Par Marion COCOTIER et Hakim EL KHARTI, M1 Culture et Métiers du Web, 2018-2019
Introduction :
Mesdames, vous êtes vous déjà abstenues de vous mettre en topless à la plage à cause de regards un peu trop insistants de la part de nos homologues masculins ? Et, vous êtes vous déjà obligées de ne pas porter, le soir ou en vacances, une tenue jugée « un peu trop courte » par crainte de vous faire harceler par le premier groupe d’hommes croisé ?
C’est sur cette série de questions que nous souhaitions introduire le sujet du Hashtag #FreeTheNipples. En effet, ces questions semblaient anodines il y a quelques années. Il paraissait normal pour une femme, d’éviter de dévoiler son corps par crainte du regard des hommes. Ainsi, les femmes n’avaient pas pour habitude de remettre ces attitudes en cause.
Cependant, depuis l’avènement d’internet et l’abolition des frontières de l’information, les femmes s’insurgent ensemble et remettent en cause leurs conditions au sein de la société. L’avènement d’internet a permis de changer les usages de la communication et d’utiliser des plateformes tel que Instagram pour faire entendre les voix féminines.
Les médias ont assurément facilité la prise de parole des femmes. Par exemple, le hashtag #Metoo qui est un mouvement contre le harcèlement sexuel et les agressions sexuelles a permis la libération de la parole des femmes tout autour du globe (lancée par Google, la carte interactive « Me Too Rising » permet de visualiser l’ampleur de cette vague à l’échelle planétaire. Nous constatons ainsi que de Paris à Téhéran, presque tous les pays et villes se sentent concernés par ce mouvement.)
Le mouvement a commencé à se propager de manière virale en octobre 2017 sous forme de hashtag sur les réseaux sociaux, dans le but de démontrer la prévalence généralisée des agressions sexuelles et du harcèlement, en particulier sur le lieu de travail. Il a fait suite à des allégations d’abus sexuel contre Harvey Weinstein. Ce mouvement féministe a permis également de mettre en lumière le mouvement #FreeTheNipples apparu en 2012, qui a jouit d’une moins grosse vague de popularité autour du globe mais s’offre une seconde vie par le mouvement #Metoo.
« Est-il dangereux d’être belle ? », « Une femme, ça se mate ? », « Les hommes ont-ils peur de la puissance des femmes ? », « Le monde avant #MeToo » de Agnès Grossmann constate et questionne sur l’image de la femme véhiculée à travers la pop culture lors des décennies précédentes, qu’il s’agisse d’affiches et spots publicitaires, de films ou séries. Elle revient finalement sur l’objectivation féminine et sa réception avant le bouleversement de la nouvelle vague féministe.
La notion d’objectivation sexuelle est une notion centrale du féminisme contemporain. L’objectivation sexuelle survient quand une personne est considérée, évaluée, réduite, et/ou traitée comme un simple corps par autrui.
Dans les années 2012-2013 « FreeTheNipple » (ou « LibèreLeTéton ») faisait son apparition mais de manière plus discrète en occident. A la fois un film, un mouvement égalitaire et une mission pour valoriser l’image du corps de la femme dans le monde, cette campagne met en relief la convention générale qui autorise les hommes à apparaître torse nu en public tandis qu’il est considéré comme indécent pour les femmes de faire de même. Ce mouvement soutient qu’il devrait être légalement et culturellement acceptable pour la femme de montrer ses tétons en public. Tout comme #Metoo, ce mouvement traite ainsi de l’objectivation féminine qui subsiste dans notre société.
Car en effet, même si L’avènement d’internet a permis de changer nos usages de la communication, les médias ont également répété de nombreuses erreurs symboles du patriarcat. Par exemple, Sur Instagram (mais aussi sur Facebook et sur YouTube), les corps des femmes ne sont pas les bienvenus. En effet, les torses nus des hommes ne posent pas de problèmes à ces plateformes tandis que les tétons de femmes n’y sont pas autorisés.
Dans un paysage médiatique pluriel, mouvant où l’actualité est à la diversification et à la dématérialisation des supports, la multiplication des médias induit de nouvelle formes d’objectivation féminine qui méritent d’être mise en lumière.
A travers ce dossier nous passerons en revue ce qui nous semble être les origines de l’objectivation féminine, comment en sommes-nous arrivés à une société patriarcale et enfin l’émergence d’une quatrième vague féministe caractérisé par la création de mouvements viraux tel que Free The Nipples. Nous terminerons ainsi sur la réception de cette 4ème vague dans notre société contemporaine et la réflexion de deux modèles de femme qui se considèrent féministes.
1 ] Du mythe d’Adam et Eve…
a.1) Dieu créa l’Homme : Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance.
Depuis les débuts de l’humanité, nous constatons une différence notable entre hommes et femmes : anatomique ou physiologique, l’Homme est confronté à une « donnée biologique élémentaire » ou « substrat biologique », « qui ne peut pas ne pas être le même de toute éternité » selon Françoise Héritier, anthropologue sur la domination masculine. Cependant, ces différences ne sont que des données objectives, des faits qui ne sont pas dotées de valeurs et donc n’expliquent en rien la sexualisation du corps féminin. En effet, d’après François Héritier, la valeur et ce que nous appelons le « masculin » et le « féminin » relèvent du regard que porte l’humanité sur le rapport des sexes et des explications qu’elle donne de cette dualité.
Nous nous demandons ainsi comment notre perception du corps a t-elle menée à une objectivation sexuelle des femmes?
L’objectification sexuelle est une pratique dans laquelle le partenaire est réduit à un instrument (objet) de plaisir sexuel ou érotique. L’individu soumis peut être également considéré comme un objet de satisfaction sexuelle ou considéré comme sexuellement attirant. L’objectification est généralement une attitude qu’adopte un individu envers un autre qu’il considère comme un simple objet et qui peut plus ou moins se soucier de ce qu’il ressent.
Il est intéressant de revenir aux origines de l’humanité et comment des données objectives ont influencé la perception du corps féminin.
Selon Sha, une jeune strip-teaseuse de 25 ans, les origines de l’objectivation féminine remonteraient aux textes fondateurs :
« Selon moi cela ne date pas d’aujourd’hui car quand on regarde à travers l’histoire des hommes préhistoriques on se rend bien compte qu’il existait déjà une catégorisation entre les occupations des femmes et des hommes. L’homme allait à la chasse et la femme s’occupait des enfants. Et malheureusement, ça a toujours été vu de cette manière, encore aujourd’hui. Et comme nous sommes l’être capable de donner la vie, nous devons nous occuper de l’enfant. Selon moi les mythes et l’histoire ont participé à cette image de la femme. Le mythe d’Adam et Eve est très intéressant car on a eu tendance à mettre l’homme en avant à travers l’histoire alors que Ève est la femme qui domine la situation de ce mythe, qui exécute toute l’action et qui finalement a permis la naissance du monde. Seulement, la vision de l’homme a perverti l’image de Eve et lui a conféré ce symbole de la tentation. »
Le mythe d’Adam et Eve : les origines de la sexualisation du corps féminin ?
« Cinquante lignes : telle est la modeste place qu’occupe l’histoire d’Adam et Ève dans la Bible. Pourtant, rien n’a plus durablement influencé notre conception des origines de l’homme. »
Stephen Greenblatt
Parmi nos mythes fondateurs, l’histoire d’Adam et Eve est l’exemple le plus intéressant qui nous permet de démontrer comment nous avons façonné notre façon de penser autour de la femme. Dans notre conscience collective, Adam et Eve représentent les premiers Êtres humains et sont la base de notre société.
Selon Stephen Greenblatt, universitaire américain, critique littéraire et théoricien de la littérature, l’histoire d’Adam et Eve il est intéressant de voir comment les hommes s’approprient et transforment les récits mythologiques. Stephen Greenblatt souligne des différences importantes entre ces récits : dans la légende mésopotamienne, les humains ne sont pas jugés moralement pour ce qu’ils font alors que, dans la Genèse, ils sont responsables de leurs actions et de leur désastre. Pour Saint Augustin, l’un des quatre Pères de l’Eglise latine, le corps serait au principe même du mal. Saint Augustin est le penseur à qui l’on attribue la tradition chrétienne de détestation du corps, du rejet de la sexualité terrestre et tout naturellement de la nudité, source de tentation et symbole de la sexualité. Au-delà de sa dimension religieuse, la transgression d’Eve devenait « une donnée anthropologique », voire « une caractéristique biologique » : « Tous les maux de l’existence trouvaient leur origine dans le geste d’Eve, et ses descendantes en portaient la souillure. »
Ainsi, Eve, par la symbolique de son corps et de ce qu’elle est (une femme), reste alors dans notre conscience collective aujourd’hui le symbole du péché originel et celle qui a fauté par la tentation, la séduction.
