La réputation des quartiers à travers le web
Les quartiers de Seine-Saint-Denis
Dossier réalisé par SARAY Karine & HALIFA Youmna
Master 2 Cultures et Métiers du Web – Groupe 2
Le web et ses usages en sciences sociales – Mr Aguiton
Introduction
“C’est une ville à fuir”, “C’est sale”, “Désolant”, “C’est dégueulasse”, “Saleté repoussante”[1] sont les mots qui sont utilisés de nos jours pour parler des quartiers dits “sensibles”. Les 4 Chemins à Aubervilliers, les 3000 à Aulnay-sous-bois, Clos saint Lazare-Allende à Stains, les Francs Moisins à Saint-Denis ou encore Pablo Picasso à Nanterre, ces quartiers, connus pour être répertoriés sensibles, sont de plus en plus stigmatisés aujourd’hui.
La notion de quartier est une notion complexe quant à sa définition. Souvent considérés comme étant des quartiers sensibles, en difficulté ou alors défavorisés, ils sont en réalité difficiles à définir. En effet, pour Cyprien Avenel, ces notions ne conviennent pas à la définition des quartiers dans le sens où “elles assignent aux situations et aux populations une identité et une signification profonde”. De ce fait, la notion de quartier “revêt des contours mal définis”, toujours selon Cyprien Avenel.
Néanmoins, c’est cette vision des quartiers qui nous est donnée à voir dans les médias. Que ce soit à la télévision ou dans les journaux papiers, nombreux sont les faits divers qui ont eu lieu dans ces quartiers dits “sensibles”. Cependant, et pour une meilleur compréhension, c’est le terme de “quartier sensible” qui sera utilisé tout au long de notre étude.
Avec l’arrivée d’internet et de l’information en ligne, nous retrouvons également cette idée dans les actualités qui nous sont données tous les jours. Cependant, le web permet également aux habitants des quartiers de s’exprimer et il existe plusieurs blogs créés par ces habitants afin de décrire, raconter ce qui se passe dans un quartier. De ce fait, nous sommes parfois face à des discours différents et des images différentes d’un même quartier.
La violence urbaine dans les différents quartiers en France est plus que courante aujourd’hui. Si ces violences ne sont pas récentes, elles n’ont fait que s’intensifier au cours des dernières années. C’est à partir des années 1980 que ces violences urbaines ont commencé à être médiatisées dans certains quartiers de Lyon. Ces violences existaient déjà avant cette médiatisation mais le terme “violence urbaine” est relativement récent. En effet, c’est à la fin des années 1990 qu’il a été utilisé par la presse et notamment par l’AFP qui en a fait une rubrique en 1997.
Par “violences urbaines” nous entendons les actions qui sont organisées par des jeunes, ou non, et qui agissent collectivement contre des biens et des personnes qui sont, dans la majorité des cas, liés aux institutions et sur des territoires défavorisés[2].
Notre étude sera principalement axée sur les quartiers du département de la Seine Saint-Denis. Ce département étant réputé pour être un département ayant une mauvaise réputation, nous l’avons choisi afin de pouvoir expliciter au mieux nos recherches et nos propos. Cependant, tous les quartiers de la Seine-Saint-Denis ne connaissent pas une mauvaise réputation.
En ce qui concerne notre méthodologie d’enquête, nous avons choisi de réaliser des entretiens qualitatifs avec des personnes vivant dans ces quartiers sensibles afin d’avoir leur point de vue sur leur lieu de résidence. Nous avons donc interrogé deux personnes habitant à Saint-Denis et à Aulnay sous bois. De plus, nous tenions également à confronter leur point de vue avec des personnes ne vivant pas au sein de ces quartiers. De ce fait, nous avons également interrogé deux personnes vivant dans les Yvelines et dans le Val-d’Oise. Nous avons également fait une observation directe des articles de presse en ligne et des différents blogs des habitants de Seine-Saint-Denis que nous avons pu trouver.
Quel impact a le web sur l’image des quartier ? Comment et dans quelle mesure le web parvient-il à changer l’image d’un quartier en ligne ?
Au cours de notre développement nous verrons tout d’abord les quartiers comme étant des lieux stigmatisés et qui connaissent une image fondée et prédéfinie de la part des médias notamment. Ensuite, nous verrons quel impact a le web sur ces quartiers avec notamment la définition qui en est faite et les différents types d’images que nous pouvons retrouver en fonction des supports, des plateformes et des personnes qui s’expriment sur ces quartiers.
