Par Clara COLLOMB et Léa DUPUIS
Dossier Master 1 « Communication des entreprises et médias sociaux »
« Le véganisme : communiquer sur une pratique hors norme »
Table des matières
1 Du végétarisme au véganisme : le développement d’un mouvement social
1.1 L’histoire du véganisme dans un monde carniste
1.2 Les véganes et le mode de vie végane
1.3 Le développement du mouvement et ses enjeux actuels
2.1 Une communauté active sur le web
2.2 Un militantisme actif : L214 et le procès des abattoirs
2.3 La mode « végane » : quand les marques utilisent le mouvement pour vendre
3 Quel visage du véganisme sur les réseaux sociaux et dans les médias ?
3.1 Les médias traditionnels : entre culture du scandale et soutien
3.2 Internet et les réseaux sociaux : entre bienveillance et violence
Introduction
En 2017, d’après l’institut d’études marketing et de sondages d’opinion Harris Interactive, environ 5% des Français seraient végétariens ou véganes. Cette étude révèle que les consommateurs semblent de plus en plus soucieux de leur alimentation notamment en raison des scandales alimentaires qui ont éclaté à plusieurs reprises (la Crise de la Vache Folle dans les années 1990 ou le Scandale de la viande de cheval en 2013). De ce fait, les consommateurs sont à la recherche du « mieux manger » et considèrent qu’il est important de faire attention à son alimentation et de la provenance des produits qu’ils achètent. Cela peut expliquer pourquoi des courants comme le flexitarisme, le végétarisme ou le véganisme émergent et attirent de plus en plus de personnes. Les individus semblent de plus en plus sensibles à la cause animale et cela explique pourquoi le nombre de végétariens et de véganes est en constante augmentation.
Le terme « vegan » est inventé en 1944 par la Vegan Society, c’est le résultat de la contraction du terme anglais « vegetarian ». Le véganisme peut se définir comme « un engagement à ne pas œuvrer, dans la mesure du possible, à l’assujettissement, aux mauvais traitements et à la mise à mort d’êtres sensibles »[1]. En effet, les personnes véganes refusent de consommer tout produit d’origine animale, comme les végétaliens, mais en plus, ils s’opposent à toutes les activités et les services impliquant l’exploitation des animaux. Cela signifie que les véganes doivent renoncer à de nombreuses pratiques de consommation qui sont ancrées dans les modes de vie actuels. Les véganes ne consomment donc aucuns produits d’origine animale, mais ils excluent également le port de cuir ou fourrure, et refusent d’assister à des corridas ou des cirques et d’entrer dans des zoos. Le véganisme n’est donc pas seulement un changement dans les pratiques alimentaires, c’est un changement dans le mode de vie.
Depuis quelques années, des livres et des articles sont publiés par des scientifiques, des chercheurs et des philosophes, ils mettent en avant les mauvais traitements infligés aux animaux et tentent de trouver des alternatives à cet assujettissement. C’est dans cette optique que le véganisme s’est développé en tant que mouvement social. Un mouvement social peut être définit comme un ensemble de « personnes ayant en commun un intérêt [… et ayant]une revendication à faire valoir. Elles se mobilisent, utilisent des armes familières comme la grève ou la manifestation. »[2]. C’est donc un ensemble d’individus, qui de manière plus ou moins organisée, vont mener des actions collectives contre des institutions, des lieux ou des opposants précis, sans utiliser les voies institutionnelles classiques. Le but de ce réseau d’individus, qui s’avère être une minorité dans la plupart des cas, est de modifier de façon profonde les pratiques culturelles et de se faire reconnaitre par la société. Dans le cas du véganisme, les individus se regroupent pour faire valoir les droits des animaux et la fin de leur exploitation par les hommes. Leur but est de faire évoluer la juridiction concernant les animaux et les lieux où sont exploités les bêtes. De plus, les adeptes souhaitent que ce mode de vie et de consommation s’étende à l’ensemble de la population pour des raisons de protection de la cause animale, mais également pour des raisons écologiques car l’exploitation des animaux coûte cher à la planète.
Le contexte actuel est donc plutôt favorable au véganisme, mais l’augmentation, malgré tout constante, du nombre d’adeptes du véganisme reste faible et peu de personnes adoptent ce mode de vie car il demande de changer radicalement ses habitudes de vie et cela ne se fait que progressivement. De plus, la cause végane est mise à mal par les industriels qui continuent d’exploiter les bêtes et qui ne comptent pas abandonner ce secteur producteur de valeur. En effet, les grandes sociétés industrielles continuent de cacher au grand public les conditions de vie et d’élevage des animaux destinés à la consommation. Pour poursuivre la légitimation de la violence à l’encontre des animaux, ces « promoteurs du carnisme » [3]n’hésitent pas à ridiculiser et diaboliser les défenseurs des animaux. Mais cela peut être vu comme un « symptôme de la fragilité »[4]de l’idéologie carniste. Les militants de la cause végane espèrent donc un changement des mentalités, et pour que les pratiques évoluent, ils sont prêts à fragiliser les certitudes établies depuis des siècles. C’est dans ce contexte qu’on peut comprendre la façon dont les véganes militent pour leur cause. Ce militantisme passe par une forte mobilisation des véganes qui mettent au grand jour la souffrance animale pour la montrer au grand public. C’est donc en s’introduisant dans des abattoirs ou en diffusant des vidéos sur Internet que les militants mettent au jour la façon dont les animaux sont traités par les humains, leur but étant de sensibiliser le grand public aux conditions d’élevage des animaux. Les véganes sont donc très actifs sur les réseaux sociaux et sur Internet car cela leur permet de communiquer et de diffuser leur message au plus grand nombre de personnes possible.
Dans ce contexte, on peut alors se demander de quelle manière les militants communiquent sur une pratique « hors norme » comme le véganisme ? Et quels sont les moyens d’action et les stratégies de communication utilisés par la communauté végane pour se faire entendre et faire valoir sa cause auprès du plus grand nombre ?
Afin de répondre à ces interrogations, trois points seront évoqués successivement : le passage du végétarisme au véganisme et la naissance d’un nouveau mode de vie, les façons de militer chez les véganes et enfin le visage du véganisme dans les médias traditionnels et sur les réseaux sociaux.