De plus, en reprenant l’analyse de Françoise Héritier sur la domination masculine, la valeur ajoutée du regard masculin sur les textes fondateurs aurait apporté l’objectivation sexuelle de la femme. Ainsi, nous estimons que le mythe fondateur n’aurait pas de valeur à la base mais le regard et l’interprétation que nous lui portons lui confère l’idée que Eve, une femme représente la transgression par son corps.
Il est clair depuis l’entretien avec Sha que ce mythe fondateur a une place importante et intéressante dans notre perception du corps féminin. Sha dénote d’ailleurs toute la problématique de cette conscience collective :
« Pour moi aujourd’hui le problème est la généralisation. Penser que toutes les femmes sont comme ci ou comme ça parce que des hommes l’ont pensé ainsi est une erreur, nous sommes toute différentes »
L’objectivation féminine dépendrait ainsi du regard de l’homme, et sous entend donc que l’homme se place au dessus de la femme (car il serait moins faible et moins apte à la tentation). Cette forme d’objectivation porte le nom de Male gaze.
Une domination masculine : la société patriarcale instaurée.
L’objectivation sexuelle du corps féminin subsiste dans le temps et de nos jours elle est devenu un puissant outil du patriarcat.
Mais qu’est ce que le patriarcat ?
« Le patriarcat est une forme d’organisation sociale et juridique. L’homme a pour tâche d’alimenter en nourriture et argent, de protéger la famille et toutes les fonctions sociales en dehors de l’organisation du foyer. La femme a pour tâche l’éducation des enfants et l’organisation interne du foyer. Les rôles ne sont pas interchangeables. »
Une société est alors patriarcale lorsque l’autorité est détenue par les hommes. Il est important alors de se demander comment l’objectivation sexuelle est devenue aujourd’hui un outil du patriarcat. De nos jours, le terme “patriarcat” est connu de tous et est devenu l’une des problématiques du siècle qui englobe l’objectivation sexuelle des femmes. En effet, les femmes remettent leurs conditions en cause au quotidien.
Selon Dworkin et MacKinnon, deux anti-pornographie radicales féministes, la consommation de pornographie par les hommes est responsable de l’objectivation des femmes et de leur statut inférieur dans la société. Mais finalement, quel est le lien entre les mythes fondateurs et la pornographie d’aujourd’hui? L’image que l’on donne du corps féminin à travers le regard masculin (male gaze).
Selon elles, la définition de « pornographie » est plus large que nous l’entendons, puisque, la pornographie est « la subordination graphique, sexuellement explicite, des femmes au moyen d’images et/ou de mots » . Ainsi, tout comme les mythes fondateurs, la pornographie serait porteuse d’idées sur le corps féminin au travers du regard masculin. L’homme utiliserait le corps féminin comme outil sexuel.
Et toujours d’après l’analyse de Françoise Héritier, si nous suivons l’idée que l’image du corps ne dépend que de notre vision et des valeurs que nous lui apportons, il est important de montrer que le coeur du problème n’est pas la pornographie en elle-même mais plutôt le regard que l’homme lui confère. D’après nous, la pornographie n’est que le reflet de notre culture patriarcale et ainsi les désirs de l’homme se placent directement à travers le corps de la femme, la tentation lors de la production d’image pornographique. La pornographie est sûrement l’exemple le plus intéressant car elle nous montre les conséquences de l’objectivation des femmes.
De plus, il est important de noter que dans nos sociétés les femmes sont plus souvent associées à leur corps que les hommes, et plus souvent évaluées en fonction de leur apparence. Quelles que soient leurs personnalités, les femmes sont perçues avant tout comme des corps conçus pour plaire et exciter le regard de l’homme.
a.2) Et Dieu… créa la femme :
D’après Mathilde Larrère, historienne française spécialiste des mouvements révolutionnaires et du maintien de l’ordre en France au XIXᵉ siècle :
« Les publicités nous montrent des femmes forcément jeunes, belles, avec des poitrines rebondies et qui finalement ne sont là que pour réifier le corps des femmes et en faire un objet de désir pour les hommes. Pour moi c’est nier en revanche qu’on autorise les hommes à se mettre torse nu quand il fait chaud mais qu’on considère qu’une femme n’a pas le droit de le faire parce que ses seins sont des objets de désir pour l’homme […] Je ne comprends pas aussi le problème soulevé par les femmes qui allaitent en public; en effet, dans ce cas précis elles ne montrent généralement pas leurs seins. Ce n’est donc pas seulement un objet de désir absolu et unique . Il faut trouver un point d’équilibre entre les deux, point à venir certainement sur le long terme. »
On comprend ainsi à travers ces quelques lignes le conflit qui existe et perdure à travers le corps de la femme : la frontière entre la maternité et le désir semble toujours flou, même aujourd’hui.
“Cachez ce sein que je ne saurais voir”
Dans le corps féminin, nous nous pencherons plus particulièrement sur le sein qui serait alors un élément synonyme de désir sexuel (et plus particulièrement le téton). Il oscille entre un rôle maternel et un rôle sexuel. En effet, Sigmund Freud met en avant cette théorie dans son oeuvre Trois essais sur la théorie sexuelle (1905) :
« Le commerce de l’enfant avec la personne qui le soigne est pour lui une source continuelle d’excitation sexuelle et de satisfaction partant des zones érogènes, d’autant plus que cette dernière – qui, en définitive, est en règle générale la mère – fait don à l’enfant de sentiments issus de sa propre vie sexuelle, le caresse, l’embrasse et le berce, et le prend tout à fait clairement comme substitut d’un objet sexuel à part entière. La mère serait probablement effrayée si on lui expliquait qu’avec toutes ses marques de tendresse elle éveille la pulsion sexuelle de son enfant et prépare son intensité future. »
Selon Freud, les pulsions sexuelles commencent ainsi dès le plus jeune âge et débutent par la tété. Le sein devient alors l’outil de cette pulsion première. La femme joue donc un rôle maternel et le sein nourricier est pour l’enfant le premier objet érotique, l’amour apparaît avec la satisfaction du besoin de nourriture.
Encore une fois, le corps de la femme est réduit à une utilisation et donc à un outil. Ainsi l’esprit et la personnalité de la femme ne sont pas reconnus, seul le corps compte dans cette analyse. Nous supposons alors que dès le plus jeune âge nous apprenons aux nourrissons à fragmenter les femmes : leur corps (outil du désir et des pulsions sexuelles) est séparé de leur personnalité.
Ce paradoxe de la femme mère – femme objet de désir est notamment visible dans ses représentations à travers l’histoire de l’art. L’histoire des arts nous permet de retracer et de comprendre l’image des femmes à travers les âges. Maternel ou sensuel, le sein est le sujet le plus représenté dans l’histoire de l’art. Symbole sans conteste de la femme dans l’imaginaire européen.
Par exemple, dans l’oeuvre La Vierge et l’enfant entourés d’anges, de Jean Fouquet, l’artiste représente la vierge sous les traits d’une maîtresse royale: Agnès Sorel. La Mère tient son fils à distance, le peintre ne souhaitant visiblement pas marqué le lien maternel. On comprend alors qu’en dépit d’une représentation religieuse de la Vierge qui tient son enfant Jésus, ici est représenté une “femme de joie”, la maîtresse du Roi (et il est important de noter que “femme de joie” n’est malheureusement pas bien vu dans la société et s’arrête à une vision dégradante). Et évidemment la représentation d’un sein visible et placé au centre de l’oeuvre symbolisant le paradoxe de femme-mère et femme-objet de désir dans sa représentation de l’allaitement et de maîtresse.
