LES MONDES NUMERIQUES

Blog des Masters en Sciences Sociales de l'Université Gustave Eiffel

Le Mythe de Tinder

En quoi les relations amoureuses sont-elles transformées par le numérique ? L’exemple de Tinder

 

SOMMAIRE

I) Les premières sites et applications
a) Les sites de rencontres : un nouveau modèle
b) Marchandisation des individus : sites comme e-commerce
c) Tinder, son fonctionnement, sa structure

II) Les pratiques sur les sites de rencontres
a) La présentation de soi et l’exposition de soi
b) Le rapport à l’autre : tolérance et nouvelles formes de communication
c) Entraine mensonge, identité multiple, désillusion
d) Forme de résistance et différence de pratique selon les attentes

III) L’impact du numérique
a) Rencontre virtuelle
b) Homogénéisation, hétérogénéisation et conformisme
c) La sélection effectuée par les sites de rencontres

 

 

INTRODUCTION

Pendant longtemps avant l’essor d’Internet, les rencontres, les relations et les mariages se sont construit en obéissant à des logiques de classes et de communautés. Aujourd’hui on privilégie l’épanouissement personnel avec des expériences relationnelles et amoureuses plurielles. Cependant de tout temps, la rencontre a toujours été la première difficulté à franchir pour le ou la célibataire. Pour pallier cette difficulté, les agences matrimoniales ont longtemps rempli cette fonction sociale de mise en relation entre deux individus. Dans les années 60, les petites annonces dans les journaux et magazines ont apporté en plus une solution moins impliquante et moins onéreuse que les agences. Mais depuis la fin des années 70, les relations et les rencontres se sont trouvées bouleversées à plusieurs reprises avec de nouveaux outils de communication. Le Minitel d’abord, le téléphone portable ensuite, ont chacun permis de nouvelles expériences sociales. Mais depuis les années 1990, Internet, les forums de discussions et surtout les sites de rencontres transforment les rencontres mais aussi les stratégies de séduction. Cette révolution est d’abord construite par des sites majeurs comme Match.com ou encore Meetic en 2002 qui compte aujourd’hui plus de 700 000 abonnées et qui a permis à la rencontre sur internet en France et Europe de se populariser entièrement. C’est ensuite une évolution quantitative, avec la multiplication des sites et de leurs genres : Netclub, Amoureux.com, Geekmemore ou Marmitelove. On en recense plus de 2 000 aujourd’hui sur Internet et leurs apparitions tout comme leurs utilisations ne cessent de se développer et de se diversifier. En 2006, seuls 42 % des ménages français avaient accès à Internet, pourtant plus de 10 % des personnes s’étaient déjà connectées à un site de rencontres (étude CSF réalisé par l’Inserm-Ined). Aujourd’hui environ 40% des Français âgées de 18 à 69 ans se sont déjà inscrits sur des sites de rencontres au cours de leur vie, contre 26% en 2012 (enquête de l’observatoire IFOP pour CAM4 en 2015).
Les sites de rencontres se sont ainsi immiscés dans notre société et face à cela de nombreux auteurs s’y sont intéressé. Face à leur impact, les chercheurs s’interrogent sur la spécificité de leur cadre numérique et ses effets sur les comportements et les relations qui en découlent. Les écrits consacrés aux sites de rencontres témoignent cependant d’une consternation, voire d’une indignation globale. En effet, selon une majorité d’entre eux ses sites se présentent comme de nouveaux espaces de médiation dévoués aux rencontres amoureuses et pourtant opposés à l’amour et à ses principes même.
Cette défiance est d’autant plus accentuée que ces nouveaux moyens de rencontres ne s’arrêtent plus aujourd’hui à Internet et se sont étendue aux applications mobiles. En 2013, l’Américain “Tinder” fait son apparition en France après son lancement outre-Atlantique. Cette application de rencontre est devenue un phénomène de société avec plus d’un milliard de contact établi (“match” entre deux personnes). Son interface nouvelle se distingue par la minimisation des informations à remplir sur le profil, son parti-pris visuel et la spontanéité de l’interaction sans vendre à l’utilisateur une rencontre dite amoureuse. Il suffit de s’inscrire avec un compte Facebook, y sélectionner quelques photos de profil pour se lancer ensuite dans le choix presque infini d’utilisateurs autour de nous. Le slogan de cette application est ainsi un bon point de départ pour notre analyse : “Tinder is how people meet. It’s like real life, but better.” Cette accroche nous amène ainsi à nous poser la problématique suivante :
En quoi les relations amoureuses sont-elles transformées par le numérique et plus particulièrement par Tinder ?
Afin de structurer notre réflexion et d’y apporter des éléments de réponse, notre travail se base tout d’abord sur une base d’études réalisées par différents auteurs sociologiques ainsi que sur de nombreuses enquêtes et recensements autour des sites et applications de rencontres. Suite à ce travail de recherche, nous avons réalisé des entretiens semi-directif avec différents utilisateurs ou anciens utilisateurs de l’application en vue d’élaborer un questionnaire ensuite diffusé en ligne. L’analyse des réponses nous permet d’une part de confirmer certains aspects mis en avant par d’autres recherches et d’autre part d’apporter des éléments de réponses nouveaux sur le sujet.
Notre travail comporte ainsi trois niveaux d’analyse. Tout d’abord nous présenterons l’avènement des sites ou applications de rencontres et les aspects qui se sont développés autour ces dernières années, avec notamment le développement de Tinder. Nous poursuivrons ensuite par la présentation des pratiques constatées sur l’application ainsi que la différence d’approche et de perception développés par les utilisateurs. Pour finir nous analyserons l’impact du numérique et des outils de rencontres sur les pratiques et les relations elles-mêmes.

L’AVÈNEMENT DES SITES ET APPLICATIONS DE RENCONTRES, EN PARTICULIER TINDER

a) Les sites de rencontres : un nouveau modèle

L’apparition des sites de rencontres, débute dans les années 90 aux États-Unis avec notamment Match.com, aujourd’hui leader mondial de la rencontre en ligne. Leur développement s’inscrit au sein du paysage numérique et va petit à petit transformer nos modes de communication en ouvrant la voie à un nouvel espace de médiation amoureuse. Ces sites se sont diversifiés et spécialisés de plus en plus en fonction des attentes de chacun. On retrouve ainsi des sites de rencontres pour les personnes homosexuelles, les personnes de religions musulmanes, ou encore les personnes mariées. Ces sites constituent un nouvel espace de médiation permettant de rencontrer simultanément un grand nombre d’individus à travers un mode de mise en relation et de communication facilité. Avec près de 2000 sites de rencontres répertoriés en France et près d’un Français sur cinq ayant déjà consulté une application ou site de rencontres on peut largement dire que ce phénomène est intégré dans la société elle-même. Ainsi d’après une étude des parcours individuels et conjugaux (Epic) réalisée en 2013-2014, presque 9% des couples déclarent s’être rencontré via un site de rencontres.