Pour réaliser ce dossier, nous avons utilisé plusieurs méthodes sociologiques. Nous avons d’abord réalisé un questionnaire destiné à comprendre la réception du mouvement végane auprès du public. Ce questionnaire a obtenu 131 réponses, les questions posées étaient centrées sur la perception du véganisme et ont permis de comprendre de quelle manière le mouvement végane était perçu et reçu par le public. Ensuite nous avons constitué un corpus de données tirées d’Internet concernant le véganisme et les marques, mais également se concentrant sur la façon dont les véganes réagissaient sur le web. Ce corpus avait pour objectif de comprendre de quelle manière les marques mettaient en avant le véganisme sur leur site internet et si elles le faisaient, dans quel but c’était. Enfin, nous avons réalisé des entretiens avec trois personnes véganes pour comprendre leurs motivations et la façon dont elles faisaient la promotion du véganisme, notamment sur Internet.
Tout au long de ce dossier, nous avons utilisé le terme « végane » pour désigner, les personnes, mais aussi les pratiques qui se développent autour du véganisme. Nous avons choisi cette orthographe car c’est de cette façon que les principaux dictionnaires (Hachette et Le Robert) orthographient ce terme. Si le terme « vegan » apparait, c’est qu’il est orthographié en anglais et qu’il est utilisé dans une expression anglophone.
1 Du végétarisme au véganisme : le développement d’un mouvement social
Le véganisme s’est développé en tant que mouvement social à partir du moment où les militants ont souhaité étendre le mouvement. La promotion du véganisme résulte de la volonté des adeptes de vouloir faire changer les pratiques contemporaines carnistes en termes de consommation, mais également en vue de protéger la planète. Pour comprendre comment s’est construit ce mouvement, il faut regarder l’histoire du véganisme, étudier les adeptes et le fonctionnement de ce mode de vie et comprendre comment s’est constitué le véganisme en tant que mouvement social.
1.1 L’histoire du véganisme dans un monde carniste
Dès l’Antiquité, la philosophie était vue comme « la mise en application d’un certain idéal de vie »[5]. Cela signifie que l’adoption d’un certain mode de vie ou l’appartenance à une école philosophique dictait les choix en termes d’alimentation et d’habillement. De ce fait, porter des vêtements ou manger des aliments d’origine animale signalait l’adhésion à une école particulière. Ainsi, certains philosophes de l’Antiquité refusaient déjà de porter des vêtements ou consommer des aliments issus de l’exploitation des animaux car ils s’opposaient au mal qui pouvait leur être fait. Par exemple, les philosophes de l’Ecole de Pythagore étaient végétariens, ils refusaient de tuer les animaux pour les consommer. On peut les considérer comme les premiers végétariens. Mais déjà à cette époque, certains avaient un mode de vie végane car ils vivaient en excluant toute forme d’exploitation animale, ils considéraient que la terre pouvait leur donner tout ce dont ils avaient besoin, alors ils ne souhaitaient pas tuer les bêtes car ils ne se considéraient pas comme supérieurs à celles-ci.
Les prémices du véganisme ont donc émergé lors de l’Antiquité avec certaines écoles philosophiques, cependant, avec l’arrivée du christianisme et l’influence progressive de l’Eglise qui soutient le mode de vie carniste en autorisant à manger la chair des animaux, les traces de mode de vie végane sont quasi inexistantes en Occident. L’idéologie carniste est celle qui « conditionne à regarder comme bon, juste, naturel et nécessaire de manger, et plus généralement d’assujettir, les membres de certaines espèces animales »[6]. On peut considérer que le carnisme a triomphé depuis des siècles puisque la servitude des animaux est vue comme une loi universelle. Cependant, à la fin du XVIIIe siècle et pendant le XIXe siècle émergent des pratiques de refus de l’exploitation animale de la part de certains individus. Ces personnes qui pratiquent le véganisme vont se regrouper en communautés et vont vivre en adoptant ce mode de vie particulier. Ainsi, plusieurs communautés véganes vont se développer aux Etats-Unis et en France.
En 1843, Bronson Alcott, sa famille et quelques proches décident de s’installer dans une ferme près de la ville de Boston. Ils vont adopter un mode de vie fondé sur l’autosuffisance. Leur communauté va prendre le nom de « Fruitsland » et va se revendiquer comme végane en excluant tout usage de nourriture d’origine animale mais également de tout produit issu des animaux comme le cuir ou la laine. Cependant, la communauté va s’avérer être un échec en raison des conditions météorologiques avec un hiver très rude, mais également à cause des difficultés en termes d’entente entre les individus.
De même, en France, les anarchistes individualistes Sophia Zaïkowska (1880-1939) et Georges Butaud (1868-1926) fondent une communauté anarchiste et végétalienne en 1911. Louis Rimbault rejoint ce lieu et adopte un mode de vie végane et en 1923, il fonde la « Cité végétalienne Terre libérée » en Touraine. Il souhaite s’affranchir de « tout ce qui vit, tout ce qui est sensible et souffre de l’injustice, de l’iniquité, de l’abus, de la perversion des hommes »[7]. Il met donc en avant des critiques qui étaient déjà formulées dès l’Antiquité, notamment par Héraclite du Pont (IVe siècle avant J.C.). Ce-dernier ne faisaient pas la promotion du véganisme dans son ensemble car adopter un tel mode de vie demande de nombreux sacrifices, mais d’après lui, « dès lors que l’on considère [le fait de tuer un animal]comme une injustice, on ne doit faire usage ni de lait, ni de laine, ni d’œufs, ni de miel. Tu es coupable envers un homme si tu lui dérobes son vêtement ; tu l’es tout autant lorsque tu tonds une brebis, car la laine est le vêtement du mouton »[8] ; il met donc en avant la non exploitation des animaux par l’homme.
Le véganisme est donc une idéologie qui va plus loin que le végétarisme et qui met en lumière les limites du mode de vie végétarien. En effet, le véganisme, contrairement au végétarisme, refuse l’exploitation des animaux, ainsi, les végétariens refusent de tuer des bêtes, mais ils mangent quand même des aliments issus de leur exploitation tels que des œufs ou des produits laitiers. Le Vegetarian Societyfondée en 1847 va donc être créée pour mettre en avant l’exclusion des mauvais traitements et la mise à mort des animaux. Mais certains individus pensent qu’il faut aller plus loin que le végétarisme, tout d’abord en adoptant un régime alimentaire végétalien, en vue, ensuite, de se convertir au mode de vie végane.
Etant donné que la Vegetarian Societyconcentrait ses efforts sur la promotion d’une alimentation excluant la viande, en novembre 1944, Donald Watson, Elsie Shrigley et quelques autres personnes se rencontrent pour former une nouvelle organisation, la Vegan Society. Il faut noter que cette organisation est créée en temps de guerre, ainsi, elle nait dans un contexte de rationalisation des biens alimentaires et cela explique donc pourquoi certaines personnes se sont tournées vers le véganisme.