I. Des quartiers stigmatisés
A. La médiatisation des quartiers
Depuis les années 1980, les quartiers sont connus pour avoir une image négative mais également pour avoir une mauvaise réputation. On peut expliquer cela par le traitement médiatique qui est fait de ces quartiers suite aux émeutes urbaines françaises qui ont eu lieu en 1981[3]. Dès lors, même si ces violences urbaines existaient déjà, elles ont commencé à connaître un engouement médiatique de plus en plus important.
De nos jours, il n’est pas rare de voir à la télévision des images d’émeutes urbaines et d’entendre encore à la radio qu’un tel s’est fait agressé dans un quartier. Si ces émeutes et agressions ont lieu partout, ce sont souvent celles qui se passent dans les quartiers connus pour avoir une mauvaise réputation qui retiennent l’attention et qui font parler d’elles. L’on peut aussi associé ce phénomène lors d’événements sportifs, les médias y relate de la violence. Cet engouement pour les quartiers “sensibles” est tel que c’est devenu un réel fait divers.
Dans la presse, la place qui est faite aux émeutes urbaines n’est pas moindre. En effet, vers la fin des années 1990, l’AFB a fait une rubrique spéciale pour les violences urbaines tant elles étaient importantes et suscitaient l’intérêt d’autrui. L’image de ces quartiers qui est donnée par la presse n’est pas une image positive. Au contraire, c’est l’image de quartiers défavorisés et où règne la violence qui ressort principalement. De plus, les photos qui sont parfois présentes sur ces articles viennent appuyer et renforcer cette image peu flatteuse.
Le cinéma a aussi joué un grand rôle quand à la mauvaise de quartier de Paris, ces derniers ont relayé les histoires des plus mythiques gansters en passant par Paris, Marseille jusqu’à la Corse, des noms tels que Guérini, Zampa, Zemmour, ont laissé des trace dans nos souvenirs et inconscient collectif[4].
Nous avons pu voir, grâce à nos recherches que les quartiers sensibles n’intéressent pas les médias en général mis à part quand un acte de violence y a lieu. Ce fait est notamment constaté dans un article de S. Parasie et E.Dagiral[5] alors qu’il est question d’un quartier de Chicago. En effet, ils affirment que le quartier en question “n’intéressait pas les médias (par exemple la Tribune) à part quand il s’agissait de couvrir les crimes qui y étaient commis”.
Nous nous sommes principalement appuyées sur trois quartiers sensibles : La cité des Francs-Moisins à Saint-Denis, Les 4000 à la Courneuve et La cité des 3000 à Aulnay-Sous-Bois. Nous avons également tenu à nous appuyer sur un quartier ayant une meilleure réputation : Les lilas. En effet, tous les quartiers de la Seine-Saint-Denis ne sont pas des quartiers sensibles.
Situé dans le Franc-Moisin, un quartier de Saint-Denis, la cité des Francs-Moisins était à l’origine un bidonville et c’est en 1974 qu’il a été inauguré. Ce quartier est intégré dans le grand Projet Urbain, qui réunit les villes de Saint-Denis, Aubervilliers, La Courneuve mais également les différents quartiers des villes alentours (Allende, Bel-Air, Floréal,…) et qui sont classés en Zone Urbaine Sensible (ZUS)[6].
A l’origine dénommée Cité des Quatre Mille Logements, la cité des 4000, située à La Courneuve a été construite par la ville de Paris entre 1959 et 1968 afin d’accueillir les milliers d’habitant que la capitale française ne peut héberger et les rapatriés d’Algérie. En 1984, après la mort d’un enfant du quartier, abattu par un voisin, la mairie de Paris cède la cité des 4000 à la Courneuve.
La Rose-des-Vents, plus connue sous le nom de Cité des 3000, est un quartier se situant à Aulnay-Sous-Bois construit en 1969 pour loger les ouvriers et les cadres de Citroën. L’idée est de rapprocher l’habitat des usines. Cependant, ce quartier s’est dégradé avec le chômage et le choc pétrolier. Les communes “plus réputées” ne connaissent pas le même traitement médiatique que les quartiers cités ci-dessus. C’est le cas de la commune des Lilas qui est connue pour être plus, posée, limite “bobo” voir chic.