C’est dans ce contexte de massification que vient s’inscrire le débat sur les sites de rencontres. Bien que la fréquentation des sites de rencontres soit souvent considérée comme une pratique entrée dans les mœurs, la posture ambivalente des utilisateurs face à ces espaces en ligne indique que ce n’est pas encore le cas. En effet bien qu’ils étendent largement le cercle des partenaires potentiels, les sites font aussi l’objet d’une critique importante qui porte sur le caractère contractuel de la formation des couples, l’abondance et l’interchangeabilité des partenaires potentiels ainsi que l’explicitation de critères amoureux. Considérés comme profondément contraires à l’amour, ces attributs conduisent de nombreux interviewés à délégitimer les sites comme des espaces de rencontres amoureuses, et à les considérer comme plus propices aux rencontres sexuelles. De plus, être présent sur un site de rencontres est encore souvent vue comme un signe de désespoir en matière d’amour car ils ne les voient pas comme une source supplémentaire de rencontres, mais comme un recours de dernier choix pour en faire. Ainsi bien que leurs utilisations soient largement répandues, encore plus que les agences matrimoniales et les petites annonces avant, les sites de rencontres sont confrontés à une forme de “méfiance générale” et considérée comme une solution pour des personnes “exclues du marché matrimonial normal”. Cette vision liée au sentiment du désespoir traduit l’image d’une démarche active et par défaut pour “provoquer les rencontres”. En effet ces sites sont entièrement dédiés à la rencontre amoureuse et/ou sexuelle avec très peu d’ambiguïté dans le processus de séduction.

C’est un nouveau modèle de rencontre qui se pose ainsi sur le concept de “speed dating” ou “rencontre minute”, qui repose sur un rendez-vous arrangé et précipité. En effet cette méthode de recherche d’un partenaire se fait en vue d’une liaison sentimentale ou matrimoniale et consiste en une série d’entretiens courts avec différents partenaires potentiels. Cette pratique apparaît initialement dans les années 1990 aux États-Unis afin de préserver la communauté juive en poussant au mariage intracommunautaire. Or, avec les rencontres expresses en ligne, elles-mêmes dérivées du tchat, celles-ci agissent de manière similaire en étant simplement adaptées au monde virtuel, c’est-à-dire en passant par un ordinateur et un temps défini pour la discussion. Les critiques de ce système démontrent ainsi des traits similaires entre la recherche de la relation et les pratiques de la société de consommation. En effet cette pratique semble supposer que l’amour fonctionne comme une marchandise et qu’il suffit que l’offre rencontre la demande.
Par ailleurs, avec ce nouveau modèle, d’autres changements interviennent du fait du passage d’une rencontre non médiatisée à un processus de familiarisation en ligne principalement fondée sur le texte écrit et le décryptage d’un « profil » plutôt qu’un corps physique. Basé principalement sur la communication écrite, Internet constitue un univers où les mots définissent et donnent corps aux lieux et aux acteurs. Le ciblage en ligne lui aussi conduit à nommer explicitement les pratiques et à reconduire les individus vers leurs propres identités sociales à travers leurs âges, leurs statuts, leurs genres, etc. A travers la multitude des sites et de leurs spécialisations les individus découvrent de nouveaux espaces aménagés pour différentes populations et pratiques.
Cependant l’espace en ligne est encore en partie ancrée dans une utopie communautaire où l’espace en ligne est considéré comme un monde générique d’organisation horizontale (cf. Flichy, 2001). Internet et ses espaces en lignes sont ainsi des univers régis par des logiques d’ensemble ou les internautes peuvent penser que peu d’attention est portée sur les rapports de pouvoir entre les acteurs, seulement regroupés sous le nom d’internaute.
Les sites de rencontres se présentent ainsi comme de nouveaux espaces offlines, en ce qu’ils comportent une population, des activités et une organisation propre. Avec ce nouveau modèle, une nouvelle situation dans le processus de rencontre est apparue : le premier contact se déroule désormais en deux temps, la première fois en ligne, la deuxième fois en face. Des biais peuvent ainsi se produire dans la rencontre et la relation émergente. Les sites et applications de rencontre véhiculées par l’Internet bousculent les schémas classiques des relations mais surtout de la rencontre amoureuse tant pour les hommes que pour les femmes.