Des Vénus, (Millo, Willendorf, Lespugue etc…) symboles de fécondité qui nous permettent également de retracer les standards de beautés féminin, à Orlan ou Valie Export qui utilisent leurs corps pour revendiquer des droits (art féministe), le corps féminin représente depuis toujours un paradoxe entre la femme-mère et la femme-objet de désir. Le corps de la femme semble depuis toujours interpellé et devient alors un outil de “vente” dans l’art mais aussi dans la communication aujourd’hui. Les annonceurs n’hésitent pas à utiliser le corps des femmes dans les médias afin de captiver l’attention. En conséquence, il arrive très souvent que l’objectivation féminine se produise fréquemment dans les médias et plus particulièrement dans la mode et les parfums :
Tom Ford comprend plus que quiconque que le sexe va vendre. Ainsi, de nombreuses campagnes de Tom Ford transpirent la sexualité ; par exemple pour son label éponyme, les parfums sont placés entre les seins ou entre les jambes des modèles. Le flacon est posé sur les parties intimes (qui ne le sont plus vraiment) d’une femme. La vulve n’est plus rien d’autre qu’un substitut de table basse. les femmes sont des objets qu’on peut regarder, utiliser, toucher. Ce ne sont plus des êtres humains à part entière mais des choses, des parties du corps désolidarisées du reste. Ford associe son parfum au plaisir sexuel, au désir, au rêve en utilisant le corps féminin comme outil. Encore une fois la femme est dissociée de sa personnalité et ne devient qu’un corps placé comme point central de cette campagne. Finalement, que ce soit dans l’art ou dans la communication, l’utilisation du corps féminin est depuis toujours un outil de vente.
Mathilde Larrère soulève également cette problématique du corps féminin comme outil de vente, à la question En ce qui concerne le traitement de la poitrine des femmes et des hommes, prônez-vous la liberté aussi bien pour l’homme que pour la femme ? elle nous répond :
« Oui bien sûr ! Sauf dans le cadre d’une publicité ! On va vendre une voiture en montrant des seins de femme… Et bien non ça ne va pas ! Ça ne va pas mais finalement le problème n’est pas le sein de la femme, à la limite elle peut avoir le seins couvert, ça ne change rien. Le problème, c’est la femme comme corps objet réduite à sa fonction de corps objet du désir des hommes. C’est-à-dire que les femmes sont soumises à des injonctions totalement contradictoires où d’un côté il faut montrer pour vendre dans un certain cas car c’est esthétique, ça plaît ça fait vendre des bagnoles mais d’un autre côté il faut cacher parce que voilà, quand même ça ne se fait pas ce n’est pas possible de montrer le corps féminin. Et finalement, quand les mouvements féministes s’insurgent contre les pubs sexistes (Ça a été le cas avec Aubade) on nous dit “vous êtes puritaines.” nous ne sommes pas puritaines seulement, nous ne sommes pas des objets ! »
Des mythes fondateurs à nos jours, le corps de la femme est dissocié de sa personnalité. Cependant, depuis la quatrième vague féministe de 2012 une résurgence de l’intérêt pour le féminisme semble se manifester. De nombreuses femmes s’indignent et remettent à nouveau en cause leurs conditions. De plus, dans un paysage médiatique pluriel, mouvant où l’actualité est à la diversification et à la dématérialisation des supports, la multiplication des médias induit de nouvelle formes d’objectivation féminine qui méritent d’être mises en lumière..
2 ] … A la quatrième vague
A) Le téton brisé, le téton martyrisé, mais le téton libéré : FreeTheNipples, l’histoire d’un mouvement égalitaire
Plus de trente ans après la troisième vague féministe connue dans les années 80, l’affaire Weinstein libère la parole et oblige notre société à reconsidérer les rapports hommes-femmes. Cette nouvelle vague féministe ne laisse personne indifférent et entraîne des réactions et interprétations aussi riches que variées. D’un côté, ceux qui pensent que le mouvement #Metoo est allé trop loin, et va précipiter un jugement populaire accompagné d’un certain puritanisme qui remettra en cause la liberté sexuelle de la femme. De l’autre, ceux qui pensent que la libération de la parole de la femme permettra de légiférer et de réguler les rapports entre les hommes et les femmes dans la société. Avec l’acte CyberMilitant #Metoo, les femmes sont véritablement entrées dans la quatrième vague du féminisme, l’ère du féminisme connecté, global. L’utilisation du hashtag va permettre à cette phrase de surfer sur Internet, avec le « Me » qui renvoie à l’activité d’un « moi » collectif, et le « Too » à l’influence réciproque sur les réseaux.
#Metoo est l’un des mouvements les plus récents de l’émergence de cette quatrième vague féministe (apparu en 2017). Il est aussi celui qui a mis (ou plutôt remis) sur le devant de la scène médiatique le mouvement #FreeTheNipple qui avait fait son émergence sur les réseaux sociaux dès 2012. Il dénonce l’aspect néfaste du double standard et des algorithmes aux relents puritains des réseaux sociaux Facebook et Instagram.
Avant de parler de l’histoire du mouvement #FreeTheNipple il est nécessaire de vous expliquer la notion de double standard qui est l’équivalent de l’expression « deux poids, deux mesures. » dans la langue de Molière. En effet le mouvement #FreeTheNipple a pour épicentre les inégalités causées par ce concept qui désigne une différence d’appréciation des conduites selon l’appartenance de l’auteur à une catégorie, un genre. La question que soulève ce mouvement est la suivante : Pourquoi la poitrine des femmes n’est elle pas traitée comme celle des hommes ?
Si un homme se promène torse-nu celui-ci ne risque pas de se faire arrêter par les forces de l’ordre alors que dans la même situation une femme risque d’être verbaliser pour exhibition, atteinte à la pudeur voir d’être transférée au poste de Police dans le cas d’un refus de couvrir sa poitrine même si aucun texte de loi ne l’y oblige. Ce fut le cas par exemple de l’artiste Phoenix Feeley qui, le 4 août 2005 fut arrêtée par une patrouille de police New-Yorkaise qui lui a fait passer un test psychologique pour déterminer son état de santé mentale. En 2007 après un bras de fer judiciaire entre la ville de New-York et Phoenix Feeley la justice donne raison à cette dernière en application avec à la loi de 1992 qui autorise les femmes à circuler librement seins nus dans la ville de New-York (la ville versera près de 29 000$ de préjudice moral à Phoenix Feeley). Le double standard est donc une forme de discrimination pouvant exprimer biais ou favoritisme envers une race, un sexe, un rang social, une orientation sexuelle, une religion, etc. Ici, la discrimination est visible suite à l’arrestation d’une femme pour l’exhibition de sa poitrine.
Dans un contexte judiciaire, l’utilisation d’un double standard va à l’encontre même du principe d’impartialité (en droit l’impartialité est l’attitude qui doit permettre d’éliminer toute subjectivité dans un jugement).
C’est en partant de ce constat que l’actrice, réalisatrice, scénariste et productrice américaine Lina Esco a décidé de réaliser un docu-fiction sur un groupe de jeunes femmes qui ont osé défiler seins nus à New York. Le film intitulé Free the nipple donnera définitivement son nom au mouvement et au hashtag créé pour promouvoir la sortie de ce document qui deviendra par la suite un mouvement populaire repris par les internautes.
Dans une interview accordée au collectif StyleLikeU (producteur de contenus lifestyle sur Youtube), Lina Esco explique les raisons qui l’ont poussée à réaliser un film à ce sujet :
« Il y a tellement de lois contre le corps des femmes et presque aucune contre le corps des hommes. Dans les années 1900, des milliers d’hommes ont été arrêtés pour être torse nu car ils refusaient de porter un maillot une pièce. Ce n’est qu’en 1936 que quatre hommes de Coney Island ont combattu la loi et ils ont réussi. Bien évidemment, le fait que le juge soit un homme a aidé. Les hommes ont aujourd’hui ce droit parce qu’ils se sont battus pour l’avoir. Je pense que c’est différent pour les femmes parce que beaucoup d’argent se cache derrière l’aréole. Il y a un marché énorme qui joue sur la sexualisation du corps de la femme. Alors pourquoi souhaitez vous faire de l’argent sur mon décolleté, alors que lorsque je veux en faire ce que je veux, vous me condamnez ? ».
Auparavant la réalisatrice a débuté cette campagne à New-York en réalisant un documentaire d’elle-même en train de courir à travers les rues de la ville, dépourvue de t-shirt. Pendant le tournage et la création du métrage, le hashtag #FreeTheNipple lui servait à poster de courts clips afin de promouvoir le projet. En 2013, Facebook supprime ces clips de son site, pour cause de non-respect au règlement du site au sujet de contenus explicites.
Le film se concentre sur une journaliste indépendante du nom de With (incarnée par Lina Esco), qui voit en ce mouvement la possibilité de réaliser un article prometteur. Elle se rapproche alors du groupe mené par la charismatique et excentrique Liv et va suivre ce groupe au cours de sa lutte égalitaire et constater par elle-même ces inégalités de traitement entre le corps des hommes et celui des femmes. Elle va peu à peu se « délivrer » de ses normes sociétales jusqu’à devenir par la suite un membre actif de ce collectif féministe.
