efficacité des politiques publiques, crise de légitimité des lois produites, et crise de confiance des citoyens envers les acteurs politiques ». Créée par une association non partisane, cette plateforme s’occupe de l’initiative d’établir des procédures qui permettent la rédaction de la loi conjointement par les parlementaires et les citoyens.
Selon ce site, une telle collaboration entre les gens politiques et le public peut mener d’abord à l’amélioration du niveau d’efficacité des décisions publiques. En étendant les avis et les propositions des citoyens, les parlementaires peuvent prendre des décisions qui seront décapées par le problème de leur idéologie et rester aux cadres plus objectives et sociales. En second lieu, cette ouverture de l’élaboration de la loi dehors les portes du parlement est considérée par ce site comme crucial pour la déconnexion de la loi par les influences des lobbies et des intérêts partisans et le mettant plus proche aux besoins et opinions du public. La cible finale de cette initiative de coopération est la réhabilitation de la confiance entre les citoyens et leurs élus, donc la restauration de la fiabilité au système de la démocratie représentative.
En ce qui concerne les personnes inscrites dans cette plateforme, leur nombre, qui correspond à 45.786 individus, démontre un intérêt assez grand pour son approche concernant la vie politique. Un regard plus méticuleux présente que 21.535 entre eux sont des citoyens et 48 des membres du parlement. Par ailleurs, on compte 109 organisations à but lucratif, 342 organisations à but non-lucratif et 78 institutions.
La plateforme présente deux types d’activités pour ses membres, en leur offrant des structures de consultation et de réalisation des pétitions. En ce qui concerne le premier type d’activité, les membres du parlement qui s’intéressent à l’opinion des citoyens sur un sujet particulier, peuvent demander à travers l’utilisation de cette plateforme, la consultation du public qui pourra ainsi influencer alors leur proposition de loi à l’Assemblée nationale ou au Sénat par rapport à leurs contributions. On compte 20 procédures de consultations effectuées dans la plateforme jusqu’à aujourd’hui, dont 40% sont soumises au thème du numérique, concernant plutôt les enjeux et le développement de l’Intelligence Artificiel, et 30% au thème de la démocratie et de citoyenneté. Le reste des thématiques concernent l’environnement, la santé, la sécurité, la justice et l’économie.
Si on trie la liste des consultations par popularité on peut en conclure que le sujet « Restaurer la confiance entre citoyens et parlementaires » a reçu le plus de contributions par rapport à toutes les autres : 2.434 contributions accompagnées par 9.806 votes et 773 participants. On clarifie que ce sujet se différencie de la loi « Rétablir la confiance dans l’action publique » de 2017 qu’on a déjà analysé en dessus et qui se classe en troisième position dans cette plateforme par rapport à son popularité, en recevant 1.248 contributions, accompagnées de 10.523 votes et 1.109 participants. Cette publication date depuis 2013, mais elle n’a pas mené à une proposition de loi ; 4 années après, l’occupation de ce sujet retourne avec la proposition de la loi relative.
Dans ce dossier de consultation on observe que 86.1% des votants (dans l’ensemble de 655 votes) définissent le problème comme étant issu de la défection des citoyens français envers leurs représentants, car ils ne leur font plus confiance. En ce qui concerne les enjeux de la restauration de cette confiance, on note que la réponse la plus votée concerne l’amélioration du fonctionnement démocratique français (par 91,7% de votants entre 409 votes). Parmi les différentes causes de ce manque de confiance, on remarque les 2 plus votées comme : la non réflexion de la diversité de la société par les parlementaires (pour 73,9 % de 510 votants) et la représentation des intérêts locaux par les parlementaires (pour 51,1% de 413 votants). En même temps, le manque de temps et de moyens des parlementaires pour s’informer sur la volonté générale n’était pas considéré comme cause de cette problématique pour 56,6% des votants entre 435 votes. Finalement, en ce qui concerne les solutions de ce problème, selon les 4 plus votées on cite : l’interdiction du cumul entre mandat parlementaire et président d’exécutif local (pour 83,6% de l’ensemble de 445 votes), la limitation du nombre de mandats parlementaires successifs (pour 69,4% de 412 votants), l’interdiction pour les parlementaires d’appartenir à la fonction publique (supporté par 47,3% entre 410 votants) et la réduction du nombre de parlementaires (pour 56,7% des 402 votants).