b) Débats et concepts de marchandisation

De nombreux discours dominants prennent forme autour des sites de rencontres, de leurs principes autant que de leur structure et les assimilent à l’univers de la consommation.
Dans un premier temps, leurs fonctionnements même sont présentés comme allant à l’encontre des « principes de l’amour », objet de la société capitaliste et consumériste. Cette critique est notamment liée à l’immense marché qui s’est développé derrière. En effet au-delà de cette soi-disant bonne intention d’aider à trouver l’amour, les sites semblent vendre des profils et des opportunités avec abondance. Certains sites (comme adopteunmec.com) jouent même de cet aspect et se présentent directement comme une vitrine virtuelle d’hommes et de femmes.
Leur structure s’apparente ainsi à des sites d’e-commerce, présentés comme des vitrines où l’on peut choisir des personnes comme des vêtements. Certains sites intègrent même un moteur de recherche ou des critères de recherche standardisés. Ainsi l’appréciation de l’autre, à l’aide d’informations standardisées contenues dans le profil de l’utilisateurs, est assimilée à la mise en vente et l’achat d’un bien commercial. Cela est d’autant plus renforcé par l’abondance des membres inscrit qui donne en plus l’impression que finalement “n’importe qui pourrait sortir avec n’importe qui”. En effet, du fait des objectifs explicites des sites, ils semblent ainsi présenter l’ensemble de leur membre comme des partenaires ce qui laisse suggérer un vaste choix amoureux et sexuel, faisant ainsi référence à l’idée de “supermarché”. La multiplicité des échanges entre individus, souvent synchroniques, renforce ce sentiment de multiplicité des rencontres possibles, bien loin donc du mythe de la singularité de la rencontre amoureuse. De fait, la fréquentation des sites s’accompagne d’un usage où les contacts initiaux et parfois les rencontres dans la réalité, se déroulent simultanément avec plusieurs partenaires potentiels. Cette logique de supermarché contraire au principe d’unicité de l’amour conduit les utilisateurs à renvoyer les sites à l’univers sexuel. La faible singularité associée au processus de séduction et au partenaire élu amène les à considérer les sites comme des espaces plus propices aux relations sexuelles de courte durée.
Dans ce contexte d’espaces inédits, surfréquentés, à l’architecture commerciale, s’inscrit un autre aspect ; la construction de profils standardisés. L’élaboration du profil, qui se fait lors de l’inscription, nécessite en effet de remplir de nombreuses informations tant sur soi que sur la personne que l’on recherche. La sélection de l’autre semble ainsi se faire sur des critères standardisés, de la même manière que l’on peut choisir un produit sur un site d’e-commerce. Cet aspect est particulièrement critiqué par les utilisateurs eux-mêmes. Pourtant il est utile de préciser que dans la réalité les individus parlent ouvertement de leurs préférences amoureuses et peuvent décrire de manière plus ou moins développée ce qui leur plait chez un individu. Il semble que le problème se pose donc dans la mise à l’écrit de préférences, qui deviennent des critères de standardisation, matérialisés par l’interface du site et les menus déroulants. Malgré cette critique, les utilisateurs sont les premiers à suivre à la lettre les indications sur la mise en scène de soi et sur son exposition aux autres. Chacun essaye ainsi de se démarquer à sa manière en rendant son profil le plus attractif possible. Il ne s’agit donc pas seulement d’un simple supermarché, car le produit (ici donc l’utilisateur) est aussi dans l’obligation d’essayer de se vendre et de se mettre en avant par des photographies avantageuses ou quelques lignes de description. Ces deux aspects sont ainsi comparés à un principe double de mise en vente de soi et d’achat de l’autre, relatif à une marchandisation des individus eux-mêmes.
Cette critique est d’autant plus justifiée que certaines pratiques utilisées par les sites et applications de rencontres font tout pour mettre en avant leurs utilisateurs mais aussi pour les garder. En effet le problème des sites de rencontres est le taux élevé de désabonnement à leur service. D’après Thomas Enraght-Moony, PDG de “Match.com”, “un célibataire reste en moyenne abonné quatre mois et demi sur Match.com et on estime à 40 % le taux de désabonnement”. Face à cela les sites et applications se voient dans l’obligation de trouver des solutions parallèles. On peut prendre notamment l’exemple des alertes mails qui viennent tenter les inscrits des sites, même s’ils ont décidé de ne plus les fréquenter, qu’ils soient en couple ou non. Tout est ainsi fait pour que le “client” reste, dans une logique de profit et qui explique que les sites soient aussi construits pour avoir un côté addictif. Sur Tinder par exemple, les relations se collectionnent et matcher devient vite un passe-temps addictif qu’on pourrait associer à un “lèche-vitrine” géant de profils. Ainsi une fois inscrit les utilisateurs sont sollicité de manière quasi permanente avec les likes, les matches ou les messages. Tinder devient un jeu et il n’est même pas nécessaire de rechercher réellement une rencontre amoureuse pour y jouer.
C’est la raison même de son succès, cette tendance à tout transformer pour que cela ressemble à un jeu est basée sur cette technique de marketing qu’on appelle la “gamification”, en rapport aux jeux vidéo. Son inventeur, Sean Rad, a d’ailleurs expliqué que “Tinder n’avait pas de point final ni de but. Il est ce que vous voulez qu’il soit. Pour gagner à Tinder, il faut rester insouciant, garder le plus de possibilités ouvertes”. On reproche ainsi aux sites applications de ne pas réellement aider à trouver l’amour mais de surtout chercher à faire vivre leurs espaces en proposant toujours un très grand nombre de “choix”, déterminé par le nombre d’utilisateurs.
Par ailleurs, avec le numérique ce choix est de plus en plus déterminé et travaillé par les sites eux-mêmes et leurs algorithmes de plus en plus élaborés. En effet les algorithmes sont de plus en plus élaborés pour arriver à proposer des profils personnalisés, en fonction de nos attentes, nos positions géographiques ou encore en utilisant nos données afin d’établir des correspondances. Les nouveaux sites particulièrement s’appuient sur des calculs mathématiques massifs pour que “matchent” les profils compatibles entre eux. Le célèbre site de rencontres “Match.com” propose ainsi depuis 2009 un test de personnalité appelé “Alchimie”, basé sur 77 questions, dont les réponses sont ensuite analysées par un algorithme pour rapprocher des hommes et des femmes selon leurs personnalités.
Proposer un service plus haut de gamme avec un algorithme de recherche peut ainsi attirer une nouvelle population, et permettre de dégager des marges plus substantielles pour atténuer les coûts d’acquisition assez élevés de nouveaux célibataires (environ 70 dollars par abonnées).
Ainsi en France, le site de rencontres Meetic a lui aussi lancé une offre de ce type, appelée Ulteem. Mais sur le site de surveillance des sites de rencontres DatingWatch on remarque aisément un certain scepticisme : « Finalement, l’important, c’est que les consommateurs aient l’impression que c’est sérieux et que ça marche… Le reste, c’est de l’idéalisme.  » Les sites semblent ainsi essayer, tant bien que mal, de satisfaire leurs utilisateurs en tentant de minimiser les risques de déception pour contrer en plus les discours négatifs sur leur utilité. Cependant, du chemin reste encore à faire car d’après une enquête de l’IFOP (2012), 68 % des personnes inscrites sur un site de rencontres recherchent une relation sérieuse et durable mais 62 % n’aboutissent qu’à une aventure.

c) Tinder, son fonctionnement, son interface

L’application “Tinder” est fondée en 2012 par quatre Américains sur Android, iOS et navigateur web. Actuellement elle appartient à la firme IAC qui détient aussi les entreprises Ask.com, March.com ou encore Meetic. Tinder a pris une certaine ampleur ces dernières années et c’est tout de même plus de 50’000 000 utilisateurs dans le monde entier, dont 10 000 000 actifs tous les jours. Il est cependant important de souligner que selon certaines études, seuls 54% des utilisateurs de l’application seraient célibataires. Sur le fonctionnement, Tinder s’inspire de Grindr (application fondée en 2009 pour bi/homosexuel) mais fonctionne en partenariat avec le réseau social Facebook et selon des critères renseignés au préalable (sexe, position géographique, âge). L’algorithme explore ainsi les données disponibles sur le réseau social et propose à l’utilisateur des profils à une distance raisonnable qui ont des intérêts et au moins un ami Facebook en commun, ce qui permet aussi d’éviter les faux profils.
L’inscription se fait donc par le téléchargement de l’application et par le biais d’un compte Facebook obligatoire pour relier l’application aux profils. Une fois le compte créé, il s’agit d’aborder une des étapes majeures de Tinder que l’on peut appeler ‘l’exposition de soi”. En effet chaque utilisateur doit personnaliser son profil via une ou plusieurs photos, un nom et une description plus ou moins étendue. Cette présentation de soi rejoint plus ou moins le fonctionnement de Facebook dont le principe finalement obéit autant à un principe de séduction par la construction d’un profil et la publication de contenu qui nous valorise.
Une fois son compte personnalisé et les préférences indiquées, un panel de profils est alors proposé et défilent sur l’écran. On aborde ainsi le principe de l’application : il s’agit d’indiquer si le profil de la personne intéresse l’utilisateur avec un « swipe » sur la droite afin d’obtenir un potentiel « match ». Au contraire le « swipe » sur la gauche permet de passer un profil qui ne convient pas. Les profils sont ainsi passés à droite ou à gauche un peu comme si l’utilisateur recherchait un nouveau meuble. Seul l’image et l’apparence des utilisateurs sont des critères de sélection, de sorte que l’on peut aisément comparer cela à une marchandisation du corps. C’est principalement à travers cet aspect que Tinder a été considéré comme un supermarché de l’amour que ce soit par son principe, par son fonctionnement ou par son design. Son concept a été considéré comme le symbole de l’amour moderne, bouleversant l’univers de la drague. “Cette drague” d’ailleurs ne peut ainsi s’effectuer entre deux utilisateurs qui si chacun a liké l’autre et se sont donc “matché”. Sur Tinder le mode de l’échange est donc limité à l’envoi de messages texte accompagné si on le souhaite de photographies. Bien souvent dans ces conversations on retrouve ainsi l’exposition de soi, préalablement construite à travers son profil mais aussi son discours qui semble ne pas sortir d’une répétition variante de “moi je”. Cependant avec Tinder, on remarque que les utilisateurs ne cherchent plus forcément à faire des rencontres réelles mais jouent plutôt à se rencontrer. En effet d’après notre enquête, 30% des utilisateurs interrogés utilisent Tinder simplement pour passer le temps. Cet aspect est aussi lié la popularité de l’application chez les jeunes, jusqu’à en faire un objet de curiosité presque incontournable, amenant ainsi des utilisateurs sans but réel pour en tester le fonctionnement.