1.2 Les véganes et le mode de vie végane
De nos jours, le véganisme est un mouvement connu par presque tout le monde, comme le montre notre questionnaire.
Cependant, la pratique du mode de vie végane reste encore très faible, de plus, il existe très peu d’enquêtes sociologiques sur les véganes car la plupart des enquêtes portent sur les pratiques des végétariens. En outre, il faut prendre avec précaution les chiffres issus de ces enquêtes car un grand nombre de personnes se déclarent végétariennes mais ne le sont pas dans les faits. Une étude d’Opinion Way, faite pour la revue TerraEco, met en avant qu’au début de l’année 2016, seulement 3% des Français se déclarent végétariens et 10% envisagent de le devenir. Ce chiffre est relativement faible par rapport à d’autres pays comme l’Italie où 7,1% de personnes se déclarent végétariennes d’après un sondage d’Eurispes réalisé en 2016. Par ailleurs, les personnes véganes sont plus ou moins nombreuses selon les pays, on peut les retrouver en France, en Allemagne, aux Etats-Unis et en Israël par exemple. D’autre part, il existe des liens symboliques entre masculinité et consommation de viande comme le montre de nombreuses analyses et les femmes ont souvent joué un rôle important dans l’histoire de la protection des animaux. Cependant, les enquêtes récentes constatent un équilibre entre les hommes et les femmes qui adoptent le mode de vie végane. Enfin, selon les pays, le niveau d’éducation et le niveau de revenu jouent un rôle plus ou moins marqué dans la tendance à préférer des repas sans produits d’origine animale.
Les véganes, comme les végétariens, ont une aptitude plus marquée à se mettre à la place des autres, et ces personnes travaillent plus souvent dans les milieux associatifs. Les véganes sont sensibles à la cause animale et font la promotion de l’éthique animale. C’est une branche de la philosophie morale qui s’est développée dans les années 1970 et dont les travaux ont pour objectif d’envisager des obligations morales envers les animaux. L’éthique animale se traduit par le refus des souffrances non nécessaires infligées aux animaux. Ils refusent de tuer les bêtes car elles sont capables d’éprouver des sentiments comme la peur, comme en témoignent les vidéos promulguées par les militants véganes qui ont filmé des animaux en situation de stress avant de se faire tuer. Les véganes soutiennent que « les intérêts superflus des êtres humains ne devraient pas l’emporter sur les intérêts vitaux des autres animaux »[9]. Les dires des véganes sont appuyés par des données scientifiques qui montrent que les animaux sont doués de sensibilité. A la différence des végétaux, les animaux accordent une valeur à ce qu’ils subissent, les véganes veulent donc instituer une obligation morale directe envers les animaux afin de les protéger. Le fait de leur accorder une valeur morale ne permet plus de les considérer comme des objets ou de simples choses, désormais ce sont des êtres qui comptent moralement.
Les véganes font donc la promotion de l’éthique animale et mettent en avant un projet abolitionniste concernant l’exploitation des animaux. Ils mettent cela en œuvre dans leurs vie quotidienne en adoptant un mode de vie strict. En effet, les véganes ne mangent aucun produit d’origine animale, c’est-à-dire que la viande, les œufs ou les produits laitiers sont bannis des pratiques alimentaires. De plus, ils n’achètent pas de produits ou d’objets qui ont entrainé une exploitation des animaux, de ce fait, la fourrure, le cuir, mais également le miel ne sont pas consommés par les personnes véganes. Ces-dernières doivent donc acheter des produits dans des lieux spécialisés comme des magasins bio ou dans des rayons « véganes », et ils ne fréquentent que des restaurants ou des commerçants vendant des produits « véganes ». Enfin, les véganes se positionnent aussi contre tous les spectacles impliquant des animaux, ils n’assistent donc pas aux événements qui mettent en scène des animaux tels que les cirques, les corridas ou les zoos.
Mais il faut rappeler que le mode de vie végane est adopté par peu de personnes car il est compliqué à respecter. De plus, certaines études, approuvées par la Vegan Societyont montré que le régime alimentaire des véganes peut parfois être mauvais pour la santé, voire dangereux car certaines vitamines présentes dans la viande par exemple (la vitamine B12), ne se retrouvent dans aucun autre aliment, ainsi les véganes doivent se procurer des compléments alimentaires ou des suppléments de vitamines pour compléter leurs carences. Par ailleurs, le fait d’adopter ce mode de vie peut parfois entrainer une incompréhension chez les proches de la personne végane. Ainsi, ces individus sont quelques fois exclus par les « omnivores » qui ne comprennent pas toujours les raisons pour lesquelles les véganes décident d’adopter ce type de pratique. Certaines enquêtes mettent en avant la solitude des véganes face à l’incompréhension de la société. Cela montre que l’idéologie végane ne s’est pas encore imposée dans les normes sociales.
1.3 Le développement du mouvement et ses enjeux actuels
A partir de 1944, moment où la Vegan Societya été créée, le véganisme a pu s’étendre de façon plus large grâce à l’existence même de cette organisation. A ses débuts, la problématique de la Vegan Societyétait de réussir à exclure totalement de la consommation les produits d’origine animale. L’organisation s’est ainsi focalisée sur la recherche d’aliments permettant de constituer un régime complètement végétalien, par exemple, pour remplacer le lait, les membres fabriquaient des laits d’origine végétale. Les premières réclamations des véganes portent sur la volonté de pouvoir acheter des produits végétaliens en tant de guerre comme en temps de paix. Cette demande de la part des membres de la Vegan Societyva entrainer la création de quelques entreprises comme Plantmilk Society créée en 1956 qui commercialise des laits d’origine végétale. De plus, l’organisation va exposer ses revendications dans The Vegan, une revue qui permet de communiquer les réclamations des véganes et qui fait des reportages et des articles sur le mode de vie végane.
Un large consensus se forme au sein de la communauté végane, notamment autour des objectifs à atteindre, l’établissement d’une communauté de valeur et des revendications communes. Le véganisme s’est développé en tant que mouvement social car la communauté végane a constitué un ensemble de revendications et a mis en œuvre ces réclamations en manifestant et en se détournant des voies institutionnelles classiques. Les revendications des militants véganes sont multiples et concernent principalement le statut des animaux et l’exploitation des animaux par les hommes.