Le mouvement va ensuite devenir viral grâce à la prise de position de nombreuses célébrités du monde du cinéma, de la musique ou encore du StreetArt. Il est important d’ailleurs de comprendre que le mouvement prendra toute son importance car, cette histoire que l’on retrouve dans le film de Lina Esco, n’est que le reflet de notre société actuelle.
Par exemple, lorsque nous demandons l’opinion de Sha sur les poitrines dénudées des femmes elle nous répond :
“Je ne comprends pas pourquoi notre corps est censuré en permanence dans la société, je n’ai pas le côté tabou du corps féminin. Pour moi le problème est plus profond : il faudrait éduquer les hommes sur leur comportement et leur perception du corps : une poitrine est une poitrine. Il n’y a rien de dangereux ou de sexuel dans les seins. Ça me choquerait plus de voir une arme sur Instagram que de voir une paire de seins. Si on devait cacher tout ce qui peut se rapporter au sexe dans notre société (par la vision des hommes) alors il faudrait faire du cas par cas. Par exemple, on sait qu’il existe des fétichistes des mains. Est-ce qu’il faudrait également censurer toutes les mains visibles sur Instagram? Interdire le porno sur les réseaux sociaux par exemple, je suis d’accord. Mais la société a tendance à oublier la distinction entre le nu et le porno. Et c’est là où on doit mieux éduquer nos enfants et les hommes en général. Les seins ne sont pas du porno. On m’a déjà fait une réflexion où on me disait que ma place n’était pas sur ce genre de réseaux social (Instagram) car je publie du nu. Et c’est vrai que je n’ai pas compris pourquoi on m’a dit ça.”
Finalement la situation de Sha se rapproche du film de Lisa. En effet, en se dénudant, elle subit directement de la discrimination
B) #FreetheNipples : la gaffe des GAFA face aux tétons
« Je ne m’excuserai pas de ne pas nourrir l’égo et la fierté d’une société misogyne qui voudrait mon corps en sous-vêtements mais qui n’est pas à l’aise avec l’idée d’une petite fuite alors que vos pages sont remplies d’innombrables photos/comptes de femmes (dont beaucoup sont mineures) objectifiées, pornographisées et traitées comme moins que des humains. »
Rupi Kaur
En 2015, l’instagrammeuse canadienne Rupi Kaur fait polémique en postant une photo d’elle habillée, de dos, une tache de sang synonyme de menstruations sur le jogging. Les règles étant habituellement évoquées comme une tache bleue sur un coton blanc, la jeune femme souhaite briser le tabou entourant cette réalité. Instagram supprimera la publication à deux reprises, jugeant qu’elle enfreint son règlement communautaire.
Mais que stipule exactement le règlement de Facebook ou Instagram ? Le règlement des sites interdit « toute activité sexuelle évidente, même dessinée ou sous forme d’art, même si la nudité est masquée par des mains, des habits, ou d’autres objets. Les parties intimes nues, incluant les fesses ou les tétons féminins. Les tétons masculins sont autorisés » Des règles qui laisse assez de liberté à Facebook pour décider de ce qui est à censurer ou non.
À New York, Scout LaRue Willis fille cadette de Bruce Willis et Demi Moore, poste sur son compte Twitter des photos d’elle Topless, pour dénoncer le fait que « ce qui est légal dans l’État de New York n’est pas autorisé sur Instagram », répondant à la suppression du compte Instagram de Rihanna quant à la publication de son shooting seins nus pour le magazine LUI.
En France, l’équipe de « Tease Me », websérie, dédiée à la sexualité, réalisée par Mathilde Marc et interprétée par Louise de Ville, a constaté la suppression de son compte officiel Facebook deux fois « signalé » puis supprimé suite à la publication d’une photo non pornographique de Ryan McGinley, mais avec apparition de quelques poils pubien.
Ces trois exemples illustrent d’autres formes de censure visibles sur les réseaux sociaux qui ne sont pas ouvertement stipulées dans les règlements de ces sites (en plus des seins et sexes prohibés). Des Femen qui posent seins nus, à l’instituteur, père de famille qui met en photo de profil l’Origine du Monde de Courbet, les exemples de “la main invisible” (ou tout du moins anonyme) du web qui touche à notre liberté d’expression, et particulièrement à la liberté d’exposer le corps féminin dénudé, sont courants. Ce que nous appelons “main invisible” se rapporte directement à des algorithmes automatisés qui viendront supprimer des données qu’ils jugeront en désaccord avec la politique du réseau social.
Que ce soit pour l’exemple de « Tease Me » ou de la suppression du tableau L’origine du monde de Gustave Courbet, il a suffi d’un ou plusieurs signalements d’internautes, pour faire suspendre les comptes. Le censeur serait-il resté au siècle dernier et n’aurait pas migré vers une mise à jour web 2.0 plus égalitaire ?
Facebook, Instagram, etc… sont aujourd’hui des mastodontes du web (en 2017 Facebook à franchis la barre des 40 milliards de dollars de chiffre d’affaires). Ils génèrent de tels flux d’informations en continu, qu’il semble finalement logique que ces médias appliquent une censure automatique. Entre l’image à caractère pornographique offensante et insultante, et l’image représentant le corps dénudé, mais ayant une portée esthétique, artistique ou politique, qui est légitime de juger ce qui est bien ou mal ? Il est intéressant alors ici de se demander qui se cache derrière ces algorithmes ? Car finalement, pour nous ces algorithmes représentent leurs entreprises. L’algorithme qui supprime automatiquement les poitrines de femmes est identifié au groupe Facebook (et donc de Mark Zuckerberg). On suppose alors que des hommes sont peut être derrière la mise en oeuvre de ces algorithmes et perpétuent ainsi l’objectivation féminine à travers le web.
La censure pratiquée par ces réseaux sociaux est choquante, surtout pour les femmes. Cependant, tout autoriser ou tout interdire? Le choix de ces réseaux apparaît plus logistique et économique que politique. Faire le tri dans cette gargantuesque base de données que représente Facebook ou Instagram (pour information le réseau social Instagram a annoncé avoir dépassé le milliard d’utilisateurs actifs mensuels, imaginez le nombre de publications fait ne serait-ce que dans une journée) représente une utilisation et une mobilisation importante de temps, de main d’œuvre, et surtout d’argent.
Effectivement, même si ce sont des espaces d’expressions, ces réseaux sont avant tout des entreprises qui sont, dans le cas de Facebook cotés en bourse avec un but lucratif qui ne peut être atteint que par la réalisation de profits. Ainsi, il est important pour ces entreprises de concevoir des outils économiques pour faciliter la gestion des flux parfois au détriment de la morale.
C’est pourquoi de nombreux contrastes et de nombreuses inégalités sont visibles à travers les plateformes du web. Par exemple : après s’être faite bannir de Instagram, Scout LaRue Willis, dénonce les inégalités d’Instagram en postant une image d’elle seins nus sur Twitter avec en légende « What @instagram won’t let you see #FreeTheNipple ».
Scout a de plus souligné l’hypocrisie de l’application en mettant en avant les photos du joueur de poker Dan Bilzerian. Connu sur Instagram pour publier des photos d’armes à feux (dont il est fan), voitures de luxes et jeunes femmes très dénudées, il n’a aucun problème de censure. Les tétons des jeunes femmes visibles dans ses photos sont camouflés de petits pictos (bien souvent des emojis).
Mais finalement d’où vient ce rejet absolu des poitrines féminines même à travers les nouveaux médias? Il est intéressant de noter que Facebook et Instagram sont des plateformes américaines. Le censeur ne serait alors pas resté au siècle dernier et n’aurait pas opéré vers une mise à jour web 2.0 plus égalitaire mais représenterait l’image de son pays. Ce pays reste encore très puritain par son attachement à la religion (pour rappel leur devise nationale est « In God We Trust »). Nous pouvons donc supposer que ces plateformes ont développé des algorithmes porteurs de cette amérique puritaine. D’après Mathilde Larrère, la révolution ne se ferait donc pas par les réseaux sociaux, car le problème est à régler en amont :
Pensez-vous qu’une révolution féministe sera possible avec comme rampe de lancement les réseaux sociaux ?