Entre autres, depuis la mise à jour de l’application en mars 2015, celle-ci existe en version premium illimitée ou en version gratuite mais limitée à 50 “likes” par jour (caractérisé par un swipe vers la droite). La version payante essaye d’attirer les utilisateurs avec en plus deux fonctions supplémentaires “Passeport” et “swipe”. La fonction “Passeport” permet à l’utilisateur de se placer n’importe ou dans le monde et ainsi de visionner des profils partout dans le monde. La deuxième fonction permet quant à elle d’annuler le dernier “swipe” et de revenir sur son choix.

LES PRATIQUES SUR LES SITES DE RENCONTRES

a) La présentation de soi, l’exposition de soi et la superficialité

Comme vue précédemment la présentation sur Tinder se résume en deux points centraux : les photos et la description. Les sites de rencontres se basent donc principalement sur le physique, mais en est-il de même pour les utilisateurs vis-à-vis des choix de partenaire ?
D’après notre enquête, 72% des utilisateurs qui privilégie les photos sur Tinder sont intéressés en priorité par le physique des personnes dans la vraie vie contre 53% qui s’intéresse à d’autres choses dans la vraie vie.

Tableau 2 : Ce qui va intéresser en premier chez une personne rencontrer dans la vraie vie en fonction de ce qui les faits “liker un profil sur Tinder

Ce constat, en accord avec les recherches effectuées sur le sujet, qui montre une certaine tendance des individus à miser sur le physique et donc sur la superficialité des relations, accès sur une attirance physique de prime abord. Il faut cependant souligner que cet aspect est encouragé par les sites de rencontres qui mettent en avant les photos de profils au premier plan avec le minimum d’information pour présenter l’individu en lui-même. Tinder, particulièrement, est un des sites qui accentue le plus cette attitude au travers de son interface.

Comme on peut le voir sur l’image ci-dessus les internautes sont encouragés à “liker” un individu, via une photo (en grand), un nom et un âge. En effet comme le souligne Dominique Cardon dans “Le design de la visibilité” (2008), le design des interfaces relationnelles exercerait un “effet performatif” notamment sur la mise en scène de soi. Ce constat s’applique autant aux sites de rencontres qu’à l’ensemble du web 2.0. De fait, il existe différentes familles de sites relationnels, qu’il s’agisse des services de rencontre, d’échanges entre amis, des communautés de goût ou d’intérêt, des plateformes de partage d’œuvres autoproduites ou des mondes virtuels. Ces interfaces sont devenues des opérateurs centraux de l’existence et la visibilité des personnes sur la toile. A travers les petites phrases de statut ou de description, les photographies, les publications, les humeurs, la mise en récit de soi s’est généralisée auprès d’un large public. On voit ainsi s’introduire de nouvelles dimensions telles que la visibilité, la calculabilité et l’exhibition dans la fabrication des relations sociales. A cela s’ajoute une logique d’accumulation des liens sociaux avec de nouvelles métriques relationnelles (compteur d’amis ou de relation, classement de popularité, notes de pertinence) qui contribue à réifier les relations.
Avec ces différentes formes de présentation de soi, dans une logique de calcul voire de rendement, cette tendance liée au numérique et aux sites relationnels peut s’interpréter comme une « auto-réification », c’est-à-dire une perte de l’accès à sa propre intériorité, comme l’explique Axel Honneth, philosophe et sociologue Allemand. La réification apparaît comme l’expression de l’atrophie ou de la distorsion utilitaire d’une attitude originaire dans laquelle les hommes entretiennent une relation engagée non seulement les uns vis-à-vis des autres, non seulement vis-à-vis d’eux-mêmes, mais aussi par rapport au monde. Elle constitue une pratique inadéquate ou intrinsèquement fausse puisqu’elle tente de soumettre à la loi de l’utilité l’ensemble des qualités et capacités humaines qui, en principe, ne s’y laissent pas réduire.

b) Le rapport à l’autre : de tolérance, et new formes de communication

Avec les nouveaux sites de rencontre on observe une transformation dans la relation à l’autre qui amène de nouvelles formes de communication ainsi qu’une nouvelle vision de l’autre.
Le fait que les interrogés ont tendance à avoir moins confiance en une personne venant de Tinder, ainsi que le grand nombre de choix entraîne deux facteurs : fait que l’on est plus enclin à faire face à des personnes d’horizons et de caractères très différents, ainsi que la confiance accordée à une personne provenant de Tinder soit plus faible qu’une personne rencontrée dans la vraie vie (Tableau 3). Il est donc plus facile pour certaines personnes de couper court aux discussions entamées (voir tableau 3).

Tableau 3 :

Cela rejoint le principe de la tolérance, autrement dit, le fait de défendre ce que l’on a en commun et ce qui nous différencie de l’autre et de l’accepter. Cette tolérance vient de H.Goffman, qui met en lumière les règles qui régissent nos vies. Il démontre qu’il faut faire attention aux codes pour être accepté au sein d’un ensemble (d’une société). Ces règles peuvent varier en fonction des cultures.
Pour notre enquête, nous ne nous basons que sur une population venant de France, cependant, les règles qui peuvent être différentes ne se mesurent pas au niveau de la culture, mais au niveau de la différence entre numérique et vie réelle. La tolérance des individus est donc remise en cause par les applications de rencontres à cause de son grand choix et de son côté accessible. Cela fait en sorte que les gens ont tendance à moins tolérer ce qui les différencient de l’autre, utilisant pourtant aussi l’application, il y a une certaine méfiance qui s’installe et qui tend à réduire la tolérance des utilisateurs, que ce soit au niveau de la confiance (à 83% les interrogés ont moins confiance en une personne rencontrée sur Tinder), ou au niveau de la rupture de contact qui est d’autant plus forte avec les personnes rencontrées sur l’application (56% considère que le fait d’avoir beaucoup de choix, très vite, de partenaires potentiels les encourage à couper plus facilement les ponts à la moindre divergence (résultats issus du Tableau 3).