En effet, très vite, les revendications des militants de la société végane ont pour but de mettre fin à la souffrance et à l’abattage des animaux par les hommes. C’est pour cela que l’organisation va préciser la définition du véganisme comme étant « une philosophie et un mode de vie qui cherchent à exclure – dans la mesure du possible et dans la pratique – toute forme d’exploitation et de cruauté envers les animaux à des fins de nourriture, de vêtement ou à toute autre fin ; et par extension, favorise le développement et l’utilisation de produits sans animaux ; des alternatives au bénéfice de l’homme, des animaux et de l’environnement. »[10]. Les véganes soutiennent que les formes que prend l’exploitation animale servent uniquement à la recherche du plaisir et du confort pour les humains et donc que cela doit être abandonné. Ils cherchent à faire du véganisme une approche facilement adoptable et reconnue par le plus grand nombre, dans le but de réduire les souffrances animales mais également humaines, et les dommages environnementaux. Pour cela, les membres de la Vegan Societyproposent d’engager un dialogue pacifique et régulier avec les organisations, les entreprises et l’Etat.
Cependant, concernant l’exploitation animale, les militants de la cause végane souhaitent aller plus loin, c’est-à-dire qu’ils visent, à terme, établir l’égalité entre les animaux et les hommes. Cet argument antispéciste a pour objectif de déconstruire les hiérarchies existantes concernant la classification des animaux et de montrer que ces classements sont arbitraires et portent préjudice aux animaux. Les véganes tentent donc de montrer que les animaux ont des intérêts semblables à ceux des hommes et que cela induit qu’ils doivent avoir des droits égaux. Par exemple, la sensibilité animale est une bonne raison de supposer qu’aucun être n’a intérêt à souffrir, et cela implique donc de ne pas faire subir de dommage, tel que la mort, à un être humain ou non. Ce plaidoyer en faveur de la cause animale met en valeur la volonté d’attribuer des droits en faveur du monde animal. Leurs revendications ont pour objectif de mettre en place un « projet de justice globale »[11]permettant aux animaux de ne plus être exploités par les hommes. Ce but sera peut-être atteint un jour, en attendant, le statut juridique des animaux a été modifié en février 2015 suite à des mobilisations citoyennes et dans les médias. En effet, l’article 515-14 du Code civil qualifie les animaux comme étant « des êtres vivants doués de sensibilité »[12]. Cela permet de montrer que la cause végane est entendue et que les normes et les lois peuvent changer, notamment en faveur des animaux.
Mais les revendications des militants véganes concernent également la stabilité de la race humaine. La conviction des véganes repose sur le fait que les régimes végétaliens peuvent permettre de résoudre la question de l’approvisionnement alimentaire de la population mondiale. Le fait de transformer la nourriture en passant par l’exploitation des animaux met en danger la sécurité alimentaire mondiale. Les questions de la santé mondiale et de l’approvisionnement en nourriture de la planète sont des problématiques actuelles auxquelles les Etats font actuellement face. La cause végane met en avant un problème global qui concerne toute la population mondiale. L’enjeu de « nourrir l’humanité » est essentiel et de nombreux chercheurs montrent que la réduction de la consommation de viande est nécessaire pour pouvoir approvisionner toute l’humanité. De nombreuses études mettent en avant le fait que les modes de consommation (en particulier des Occidentaux) doivent se modifier et se rapprocher d’un régime alimentaire végétalien en vue de préserver la population mondiale.
Enfin, les réclamations des véganes sont d’ordre écologique et environnemental, ce sont les premiers à prendre en main cette question et à considérer que le mode de consommation des hommes ne doit pas contribuer à détruire la planète. En effet, les modes de consommation actuels ont des conséquences graves sur la biodiversité. Les véganes, en adoptant ce style de vie, promeuvent un mode de vie respectueux de l’environnement et moins dangereux pour la planète. C’est pourquoi, la plupart du temps, le mode de vie végane coïncide avec le discours des associations de protection de l’environnement.
2 Véganisme et militantisme
Les répertoires d’action dont dispose la communauté végane sont multiples. Ils visent principalement à dénoncer les conditions de vie et d’élevage des animaux.
2.1 Une communauté active sur le web
Le mouvement et le terme végane se sont sans aucun doute étendus et démocratisés grâce à Internet. Forums, réseaux sociaux, blogs, YouTube : toutes les plateformes sont concernées. La plupart des personnes ayant répondu à notre questionnaire ont d’ailleurs fait ressortir cela, en effet, les réseaux sociaux sont le biais par lequel le véganisme se fait le plus connaitre, la famille et les amis sont également des biais par lesquels le véganisme se fait connaitre car les discussions autour des modes de consommation sont assez fréquentes :
Le véganisme s’est structuré en tant que mouvement social et a permis de rassembler une communauté qui repose sur la colère et le sentiment d’injustice envers l’exploitation animale. Les véganes peuvent parfois se retrouver seuls, dans leur tristesse vis-à-vis des animaux et dans leur colère vis-à-vis des personnes qu’elles voient comme responsables. Leur mode de vie peut aussi les isoler et les mettre en retrait par rapport à la société davantage carniste que nous connaissons aujourd’hui. Les restaurants et la difficulté à trouver des produits véganes isolent toujours plus les adeptes. Le véganisme peut donc amener à un isolement, et à un renfermement de soi à l’écart de la société.
Pour faire face à l’idéologie carniste, les véganes cherchent des interlocuteurs qui pensent la même chose qu’eux et partagent les mêmes idées. Un premier pas a été effectué lors de la création de la marche « Veggie Pride » à Paris en 2001 par des membres des Cahiers antispécistes, événement largement inspirée de « Gay Pride ». On a affaire ici à un premier rassemblement de toutes ces personnes fières de ne pas exploiter les animaux à des fins de consommation.Depuis son lancement, la Veggie Pridea vu ses objectifs évoluer car les préoccupations concernant les animaux ont également changé. Le ton est plus dur et montre la volonté d’imposer le véganisme et de faire pression sur les industriels.
Le nombre de véganes augmentant, une vraie culture commune s’est construite. Et Internet a permis encore davantage de créer ce groupe, pouvant passer du virtuel au réel. Psychologiquement, cette cybercommunauté a de bons effets sur ces membres, et les conforte dans leur manière de se nourrir et de consommer. Ils ont un sentiment d’appartenance, d’appartenir à quelque chose de plus grand que leur simple personne. Ils font partie d’une véritable communauté.
On peut désormais trouver des groupes ou des clubs regroupant les véganes et les personnes qui souhaitent partager leur mode de vie. Ainsi, ils partagent leurs recettes, leurs bons plans, leurs produits du quotidien, leur façon de vivre. Ils se soutiennent, se rencontrent en IRL et par la suite, échangent sur des sujets divers comme les apports nutritionnels des produits d’origine animale et les produits d’origine végétale. Ils remettent parfois en cause les dires de certains nutritionnistes en s’appuyant sur de nouvelles études scientifiques.