B. Quartier, ghetto, banlieue…
Qu’est-ce qu’une banlieue ? En sociologie urbaine une banlieue désigne un lieu autour des enceintes de la ville, on retrouve dans banlieue “ban” et “lieu” ce qui donne “lieu du ban”. A ce jour elle est ce que chacun se représente mentalement, qui profite surtout aux élites du pays. De ce fait lorsque l’on évoque des “jeunes de banlieues” on ne parle pas des habitants de Levallois-Perret ou de La Garenne. Mais plus des jeunes issus de l’immigration vivant dans des quartiers dits sensibles[4].
L’image qui nous est donné à voir des quartiers n’est en rien une image positive. En effet, entre les images des émeutes qui, parfois sont sorties de leur contexte, les articles et les reportages, ces quartiers nous apparaissent avec une image prédéfinie. On associe donc facilement les termes ghetto, banlieue ou encore cité à ces territoires. Selon C. Avenel dans son ouvrage “Sociologie des quartiers sensibles” (3e édition), “La première image que nous avons de la banlieue est négative : on pense spontanément à la délinquance, l’insécurité etc.”. En effet selon Etienne Liebig, de nombreux préjugés sont stigmatisés par des comportements, par exemple « des collèges de banlieue », « lycée de banlieue » voir même « train de banlieue », voir même d’appartenance culturelle, ici l’auteur parle des styles vestimentaires : casquettes, voile pour les musulmanes[4]. Les préjugés fait à l’encontre des jeunes vivants en banlieue peuvent être les suivants : « Si un gamin arrive au collège un matin un peu ensuqué, les questions fusent : se drogue-t-il? Trafique-t-il? S’il est africain, son père est-il polygame? Si c’est une fille, veut-on la marier de force »[4].
Au jour d’aujourd’hui, la définition que l’on a des quartiers n’est pas à leur avantage. En effet, toujours selon C. Avenel, “il ressort une définition en trompe l’oeil du monde des banlieues, caractérisée par une seule image, celle de la pauvreté et de la destruction sociale”. Ce sont sur ces éléments négatifs que se sont construites l’image et la réputation des quartiers d’aujourd’hui. Pour appuyer ces propos l’auteur Etienne Liebig donne cette image d’une petite cité de Montreuil où il travaille « Dix-huit étages, six appartements par étage, F2, F3, F4, F5. 50 familles par immeuble, 6 immeubles, 600 familles sur la dalle, un peu plus de 2 000 habitants sur une surface totale de moins d’un kilomètre carré »4. Selon lui, même les architectes contribuent à ce paysage urbain des « ghettos » en construisant à tout va « des monstres de béton »[4].
Les termes utilisés pour définir ces quartiers sont vagues, comme nous avons pu le voir dans l’introduction. Il n’existe pas à proprement parlé de définition précise pour ces quartiers. En effet, à chaque fois que l’on trouve une définition, on trouve également le moyen de contredire cette définition. Il y a un réel décalage entre les idées et les faits[7].
Cette caractérisation des quartiers comme étant des quartiers sensibles et en difficulté n’est pas démentie par les médias. Au contraire, ce sont ces médias là, la plupart étant des médias d’information, qui relayent cette image.
Néanmoins, bien que les médias ont joué, et jouent encore, un grand rôle dans l’image des quartiers que l’on a aujourd’hui, ils n’ont pas été les seuls constructeurs de cette image, cette réputation. En effet, la stigmatisation est une “construction sociale et médiatique, mais elle est aussi le produit des relations entre les habitants, ces derniers n’étant pas étrangers à la diffusion des images qui les concernent”. En effet, nous avons pu voir lors des entretiens que nous avons menés que les habitants des quartiers dits sensibles sont tout à fait au courant de ce qui se dit du lieu où ils habitent. Ce n’est pas pour autant qu’ils croient ce qui se dit. En effet, le discours des médias parvient à influencer parfois une partie des personnes cependant, une autre partie reste insensible à ce discours et cette image que l’on veut coller aux quartiers sensibles.
C. Une exagération de la réalité
Juin 2005, fait divers dans la cité des 4000 à la Courneuve, un jeune de 20 ans tue un gamin de 12 ans d’une balle perdue. Les journalistes parlent de « caïds de la drogue, de règlement de comptes entre gangs rivaux », l’ancien président de la République, Nicolas SARKOZY, lui parle de « nettoyer la cité ». Seulement rien ne correspond dans tout cela à la réalité, juste une querelle d’adolescent pour une histoire de jalousie[4].