D’après W.GUDYKUNST et sa théorie “AUM” (gestion de l’anxiété), afin d’obtenir la meilleure distance avec son interlocuteur et de permettre que la communication se passe au mieux, il faut que cette dernière soit située au point où l’individu se sent à l’aise avec l’autre mais est encore légèrement anxieux afin de ne pas être trop confiant. Le niveau optimal se trouve au moment où le comportement de l’autre est prévisible mais que l’ensemble de ses comportements ne peut être expliqué.
Dans les deux cas, le niveau optimal se trouve quand la peur de mal faire n’empêche pas de s’exprimer et continue de pousser à l’écoute de l’autre. Cependant, ce point est redéfini par le numérique et ces applications de rencontres, en effet, 65% des personnes qui n’ont jamais eu de relations sérieuses via Tinder ne cherchent pas à discuter et à connaitre la personne avant de la rencontrer ce qui, dans un premier temps n’offre pas la possibilité de rentrer dans une communication optimale et dans un second temps de ne pas apprendre à connaître la personne; ce qui entraîne que certaines distances ne soient pas prises en compte et que la personne n’ai pas « joué son rôle » comme elle l’aurait dû.

A la suite de cette théorie, on retrouve la notion de face définie par H.Goffman qui décrit qu’une bonne communication ne peut avoir lieu que lorsque que l’on ne perd pas la face ou que l’on fait perdre celle de son interlocuteur. Malheureusement, le fait de ne pas pratiquer une communication en face a face ne permet pas une bonne adaptation et cela entraine parfois des incompréhensions, et donc, dans une autre mesure, celle de faire perdre la face à l’autre et engendrer des conflits et de se retirer du dialogue plus facilement qu’en face à face.

Cette reconfiguration constatée au niveau de l’abandon de la discussion peut se confirmer à travers sa contradiction avec la théorie de l’engagement définit en psychologie sociale (Joules et Beauvois).
Cette théorie extraite de “Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens” montre que lorsque l’on s’engage dans un acte, on a davantage de mal à faire demi-tour (exemple : on attend un bus prévu à 11h43, il est 11h44, mais on continu à l’attendre car l’on est “engagé” dans cette démarche”). Cela fonctionne aussi en communication entre deux individus, il est par exemple, préférable de demander l’heure à quelqu’un avant de lui demander autre chose (comme son nom ou autres), cela laisse croire que l’on est libre de ses choix alors que l’on ne l’est pas. On est engagé et l’acceptation de la seconde demande sera multipliée par deux. Avec l’absence de contact physique avec la personne au moment de la prise de contact, l’engagement est réduit et affaiblie la contrainte de dialoguer et d’entretenir ce sentiment de “fausse liberté” décrite plus haut. Le fait de se « cacher » derrière un écran entrave le phénomène d’empathie (capacité à se mettre à la place de l’autre et de ne pas se fier aux stéréotypes). Cela accentue le fait aussi que l’on a moins peur de blesser, et de couper court à la discussion avec que l’un sur un site de rencontres, car l’on est derrière un écran et non en face à face ce qui pourrait entraîner plus de contrainte (comme la peur de voir la réaction de l’autre ou encore d’être trop timide pour oser parler en face). Mais le fait d’avoir cette barrière de l’écran, encourage aussi les plus timides à se lancer et à entamer des discussions qu’ils n’auraient pas s’ils devaient l’engager en face à face : 30% des personnes qui se considèrent timides dans la vie de tous les jours envoient régulièrement le premier message sur Tinder pour entamer la discussion. De plus, 43% des personnes qui ne vont pas voire directement une personne qui leur plaisent dans la vraie vie vont envoyer régulièrement le premier message sur l’application. Cela confirme le fait que, être placé derrière un écran et non en situation de face à face permet de s’ouvrir davantage et de passer au-dessus de sa timidité.

Tableau 4 : Le fait d’avoir beaucoup de choix encouragerait à couper court aux discussions au moindre problème en fonction du sexe

c) Mensonge, identité multiple, désillusion

L’identité de chacun est stable, mais elle est aussi mouvante (on peut évoluer dans une carrière). Selon P. Ricoeur, l’identité répond à deux points importants :
– L’identité personnelle, le fait d’avoir une image positive de soi afin d’avoir une bonne estime de soi.
– L’identité sociale, qui correspond au sentiment de ressemblance et d’appartenance sociale.
Par cette identité, le numérique transforme ce rapport à l’identité à travers le fait que numérique permet de se construire une identité, qui peut être multiple, afin de s’approprier un sentiment d’appartenance, ou encore, pour essayer de se construire une identité différente de celle que l’on peut avoir en société, en dehors des réseaux sociaux. En effet, d’autres identités vont faire leur apparition, l’identité virtuelle (avec des idées, des comportements, une identité visuelle qui peuvent être différentes de l’identité que l’on possède dans la vraie vie). La présentation de soi est donc primordiale sur l’internet, il faut être le plus « présentable » possible pour être accepté de la majorité, le but étant d’attirer l’attention. Mais elles permettent aussi de donner un aperçu de son comportement et de ses intentions. Elle va donc parfois être stratégique ce qui amène le fait que les individus ont tendance à avoir recours aux mensonges et à la tromperie plus facilement sur les sites de rencontres afin d’arriver à leurs fins : 28% des personnes présentent sur Tinder ont déjà menti sur leur vie alors qu’ils n’y ont jamais eu recours pour séduire dans la vraie vie. Cela peut s’expliquer par l’envie de corriger certains aspects de notre identité personnelle et sociale à travers l’identité numérique, pour tenter d’arriver à une identité qui nous comble et ne nous place pas dans un sentiment d’infériorité.

L’identité personnelle est donc en étroite relation avec le fait de posséder une bonne estime de soi. Pour cela, le numérique, à travers les sites de rencontres, permet aux utilisateurs en quête de confiance et qui se sentent dévalorisés, de booster leur confiance en soi à travers leur profil Tinder.
Tinder, à travers le principe de sélection par photos, permet à ceux qui ont un manque de confiance en eux de pouvoir tester leur pouvoir de séduction. En effet, 20% des utilisateurs de Tinder, l’utilisent afin de se sentir valoriser. De plus, pour Nicole Beauchamp, psychanalyste, le nombre très élevé des aventures d’une nuit auxquelles s’adonnent les utilisateurs s’inscrit dans une logique de protection de soi-même : « C’est une défense contre les émotions, la peur d’engagement et du désir ». Notre questionnaire confirme cette idée du fait que sur les 19% de personnes qui cherchent à améliorer leur estime de soi sur Tinder, 37% le fond dans l’optique d’avoir des relations d’un soir ou pour s’amuser (Tableau 5).

Tableau 5 : Personnes qui utilisent Tinder pour un coup d’un soir et se sentir valorisé

Ce constat implique que les sites de rencontres permettent à certains de se sentir mieux et de construire une identité plus stable afin d’entretenir leur confiance en eux. En revanche, l’estime de soi peut se caractériser de deux manières. Elle peut être positive (ce qui correspond à un bien-être physique et mental) mais aussi négative (procurer de l’anxiété et de la dépression) ce qui peut être destructeur dans la mesure où, si l’on ne fait pas de rencontre (que l’on n’ai pas de match) cela peut aussi entraîner une dévalorisation de soi et augmenter ce sentiment d’être rejetés ou exclus du cercle des rencontres.