« Tout dépend ce que nous appelons une révolution féministe. Les réseaux sociaux lancent des hashtags, mais rendent les mouvements très limités. Par exemple sur #Metoo, cela a sûrement eu une influence sur les lignes concernant les violences sexuelles, on a mis en avant leurs importances…. Cependant, s’il y a une violence sexuelle c’est parce qu’il y a une domination économique et politique. Si on prête seulement attention aux violences sexuelles et que l’on ne change rien aux structures économiques politiques et sociales qui les permettent, ce n’est pas une révolution. Donc c’est autre chose qu’il faut changer…. Par exemple, la violence sexuelle au travail vient du fait que l’homme est en position de responsable, ce qu’on appelle n + 1, beaucoup plus souvent que la femme. On trouve de la domination dans le travail, une hiérarchie et elle se double d’une lecture de genre. Il est évidemment essentiel de supprimer les violences sexuelles mais la réalité des choses est de supprimer ces dominations, cette hiérarchie, ces inégalités…C’est le plafond de verre. Donc la vraie révolution sexuelle arrivera lorsque ce plafond de verre explosera. »
Ainsi, les algorithmes ne sont qu’une des conséquences d’une domination économique et politique non résolue. Aujourd’hui les femmes trouvent des astuces pour afficher leurs photos de poitrine tout en évitant la censure, par exemple à l’aide de stickers, emojis. Mais le problème des inégalités n’est pas résolu pour autant.
3 ] Vers une désacralisation du corps ?
A) Une prise de position médiatique et politique
« N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. »
Simone de Beauvoir
Aujourd’hui encore, cette citation illustre la position des femmes à travers le monde.
La domination masculine est ancrée dans notre conscience depuis des générations. L’objectivation féminine n’est finalement qu’une partie de l’iceberg parmi les inégalités hommes-femmes. Cependant, de nos jours les femmes n’ont plus de retenues pour prendre position dans le but de changer leur condition. En effet, elles n’hésitent pas à descendre dans la rue contre la résurgence de conservatismes rétrogrades qui peut se traduire par un retour des modèles sociaux datant d’avant la révolution sexuelle (avant les années 60). Auparavant, les femmes étaient beaucoup plus en retrait face aux hommes symboles du bon père de famille chef de sa tribu et de la mère nourricière qui s’occupe du foyer et élève les enfants. La classe politique ne peut plus (et ne doit pas) ignorer un tel revirement des femmes.
Malgrés des avancées relatives à l’image du corps féminin, avancées qui peinent à se dévoiler, il semblerait qu’aujourd’hui des changements naissent en ce qui concerne les conditions des femmes. Il faut ainsi espérer que ce début de révolution mène à une désacralisation du corps féminin.
En France, la prise de position politique s’opère par exemple via Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat à l’égalité entre les femmes et les hommes notamment par l’adoption de mesures sur la verbalisation de rue pour « outrage sexiste », le plan d’action pour l’égalité professionnelle qui stipule entre autres « les entreprises auront l’obligation de publier les écarts de salaire entre les femmes et les hommes, et trois ans pour les résorber. » (propos affirmés par la secrétaire d’Etat). Mais malgré cette prise de position des pouvoirs publics (qui s’est fait attendre) c’est par les médias et surtout les réseaux sociaux que la lutte des femmes s’est fait entendre. Ces vagues d’initiatives et de protestations commencent à se propager peu à peu autour du globe. Notamment en Amérique du Sud, plus précisément au Chili, plusieurs manifestations massives ont eu lieu les 11 et 25 mai 2018 avec des jeunes femmes qui ont défilé dans les rues de Santiago avec le mouvement #niunamenos (« pas une femme de moins ».), afin de mettre en lumière les violences machistes dont elles sont victimes.
Cependant, si nous reprenons l’échange avec Mathilde Larrère, il est évident que :
« Si on fait juste attention aux violences sexuelles et que l’on ne change rien aux structures économiques politiques et sociales qui les permettent, ce n’est pas une révolution. »
Nous pensons alors que cette ensemble de prises de positions n’est finalement que le début d’un long combat qui permettra, nous l’espérons, la désacralisation du corps féminin. Pour permettre une révolution Mathilde Larrère suggère qu’il faudrait changer nos structures économique et politique tandis que Sha suggère qu’il faudrait revoir l’éducation des hommes dès le plus jeune âge. Aujourd’hui les femmes semblent prendre conscience des problèmes à résoudre pour permettre de changer leurs conditions. Espérons que les futurs générations seront alors porteuses de ces changements.
La prise de conscience de ces femmes passe entre autres par le suivi d’un groupe féministe dont le mode de fonctionnement peut sembler protéiforme. Même si les mouvements féministes tels que les Femen, ou le collectif La Barbe (en France) tendent à être homogènes sans réel porte parole (malgré certaines figures publiques charismatiques qui se démarquent dans les mouvements) certains relais de ce mouvement se détachent plus que d’autres, notamment lorsqu’il s’agit de célébrités qui peuvent devenir de véritables ambassadrices et influencer une partie non négligeable de la société à agir. Cependant il serait erroné de penser que la popularité médiatique d’un sujet correspond à son acceptation ou à sa progression dans les consciences.
B) Vision et réception de la 4ème vague .
La compagnie de sondage OpinionWay a posé à un panel de 1002 Français représentatifs de la population la question : qu’en pensez-vous ? Dans le cadre de cette grande enquête réalisée pour des conférences TedxChampsElyséesWomen, l’institut a tenu à savoir comment le mouvement pour l’émancipation des femmes était perçu au pays qui porte comme devise « Liberté, Égalité, Fraternité ».
Alors que l’égalité des sexes est en sixième position des causes importantes pour les Français, derrière la santé ou la paix dans le monde, seulement 47% se déclarent féministes. Avec un score de tout juste 50 % pour les femmes. Pourtant, ils sont 90% à se déclarer pour une meilleure répartition des rôles, des tâches ménagères et des postes à haute responsabilité. La majeure partie des sondées admet également que le féminisme fait avancer les choses et 59% reconnaît que c’est un sujet qui lui tient à cœur.
Alors, quel est l’intérêt de ces résultats ? Les résultats de cette enquête montrent une inquiétude de nos concitoyens: ils veulent davantage d’uniformité dans la distribution des fonctions… Mais ne sont pas féministes. Nous comprenons alors que le problème vient directement du terme “Féminisme”. Qu’est-ce qui ne va pas avec ce mot ? Les Français ne veulent pas se définir comme féministes car il semblerait que les mouvements liés à l’idéologie du Féminisme ne leur conviennent pas. Par exemple, lorsque nous demandons à Sha :
Est-ce que tu te sens féministe ?
elle avance des propos qui reflètent totalement les résultats de ce sondage :
“Alors le féminisme d’aujourd’hui je t’avoue que je suis un peu perdue. Et je t’avoue que si je devais te donner une réponse honnête maintenant je te dirai je ne sais pas si je suis féministe. En tout cas aujourd’hui je n’arrive pas à trouver ma place dans ce que nous définissons comme le féminisme d’aujourd’hui. En travaillant dans le milieu du sexe work je me suis rendue compte que j’étais quelqu’un qui ne juge jamais le travail d’autrui ni la personne : que tu sois une prostituée ou que tu travailles à Lidl pour moi tu es une femme qui se lève le matin, qui va travailler et faire de l’argent. Et finalement depuis que je travaille dans le milieu du sexe work je me sens féministe mais peut-être pas le féminisme auquel je pensais il y a quelques années. Pour moi le féminisme avant c’était grossièrement être une Femen, aller à des manifestations etc… Et finalement je ne voyais pas le féminisme de la vie de tous les jours. Pour moi je suis féministe tous les matins quand je me lève et que je vais travailler mais je ne me reconnais pas spécialement dans les mouvements féministes majeurs en France.”
Ils sont ainsi 70 % à désapprouver (dont 68 % d’hommes, 71% de femmes) certains de ces mouvements (Femen, #NousToutes etc…).
Simone de Beauvoir
« La lutte antisexiste n’est pas seulement dirigée, comme la lutte anticapitaliste, contre les structures de la société. Elle s’attaque en chacun de nous à ce qui nous est le plus intime et ce qui nous paraissait le plus sûr. »
Le féminisme fait peur à cause du potentiel bouleversement que ce mouvement pourrait entraîner en ce qui concerne l’ordre établi. Une peur de l’inconnu et une remise en question qui dérangent. Imaginez-vous dans votre zone de confort, installé dans le “camp du bien” et tout d’un coup, on vous bouscule en pointant vos failles, votre archaïsme et votre intolérance.