Depuis 2017, « parlement-et-citoyens.fr » n’offre pas seulement les structures de consultation au public, mais aussi la possibilité de créer des pétitions législatives. Selon le fonctionnement du site, ses membres peuvent déposer une pétition concernant un sujet qu’ils souhaiteraient être prise en compte par le Parlement et si elle arrive à recevoir plus de 5000 votes, les parlementaires membres de la plateforme s’engagent à répondre. L’ensemble de cette initiative a déposé jusqu’aujourd’hui 49 contributions de pétitions et 55 personnes ont participé à cette procédure. De manière évidente, l’activité et l’engagement des inscrits de ce site ne semble pas être du même niveau comme dans la rubrique des « consultations », mais étant donné que l’initiative date depuis quelques mois, il faudrait étudier l’analogie des participants entre les rubriques « consultations » et « pétitions » dans un temps plus long.
Tableau 1 : Répartition du pourcentage de pétitions par catégorie dans « parlement-et-citoyens.fr »
Selon le tableau 1, la thématique de la « démocratie et de citoyenneté » reste à occuper les membres de cette plateforme avec leurs pétitions, comme avec les sujets de consultations proposés par les parlementaires. Cependant, la catégorie du « numérique », qui était le centre d’attention des politiciens avec leur propositions des lois ne semble pas concerner les citoyens dans le même niveau que les parlementaires. Cela pourrait signifier qu’il y a une activité parlementaire tournée vers les sujets du numérique qui le met dans le centre des discussions publics, mais qui ne correspond pas aux premiers soucis des citoyennes.
Tableau 2 : Répartition du pourcentage de pétitions par profil de l’auteur dans « parlement-et-citoyens.fr »
Par ailleurs, le tableau 2 nous informe que la plupart des pétitions déposées sur cette plateforme étaient effectuées par des citoyens (concernant le 34% des pétitions) et beaucoup moins par des organisations à but non lucratif (pour 5% des pétitions). Les informations de ce tableau montrent que l’initiative de la fortification d’un système d’élaboration de loi à partir du bas vers le haut (dans cette plateforme) attire l’intérêt plutôt des personnes et des organismes qui ne présentent (au vue de ces données) pas d’intérêts en lien avec la sphère économique.
Ensuite, si on regarde avec plus de détail le corpus des 49 pétitions déposées dans ce site, on conclu qu’il y a seulement une jusqu’à maintenant qui a réussi à recevoir les 5000 votes nécessaires pour inclure les parlementaires à la discussion. L’ensemble de 9.454 votes obtenus preuve un grand intérêt par les membres de cette plateforme pour ce sujet, en combinaison du fait que toutes les autres pétitions n’ont pas réussi à attirer l’intérêt de ce public. Pour la description du sujet on cite : « Nous demandons la suppression de l’Article 34 du projet de loi de financement de la sécurité sociale en 2018 qui contient l’extension de l’obligation de 3 à 11 vaccins ». La pétition était accompagnée de plusieurs références à la motivation et l’explication de cette position et une liste des associations et collectifs soutenant cette pétition. Finalement, cette procédure a menée aux réponses de trois parlementaires, membres de La République en marche (LREM), qui ont exprimés les raisons de leur désaccord quant à cette pétition.
On voit donc qu’une réelle ambition émane de la volonté des élites politiques, qui semblent vouloir réconcilier les citoyens avec le politique (à travers d’une part le développement de plateformes numériques de consultations, et d’autre part via l’implémentation d’options permettant d’encourager les citoyens à participer à la vie politique).