Mais certaines personnes, plus influentes que d’autres sur Internet et qui produisent du contenu, ont décidé de se porter garantes et porte-paroles du mouvement végane. Depuis plusieurs années, on peut retrouver des comptes Instagram, YouTube ou des blogs consacrés au mode de vie végane, et à ses bienfaits. À travers des articles, des photos, des vidéos, elles évoquent leur transition vers le véganisme, leurs évolutions, leurs recettes, leurs produits. Cela rend possible la création d’une culture commune qui permet de sortir de l’isolement les véganes qui ne sont pas soutenus par leur entourage. Les écrans créent donc une certaine solidarité.
Les trois instagrammeuses que nous avons eu la chance d’interroger nous ont fait part de leur volonté d’étendre ce mode de vie, « d’inspirer » et de « partager leur vision des choses » aux personnes qui ne sont pas véganes afin qu’elles le deviennent, afin qu’elles sachent que ce mode de vie existe, qu’il est applicable et que cela peut être une option envisageable. Elles créent autour d’elles une véritable communauté, venant de tous les régimes alimentaires avec pour espoir de toucher un maximum de personnes sur leurs pratiques.
La hausse du nombre de véganes et cette construction d’un groupe social avec une culture commune a permis l’émancipation de ces forums et blogs sur le véganisme. Ces-derniers ont également permis l’augmentation des ouvertures de restaurants végétaliens et véganes, de produits véganes dans tous les aspects de la vie comme le cosmétique ou le vestimentaire. On donne plus facilement la parole aux véganes et on fait la promotion de cette alternative de manière beaucoup plus systématique. Cette pratique, en marge, est finalement devenue beaucoup plus familière aux yeux de tous les Français.
2.2 Un militantisme actif : L214 et le procès des abattoirs
Les actions militantes du mouvement végane s’illustrent dans un cas bien particulier : celui des abattoirs. En effet, les véganes qui souhaitent abolir les hiérarchies existantes concernant les animaux n’hésitent pas à se mettre en scène pour diffuser leur message. Ayant pour but de redéfinir l’« économie morale »[13]des sociétés occidentales, les véganes tentent de diaboliser l’élevage pour déconstruire les catégories en place et donner une place égale aux hommes et aux animaux. Pour ce faire, les militants s’appuient sur l’association abolitionniste L214. L’objectif de cette organisation est de dévoiler le scandale des abattoirs afin de faire émerger de la pitié chez le public. Pour cela, l’animal est mis en scène en tant que victime, les hommes qui travaillent dans les abattoirs sont vus comme des tortionnaires et les activistes de la cause végane sont associés à des libérateurs et des bienfaiteurs qui sauvent les animaux de l’atrocité humaine. Les actions militantes de l’association L214 se font en deux temps. Tout d’abord, il y a les militants véganes qui agissent concrètement en pénétrant dans les abattoirs pour filmer la cruauté dans laquelle les animaux vivent, et parfois, ils libèrent les animaux du joug humain. Ensuite, les vidéos sont postées sur Internet par les militants pour dévoiler au grand jour les conditions de vie des animaux dans les abattoirs, mais également dans les porcheries, ou les hangars où sont entassés les animaux.
Les séquences vidéo qui sont diffusées par les militants ont pour but de faire des citoyens des témoins de la situation car les abattoirs sont des lieux très fermés, ils apparaissent comme étant des barrières entre ce qu’il s’y passe réellement et la vie en dehors. Le fait de dévoiler ces images vise à attirer, chez le grand public la pitié, l’indignation et l’émoi. C’est une façon d’étendre la cause végane au-delà du cercle des militants du véganisme. De plus, dans les vidéos diffusées par les activistes de L214, les animaux sont présentés comme des victimes, mais souvent, le plus frappant est la violence humaine qui est présente dans ces lieux. C’est d’ailleurs ce que recherchent les véganes qui filment ce type de séquences, ils tentent d’émouvoir le public en dévoilant la perversion mais surtout la barbarie humaine vis-à-vis des animaux.
Par ailleurs, les militants de l’association cherchent à dénoncer, notamment les personnes qui travaillent dans les abattoirs. Ainsi, le regard du citoyen n’est plus posé sur les animaux victimes, mais sur les hommes qui sont assimilés à des persécuteurs. La médiatisation des séquences vidéo vise à critiquer ces lieux, mais surtout à dénoncer les actions faites par les hommes dans ces lieux et donc à instruire en justice les persécuteurs. En voulant les traduire en justice, les militants veulent montrer que les abattoirs sont des lieux où la violence se fait à destination des animaux, mais aussi des hommes. En effet, les ouvriers des abattoirs travaillent dans des conditions délétères. Les vidéos diffusées mettent aussi en avant cet aspect de la violence morale et sociale auxquelles font face les salariés.
Les abattoirs sont donc des lieux où s’exerce la violence envers les animaux, mais ce sont également des endroits où le travail déshumanise les hommes. Les actions militantes de l’association L214 visent à mettre au grand jour ces conditions de vie et de travail et font le « procès des abattoirs » en dénonçant ces lieux immoraux. Les stratégies de communication des militants sont donc bien spécifiques et sont motivées par une cause clairement définie.
2.3 La mode « végane » : quand les marques utilisent le mouvement pour vendre
On peut sans aucun doute dire que le véganisme s’est étendu et s’est démocratisé grâce à Internet. Le mouvement végane amène à un changement de vie radical, au niveau alimentaire, mais aussi et surtout au niveau du quotidien : cosmétiques, produits d’entretien, vêtements. Leur manière de vivre et donc de consommer sont totalement chamboulées, et ce sont les marques qui le ressentent. On va donc voir, à travers ce mouvement, de réels changements chez les marques déjà existantes. Mais certaines vont se développer en même temps que le mouvement végane. En effet, afin de faciliter ce nouveau mode de vie, certaines marques, comme la marque de barres de céréales Shmay, vont émerger et mettre en avant de nouveaux produits afin de faciliter le quotidien des véganes.
Concernant les marques alimentaires déjà existantes, on peut voir que le challenge est vraiment différent. En effet, des marques, déjà positionnées dans le bio et l’équitable, ont vu leurs produits et leur chiffre d’affaires monter en flèche avec le mouvement. On peut citer Sojasun ou bien Bjorg. Le mouvement a complètement été à leur avantage car ces marques deviennent des marques références et de confiance en raison de leur ancienneté.