Cette reconfiguration du rapport au mensonge et à la tromperie engendre donc des méfiances de la part des utilisateurs. En plus d’avoir moins confiance en une personne provenant du site de rencontres Tinder, le fait que les “histoire d’amour” perdent de leur attrait à travers l’application provoque un sentiment de “désillusion” face à l’amour.

« Je suis devenue plus pessimiste. Forcément, quand on rencontre plus de gens, on est plus souvent confronté à la déception » Pauline.

En effet, sur le tableau ci-dessous, on remarque que 87% des personnes qui sont désillusionnées face à l’amour on moins confiance envers une personne venant de Tinder.
En revanche, les personnes qui ont autant confiance en une personne issue de Tinder et qui sont désillusionnées par l’amour ne sont que 36% contre 64% qui ont toujours une même vision de l’amour.

Tableau 6 : Pensez-vous que Tinder désillusionne quant à l’amour ? en fonction du degré de confiance que l’on accorde à une personne issue de Tinder

On peut aussi rajouter à notre étude, le fait qu’il est davantage possible que les personnes utilisant les applications de rencontre fassent preuve d’aprioris vis-à-vis des rencontres ce qui, inconsciemment, entraînerait une non-poursuite de relations sérieuses issues de ces sites. D’après notre enquête, 47% des interrogés n’arrivent pas à envisager une relation sérieuse avec une personne issue d’un site de rencontres, 32% sont mitigés vis-à-vis de cette question et considère qu’il faut apprendre à énormément connaitre la personne avant de pouvoir envisager quelque chose de sérieux, contre 22% qui arrivent facilement à envisager une relation sérieuse (Tableau 5). Dans le conscient des utilisateurs, la rencontre va faire l’objet d’une prédiction auto-réalisatrice (autrement dit, qu’une chose se réalise simplement parce que l’on a émis le fait que celle-ci allait se produire), c’est-à-dire que, comme cette rencontre s’est faite sur internet, elle va moins s’inscrire dans la durée et donc engendrer des appréhensions, moins d’investissement et donc par conséquent, la relation ne sera pas inscrite dans la durée involontairement en raison de cette croyance.

Tableau 7 : à quel point peut-on envisager une relation sérieuse avec une personne rencontrée sur un site de rencontres

L’IMPACT DU NUMÉRIQUE

a) Rencontre virtuelle

Depuis une dizaine d’années, le numérique a pris une part importante dans notre société. Sous plusieurs aspects, celui-ci a permis une accélération du quotidien et un désir de tout faire plus facilement et plus vite. Pour cela, les applications de rencontre ont trouvé la bonne idée, celle de proposer de résoudre un problème pour une majorité de personnes dans le monde, celui de ne pas trouver l’amour. Grâce à cela, les applications permettent d’accéder à une quantité incroyable de profils et de personnes en recherche de partenaires (que ce soit pour une nuit ou toute une vie). Cet accès direct accompagne un empressement de la part des utilisateurs de trouver vite quelqu’un qui répondrait à leurs attentes. Elles permettent d’économiser du temps. Mais la déception reste toujours présente et continue d’entretenir le mythe de l’amour mais ce, d’une manière plus présente qu’auparavant.

Avec les réseaux sociaux, les individus ont accès à la vie de leurs amis, de leurs connaissances ou tout du moins à un cercle plus large et accèdent à des contenus où chaque utilisateur expose sa vie sous son meilleur jour. Cette exposition omniprésente de son quotidien alimente le rêve de certains de posséder le même. On peut constater avec l’exemple de l’amour en photo sur Instagram où les utilisateurs et autres photos artistiques misent sur la symbolique des couples et des relations amoureuses. En effet, l’amour, que ce soit au cinéma, à la télévision ou sur internet, a toujours été vendeurs et source de rêverie. Avoir une vision de l’amour en continue sur les réseaux, ne fait qu’accentuer le sentiment de solitude de certains et entraîne la monter en flèche des sites de rencontres. L’accès rapide, à tout moment de la journée, permet à certains de se conforter dans l’idée qu’ils peuvent plaire et ne sont pas les seuls à rechercher des relations. Avant cela, les rencontres ne se faisaient en direct et non via des écrans, ce qui est dans ce cas, l’un des apports majeurs du numérique au niveau des rencontres.

Le numérique permet aussi, d’une certaine manière d’accéder au réel à travers la technologie (comme voir ce qui se passe dans le monde à travers la télévision). Il fragilise la frontière entre le réel et le “spectacle” ce qui entraîne un simulacre (J. Bodriard). Lorsque l’on se trouve dans un simulacre, personne n’est sûr de se trouver dans le réel, il n’y a que la provocation et la confrontation qui nous permet de le déterminer. C’est pour cela que de mauvaises surprises peuvent parfois faire leur apparition sur les sites de rencontres, comme les “fakes” ou les personnes n’ayant pas de bonnes intentions. La réalité est biaisée par les contraintes du numérique (lié au fait que l’on ne soit pas en face à face) et qu’il est possible de contourner les règles de transparence et de sincérité sur ces sites (possibilité de mentir sur ses informations personnelles et ses intentions par exemple). Pour autant les individus sont toujours en quête de compagnie, notamment pour combler l’éloignement, le manque de temps et l’individualisme qui s’accentue ces dernières années. En effet, dans notre société actuelle ayant tendance à vivre sur le rythme du « métro/boulot/dodo », les personnes ont beaucoup moins de temps à consacrer à la recherche d’un(e) partenaire. C’est sur cela que les sites de rencontres vont pouvoir s’appuyer pour se développer et attirer de plus en plus d’individus.

A l’issue de ces études, on peut aussi voir les sites de rencontres d’une manière plus optimiste par le fait que les applications de rencontre permettent aussi à certaines personnes qui ne se seraient jamais rencontrés dans la vraie vie, de créer des liens qu’ils n’auraient jamais pu construire sans ces applications.

« Cela fait 3 ans que nous sommes ensemble, On bossait à l’époque à une rue l’un de l’autre, même métro, mêmes horaires mais on ne se serait pas arrêtés l’un sur l’autre…On a même déjà dû se croiser » Laura, Ancienne utilisatrice de Tinder

e) Homogénéisation, hétérogénéisation et conformisme

A l’aune de l’internet et du web, un processus mis en évidence par S.Hall des Cultural Studies souligne l’un des aspects que le numérique à apporter, à travers la mondialisation: celui d’un processus contradictoire sur la mondialisation de la communication qui produit l’homogénéisation (tout le monde écoute Rihanna et regarde GOT, tout le monde se ressemble) mais d’un autre côté une hétérogénéisation car les sociétés sont de plus en plus individualistes, de même que les attentes aussi (on ne veut pas les mêmes produits que les autres).

