Par Anthony Augier, Mathilde Lahon, Nicolas Manteaufroy et Aniisah Rawa – Master 1 CMW
“Momo Challenge”, “Blue Whale Challenge”, “Zoom Challenge”… Depuis plusieurs années, les défis dangereux explosent sur les réseaux sociaux. Et les épreuves sont de plus en plus extrêmes : se brûler le corps, danser à côté d’une voiture en marche, sauter dans une étendue d’eau glacée etc.
Les gens qui exécutent ces challenges en tout genre profitent de la vitrine qu’offre le web pour se filmer, montrer de quoi ils sont capables pour impressionner leurs pairs. Mais les conséquences de ces jeux peuvent très vite devenir alarmantes : sentiment de culpabilité, humiliation, séquelles physiques ou neurologiques irréversibles.
De nos jours, avec Internet et les réseaux sociaux, les défis dangereux que se lancent les adolescents entre eux se multiplient. Il semble donc urgent de mettre en garde le plus grand nombre contre ces pratiques à risque qui conduisent bien trop souvent à des drames réels.
Les challenges ne sont pas tous dangereux. En effet un challenge comme le « Ice Bucket Challenge » part d’une bonne intention et n’a pas pour but de blesser celui qui le relève. Le participant doit de se verser un seau d’eau froide sur la tête au profit de la lutte contre la maladie de Charcot. Mais d’autres challenges sont apparus petit à petit, tous plus dangereux les uns que les autres. Certains challenges n’ont pas de noms mais s’identifient par les actions proposées : se mettre le feu, boire le plus d’alcool en moins de dix minutes, frotter un glaçon sur sa peau après y avoir déposé du sel jusqu’à la brûlure… Le dernier en date étant celui du « Blue Whale Challenge », venu de Russie et qui consiste à transmettre une successions de défis à réaliser tout en guidant la victime tout au long du jeu. Il conditionne ainsi psychologiquement le joueur pour exploiter ses faiblesses et atteindre son but ultime : le pousser au suicide
Il s’agira donc d’expliquer et de comprendre pourquoi les challenges dangereux rencontre un tel succès sur Internet ?
Dans un premier temps, nous proposerons un rappel de la notion de challenge, son histoire, son concept ainsi que ses plateformes de diffusions privilégiées. D’où proviennent-ils et que sont-ils devenus depuis l’avènement des réseaux sociaux ?
Ensuite, nous étudierons le phénomène de viralité propre à ces derniers ainsi que le profil de ceux qui les exécutent. Nous reviendrons également sur l’idée d’e-reputation.
Dans une dernière partie, nous mettrons en avant les conséquences physiques et psychologiques qu’engendrent de tels jeux ainsi que les mesures qui ont été prises afin de prévenir contre leur dangerosité.
Sommaire
I. Qu’est-ce que le challenge sur Internet ?
a. Historique et généralités
b. Concept
c. Plateformes de diffusion
II. Influences et réception
a. Phénomène de viralité
b. Profil des cibles
c. Réputation en ligne ou « e-reputation »
III. Conséquences engendrées par ces challenges
a. Conséquences physiques et psychologiques
b. Cyberharcèlement
c. Campagnes de préventions
Retranscription d’interviews
Notes de bas de pages
Bibliographie et webographie
I. Qu’est-ce que le challenge sur Internet ?
a. Histoire et généralités
Le challenge, dans sa définition la plus basique, peut être considéré comme un défi, une compétition dans laquelle un titre est mis en jeu. Ils ont toujours existés sous différentes formes: dans une compétition, lors d’un rallye par exemple, à l’occasion d’un combat, comme dans le domaine de la boxe, ou encore lors de simples jeux, comme nous le montre le cas du fameux bras de fer. Les récompenses positives du challenge sont multiples, en passant du trophée jusqu’à une simple, mais non moins importante, reconnaissance de la part de ses pairs. Dans le cas contraire, les conséquences peuvent être graduées mais allant parfois jusqu’au désastre: un surmenage, une blessure, une humiliation etc.
Ainsi, le challenge est marqué par une volonté de se surpasser, aller au-delà de ses capacités dans le but de terrasser un adversaire ou de sortir triomphant d’une situation complexe dans laquelle l’issue n’était pas favorable initialement.
Lorsque sera évoquée l’idée d’un challenge dit “dangereux”, il sera sous-entendu que des conséquences morales ou physiques sont belles et bien présentes pour celui qui le pratique.
Malgré une forme parfois plus implicite, les challenges considérés comme dangereux sont omniprésents dans nos sociétés et ce, dès le temps des cours de récréation. Toujours dans un but de démontrer ses capacités, les écoles primaires et collèges ont vu éclore, il y a de cela des dizaines d’années, des jeux pratiqués lors des temps de pause et mettant en danger la santé des écoliers et élèves. Appelés “jeux de non-oxygénation” mais plus connus sous les termes de jeu du foulard, des 30 secondes de bonheur, de la tomate, et plus récemment encore le jeu du sac, ces comportements à risque constituent un phénomène inquiétant pour les instances éducatives. Une enquête conduite par l’Institut de sondages français TNS-Sofres en 2007 a démontré que sur 489 enfants interrogés, âgées de 7 à 17 ans, 84% connaissent au moins un jeu dangereux et que 12% y ont déjà participé une fois [1]. Cette étude permet donc de mettre en exergue la popularité de ces jeux dès l’enfance et de comprendre pourquoi le passage de la vie réelle vers Internet s’est effectué aussi facilement, à la fois pour les challenges mais également pour les participants et simples observateurs.