Ces initiatives encourageantes doivent cependant être relativisées, puisqu’elles ne semblent pas participer à la restauration de la confiance des citoyens français à l’égard du politique (tant au niveau des institutions qu’au niveau des acteurs). En effet si l’on croise les données relatives aux enquêtes réalisées par CEVIPOF, avec elles produites sur la plateforme parlement-et-citoyens.fr , on remarque la chose suivante. Une proposition de loi sur la restauration de la confiance entre les citoyens et les parlementaires à déjà été proposée sur la plateforme par Bruno Le Maire en 2013. Or cette dernière bien qu’ayant réunis de nombreux votes de la part de citoyens, elle n’a malheureusement à cette époque ci, pas aboutie à la constitution d’une proposition de loi concrète. Aussi, une enquête réalisée par CEVIPOF datant de 2013 montrait déjà qu’une certaine défiance (exprimée par les citoyens) à l’égard du politique pouvait se mesurer (ou plutôt continuait d’évoluer). Même si cette défection de la confiance doit être contextualisée et observée en parallèle d’autres sphères et institutions sociétales, il n’en demeure pas moins que cette crise politique reste importante, et ne doit pas se laisser tenter de basculer vers un quelconque relativisme.
On peut donc en conclure que l’intérêt de l’élite politique envers cette restauration de la confiance des citoyens est quelque peu récent. Cela conduit à relativiser le développement des outils de consultations qui au final peuvent se confronter à la barrière du pouvoir. La consultation nécessite donc d’être appréhender dans les deux sens, des citoyens vers la classe politique, mais aussi de la classe politique vers les citoyens. C’est en partie à cause de ce verrouillage institutionnel que certains individus issus de la société civile s’engagent à concevoir des architectures numériques qui portent l’ambition de s’inscrire en tant qu’alternative ou soutient pour les citoyens, en essayant ainsi de réconcilier ces derniers avec la vie politique.
II- Les alternatives citoyennes , l’innovation politique au regard des outils d’implications :
Malgré les dispositifs hétérogènes propres à chaque plateformes des Civic tech, nous pouvons nous accorder sur l’idée que ces plateformes sont des « institutions sociales » régies pas un ensemble de normes, de règles et de convention qui les organisent comme tout autres institutions sociales. L’application Stig, en accédant à la rubrique « Proposition d’idée », met justement en avant et aux yeux des utilisateurs ces règles à suivre, ces normes auxquelles les utilisateurs doivent se plier, ces conventions sur lesquelles ils doivent s’accorder.
Illustration 1: Rubrique « Proposition des idées » sur l’applis Stig
Nous pouvons remarquer que l’invitation explicite des utilisateurs à signer « j’ai compris » traduit une forme d’action performatif d’engagement pour les utilisateurs, donc finalement une action symbolique d’implication en acceptant ces normes et ces règles. Nous allons justement, dans cette partie du travail nous orienter vers ces outils d’implication des Civic Tech. Nous pourrions rajouter par ailleurs que ces ensembles de règles, de normes et de convention étant instaurées, acceptées et suivies et surtout réajustées par les membres de ces communautés eux mêmes, illustrent une « intelligence collective » au sein de ces plateformes dans le but d’endosser efficacement leur statut de citoyen.
Stig et Change.org
Stig
Contrairement au système de démocratie représentative complexe de par sa bureaucratisation qui décourage souvent le citoyen à s’impliquer, la nature même des outils en tant qu’ ”application mobile” traduit déjà une volonté de réduire la complexité ainsi que les écarts entre les composants de la communauté, tel est le cas de l’outil civic tech : Stig.
Stig est une application mobile de démocratie participative réservée exclusivement aux personnes majeurs. En accédant à cette application, les utilisateurs doivent certifier qu’ils sont majeurs et fournir un code postal qui servira d’indice à l’échelle de fonctionnement (local ou national) et permettra aussi de ‘filtrer les idées’ qui concernent « votre ville » ou « toute la France ».
Les utilisateurs de Stig peuvent effectuer 3 actions principales :
Proposer des idées en fonction des catégories préexistants (soit 17 catégories) dont Culture, Démocratie locale, Écologie et Énergie, Économie et Industrie, Éducation et recherche, Emploi, Famille et Jeunesse, Finances, Logements, Numérique, Sécurité et Défense, Social et Santé, Sports et Loisirs, Transport, Urbanisme et Voirie, Vie associative, Feedback Stig.