Automne 2005, crise des quartiers, suite à l’accident subis par deux jeunes de banlieue, mort électrocutés dans un transformateur EDF alors qu’ils fuyaient la police de Clichy-Sous-Bois. Les médias s’en est donné à coeur joie, insistant sur les images négatives : « des manipulateurs cachés, des gangsters, des dealers et des barbus en souterrain ». Bien évidemment, il n’est pas possible pour les médias de simplement évoquer un problème de crise identitaire, d’un ras-le-bol des jeunes en manque de reconnaissance sociale. Il faut que tout cela soit exagéré, les jeunes sont soit disant armés, en effet comment expliqué aux citoyens français stupéfaits devant leurs télés qu’en réalité des jeunes armés de cailloux mettent en péril la sécurité du pays, et de ce fait justifier l’état d’urgence et le couvre-feu instauré par l’État face à ces dites menaces[4].
Cette image négative, n’est pas anodine, et remonte depuis les temps anciens, en effet à l’époque des faubourgs aux Moyens-âges mais aussi depuis l’ère industrielle. Dans l’histoire de l’organisation urbaine, il a toujours existé un quartier, un zone où se formait le mal, la dépravation, un reflet négatif à la ville, son contraire, l’auteur Etienne Liebig donne comme exemple « ici pas de palais, pas de monuments historiques, pas de lieux chargés d’histoire. Mais un paramètre flou et confus. Une zone grise commode »[4]. De ce fait il était très important de dissocier Paris et sa banlieue, afin que « la ville » puisse se développer et d’exister en étant au centre des attentions.
Mais à qui cela apportait le plus d’intérêt ? Construite par les politiques, les intellectuels et les médias, cette vision exagérée de la banlieue, cette « entité maléfique »4 leurs permet d’entretenir ce fantasme qui est tiré droit des romans, il en va de même pour le cinéma. Tout cela sert à extérioriser nos peurs fantasmées, et ainsi retrouver « le mythe du bandit »[4]. Elle est la représentation de ce que nous souhaitons qu’elle soit, et que cette dernière corresponde à nos attentes. Son image est une projection inconsciente de ce qu’on l’on souhaite. Ces fantasmes peuvent émaner de plusieurs façons : celles que nous avons déjà, de délires inconscients de déformation et dépravations, l’on retrouve ici le « banditisme urbain » du XIXème siècle à savoir : la prostitution, la drogue, les bagarres, l’alcoolisme, les armes à feu, les violences gratuites » tous ces termes que l’on juxtapose à la banlieue : « caïds, traffic, proxénétisme »[4].
Ils permettent de dissocier l’ennemi, une mauvaise personne de l’honnête homme. Cette métaphore est aussi utilisé par les policiers pour justifier leurs interventions. Malheureusement elle est nécessaire à réunir la population contre un « ennemi commun » et permettre ainsi aux politiques de rendre la banlieue responsable de tous les maux[4]. Cette diabolisation d’un ennemi existe depuis l’empire romain et est quasi systématique dans les guerres[4].
La banlieue n’existe que pour nourrir les fantasmes des médias, si cette dernière n’existait pas il faudrait l’inventer[4]. Dans les faits, 50% de la population française réside dans la banlieue et ne se reconnait pas dans cette exagération faite par les médias. Pour exemple en novembre 2005, dans leurs vie quotidienne, les habitants ont ressenti un décalage entre la réalité et la fiction. L’auteur Etienne Liebig décrit une différence de traitement entre les jeunes de Paris et de Banlieue. Un jeune parisien qui fume sera perçu comme un « jeune rebelle cool » alors qu’une jeune de la Courneuve sera vu comme un « toxicomane délinquant ». Les discours tenu sont tenus par des personnes à qui l’ont fait croire des choses et qui de ce fait parfois n’arrive plus à faire la différence entre la réalité et ce qu’ils imaginent.
II. La place du web dans l’image des quartiers
Avec le web, l’image des quartiers s’est vue modifiée de part la pluralité des témoignages et des plateformes qui permettent de noter ou s’exprimer sur un quartier. De nombreux blogs personnels d’habitants des quartiers sensibles ont vu le jour.