D’après Mathilde Larrère :
« Le féminisme a toujours eu mauvaise réputation ! ça a toujours été difficile pour les femmes. Il y a toujours eu des attaques contre les féministes et les hommes se saisissent de ce qu’ils peuvent pour les attaquer. Par exemple pour les Femen, ce mouvement utilise comme mode de communication les seins à l’air et c’est ça qu’ils ciblent. De toute façon le féminisme suscite des réactions et à chaque fois qu’il y a des vagues féministes, il y a également des vagues antiféministes très virulentes. Le féminisme est un mouvement qui remet en cause et qui attaque des dominations, qui dénonce des inégalités. Ceux en qui profitent n’ont souvent pas conscience de la notion de privilège. Les hommes n’ont pas vraiment conscience des privilèges d’être un homme comme les blancs n’ont pas nécessairement conscience du privilège blanc par rapport aux personnes racialisées. Remettre en cause ses privilèges n’est pas forcément quelque chose de très évident. Il y a ceux qui vont dire “C’est vrai en fait j’avais jamais fait gaffe…. Mais effectivement ce n’est pas très juste” et puis il y a ceux qui vont se draper dans le truc en disant “ mais qu’est-ce que c’est que ces folles elles sont agressives, etc”. Donc ça suscite les deux… ça dépend. »
Presse et réseaux sociaux jouent un rôle ambigu dans cette lutte des femmes.
Si d’un côté la parole des victimes d’agression sexuelle n’avait pas connu un tel écho sans Twitter et ses hashtags, il existe aussi un retour de bâton, provoqué par la culture du buzz et de l’information en continu. Ainsi, la médiatisation s’est radicalisée d’une façon aussi tranchante dans un sens que dans l’autre. Avec comme exemple la tribune signée par 100 femmes avec l’actrice Catherine Deneuve contre le hashtag #balancetonporc, estimant que « la drague insistante ou maladroite n’est pas un délit, ni la galanterie une agression machiste ». Les membres accusent les réseaux sociaux d’avoir permis « une campagne de délation ». Ainsi, de nombreuses figures françaises se retournent également contre ce mouvement et les médias n’hésitent pas à les mettre en avant afin de diviser l’opinion publique. Les médias jouent un rôle important dans la transmission de cette ambiguïté qui divise nos opinions sur le féminisme.
« Une partie des femmes fuit le mot par simple méconnaissance, beaucoup s’en écartent par réflexe conservateur. Si des femmes craignent d’être perçues comme féministes, c’est une manière de se désolidariser de l’infériorité de son groupe et de se faire bien voir de l’autre », estime Benoîte Groult dans son ouvrage Ainsi soit-elle.
« Accepter le féminisme, c’est accepter l’idée qu’on est victime de discrimination. » , complète l’historienne du genre Sylvie Chaperon. « Et ce n’est jamais valorisant […] Il est socialement beaucoup plus payant d’être anti-féministe. » S’il existe plusieurs vagues de féminismes avec des caractéristiques qui leurs sont propres, chaque femme peut connaître plusieurs phases de prise de conscience et adhérer à certains points sans pour autant valider l’ensemble des vagues féministes. On peut monter au créneau contre un mari violent et être contre l’avortement. On peut partager les tâches ménagères et être une opposante à l’écriture inclusive. Pour beaucoup de femmes, le féminisme est un mot qui représente déjà un ensemble de concepts et de mouvements (comme les Femen) et donc peut déranger. Il est donc parfois compliqué pour une femme d’y trouver sa place, par exemple Sha qui a réalisé être féministe mais ne pas adhérer particulièrement aux mouvement existants.
Le vrai challenge avant même de vanter les mérites de l’égalité, serait-il de faire évoluer les consciences à propos de la réputation du mot qu’il ne faut pas (trop) prononcer ?
Une chose est sûre, l’objectivation du corps féminin est l’une des grosses problématiques de notre siècle, avec ou sans la notion de “féminisme”. Il est intéressant de constater que de nombreuses femmes comme Sha ou Mathilde Larrère qui, si elles n’adhèrent pas toujours à tous les concepts du féminisme, sont tout de même sensibles à l’objectivation féminine.
Face à cette société moderne encore basée sur le patriarcat, les femmes veulent reprendre possession de leur sexualité, leurs désirs, leur corps. Problématiques qui jusqu’à maintenant étaient éclipsées par des luttes cantonnées à la sphère sociale et politique. Le corps prend la parole, se rebelle, massivement, collectivement. Carole Pateman féministe britannique écrit dans son ouvrage Le Contrat sexuel « Le corps des femmes est un impensé du contrat social, un impensé de nos sociétés. Les femmes disent désormais, collectivement, que leur corps n’est plus à la disposition des hommes, ne plus vouloir de ce rapport de force dans lequel elles sont si facilement perdantes ».
Cependant le risque de revendiquer une propriété sur son propre corps, c’est peut être de l’objectiver, d’en faire un bien consommable. Comme nous l’avons vu précédemment à travers l’analyse de Freud, le plus gros risque serait alors de déshumaniser, de fragmenter son corps : le corps (outil) est séparé de la personnalité.
A cela Geneviève Fraisse préfère utiliser l’expression « Être et avoir un corps. »
Pour la philosophe Camille Froidevaux-Metterie, auteure de « Révolution du féminin » la nouvelle génération « ne se reconnaissait plus dans des combats trop éloignés de ses préoccupations quotidiennes ». Combats « absolument nécessaires et légitimes », qualifie t-elle, concernant le rejet du modèle binaire masculin-féminin, afin de déconstruire la domination de genre, ce qui permettrait d’obtenir « comme particularité d’invisibiliser, voire de reconsidérer la corporéité féminine ».
Sha est ainsi le parfait exemple d’une génération qui ne se reconnaît pas dans des combats éloignés de ses préoccupations quotidiennes. En effet, elle ne se reconnaît pas dans les revendications des Femen par exemple, mais se considère tout de même féministe par son métier de strip teaseuse.
Elle souhaite faire changer les mentalités autour de ce métier qui sexualise et catégorise les femmes en induisant un sentiment de honte et de soumission face aux hommes.
Aux alentours des années 2010, la nouvelle génération prône dans le débat public un corps charnel, intime, qui n’enferme pas, qui ne remet pas les femmes en situation de soumission. Le clitoris a fait (enfin) son apparition dans les manuels scolaires, la lutte contre le prix du tampon, la première campagne sur l’endométriose, …
« Maintenant que les femmes sont en train de devenir des hommes comme les autres dans la sphère sociale, qu’elles investissent le monde du travail et la vie politique, elles ré-investissent le dernier bastion de la domination masculine qu’est le corps dans sa dimension sexuelle » Affirme Camille Froidevaux-Metterie.
Mathilde Larrère, qui a écrit le livre Des intrus en politique: femmes et minorités : dominations et résistances souligne justement les injustices et les inégalités que l’on trouve dans la sphère politique :
Que manque t-il à la France pour qu’une femme devienne présidente de la République ?
« Ça fait 20 ans que les choses bougent très nettement en faveur des femmes. On récupère des siècles de monopolisation de la politique par les hommes… donc avant de déconstruire tout ça ! Par exemple, la femme en politique est bien pour les affaires sociales, pour la jeunesse, pour les femmes… Mais en revanche pour les finances ce sont les hommes. Après il existe toujours des exceptions comme Michèle Alliot-Marie à la défense notamment. Mais ce sont des exceptions. En tout cas, en ce qui concerne la présidence on a vraiment du mal à imaginer que ce soit une femme. De toute façon on le voit avec les primaires à droite comme à gauche. Il y a à chaque fois sur 7 ou 8 candidats une seul femme. Et il a été prouvé dans les deux cas lors des passages télévisés qu’elles parlent moins et ont moins la parole. »
Comment vous est venu l’idée de ce livre ? Vous avez constaté une inégalité flagrante entre hommes et femmes dans la sphère politique ?
« Homme et femme le livre c’étaient surtout les intrus : les pauvres, les classes populaires, mais racisés et se poser la question des homosexuels en politique donc c’était plutôt sur toutes les exclusions et pas uniquement sur la question des femmes. »
Laure Adler journaliste et ancienne dirigeante de France Inter explique : « Quand, dans l’inconscient collectif, les hommes n’auront plus le monopole du désir, alors on pourra parler d’égalité des droits. Mais cela passe par la sexualité. Et donc, d’abord par l’image intérieure du corps des femmes. »
Maintenant que nous comprenons que la fin de l’objectivation féminine passe par la réappropriation du corps et de la sexualité, il est intéressant de se poser la question : comment les hommes vont-ils se placer dans cette égalité? En effet, il est compliqué de faire pencher la balance sans l’aide des hommes. Faut-il que les hommes combattent au côté des femmes ? Où bien serait-il plus sage qu’ils se tiennent en retrait de cette lutte qui n’est pas la leur ? Car, même si l’ensemble de la gente masculine n’est pas coupable du patriarcat, il s’agit tout de même du pouvoir dominant qui est accepté et inculqué aux citoyens et subi par les citoyennes de notre société.