Voter pour ou contre les idées : Il faut savoir que chaque idée a un score qui représente le succès de l’idée par rapport à l’ensemble des idées proposées sur Stig. Cette note dépend aussi des votes des utilisateurs par rapport à l’idée proposée.
Contribuer et améliorer les idées des autres à travers les amendements. Sur Stig, chaque amendements est une proposition d’amélioration des idées.
Stig réunit actuellement 15 000 utilisateurs (septembre 2017), 250 000 votes et plus de 1500 idées proposées. Cet outil effectue différent classement de ces idées:
- Les propositions récentes,
- Les tops : qui ont suscité le plus de réaction de la part des utilisateurs, tant dans les votes que dans les réactions que ces idées proposées ont suscité: Amendement ou débat, Stig les traduisent comme un reflet de la « volonté général »
- Les idées controversées.
On observe aussi la participation des élus sur Stig dont l’avatar est symbolisé par un drapeau bleue blanc rouge.
Analyse : Outil d’implication et auto-organisation
Nous pouvons considérer que Stig rentre dans la catégorie outil d’implication des civic tech dans la mesure où la proposition des idées ne se fait pas de manière ascendante, ou partiellement de manière ascendante. « Partiellement » car nous avons remarqué qu’il y a un espace spécial réservé aux élus qui ne génère quasiment pas de réaction de la part des utilisateurs comparés aux idées émanant des citoyens eux mêmes. On peut d’emblée dire à travers ce constat qu’il y a une volonté commun de la part des utilisateurs de s’émanciper autant que possible des visions des élus à travers le quasi silence vis à vis des propositions de ces élus.
Il paraît nécessaire de pointer le fait que le financement de l’application Stig provient principalement de l’abonnement des élus. En effet, l’espace des «élus » que nous avons pointés ci-dessus sont sensés leurs permettent de suivre leurs idées et donc les réactions des citoyens vis à vis de leurs idées à travers un « dash board » offert pas Stig qui se présente comme suit :
Illustration 2 : Espace des élus sur Stig
Sauf que, par rapport à nos observations sur cette période sur la quasi absence des réactions vis à vis des idées des élus, cette application permettra plus aux élus de suivre les idées émanant des citoyens moins que de suivre les réactions que leur idées ont généré. Ce silence peut être considéré comme une forme de revendication d’autonomie quasi total de citoyen vis à vis du système. Ce qui justifie le caractère ascendante de l’outil ainsi que l’efficience des outils d’implication des civic tech sur ce cas ci. En effet, l’attention est focalisée sur les données provenant des citoyens eux mêmes, ce qui nous renvoie à cette idée de « Captation » évoqué par Benjamin Loveluck dans « Internet, une société contre l’État » in Réseaux p.261.Cette captation des flux d’information sur l’application Stig par ses utilisateurs (citoyens et élus) va leur permettre de juger de l’utilité social de leur action et de réadapter leurs (élus) actions. Par ailleurs, les personnes « déviants » au sein de Howard Becker, autrement dit, ceux qui transgressent les règles en ne se conformant pas aux règles sont justement rappelées à l’ordre par les membres eux mêmes, donc une implication des utilisateurs tant dans la forme que le fond. Nous pouvons constater un exemple de ce rappel à l’ordre par les membres eux mêmes à travers les commentaires de cette proposition d’idée qui justifie une auto-organisation au sein de cette institution sociale:
Nous allons à présent nous orienter vers les idées représentant la « volonté générale » comme décrit par Stig, donc les tops des idées qui ont suscité le plus de réaction. Nous avons remarqué que 7 catégories sur les 10 premières idées proposées concernent la catégorie « Institution politique ». Cette engouement des utilisateurs peut s’expliquer de deux manière, soit par le fort appétence des utilisateurs de l’application par rapport à ce sujet, ou bien une orientation que les premiers utilisateurs (initiateur du projet) de l’application par laquelle les utilisateurs actuels se sont conformés.