En effet, les sites de rencontres regroupent des archétypes de profils :
« L’application est aujourd’hui utilisée pour trois raisons principales : il y a les utilisateurs qui souhaitent juste être dragué et se rassurer sur leur pouvoir de séduction, ceux qui veulent simplement des coups d’un soir et ceux qui cherchent vraiment à rencontrer quelqu’un pour construire une relation » Marshal Floch, directeur de la communication secteur France de Tinder

Cette homogénéisation des profils se vérifie aussi dans les “styles” de photos que l’on retrouve sur ces sites : On retrouve toujours des photos lors de voyages, en soirée, ou en selfie pour la majorité. Cela se justifie par une envie de se conformer aux normes actuelles et d’espérer obtenir plus de chances d’obtenir des rencontres. Mais comme l’a précédemment dit S.Hall, il y a aussi un phénomène d’individualisation. Lorsque l’on est sur des applications de rencontres, on en fait une utilisation individuelle, qui ne demande la participation de personnes d’autre. Le seul moment ou une seconde personne rentre dans le champ, c’est lorsqu’une discussion avec une autre personne s’instaure. Le côté attractif et ludique des applications de rencontre quant à lui, entretient l’usage du numérique au détriment des relations humaines. Certains vont jusqu’à croire qu’il ne leur est plus possible de rencontrer des personnes dans la vraie vie car “ils n’ont pas l’occasion de rencontrer de nouvelles personnes”. Mais souvent, ces personnes ont tendance à se focaliser sur ce constat et à ne pas saisir les opportunités de rencontrer d’autres personnes dans la vraie vie.

L’homogénéisation des pratiques et des photos sur les sites de rencontres possède aussi sa contradiction, celle qu’à travers ces “styles” de photos récurrentes, les individus, ne tentent pas vraiment de se conformer, mais de se détacher du lot en prônant leurs différences et leurs expériences (comme les photos d’activité ou de voyage qui montre que l’on fait beaucoup de choses et que l’on n’est pas passif).

A l’inverse de cette homogénéisation des “pratiques”, on observe aussi une hétérogénéisation au niveau des préférences sexuelles et des attentes de chacun. En effet, sur les sites de rencontres, la photo est la première chose que l’on visualise d’une personne, mais le texte (en grande majorité la description) est un aspect primordial. L’absence de contact physique ou oral nous amène donc à écrire de façon plus ou moins explicite ce que nous recherchons sur les sites de rencontres afin de cibler nos recherches. Les individus ont donc libre choix d’exprimer leurs envies et attentes ce qui permet d’encourager l’hétérogénéisation des demandes. Les sites de rencontres permettent même de choisir ce que l’on cherche (homme, femme ou les deux) afin d’ouvrir le champ à tous horizons sexuels. Certaines applications se spécialisent mêmes dans les rencontres homosexuelles comme Grindr. De même que les sites LGBT se développent aussi ce qui permet de refléter l’hétérogénéisation des orientations sexuelles et des pratiques. Cela permet donc de proposer des “espaces” qui sont différents en fonction des attentes et des pratiques et ces derniers varient en fonction des sites et se présentent de diverses manières en fonction des cibles principales du site.

Contre toutes attentes, c’est la population hétérosexuelle qui constitue l’une des cibles les moins nettes sur les sites de rencontres. Pour causes, elles ne sont pas définies explicitement, comparé aux sites de rencontres gay qui précisent leurs “intentions” (“Rencontres gay”). Les sites n’interpellent pas directement les hétérosexuelles, qui sont alors considérés comme cible “à défaut”. Pour autant, il est possible, une fois sur l’application de rechercher des gens de même sexe grâce aux filtres intégrés.

c) La sélection effectuée par les sites de rencontres

Les sites “généralistes” de rencontres ne permettent pas à toutes les catégories d’y chercher un partenaire à la vue du peu de filtres disponibles. En effet ces sites sont construits au profit des hétérosexuelles généralistes qui représentent, pour le “marché de l’amour” les plus gros clients potentiels. Certains individus sont donc amenés à se diriger vers des sites plus spécialisés lorsque leurs attentes ne correspondent pas à des critères basiques de sélection.

Cette remarque renvoie à l’idée utopiste qu’internet est égalitaire pour tous. À travers ces ciblages exercés en fonction des préférences voire même de la religion et de l’origine ethnique, les sites de rencontres entretiennent discrètement des espaces spécifiques qui excluent certains individus de certains espaces. Mais l’exclusion peut aller plus loin, elle peut aller jusqu’à la sélection d’individus à l’entrée des sites de rencontres, comme une entrée VIP. L’exemple que l’on peut prendre est celui de Tinder et de son espace VIP destiné aux “stars et célébrités” et accessible uniquement par invitations. Cela peut être vue comme une logique d’évitement des fans et des groupies pour les célébrités, mais aussi comme une manière supplémentaire de les placer sur un pied d’estale et exclurent les gens “normaux” du cercle de ces rencontres. L’accès à ce genre de plateformes peut aussi passer par des élections exercées par les membres ou encore des candidatures, les individus sont sélectionnés et évalués en fonction de leur photo, leurs informations personnelles, leur travail ou encore leur origine. Le but étant d’exclure certaines catégories d’individus de ce cercle “élitique”. Cette typologie de sites amène les individus accepter à se sentir valorisés et aimés car ils appartiennent à une catégorie “d’élite” sélectionnée par les internautes ou par l’application.

Il existe donc en France une sectorisation marquée en fonction des attentes sexuelles de chacun. Celle-ci reflète la séparation déjà existante dans les représentations sociales alors qu’internet est censé contrer ces barrières. La justification première qui se démarque et qui justifie cette segmentation vient des webmasters et créateurs de sites de rencontres qui insistent sur le fait que cette sectorisation répond à un enjeu de sérieux. Autrement dit, le fait de catégoriser les gens à l’entrée permet d’obtenir des réponses sérieuses aux désirs de chacun. Cette logique permet de se mettre en contradiction avec les sites de rencontres caractérisés comme “libertins ». La différence des deux se traduit par les phrases d’accroches de chaque site (« Le nouveau site de rencontres coquines » ou encore « Un site de rencontres populaire, sérieux, convivial »).

Internet permet, avant tout contacts, de délimiter ses choix et orientations ainsi que le type de rencontres que l’on souhaite faire à travers les diverses propositions des sites et leurs objectifs principaux. Les sites déterminent leurs cibles en fonction de stéréotypes établis. Par exemple, pour faire la distinction “sérieux” et “libertins” il y a usage de discours qui représentent dans nos esprits, le romantisme, les déclarations d’amour et à l’inverse l’amour libre et l’anticonformisme. De plus, les sites libertins seront davantage associés aux sites homosexuels et les sites sérieux aux hétérosexuels, ce qui est en réponses avec l’image que les individus se font des relations homosexuelles et hétérosexuelles. Le numérique retranscrit alors simplement les représentations sociales que nous nous faisons des rencontres pour tenter de nous attirer et de répondre à nos attentes en pensant que sur internet, les rencontres seront différentes. Au final, elles ne sont que le reflet des rencontres dans la vie réelle et des structures sociales établies. Cela s’explique simplement par le fait que les sites de rencontres et leurs cibles résultent d’études marketing qui se basent sur les stéréotypes et les représentations sociales de la population dans le quotidien.