Une égalité des sexes mais aussi une égalité sexuelle qui passe donc par la réappropriation totale du corps pour les femmes (et par les femmes ?).
Mais est-ce qu’un homme peut se prétendre féministe ?
À cela Mathilde larrère nous réponds :
« C’est un vaste débat. Je pense qu’un homme peut le dire, peux essayer de le faire, et auquel cas cela ne pose pas de problème. Je fais partie d’un groupe de féministes où il y a des hommes. Ça ne me gêne pas qu’ils soient là mais ce que je ne supporte pas c’est qu’il y a des hommes qui vont se dire féministes mais en pratique on se rends compte qu’ils ont des comportements terriblement sexistes et en plus ils vont s’en dédouaner, se déculpabiliser parce que sur un autre point ils vont avoir une prise de position féministe. Donc il faut que ce soit cohérent. Mais cette ambivalence peut aussi exister chez les femmes: j’ai des amies qui sont profondément féministes et qui se laissent complètement dominer dans leur couple. »
Comment alors, en tant qu’homme, promouvoir les droits des femmes ? Faut-il se déclarer féministe au risque de parasiter le message des personnes réellement concernées à savoir les femmes ? Selon Patric Jean réalisateur du film documentaire La Domination masculine, les hommes investis dans le féminisme peuvent se qualifier de « pro-féministes », et non pas de « féministes ». « Nous ne sommes pas dans la même situation que les femmes. Nous ne pouvons pas connaître les mêmes expériences. Un homme ne peut pas se mettre à la place des femmes dans toutes les situations d’inégalités.» Cependant, ce changement doit se mettre en place avec l’aide des hommes. Il est ainsi compliqué de trouver le juste milieu, la balance qui permettra aux femmes d’émanciper leurs corps tout en acceptant l’aide des hommes. De plus, une autre problématique se poserait par la suite : existerait-il un risque que l’homme féministe soit plus écouté que la femmes féministe ? Il serait compliqué pour les femmes, qu’un homme parle à leur place et en leurs noms. Elles ne comprendraient pas pourquoi l’homme aurait plus de légitimité alors qu’aujourd’hui elles veulent se défendre elles-même (l’oppresseur défend l’oppressé et garde toujours une influence sur son sujet).
« Dans une société patriarcale, la parole de l’homme est plus souvent valorisée et légitime que la parole de la femme », c’est ce qu’affirme Alban Jacquemart (sociologue et politiste, maître de conférence à l’Université Paris-Dauphine et chercheur à l’IRISSO) auteur du livre “Les hommes dans les mouvements féministes. Socio-Histoire d’un engagement improbable.”
L’homme ne peut pas (et ne doit pas) s’exprimer à la place des femmes. Il pourrait alors déformer leur façon d’être et de penser, leur habitus que la société leur a inculqué (société qui donne l’autorité aux hommes) et le message qu’elles veulent transmettre à la population. Le cas de l’événement “Nuit Debout” reflète parfaitement cela : au début ouvertes à tous, les réunions organisées sont devenues uniquement à destination des femmes car ces dernières étaient sans cesse interrompues par les hommes.
L’une des participantes s’est exprimée “ « La non-mixité choisie, ce n’est pas pour se retrouver entre femmes mais entre personnes socialement dominées et opprimées, réexplique Matt tous les jours à ceux qui ne comprennent pas ou s’y opposent. Il faut des espaces pour que les dominés puissent prendre conscience ensemble des pratiques d’oppression et s’exprimer, sans la présence des dominants ». Les hommes ne doivent donc pas simplement s’éduquer sur le genre et le féminisme mais aussi écouter ce que les femmes et les autres communautés sexuelles ont à dire sur ce sujet. Il faut aussi un travail de comportement, de réflexion à faire et ne pas hésiter à sensibiliser son entourage à ces questions.
Après avoir exploré ensemble le cadre historique, social, économique et politique, via une analyse des différents concepts qui ont été réalisés sur notre sujet, il nous a semblé important d’échanger avec des femmes qui vivent cette situation d’inégalité. En effet, Mathilde Larrère, historienne française spécialiste des mouvements révolutionnaires et du maintien de l’ordre en France remet en question au quotidien la place des femmes (et des minorités) dans la sphère politique tandis que Sha, strip-teaseuse et étudiante en Chimie, remet en question l’image du corps féminin dans notre société. Il nous a donc semblé logique d’interroger ces deux femmes qui représentent selon nous le féminisme d’aujourd’hui. Il fut intéressant de noter que ces femmes, qui ont des métiers considérés comme opposés dans notre société ont finalement des points de vues très rapprochés sur la perception du corps de la femme dans notre société.
Regards de femmes :
Mathilde Larrère n’a pas vraiment rencontré de situation d’inégalité homme-femme du fait “d’un environnement privilégié” où seuls les diplômes et les qualifications comptes. Ce n’est que bien plus tard dans sa carrière qu’elle se heurte au fameux plafond de verre qui l’empêche d’atteindre des postes à haute responsabilité. C’est ainsi qu’elle constate que dans la sphère des études supérieures il y a plus de femmes maîtres de conférence que de femmes professeurs.
Sha, tout comme Mathilde n’a pas rencontré de situation d’inégalité dans son enfance. C’est à l’adolescence, en voulant avoir un poste d’homme dans un musée qu’elle réalisa les inégalités homme-femme. Parce qu’elle a vécu des situations où elle a été discriminée d’être une femme, Sha utilise aujourd’hui ces injustices à son avantage. Aujourd’hui elle exerce le métier de strip-teaseuse et n’hésite pas à en parler car ça lui permet d’éduquer les gens sur l’image du corps féminin. Selon elle, la prostitution, être caissière ou travailler comme vendeuse sont tous des métiers les uns comme les autres. Sha a toujours été attiré par l’univers érotique mais elle n’osait pas à cause de l’opinion “public”. En Octobre elle a quitté son ancien travail et choisit de faire enfin ce qui lui plaisait. Elle déplore la vision négative de notre société sur les femmes qui utilise leurs corps à des fin lucratives.
Selon Sha et Mathilde Larrère la domination masculine est très ancienne. Sha pense que l’homme qui chasse et la femme qui s’occupe des enfants nous ont divisé et créé des clichés de genre. Pour Sha, la conscience collective a permis des généralisations. Elle ne dit pas que le premier cas de figure est une mauvaise chose, mais qu’il est important de ne pas le rendre obligatoire à tout le monde. Selon Sha, les mythes et histoires ont imposé cette certitude que l’homme est plus fort et donc qu’il a ce droit et ce devoir de dominer la femme.
Selon Mathilde Larrère il y a eu des périodes où les femmes ont été moins dominées. Elle ajoute qu’il est préférable d’être une femme au Moyen-Âge plutôt qu’au 17e siècle ou au 19e. « Pour justifier cette domination on a créé des explications notamment le cycle naturel mais finalement ce ne sont que des explications construites pour justifier de la domination et non des causes de la domination […] Mais en France ce qui joue beaucoup c’est le Code civil napoléonien qui reprend des éléments de l’antiquité romaine du droit romain. le poids du Code civil napoléonien a fait basculer les femmes dans une incapacité civile durant plus d’un siècle ».
Mathilde Larrère explique que « le féminisme d’aujourd’hui est comme le féminisme d’hier : c’est un féminisme qui se bat pour l’égalité homme-femme ». C’est un combat qui de tout temps se joue à l’intérieur du couple et un combat qui doit être politisé sur la répartition des tâches. « C’est plus une lutte de tous les instants sur la déconstruction des stéréotypes, c’est pour cela qu’on a l’impression que les féministes se battent sur des micros-combats parce qu’elles crient contre les publicités sexistes mais finalement tous ces petits trucs ont comme racine les inégalités homme femme ».
Sha ne se retrouve pas dans les grands groupes féministes tel que les Femens. Elle se revendique justement féministe des “micros-combats”, de façon modeste ne jugeant pas une personne par son statut et luttant à son échelle contre les inégalités homme/femme. Mathilde Larrère démontre par la suite que les réseaux sociaux sont de bonnes caisses de résonance pour développer des combats qui offrent une arène publique à la fois plus réactive, plus large, mais aussi plus violente. Violence qui se retourne parfois contre les femmes « ce qui en fait un outil à double tranchant d’une certaine façon ». Cependant elle modère l’influence que les réseaux sociaux peut avoir sur l’émancipation des femmes. Elle explique que les mobilisations relatives au droit de vote des femmes à la fin du 19e siècle ou les grandes mobilisations pour le droit à l’IVG ne disposaient pas des réseaux sociaux pourtant les femmes se sont fortement mobilisées. Elle démontre alors que les réseaux sociaux permettent une fluidité et une rapidité dans les soulèvements mais n’en sont pas les racines.