La participation citoyenne a été facilitée et rendu accessible autant que jamais à travers les « technologies de la citoyenneté » telle que l’application Stig. Cet outil fait partie intégrante de ces nouveaux outils de la démocratie participative engageant les citoyens lambda qui veulent s’impliquer – investir des idées dans le monde politique. Les fondateurs de Stig, Jeremy Paret et Germain Lecourtois ont su se saisir des transformations structurelles de l’espace public et ambitionnent d’offrir une vision de l’opinion et de la volonté citoyenne à travers le numérique, à travers cet outil d’implication citoyenne qu’est le Stig.
Change.org : Un outil d’implication par des signatures
Les outils d’implications se présentent comme des catalyseurs d’idées. En effet, ce sont à la fois des outils qui invitent les citoyens à exprimer leur idée – à trouver des solutions face à une éventuelle injustice dont ils sont témoins ou pour porter une cause à travers le lancement d’une pétition; mais aussi invitent les citoyens à participer à des actions symboliques à l’exemple des signatures de pétition afin de transformer l’idée en actions concrètes, l’idée même des civic tech.
Partant de la pétition contre la loi El Khomri, en passant par la pétition demandant la grâce présidentielle pour Jacqueline Sauvage, jusqu’aux récents pétitions pour sortir les femmes SDF de la rue ; autant de pétition hébergées par la plateforme mondiale de pétition en ligne : Change.org. Change fait partie de ces outils se proclamant en tant que plateforme indépendante et non-partisane qui ambitionne justement de « transformer les idées en actions concrète ».
Change a été crée par Ben Rattray en 2007 et regroupe actuellement plus de 97 millions de membre dans 196 pays. La plateforme en France a été mise en place en 2012 et compte désormais 9 millions d’utilisateurs.
Contrairement aux intitulés des thématiques “conventionnelles”, on observe d’emblée une forme de contestation, une identité, une revendication, à travers la dénomination et l’ordre des thématiques sur Change.org. La première thématique proposée est “les droits des femmes”, qui peut marquer une volonté de se différencier du système (femmes en politique en France en sous représentation), suivi des droits de l’homme. Nous avons aussi les thématiques : environnement, politique, culture, consommation, éducation, immigration, justice économique, liberté d’expression, médias, patrimoine. Nous ne nous attarderons pas sur ces thématiques génériques qu’on trouve dans tout autres outils civic tech. Ce qui retient notre attention, c’est la présence des thématiques spécifique telle que la thématique “pollution” qui est entièrement détachée au thématique “environnement”, la thématique “réfugié” qui n’est pas cantonnée dans la thématique “politique étrangère”, le “racisme” détaché à tout autres thématiques, et une thématique “attentats” détachée de la thématique “sécurité”. De ce fait, l’on pourrait dire que l’organisation de ces thématiques ainsi que le regroupement et détachement est déjà une prise de position de cet outil vis à vis du système en place ainsi qu’un indice sur les sujets qu’ils traitent le plus, les causes qui font le plus l’objet de lancement de pétition.
Ces outils d’implication représentent un système de valeur qui rassemblent autour d’eux une communauté partageant les mêmes idéaux. Ces valeurs partagées stimulent la collaboration des utilisateurs ainsi que l’implication de tout un chacun. L’idée selon laquelle ces outils d’implication sont la propriété des citoyens favorisent et encourage la participation, une forme collaborative d’échange ainsi qu’une innovation sur une base volontaire mais qui a un poids considérable sur la démocratie.
Conclusion :
Comme on a pu le voir au cours de cette analyse les Civic Tech en tant qu’objet d’étude, se dotent d’une complexité bivariée. En effet s’il est possible de subdiviser ces dernières en deux catégories distinctes, avec les outils d’implication d’un côté, et les outils de consultation de l’autre, on observe à partir d’une étude concrète de ces deux sous-ensembles, qu’une porosité des champs semble se manifester. Celle-ci justifie ainsi l’existence de logiques récursives, où outils de consultations développent en leur sein des possibilités d’implications citoyennes, en invitant les individus à s’investir au sein des plateformes numériques. Ainsi si certains acteurs envisagent le clivage politique “gauche droite” comme étant actuellement dépassé, le clivage que l’on peut observer entre outils d’implications d’un côté et outils de consultations peut ici sembler lui aussi désuet.