A. Les quartiers sur le web
Aujourd’hui, de nombreux sites internet proposent des classements de villes ou de quartiers. Lors de nos entretiens, Alicia, 21 ans, vivant dans les Yvelines, nous a affirmé qu’elle se rendait sur ce genre de site par curiosité. Celui qu’elle utilise est : ville-idéale.fr C’est un site simple au niveau apparence mais qui nous permet de noter une ville selon différents critères : l’environnement de la ville, les transports, la sécurité, la santé, les sports et loisirs, la culture, l’enseignement, les commerces et la qualité de vie. Chaque critère se voit attribuer une note et la réputation de la ville est une moyenne générale de ces critères. Ce sont ces critères là qui font la réputation d’une ville ou d’un quartier sur le web. Dans cette idée, ce sont les individus qui fabriquent la réputation, ou du moins une partie, d’un quartier ou d’une ville de part la notation qu’ils en font.En effet, les avis et les notes jouent beaucoup dans la notation d’un quartier dans la mesure où c’est une réputation qui repose sur l’avis des individus et non pas des médias. De plus, plusieurs points de vue sont pris en compte car plusieurs individus peuvent s’exprimer sur une même ville. Néanmoins, bien que ce genre de pratique permet à plusieurs personnes de s’exprimer sur un lieu commun, on ne peut garantir l’authenticité de ces avis dans la mesure où ils passent en validation mais on ne peut être sûr qu’ils soient sincères.
Deuxième problème de ces plateformes, elles ne sont pas utilisées par un grand nombre de personnes et de ce fait, les avis sont limités. Certaines villes ont une moyenne élevée mais seulement trois avis, ce qui ne suffit pas à construire une réputation fiable. Quand bien même la pratique des notes et avis est très répandue sur le web de nos jours, pour les biens culturels, les restaurants ou les achats effectués en ligne, elle ne l’est pas forcément pour la notation des quartiers.
Le web ne remplace pas l’image des quartiers donnée par les médias mais permet de compléter cette image en prenant en compte plus d’opinions et en permettant à plus de personnes de s’exprimer sur le sujet. Cette image qui était diffusée par les médias, de la même manière que dans le modèle de la seringue hypodermique de Laswell, se voit modifiée par d’autres idées, d’autres témoignages, d’autres points de vue qui ont pu voir le jour grâce à ce qu’offre le web.
Néanmoins, il serait erroné de considérer que l’image véhiculée par les médias s’oppose à l’image véhiculée par le web. En effet, il existe une multitude de sites, de forums, de blogs et de plateformes qui véhiculent une image différente. Nous allons développer ce point au cours de notre étude. Dans cette idée, le web met en évidence et révèle les différentes images que les individus ont des quartiers.Ces quartiers sont également présents sur les réseaux sociaux. C’est le cas par exemple d’un des quartiers les plus sensibles de Saint-Denis : Les Francs-Moisins, où Hakima H., une de nos interrogée habite. Ce quartier est présent sur twitter depuis 2012 et contrairement à certains blogs d’habitants qui ne sont plus actifs, ce compte twitter est toujours actif au jour d’aujourd’hui.Sur ce twitter, nous pouvons suivre l’actualité du quartier mais également les différents mouvements organisés afin de lutter contre la stigmatisation dont le quartier est victime et de redonner une image positive au quartier. Nous avons par exemple le repas interquartier contre la violence organisé par les mères de familles et les habitants de la ville de Saint-Denis et d’autres encore.
B. Idées perçues par le web VS idées perçues par les habitants
Nous sommes donc confrontés à une multitude de points de vue sur le web en ce qui concerne l’image et la réputation des quartiers mais deux grands points de vues s’opposent : celui des médias en ligne et celui des blogs. Par médias en ligne, nous entendons ici les plateformes web des journaux traditionnels. Nous avons pu observer et étudier les articles publiés par ces journaux sur internet et dans l’ensemble, l’image des quartiers qui y ressort est plutôt négative. En effet, nous avons pu relever certains titres d’articles de journaux : “Meurtre dans un foyer d’Aubervilliers[8]”, “retrouvé taché de sang, il est soupçonné d’avoir tué sa mère[9]”. On peut donc voir que ce qui est mis en avant dans ces articles c’est la violence au sein de ces quartiers.
En ce qui concerne les blogs, nous avons pu observer deux grandes catégories de blog sur ces quartiers sensibles.
Les premiers étant des blogs d’information sur la vie quotidienne de ces lieux. On peut citer ici les blogs aulnaylibre[10] ou Saint Denis Ma Ville[11]. Il s’agit d’un blog crée en 2008 par l’association Sans Crier Gare. C’est un blog par les habitants et pour les habitants de Saint-Denis (qui sont appelés les Dionysiens en référence à Dionysos, Denis en latin). Ce blog se définit comme étant une source d’information sur la vie quotidienne à Saint-Denis et a pour objectif de relayer les actualités dans la presse, les informations proposées par les internautes, les prises de paroles engagées etc. De plus, ce blog ne reçoit aucune subvention et est toujours actif, contrairement à certains blogs que nous avons pu étudier.