Mathilde Larrère et Sha utilise toute les deux sur les réseaux sociaux. Mathilde dispose d’un compte Twitter où elle est extrêmement active, avec plus de 53000 followers. Elle assume pleinement la dimension militante de son usage des réseaux sociaux. Elle s’appuie sur une méthodologie stricte et rigoureuse afin de livrer un message informatif, juste et surtout accessible au plus grand nombre. Elle dit que « l’histoire est une science politique et que ce serait se mentir que de dire qu’elle est neutre ». Cet engagement féministe de gauche engendre évidemment des détracteurs mais cela ne la freine nullement dans son envie de vulgariser l’histoire. Sur la censure de Facebook et Instagram des photos de poitrines (via leurs algorithmes) elle s’insurge devant l’hypocrisie des réseaux sociaux :
« on va supprimer la photo d’une femme qui allaite et laisser des photos racistes. » Mathilde Larrère pointe du doigt le fait que la femme soit réduite à sa fonction de corps comme objet de désir pour les hommes dans les médias. « les femmes sont soumises à des injonctions totalement contradictoires, d’un côté il faut montrer son corps car c’est esthétique, ça fait vendre et de l’autre il faut le cacher parce que ça ne se fait pas ».
Quand à Sha, elle dispose d’un compte Instagram où elle poste quotidiennement. Elle privilégie une utilisation spontanée et naturelle en publiant son travail de strip-teaseuse, son travail sur le corps.. Elle nous informe ensuite que le plus gros de sa communauté est constituée d’hommes « Mes follower sont toujours très respectueux, ce sont des gens qui vont réellement suivre mon travail ou commenter mes photos mais avec beaucoup de respect ». Cependant il existe toujours des personnes prisonnières de leur apriorisme et qui adopte un comportement déplacé : homme comme femme: « Des filles avaient carrément un groupe où elles s’envoyaient des screenshot de mon Instagram, des choses personnelles de ma vie…». Elle déplore que cet acte soit la conséquence de l’exposition de son corps et de son style de vie.
D’après Mathilde Larrère les médias ne sont pas la cause principale de la mauvaise réputation des féministes car de tout temps les féministes ont subi des attaques. A chaque vague féministe il y avait aussi une vague anti-féministe. Le féminisme est un mouvement qui remet en cause des dominations et dénonce des inégalités. Il remet en cause les privilèges des hommes, et certains d’entre-eux se sentent bousculés.
Elle explique notamment qu’avec les mouvements comme #Metoo, un électrochoc s’est fait du côté des hommes. « Il y a un certain nombre de collègues qui actuellement refusent de siéger lors d’un colloque en présence de femmes dans le jury ». Elle montre également que l’électro-choc doit se faire chez certaines femmes qui par une intériorisation de ces inégalités dès l’enfance participent parfois à leurs continués. « devenir féministe demande un apprentissage. Je pense que si je n’avais pas lu énormément de livres féministes, discuter avec des féministes, me faire reprendre par des féministes, je ne serai pas féministe comme je le suis maintenant… On ne naît pas féministe, on le devient ».
Selon elle, les réseaux peuvent aider dans cette prise de conscience cependant, les hashtags limitent les réactions. Par exemple avec #Metoo on a sûrement montré l’importance des violences sexuelles dans le monde. Mais s’il y a une violence sexuelle c’est parce qu’il y a une domination économique et politique. Il est évidemment essentiel de supprimer les violences sexuelles mais il faut revenir sur les origines de ces violences : la domination masculine, la hiérarchie et les inégalités.
Sha a néanmoins un avis plus partagé sur les réseaux sociaux. Elle explique qu’une femme a conscience qu’en s’exposant sur les réseaux elle fera parler et pourra mettre en lumière des paroles et idées féministes. Les réseaux sociaux aident ainsi à l’émancipation. Mais d’un autre côté elle déplore une fragilisation de “l’image de soi” avec une recrudescence du nombre de femmes qui se plaignent de leur corps à cause des réseaux sociaux.
En conclusion de notre interview Mathilde Larrère s’est exprimée sur les pratiques de la pub qui constituent « un réceptacle terrible des imaginaires sexistes et des représentations de la femme ». Elle conseille le compte Twitter Pépite Sexiste qui retweet bon nombre de pub sexistes.
En conclusion de l’interview de Sha, elle a choisit de s’exprimer sur un autre algorithme que l’on retrouve sur Instagram : « Il y a pas longtemps j’ai découvert un autre algorithme discriminatoire : Instagram bannit des comptes pendant une courte période lorsqu’ils considèrent que le contenu est obscène. Toutes tes followers peuvent continuer à voir ton contenu mais personne ne pourra te trouver dans la barre de recherche: Si quelqu’un cherche ton pseudo tu n’existes pas ». (Sha a été bannie car elle poste du body painting et du nue féminin.) « J’ai même une photo de nu ou je suis de dos qui a été supprimée ». Ainsi, elle se sent totalement concernée par #FreeTheNipple. « En tant qu’amoureuse de l’art et du corps j’aimerais pouvoir travailler et poster mon travail librement sans avoir à mettre des stickers sur ma poitrine ». En attendant de pouvoir jouir de cette liberté d’expression elle doit pour l’instant utiliser une solution alternative pour montrer ses créations « Pour moi c’est le moment où on peut commencer à se poser des questions sur nos droits et nos libertés, et surtout la liberté d’expression quand on est femme ».
Conclusion :
Lina Esco, avec la création du mouvement Free The Nipple, lutte contre le concept de “double standard” et d’objectivation féminine dans notre société. Des textes fondateurs au Shockvertising, les mouvements viraux comme #FreeTheNipples ou les groupes féministes tel que les Femens mettent en lumière les incohérences d’égalité entre l’homme et la femme dans notre société. Aujourd’hui, plus besoin d’appartenir à un groupe féministe pour se sentir féministe. Toute femme réalise qu’elle peut agir à sa moindre mesure pour l’égalité femme-homme des futures générations.
Brique par brique, siècle après siècle, les femmes se rassemblent, s’unissent, afin de rétablir une société juste, égalitaire et impartiale face à leurs statuts, et à leurs corps. Cette 4e vague féministe viral et fédératrice, pense, mais surtout agit sans oublier l’héritage des générations précédentes qui a permis d’acquérir des droits fondamentaux comme celui de voter ou encore de disposer librement de son corps avec la loi Veil portant sur l’IVG.
Célébrité comme anonyme, homme comme femme, gay ou hétéro, cette lutte féministe devient humaniste et fait prendre conscience que notre société actuelle basée sur le patriarcat est à bout de souffle, dépassée. Le féminisme dérange, le féminisme trouble car il remet en cause la position de l’homme dans notre société mais pas seulement..Il bouscule nos habitudes, questionne notre système social, économique et politique et induit une peur générale du changement. Le féminisme ose et dit une vérité qui jusque-là était passée sous silence car elle dérange. Grâce au féminisme, notre monde change et il est appréciable de voir une certaine amélioration se profiler. Aujourd’hui par exemple, suite au mouvement FreetheNipples et aux soulèvement sur le double-standart, le corps des femmes n’est plus censuré sur Instagram mais à une condition : Après une énième femme ayant vu ses photos d’accouchement supprimées par Instagram, Katie Vigos, infirmière et mère de trois enfants a décidé, fin 2017, d’agir via une pétition ayant recueilli rapidement des milliers de signatures. Et en ce printemps 2018, les accouchements, mais aussi l’allaitement sont autorisés sur la plateforme. Il est fondamental alors de rappeler à travers ce dossier l’importance de la parole des femmes, que chacune d’elle apporte sa pierre à l’édifice du changement.
Nous espérons que demain, les futures générations permettront l’abolition du patriarcat en passant par la suppression de l’image sexualisée du corps féminin. Car finalement le téton n’est qu’une partie de l’immense iceberg que représente l’objectivation féminine.
L’homme apprend, commence à écouter, même s’il lui arrive d’être maladroit et parfois monopoliser encore la parole au risque de voler la vedette des femmes et malheureusement de déformer leurs messages. Petit à petit ils comprennent qu’il doivent se placer en retrait dans cette lutte, mais qu’ils peuvent soutenir ces femmes qui n’hésitent plus à descendre dans la rue pour entreprendre des actions directes. Alors prends garde à toi “gardien” des bonnes morales réactionnaires,
Le sein se montre, le sein éduque, les corps se libère pour une société plus égalitaire.