Nous pouvons donc conclure que les Civic Tech constituent de ce point de vue, effectivement un tournant démocratique majeur via la modernisation d’un système politique qui s’adapte progressivement aux innovations et changements produits par l’ère numérique. A mis chemin entre la démocratie représentative et la liquid democracy (via notamment la logique du proxy voting), les Civic Tech nous amènent à construire une nouvelle architecture politique qui invite à penser le politique différemment, sous un angle qui serait cette fois-ci celui de la participation citoyenne. Le principe de la délibération fait alors l’objet de nombreuses réflexions, via l’idée de repenser notre modèle de gouvernance qui est institué par le système électoral. La participation quant à elle, est pensée de manière approfondie (sous le terme de deep democracy), et se distingue de la “participation de surface” qui peut parfois être instrumentalisée sous la bannière d’un approval (approbation) , permettant de justifier l’ouverture des gouvernements à ces problématiques, sans traiter de manière substantielle le problème qui lui nécessite un accompagnement et une attention particulièrement prononcée.
Cependant l’influence des Civic Tech doit être appréhendée avec beaucoup de prudence. Chacune des solutions proposée disposent de leurs propres écueils.
La solution Top Down semble par exemple se traduire par une insolubilité quand aux tentatives de regain de confiance des citoyens. Le verrouillage institutionnel peut en effet rendre difficile le développement d’une inclusion participative des citoyens, puisque les interactions entre les différents acteurs, deviennent ainsi relativement limitées. Le principe politique de path dependency que l’on doit à Paul Pierson (dépendance au sentier), renforce aussi ces difficultés, puisque le système de démocratie représentative inscrit les politiques menées sur un temps long. Les politiques engagées peuvent produire des interactions qui tendent à rendre contre productive certaines actions politiques. On voit ici que l’écueil que nous observons n’est pas seulement imputable à la bonne volonté des élites politique. Est en cause aussi une complexité d’ordre structurelle qui est inhérente à notre système démocratique.
Quant à la solution Down Up, bien qu’elle puisse provoquer un certain engouement de la part à la fois des acteurs concernés mais aussi en matière de public atteint, elle souffre cependant d’une dispersion très fragmentée qui tend à affaiblir la force de ce type d’outils.
Les citoyens peinent ainsi à connaître ce type de dispositif, ce qui conduit à la formation de certains déserts numériques qui peuvent faire tomber certains types d’outils dans l’oubli.
Il faut aussi garder à l’esprit la problématique de la fracture numérique, qui favorise le manque considérable d’inclusion participative, puisque les citoyens qui la subissent se retrouvent ainsi distanciés et écartés de tous ces processus d’innovations citoyennes.
La problématique de la compétition avec les médias traditionnels qui s’investissent eux aussi sur le terrain numérique, est aussi source d’interactions qui peut parfois (de manière volontaire ou non) faire écran aux actions menées par des Civic Tech.
En définitive l’hybridation produite à partir de la confrontations de différents modèles politiques (qui sont le plus souvent préexistants), peut à partir du contexte apporté par cette révolution numérique, accompagner un changement de paradigme politique. Ainsi s’il semble (au regard du travail que nous venons de d’effectuer) ici réduit à un stade d’éveil (où les citoyens tout comme les élites politiques semblent être plutôt en alerte face aux signaux et échos émis par ces dynamiques ), il est aujourd’hui difficilement concevable d’ignorer de telles émanations, et ceci, quelque soit l’acteur qui porte son regard sur le monde politique. D’autres enjeux doivent aussi être intégrés, tels que les modes de productions de connaissances, l’influence des modèles et intérêts économiques, la gestion de ressources et des questions environnementales, et bien d’autres encore… Nous invitons ici à adopter une vision d’ensemble concernant ce sujet, tout en ne perdant pas de vue le caractère ciblé de ce-dernier.
Écrit par Amalia NIKOLAIDI, Mamy RAKOTONDRAVOHITRA, et Adil OUAFSSOU