Il est plus difficile pour les autres enseignes, qui ne proposent initialement que des produits éloignés de la culture végane, de se familiariser avec ce mouvement. Pourtant, il est essentiel pour certaines de suivre ce changement et de s’orienter vers une production et une gamme de produits plus responsables vis-à-vis des animaux et de leur exploitation, afin de ne pas perdre une grande partie de leurs consommateurs. Des enseignes, comme Carrefour et Monoprix, mais aussi certaines marques réputées pour leurs produits à base de viande, comme Herta et Fleury Michon, ont toutes lancé leurs lignes « veggie » afin de ne pas voir leur popularité baisser en flèche. McDonald’s a également lancé sa gamme fast-food veggie afin de ne pas perdre ces adeptes et de toucher un public plus large.
Selon la société d’études de marché Mintel, l’appellation « vegan» sur les cosmétiques aurait augmenté de 100 % en Europe en 2017. The Body Shop a été l’une des premières marques à forger sa réputation grâce à des alternatives aux produits testés sur les animaux, et cela dès 1989. Une rubrique « vegan » existe sur leur site et on trouve de nombreux indices de leur engagement, comme des pétitions pour les animaux. Leur communication est fondée sur la protection des animaux, ce qui en fait une marque qui a pu profiter de ce changement de mentalité chez les consommateurs français. Mais cette marque se fait suivre de près. En effet, L’Oréal Group va racheter Logocos Naturkosmetik, une marque exclusivement bio et végane. À travers cela, le groupe s’agrandit et propose une gamme de produits variés, accessible à tous, et aussi de plus en plus naturels comme en témoigne la gamme « Source professionnelle ».
Dans le domaine du textile, on peut citer la marque DocMartens qui a sorti sa collection « Vegan-friendly » avec un cuir végane. L’objectif est de garder l’élégance et le cachet de cette marque mythique, en enlevant la cruauté animale.
Cependant, au regard de tout cela, aucune marque déjà existante n’a supprimé de sa production les produits non-véganes. Aucune marque n’est devenue totalement équitable ou biologique. Les marques se sont contentées de créer et de s’adapter à un nouveau type de public. Elles se sont contentées de proposer de nouveaux produits, afin de ne pas perdre leur clientèle récemment devenue végane. Les marques cherchent à plaire à tous, au plus grand nombre, sans modifier la ligne de production et sans réellement prendre en considération les problèmes soulevés par les véganes. La communication des produits véganes n’est pas centrale chez ces marques naissantes dans ce milieu. Elles privilégient leurs produits phares. De même, les différents sites et réseaux sociaux ne sont pas axés sur leurs nouveaux produits véganes, qui font surtout le bonheur des concernés.
3 Quel visage du véganisme sur les réseaux sociaux et dans les médias ?
Les médias et les réseaux sociaux jouent un rôle très important dans la montée du mouvement végane. Même si le véganisme s’est constitué en tant qu’organisation au milieu du XXe siècle, il s’est popularisé, notamment grâce à Internet, dans les années 2010.
3.1 Les médias traditionnels : entre culture du scandale et soutien
Les médias dits « traditionnels » comme la presse ou la télévision, possèdent des publics plutôt ciblés. En effet, les pratiques culturelles et informationnelles ne sont pas les mêmes chez toutes les classes sociales. Les non-diplômés passent en moyenne 27h par semaine devant la télévision tandis que les diplômés du supérieur égal ou supérieur à bac +3 passent 13h devant la télévision. De plus, l’âge a également son importance. Les jeunes générations se sont beaucoup éloignés de la télévision, et se sont tournés vers les « nouveaux écrans ». On a donc à faire à un public âgé, non diplômé et plutôt rural, avec un rapport distant à la politique.
Les premiers écrits et les premiers reportages des médias traditionnels sur le véganisme, dans cette société carniste, ont d’abord été désobligeants et moqueurs. Encore plus extrême que le végétarisme, il était d’autant plus incompris.
Mais depuis les années 2010, les articles sur le véganisme se multiplient dans les médias traditionnels. On observe qu’une place est faite dans les médias en faveur des militants de la cause animale. On peut citer un article publié le 3 novembre 2016 sur la version en ligne du Monde. L’article porte sur des vaches tuées avec leur fœtus, il est alimenté de photos issues d’une vidéo filmée par un ouvrier de l’abattoir et par des témoignages de militants. Cet article met en avant la cruauté présente dans les abattoirs et la barbarie qui se fait en toute légalité, mais l’auteur de l’article semble surtout soutenir le mouvement. Les médias participent donc au processus de dévoilement de la violence présente dans les abattoirs, et certains médias font même part de leur soutien.
Désormais, grâce à Internet et à la hausse de membres au sein de la communauté, on trouve davantage intérêt à cette pratique que de plus en plus de Français choisissent d’adopter. De ce fait, BFM TV, Zone interdite, les magazines féminins comme ELLE, se penchent sur ce choix de vie, qui attise la curiosité. La neutralité sur le véganisme est présente depuis les années 2010 avec la multiplication d’articles à ce sujet et on observe une place faite dans les médias en faveur des militants de la cause animale.
Le soutien est progressif mais reste à nuancer. En effet, pour illustrer cela, on peut prendre l’exemple des vidéos dénonçant les conditions d’abattage des animaux. Les médias traditionnels poursuivent le travail de dévoilement entamé par les militants de la cause végane, mais à l’exception de quelques articles comme celui cité précédemment, les médias ne dévoilent pas ces images dans une logique de soutien, mais au contraire, on peut assimiler ces pratiques médiatiques à des pratiques de presse à scandale. Mais finalement, les médias, en diffusant ces vidéos, participent à la production d’un sentiment de pitié envers les animaux, mais en plus, ils permettent de politiser ce sentiment car ces vidéos ont un impact sur la politique et les politiques eux-mêmes.
Enfin, les dernières manifestations véganes, relayée par les médias ont montré un visage différent du véganisme et de ces membres. Toujours à la recherche du spectaculaire et du « trash », les dégradations de devantures de boucheries dans les grandes villes françaises se sont retrouvés en première page de tous les journaux et de tous les journaux télévisés. L’opinion publique en a forcément été impactée. Ces images montrent un visage plus revendicateur, davantage en colère, plus violent, laissant parler une volonté de soumettre la population à leur mode de vie, plutôt que de le suggérer. Le but de ces violences était donc de se faire couvrir par les médias.