La deuxième catégorie de blogs regroupe les blogs qui se donnent pour but de dénoncer et d’expliciter ce qui se passe réellement dans ces quartiers. La plupart des blogs de cette catégorie ne sont plus actifs cependant. C’est le cas du blog SaintDenis93[12] où le dernier article date de 2013. Dans la même idée, nous retrouvons des blogs créés par les habitants qui proposent un classement des villes et des quartiers sensibles. Ces classements diffèrent des classements que l’on retrouve dans les sites comme ville-idéale.fr dans la mesure où ils sont faits par les habitants eux-mêmes. Ces blogs là ne sont, pour la majorité, plus actifs. C’est le cas pour le blog 93seinesaintdenis[13] qui propose une liste des villes et des cités du département de la Seine Saint-Denis. Ce blog a été créé en 2008 mais n’est plus actif depuis 2012.
On remarque que les blogs qui n’ont pas pour vocation d’informer sur la vie quotidienne et l’actualité du quartier ne sont plus actifs au jour d’aujourd’hui. Ces blogs sont laissés à l’abandon après un certain temps.
Les quartiers sensibles connaissent donc différentes interprétations sur le web. On peut quand même voir que l’image qui domine sur le web reste une image négative malgré la pluralité des points de vue. La réalité des quartiers est donc très contestée et discutée.
En effet, nous avons pu analyser les mots clés qui ressortent le plus sur le web lorsque l’on fait une recherche avec les mots “Seine-Saint-Denis” pendant un mois (décembre 2017-janvier 2018). Outre les pages relevant de la ville et du tourisme, nous sommes principalement tombées sur des articles de presse et les mots-clés les plus utilisés étaient : meurtre, criminalité, sans-abris, chômage, djihadistes, raciste, insultes, violences, blessé, mairie…. Ici, c’est une image plutôt négative qui ressort et qui rejoint les médias (TV, presse, information en ligne…).
En ce qui concerne la cité des Francs-Moisins, les mots-clés les plus courants sont : drogue, mort, fait divers, 4000 et bel-air (qui sont d’autres cités). Pour la cité des 4000, les mots-clés qui ressortent le plus sont : dangereux, destruction, mort. Enfin, les mots-clés associés à la Cité des 3000 sont ghetto, quartier, violence.
En opposition à cette image, et grâce à la pluralité des points de vue et des différents supports, nous avons également accès à une image positive de ces quartiers sensibles. Cette image nous vient des habitants d’une part mais également des associations. Il existe plusieurs associations d’aide à la personne dans les quartiers sensibles. Ces quartiers ont pour vocation de redorer et aider les personnes. Elles sont, pour certaines, présentent sur internet et présentent leur projet de rendre ces quartiers sensibles meilleurs. Par exemple, l’association ADPC 93, association départementale d’aide à la protection civile de Seine-Saint-Denis. C’est une association (loi 1901) affiliée à la Fédération Nationale de Protection Civile (FNPC) reconnue d’utilité publique. Elle connaît plusieurs antennes comme par exemple la protection civile de Montreuil. Cependant, il n’y a pas énormément de choses sur cette association sur le web. Néanmoins, il existe une page Facebook pour la protection civile de Montreuil[14].
Le web permet également aux habitants de ces quartiers de donner leur avis sur des forums. Il existe de nombreux forums sur lesquels il y a des avis sur des quartiers ou des villes du département de la Seine-Saint-Denis. Sur ces forums, nous pouvons voir des témoignages négatifs mais aussi positifs. Etant donné que l’on n’est pas dans un cadre qui se veut formel (exemple : article de journal rédigé par un journaliste, interview…), les internautes se permettent une certaine liberté dans leur propos. Comme nous l’avons vu précédemment, les témoignages se distinguent en fonction de la personne qui en est l’auteur. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les témoignages positifs ne viennent pas exclusivement des habitants de ces quartiers. En effet, certains touristes laissent également des témoignages positifs de la même manière que certains habitants des quartiers laissent des témoignages négatifs.