CONCLUSION

Au cours de notre analyse, nous avons remarqué que les sites de rencontres, qui se sont développé dans les années 90, se sont développés massivement avec de nouvelles spécificités. Avec eux, un nouvel espace de médiation s’est créé au travers d’un nouveau mode de mise en relation et de communication. Ce modèle est ainsi un construit sur des principes tel que le « speed dating », la rencontre en deux temps, la mise en scène de soi, voir la marchandisation. Leur structure même laisse penser à un nouveau paradigme, ou la rencontre peut se faire au travers d’une recherche ciblée, sur le choix d’un profil ou au travers d’une vitrine où le choix est multiple. Les sites et applications de rencontre véhiculées par l’Internet bousculent ainsi les schémas classiques des relations en se présentant comme de nouveaux espaces avec leurs populations et leur organisation propre. De plus, les algorithmes de plus en plus pointus utilisés par les sites modifient d’autant plus les schémas de la rencontre au travers de calculs mathématiques massifs pour que les matchs de profils soient les plus compatibles possible.
Néanmoins, ces transformations sont entourées de discours critiques qui prennent forme autour du fonctionnement même des sites de rencontres, comme allant à l’encontre des principes de l’amour. Ces reproches sont formés autour des logiques de consommation qui font apparaître, au travers des sites, des concepts tels que celui du « supermarché de l’amour ».
Cette critique s’applique aujourd’hui aussi aux applications de rencontres qui ne cessent elles aussi de se développer et se diversifier. L’application Tinder a été lancé en 2012 et est devenu un des pionniers du genre jusqu’à devenir un phénomène de société. Cependant son modèle et son interface rejoignent d’autant plus ces principes de marchandisation particulièrement critiqués. En effet comme nous avons pu le voir au cours de notre analyse, Tinder fait ressortir plusieurs aspects de par son interface et son fonctionnement même. Tout d’abord, l’application amène les utilisateurs vers une réflexion superficielle au travers de l’exposition de soi, manifestée en grande partie par une présentation physique ou du moins visuelle via une ou plusieurs photos.
Dans certains cas, des identités multiples peuvent ainsi apparaître, avec notamment une identité numérique construite pour être plus ou moins différente de celle présenté dans la réalité. Cette identité peut aussi être élaborée stratégiquement afin de donner une meilleure image de soi et ainsi de renforcer son estime et sa confiance en soi. Cette identité numérique peut cependant amener l’individu à mentir sur lui, sur ses pratiques ou sur son environnement. Cette reconfiguration du rapport au mensonge entraine souvent la méfiance des individus qui se caractérise pour la plupart déjà désillusionnés et moins investis dans leurs relations et leurs rencontres de nouvelles personnes via l’application. Ces transformations impactent la relation avec l’autre au travers de nouvelles formes de communication qui amènent les individus à être moins tolérant et à s’investir moins pour se préserver. On peut remarquer ainsi un abandon de la discussion assez rapidement dès les premières difficultés ou contrariétés.
Les impacts de cette application sur les individus s’inscrivent dans un mouvement plus large qui est celui de l’impact du numérique lui-même. Son ampleure dans le quotidien des individus se remarque tant par l’accélération du rythme de vie que dans la perception de l’autre et de son environnement. Les réseaux sociaux, par exemple, entraînent les individus à rechercher toujours plus la personne et la relation idéale, mais en s’investissant toujours de moins en moins, au risque d’être déçu ou blessé. L’individu veut toujours plus, plus vite, mais avec le moins d’efforts. Le numérique permet aussi la diffusion de modèle parfait, populaire, mainstream, à suivre, qui pousse les individus à se conformer aux autres et à la société. On retrouve d’ailleurs sur Tinder cette homogénéisation des pratiques, visible jusque dans l’exposition de soi. Pour autant ce principe rencontre aussi son inverse, par l’affirmation de son hétérogénéité, notamment avec les sites de rencontres spécialisés pour les rencontres entre hommes, entre femmes ou autres spécificités dans la recherche de partenaires (comme la religion, l’origine ethnique ou les pratiques de vie). Finalement, on constate que le numérique et les sites de rencontres reproduisent en les accentuant, nos représentations sociales ainsi que les stéréotypes de la société. Dans ce cadre-là, on comprend que l’application Tinder se développe sur les bases des lois du marché de la rencontre et ne fait qu’accentuer des schémas déjà existants, que ce soit sur les sites de rencontres ou au travers d’un mode de vie et de perception sociale. On peut ainsi conclure que cette application développe la superficialité, le conformisme, la rapidité de décision et l’économie de temps et de parole, inscrit dans un objectif plus large, commun aux individus de notre époque, de faire des rencontres facilement et rapidement.
En outre et pour ouvrir notre débat, diverses rumeurs circulent autour d’une nouvelle fonctionnalité de Tinder, plus que déconcertante pour certains (qui y voient une référence à la série Black Mirror), celle de pouvoir noter ces rendez-vous. Cette nouvelle fonctionnalité permettrait d’attribuer une note à l’individu une fois celui-ci rencontré dans la réalité, afin de “réduire au maximum les déceptions de la première rencontre”. Les utilisateurs seraient ainsi caractérisés par une notre globale qui leur permettrait d’obtenir plus ou moins de visibilité sur le site.
Cet aspect reconfigurerait à nouveau le rapport à l’amour via le numérique, en accentuant le phénomène d’exclusion d’une part et celui de visibilité d’élite d’autre part, en se basant uniquement sur l’avis d’autres utilisateurs. On peut aussi y voir un phénomène toujours grandissant de marchandisation de l’amour, telles les notes attribuées à des restaurants sur TripAdvisor ou encore les notes de chauffeur Uber. On peut supposer que cela entrainerait une sélection par la note et engendrerait d’autant plus la construction d’aprioris sur certains et ne permettrait pas d’apprendre à connaître une personne de façon neutre.

 

ANNEXES

Sources :

https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-rue69/20160109.RUE1852/ce-que-tinder-dit-de-nous-immersion-dans-les-applis-de-rencontres.html

http://www.glamourparis.com/amour-et-sexe/sexualite/articles/sondage-lamour-digital-a-t-il-change-nos-vies-/40809

http://www.lexpress.fr/actualite/societe/sexualite/le-sexe-au-fil-des-siecles-un-produit-comme-un-autre-a-l-heure-du-numerique_1811276.html

http://www.mbadmb.com/2017/01/02/lamour-au-temps-des-sites-de-rencontres/

https://www.cairn.info/revue-reseaux-2011-2-page-191.htm

https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2013-3-page-433.htm

http://www.cairn.info/revue-reseaux-2011-2-page-225.htmCet

Cliquer pour accéder à population.societes.530.site.rencontres.conjoint.fr.pdf

http://www.bilan.ch/techno-les-plus-de-la-redaction/tinder-la-revolution-sexuelle-de-la-generation-y

https://dokupdf.com/download/tinder-la-rencontre-a-portee-de-main-une-sociologie-de-lexperience-du-dating-sur-smartphone-_5a026b0bd64ab2b9bdba6fb3_pdf

https://www.cairn.info/revue-reseaux-2011-2-page-225.htmCet

 

QUESTIONNAIRE

https://docs.google.com/forms/d/1bavzHW7Dvmz6P6a50calov2x3V9awFGY_E58EpC_4mQ/edit

Camille Bécart
Léa Bel Berbel

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