3.2 Internet et les réseaux sociaux : entre bienveillance et violence
Le public sur Internet est radicalement différent de celui des médias plus traditionnels. En effet, ceux qui passent le moins de temps devant la télévision sont ceux qui passent le plus de temps sur les « nouveaux écrans ». Les nouveaux écrans, comme les tablettes et les smartphones sont les nouvelles plateformes d’informations des jeunes générations et des diplômés du supérieur. C’est donc un public jeune, diplômé et plutôt urbain qui se présente ici.
Les véganes, sur Internet, sont leurs propres porte-paroles et leurs propres producteurs d’informations. Ce qui permet de contrer l’image plutôt néfaste que peuvent porter les médias classiques depuis quelques années.
La démarche initiale de ces véganes était de faire réagir, à travers des partages de photos, vidéos, publicités provocantes sur l’extermination des animaux dans les abattoirs notamment. Il s’agissait de faire réagir les internautes, avec un message plutôt accusateur et moralisant. Cependant, à travers les réseaux sociaux comme Instagram ou YouTube, l’image est primordiale et le véganisme s’est doucement associé à une vision apaisée et saine de la vie quotidienne. Les porte-paroles du mouvement sur Internet, ou les influenceurs, montrent un visage bienveillant, sain, d’esprit et de corps. Le véganisme est représenté comme un idéaltype à suivre, une perfection en termes de choix de vie et de quotidien. On cherche davantage à montrer les bienfaits de l’alimentation et du mode de vie végane, plutôt que les désagréments d’un mode de vie omnivore. Les véganes, au-delà de leur mode de vie sain, écologique et équitable, souhaitent que leur communication leur ressemble.
Le véganisme est souvent associé à d’autres pratiques comme la méditation, le yoga, des activités lointaines de la violence et du jugement. Ils cherchent à rétablir une certaine vérité sur leur façon de vivre et de penser, loin de ce que les médias cherchent à faire passer comme message. On peut citer plusieurs YouTubeuses comme Georgia Horackova, ou bien Lloyd Lang qui véhiculent des recettes et des vidéos sur les bienfaits d’une alimentation et d’un quotidien végane. Sur Instagram aussi, on peut citer @impensablespensees alias Fiona, qui parle de féminisme, de body positivisme, et de véganisme engagé.
Le véganisme est mis en avant par la majorité des militants comme un mouvement pacifiste qui veut se faire entendre et qui communique dans le but de mettre en avant les valeurs véganes. Cependant, certains militants tiennent des propos extrémistes et préfèrent utiliser des actions violentes pour imposer le véganisme à toute la société. Pour illustrer cela, on peut citer un post d’une militante végane qui s’est réjouie de la mort du boucher d’un supermarché lors des attentats de Trèbes et Carcassonne, début 2018. En effet, cette dernière a affirmé qu’elle avait « zéro compassion pour lui » et également qu’il « y a quand même une justice ». Ces propos mettent en valeur la haine qui existe chez les véganes à l’égard de la société carniste.
L’idée de la violence utilisée par les véganes pour promouvoir le véganisme s’est également illustrée dans notre questionnaire. Les termes « extrêmes » et « extrémistes » sont très régulièrement revenus. Ces actions choc, qui ont pour but de faire parler, sont une mine d’or pour la télévision et la presse. Cependant, elle ne va peut-être pas dans le sens de ce que veut faire véhiculer le véganisme. Le mouvement parait donc extrême et violent, du point de vue des médias classiques et sur une partie du web. Cependant, les véganes, propres producteurs de contenus sur Internet, essayent de contrer cette vision négative et de faire valoir la bienveillance.
Cependant, sur Internet, tous les individus sont porteurs de contenus, et donc les personnes se portant contre le mouvement, les anti-véganes, sont également présents. Ils ont créé certains sites afin de promouvoir la nuisance de cette pratique en termes de santé mais aussi la nuisance des actes des militants véganes. En effet, Internet est un lieu privilégié pour ceux qui recherchent des informations plus extrémistes que celles des médias traditionnels. On trouve donc sur Internet, des sites, des forums et des groupes « anti-vegans » qui soulignent les dangers en termes de santé, la violence des adhérents du mouvement végane mais surtout la liberté de pouvoir manger ce que l’on souhaite. On peut citer parmi eux le groupe « Anti Vegan » sur Facebook, mais aussi le site no-vegan.com.
Conclusion
Ainsi, la communauté végane, comme tout mouvement social, est guidée par la colère et la volonté de se faire entendre. Les stratégies de communication des véganes sont multiples et ont pour objectif de faire la promotion du véganisme. Ce-dernier s’est développé dès l’Antiquité avec certains philosophes, puis à partir du XIXe siècle, quelques communautés véganes se sont constituées en Occident, elles représentent la volonté de mettre fin à toute forme d’exploitation des animaux par les hommes. La création de la Vegetarian Societyau XIXe siècle, puis de la Vegan Societyaprès la Seconde Guerre mondiale permettent de souligner une attitude minoritaire mais persistante qui consiste à éradiquer l’exploitation des animaux, et à mettre en avant leur émancipation. Les revendications des véganes sont multiples, elles concernent les conditions de vie des animaux, les conséquences en termes de nourriture pour l’humanité et l’écologie. Les enjeux actuels du véganisme permettent de comprendre les manières de communiquer des militants et montrent que le mouvement utilise des méthodes spécifiques pour se faire connaitre.
Les véganes adoptent des stratégies similaires aux autres mouvements sociaux pour se faire entendre, on peut par exemple citer les manifestations (Veggie Pride). Mais les stratégies de communication des véganes peuvent aussi être singulières. C’est notamment le cas concernant les vidéos filmées dans les abattoirs ou les lieux où sont exploités les animaux. Les séquences vidéo visent à mettre au grand jour l’horreur des lieux où sont exploitées les bêtes, elles ont également pour objectif de dénoncer les pratiques utilisées par les industriels pour tuer à moindre coût. Cette façon de communiquer est spécifique au mouvement végane, c’est une manière de se démarquer. Les citoyens, pris pour témoins, sont souvent choqués par les vidéos mises en ligne et relayées dans les médias. Cette façon de communiquer et de diffuser l’information fait la force du mouvement végane. Le fait de prendre à partie le public pour en faire un témoin est une stratégie qui permet aux activistes véganes de se faire entendre.