C. Les différents types d’images
Les quartiers connaissent différents types d’images sur le web. En effet, ces images peuvent changer en fonction des plateformes utilisées, des points de vue, des personnes qui s’expriment, etc. On se retrouve alors parfois avec plusieurs images différentes d’un même quartier.
Comme nous avons pu le voir dans les parties précédentes, c’est une image négative qui domine aujourd’hui dans la presse et surtout sur le web. Pour reprendre l’exemple de ville-idéale.fr et les classements de villes, Saint-Denis est classée 196e sur 200 villes au niveau des pires villes de France sur un total de 4895 villes notées. C’est donc la 4e pire ville de France avec une moyenne de 4,06 sr 10. Contrairement à d’autres villes où la moyenne se base sur trois avis, la moyenne de Saint-Denis repose sur plus de 156 avis. On peut donc considérer que cette moyenne se rapproche du ressenti des personnes.
Outre cette image négative et violente des quartiers, ces derniers connaissent également une image de “souffres-douleur” dans le sens où certaines associations et certains habitants tiennent un discours relevant du pathos. On peut notamment le voir dans les descriptions des blogs tenus par des habitants de quartiers : “faire justice au quartier”.”révéler ce que les quartiers subissent”, “dénoncer les médias”. Ici, il s’agit principalement de dénoncer les médias et le fait qu’ils amplifient et aggravent la réalité.
En ce qui concerne les associations, ce n’est pas exactement le même discours qui est tenu. En effet, ces dernières sont plus dans une optique de redorer l’image négative des quartiers. Cependant, dans cette image, ce n’est pas exactement le quartier qui est placé en position de victime mais ce sont plutôt les habitants. En effet, on peut le voir sur certains blogs : “ Les premières victimes sont les populations qui y vivent et n’ont pas les moyens de partir aller vivre ailleurs !”[15]. Nous avons donc plusieurs niveaux dans cette image. Les habitants qui se posent en victimes de la stigmatisation par les médias que connait leur quartier d’une part, les habitants qui se posent en victimes des gang et délinquants présents dans les quartiers et les habitants qui posent leur quartier en tant que victime des médias mais aussi des personnalités politiques. Cette image est davantage présente sur le web dans la mesure où on la retrouve surtout dans les blogs et les témoignages sur les forums.
Pour certains habitants, il est question d’une certaine réputation à tenir. En effet, Hakima H. nous a confié lors de notre entretien qu’elle estimait qu’il y avait une différence entre les personnes du département Seine et Marne et de Seine Saint-Denis : “C’est juste que nous au Franc-Moisin on n’a pas peur. Mais j’suis sûre même dans le 77 y a des histoires. Pas les mêmes histoires quand même faut pas abuser. ça doit être des histoires vite fait comme une dispute pour une place de parking *rigole*. C’est pas le même niveau, nous on est des bonhommes.”
Cette réputation, qui s’est construite dans les médias et sur le web, renforce cette image de gang que l’on peut avoir en parlant des banlieues et quartiers sensibles. Le web a donc contribué et renforcer cette image de part les résultats qui arrivent en premier lorsqu’on fait une recherche sur Seine Saint Denis. En effet, les premières infos que l’on voit de ces quartiers sont des faits divers qui se sont passés. Ces faits divers, qui occupent la première page de la recherche, renforcent alors le côté stigmatisé des quartiers sensibles aujourd’hui.
Néanmoins, malgré ces images négatives qui dominent, le web offre aussi une image qui se veut rassurante et positive. Comme nous avons pu le voir avec le compte twitter du quartier Franc-Moisin qui véhicule une image d’entraide, au delà des clichés des quartiers sensibles et difficiles, nous avons une image qui reflète une certaine entraide. En effet, cette image est très présente sur le twitter du quartier Franc-Moisin de part les tweets sur les évènements conviviaux, les actions visant à renforcer les liens entre les habitants de ce quartier. Cette image se propage sur internet de part les partages, les retweets et autre traces que l’on peut laisser sur le web. Cette image qui se veut positive se retrouve principalement sur les réseaux sociaux (twitter ou Facebook notamment) qui mettent tout en oeuvre pour montrer une autre face des quartiers sensibles.
Conclusion
Les quartiers connaissent différentes images sur le web. En effet, plusieurs idées se voient confrontées : les idées des habitants et les idées qui sont mises en avant sur le web. L’image dominante est une image négative de ces quartiers qui est véhiculée par les sites d’informations en ligne comme nous avons pu le voir avec les différents articles cités. De plus, cette image négative est également véhiculée par les sites de notation où la majorité des avis sont négatifs. Ces avis sont écrits par des habitants de ces quartiers, du département de la Seine-Saint-Denis ou encore par des personnes ayant seulement été dans le quartier en question pour une courte période.