La cause végane est relatée et même relayée par les médias traditionnels. C’est une manière de donner de la visibilité aux actions des militants véganes. Mais les stratégies de communication du mouvement sont principalement visibles sur Internet et les réseaux sociaux qui jouent un rôle majeur dans la communication végane. Les réseaux sociaux permettent de former une solidarité entre les membres, mais ce sont aussi des biais par lesquels les véganes font la promotion du véganisme. La communication peut se faire de manière brutale avec des pratiques comme les dégradations ou le vandalisme. Mais la promotion du mouvement peut également se faire de façon apaisée, c’est d’ailleurs la manière adoptée par la majorité de la communauté végane qui souhaite diffuser le message de façon pacifiste. Le message végane a donc un double objectif : promouvoir le mouvement et à terme, faire changer les normes pour réduire l’exploitation animale.
Bibliographie
Ouvrages :
- Valéry GIROUX et Renan LARUE, Le Véganisme, Paris, Presses Universitaires de France, Que sais-je ?, 2017, 128 pages. (https://www-cairn-info-s.fennec.u-pem.fr/le-veganisme–9782130749479.htm)
- Thomas LEPELTIER, La Révolution végétarienne, Auxerre, Sciences Humaines Eds, Collection Accent Aigu, 2013 176 pages.
- Erik NEVEU, Sociologie des mouvements sociaux, Paris, La Découverte, Repères, 2015, page 5. (https://www-cairn-info-s.fennec.u-pem.fr/sociologie-des-mouvements-sociaux–9782707185303.htm)
Articles :
- Arnaud BAUBEROT, « Aux sources de l’écologisme anarchiste : Louis Rimbault et les communautés végétaliennes en France dans la première moitié du XXe siècle », Le mouvement social, 2014/1, n°246, pages 63 à 74. (https://www.cairn.info/revue-le-mouvement-social-2014-1-page-63.htm)
- Audrey GARRIC, « De nouvelles vidéos-chocs dénoncent l’abattage des vaches avec leur fœtus », Le Monde, 3 novembre 2016. (https://www.lemonde.fr/planete/article/2016/11/03/de-nouvelles-videos-choc-denoncent-l-abattage-de-vaches-gestantes-a-limoges_5024506_3244.html)
- Sébastien MOURET, « Le Véganisme. La construction de l’élevage comme nouvel intolérable moral », Pour, 2016/3, n°231, pages 101 à 107. (https://www-cairn-info-s.fennec.u-pem.fr/revue-pour-2016-3-page-101.htm)
- Fabien TRECOURT, « Devenir Végane », Sciences Humaines, 2017/1 (n°288), page 35. (https://www-cairn-info-s.fennec.u-pem.fr/magazine-sciences-humaines-2017-1-page-35.htm)
Sitographie :
- Code civil – Article 515-14[En ligne], Légifrance.gouv, 16 février 2015, [Consulté le 26 janvier 2019]. URL: https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006070721&idArticle=LEGIARTI000030250342
- Les pratiques alimentaires d’aujourd’hui et de demain. Un consommateur impliqué à la recherche du « mieux manger » au juste prix.[En ligne], Harris-interactive, 6 février 2017, [Consulté le 20 janvier 2019]. URL : http://harris-interactive.fr/wp-content/uploads/sites/6/2017/02/Rapport-Alimentation-HI-SITE.pdf?utm_source=Association+L214&utm_campaign=6695331456-EMAIL_CAMPAIGN_2017_09_28&utm_medium=email&utm_term=0_2859894380-6695331456-195262545
- L214 Ethique et société[En ligne], [Consulté le 27 janvier 2019]. URL : https://www.l214.com
- Régime juridique de l’animal[En ligne], La Fondation Droit Animal. Ethique et Science, [Consulté le 26 janvier 2019]. URL : http://www.fondation-droit-animal.org/impacts/regime-juridique-de-lanimal/
- 70 years of The Vegan Society, [En ligne], The Vegan Society, [Consulté le 26 janvier 2019]. URL: https://www.vegansociety.com/sites/default/files/uploads/Ripened%20by%20human%20determination.pd
Annexes
Lien : Questionnaire sur la réception
https://docs.google.com/forms/d/13eTNMmSMS49SrTqJyW34MnIT01Tp1P4TaHUgcRFlgB4/viewanalytics
[1]Valéry GIROUX et Renan LARUE, Le Véganisme, Paris, Presses Universitaires de France, Que sais-je ?, 2017, page 5.
[2]Erik NEVEU, Sociologie des mouvements sociaux, Paris, La Découverte, Repères, 2015, page 5.
[3]Valéry GIROUX et Renan LARUE, Le Véganisme, Paris, Presses Universitaires de France, Que sais-je ?, 2017, page 33.
[4]Valéry GIROUX et Renan LARUE, Le Véganisme, Paris, Presses Universitaires de France, Que sais-je ?, 2017, page 37.
[5]Pierre HADOT, Qu’est ce que la philosophie antique ?, Paris, Gallimard, 1995, page 18 In .Valéry GIROUX et Renan LARUE, Le Véganisme, Paris, Presses Universitaires de France, Que sais-je ?, 2017, page 38.
[6]Valéry GIROUX et Renan LARUE, Le Véganisme, Paris, Presses Universitaires de France, Que sais-je ?, 2017, page 9.
[7]Arnaud BAUBEROT, « Aux sources de l’écologisme anarchiste : Louis Rimbault et les communautés végétaliennes en France dans la première moitié du XXe siècle », Le mouvement social, 2014/1, n°246, page 72.
[8]Cité par Porphyre de Tyr, De l’abstinence,I, 21, trad. J. BOUFFARTIGUE, Paris, Les Belles Lettres, 1977-1995 In. Valéry GIROUX et Renan LARUE, Le Véganisme, Paris, Presses Universitaires de France, Que sais-je ?, 2017, page 42.
[9]Valéry GIROUX et Renan LARUE, Le Véganisme, Paris, Presses Universitaires de France, Que sais-je ?, 2017, page 55.
[10]70 years of The Vegan Society, [En ligne], The Vegan Society, [Consulté le 26 janvier 2019]. https://www.vegansociety.com/sites/default/files/uploads/Ripened%20by%20human%20determination.pdf
[11]Valéry GIROUX et Renan LARUE, Le Véganisme, Paris, Presses Universitaires de France, Que sais-je ?, 2017, page 115.
[12]Code civil – Article 515-14[En ligne], Légifrance.gouv, 16 février 2015, [Consulté le 26 janvier 2019]. https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006070721&idArticle=LEGIARTI000030250342
[13]Sébastien MOURET, « Le Véganisme. La construction de l’élevage comme nouvel intolérable moral », Pour, 2016/3, n°231, page 101. (https://www-cairn-info-s.fennec.u-pem.fr/revue-pour-2016-3-page-101.htm)