Le web permet alors de proposer et réunir plusieurs points de vues et plusieurs idées (médias d’information en ligne, réseaux sociaux, forums, blogs personnels/ officiels…) et de ce fait de prendre en compte une multitude d’interprétation et d’images des quartiers sensibles. On a alors une confrontation entre ces différentes idées dans la mesure où on a une opposition entre le négatif et le positif qui s’opère.
En effet, comme nous l’avons évoqué au cours de notre développement, les mots clés qui ressortent le plus lorsque l’on effectue une recherche sur les quartiers sont le plus souvent des mots clés négatifs.
Sur le web, les réseaux sociaux tendent à améliorer et donner une image qui se veut positive des quartiers, de la vie au sein des quartiers, même si cette image se voit contestée par les sites de notation. On n’est plus totalement dans la stigmatisation de ces quartiers, même si elle existe encore. Aujourd’hui, de plus en plus d’action sont mises en place afin de redorer l’image de ces quartiers, d’améliorer leur réputation. La réputation de ces quartiers, et plus précisément l’e-réputation, est toujours en construction sur le web.
Ainsi, bien que l’image dominante des quartiers soit une image négative, le web permet de mettre en évidence et donne une image positifs, une autre vision des quartiers, une image qui va au delà de ce que l’on sait, entend ou voit à propos des quartiers que nous avons abordés dans notre étude. L’image d’un quartier ne change pas réellement mais elle est complétée et améliorée sur le web.
Notes de bas de page
[1] Témoignages recueillis sur linternaute.com et ville-idéale.fr en rapport avec la ville de Saint-Denis.
[2] Sophie Body-Gendrot, « L’insécurité. Un enjeu majeur pour les villes », Sciences Humaines n° 89, décembre 1998.
[3] Cyprien Avenel, Sociologie des “quartiers sensibles”, Paris, A. Colin, coll. 128 Sociologie, 2004.
[4] Etienne Liebig, Les pauvres préfèrent la banlieue
[5] « Quand le web colle au territoire : l’exploration de l’information hyperlocale à Chicago », Sciences de la société
[6] Source : Wikipédia, recherche Le Franc-Moisin
[7] Cyprien Avenel, Sociologie des “quartiers sensibles”, Paris, A. Colin, coll. 128 Sociologie, 2004
[8] http://www.leparisien.fr/seine-saint-denis-93/meurtre-dans-un-foyer-d-aubervilliers-26-12-2017-7472292.php
[9] http://www.bfmtv.com/police-justice/seine-saint-denis-retrouve-tache-de-sang-il-est-suspecte-d-avoir-tue-sa-mere-1335949.htm
[10] http://www.aulnaylibre.com/
[11] http://www.saintdenismaville.com/
[12] http://saintdenis93.centerblog.net/
[13] http://93seinesaintdenis.skyrock.com/2.html
[14] Unité motocycliste de la protection civile de Montreuil.
[15] Citation issue d’un blog qui recense les quartiers sensibles de la France.
Sources
Cyprien Avenel, Sociologie des “quartiers sensibles”, Paris, A. Colin, coll. 128 Sociologie, 2004 (2e et 3e édition)
Chauvin Pierre-Marie, “La sociologie des réputations. Une définition et cinq questions”, Communications, 2013/2 (n° 93), p. 131-145. DOI : 10.3917/commu.093.0131. URL : https://www.cairn.info/revue-communications-2013-2-page-131.htm
Authier Jean-Yves, “Les « quartiers » qui font l’actualité”, Espaces et sociétés, 2007/1 (n° 128-129), p. 239-249. DOI : 10.3917/esp.128.0239. URL : https://www.cairn.info/revue-espaces-et-societes-2007-1-page-239.htm
Gilles Kepel, “Quatre-vingt-treize”, Gallimard, 2012
Sylvain Parasie et Eric Dagiral, « Quand le web colle au territoire : l’exploration de l’information hyperlocale à Chicago », Sciences de la société, 84-85 | 2012, 81-101.
Tissot Sylvie, « L’invention des « quartiers sensibles » », Le Monde diplomatique, 2007/10 (n°643), p. 6-6. URL : https://www.cairn.info/magazine-le-monde-diplomatique-2007-10-page-6.htm