Toutefois depuis l’essor d’Internet puis des réseaux sociaux vers 2004, les challenges ont pris une autre tournure. Une diffusion plus rapide et un nombre d’émetteurs et de récepteurs toujours plus importants ont permis aux challenges de se faire une place confortable sur ces plateformes en permettant de s’exposer au plus grand nombre. A partir de ce point-là, ils ont pu évoluer sous différentes formes: existants pour défendre une cause humanitaire, lancés par des entreprises voulant plus de visibilité ou dans une simple volonté de se mettre en scène, de la part de personnalités connues ou d’individus lambda. Cependant, quel que soit la nature de ce dernier, le processus reste toujours le même: réaliser le défi tout en se filmant, le poster puis le partager avec les membres de son réseau, généralement via le tag.
Les premiers challenges sur Internet sont apparus vers 2014. Et c’est l’ALS « Ice Bucket Challenge » [1] qui ouvre la porte aux autres défis dès l’été de cette même année. Le but est simple: il s’agit de se renverser un seau d’eau froide sur la tête puis partager sa vidéo sur Facebook en y identifiant au maximum trois personnes. L’initiative, lancée par l’association ALS et plus particulièrement par Corey Griffin et Pete Frates, avait pour but de médiatiser et lutter contre la sclérose latérale amyotrophique, plus communément appelée maladie de Charcot. Chaque réalisation du challenge devait rapporter 10$ à l’association et dans le cas d’un potentiel refus, il fallait reverser 100$ à cette dernière.
Ce phénomène est rapidement devenu viral dès lors où des personnalités publiques se sont pliées au jeu: Bill Gates, Oprah Winfrey, Katy Perry, Justin Timberlake mais surtout Mark Zuckerberg qui est le créateur du réseau social qui hébergeait ces courtes vidéos. L’ALS « Ice Bucket Challenge » marque ainsi le premier vrai gros succès des challenges sur Internet puisque l’association a récolté cette année-là 115 millions de dollars sur une période de 8 semaines [3], contre 2.8 millions l’année précédente et sans aucune médiatisation [4].
D’après le journaliste américain Timothy Stenovec (Huffington Post): «[ce défi] est le mélange parfait d’ingrédients qui rendent une chose virale : un peu de charité – même si vous n’êtes pas obligé de faire un don, cela vous fait passer pour quelqu’un de bien, et Facebook est vraiment le lieu pour se la jouer – et évidemment le fait que des célébrités le font» [5].
Après cela, les challenges se sont de plus en plus développés sur la toile, entraînant parfois de nombreuses dérives. Une partie des défis qui semblent à première vue anodins peuvent très vite devenir dangereux par manque de vigilance et d’informations: l’ALS « Ice Bucket Challenge » a tout de même fait deux morts dont un par choc thermique et le second qui n’est autre que le co-fondateur du défi.
Ainsi, depuis 2014, existe sur tous les réseaux sociaux des challenges qui permettent de se mettre en scène dans plusieurs disciplines, comme le sport par exemple avec le challenge dit de la planche, lancé par la coach sportive américaine Anna Kaiser. Ils peuvent également se pratiquer seul ou en groupe, comme le Mannequin Challenge, très populaire au cours de l’année 2016. En somme, or ALS « Ice Bucket Challenge », le défi sur Internet n’a pas d’autres finalités que celles de distraire, de faire rire ou d’impressionner. Il est dénué de toute morale, au sens de leçon, ou de réflexion. Et son format court et extrêmement basique font de lui une « star » sur les réseaux sociaux.
Malheureusement, les challenges dangereux sont également très prisés et constituent une part non négligeable dans la typologie de ces derniers. Ils peuvent être divisés en plusieurs catégories et finiront par avoir un impact sur la santé mentale ou physique des participants.
Pour commencer, les challenges qui remettent en question une ou plusieurs parties du corps. Ils touchent majoritairement les jeunes filles qui aspirent à des corps irréalistes et inatteignables, souvent mal à l’aise avec leurs formes et promeuvent l’extrême minceur dans le but tendre vers les stéréotypes de beauté actuels. Ils nous viennent principalement des Etats-Unis mais également de la Corée du Sud ou de la Chine. Il est ainsi aisé de citer le Kylie Jenner Challenge, l’A4 Waist Challenge ou encore l’iPhone 6 Knees Challenge, qui ne sont que de simples exemples parmi une longue liste.
Le Kylie Jenner Challenge, tirant son nom de la cadette de la famille Kardashian, consiste tout simplement à se gonfler les lèvres en aspirant l’air à l’intérieur d’un verre, décuplant alors le volume de ces dernières par effet de succion. Et si le concept peut sembler amusant à première vue, il n’en reste pas moins que certaines jeunes filles ont vu apparaître sur leurs bouches d’importants hématomes violacés ou ont vécu l’explosion du verre sur leur visage, causant de sévères blessures.
Quant à l’A4 Waist et à l’IPhone 6 Knees Challenges, ils mettent quant à eux en avant la maigreur de certains corps. Le but ? Posez une feuille A4 sur votre taille. Si cette dernière est toujours visible derrière la feuille, vous êtes “grosse”. Même procédé pour l’IPhone. Posez votre téléphone dans le sens de la longueur sur vos deux genoux. Si vous pouvez toujours les voir, vous êtes “grosse”.
Dans un second temps, il est possible de référencer les challenges qui présentent un réel danger pour la santé physique des participants. Ils sont tout aussi présents sur le net que ceux dont nous avons parlé précédemment car ils permettent de montrer à la face du monde notre goût pour le risque et le danger. Evidemment, le but de ce genre de challenge, à la base, n’est pas de se blesser. Cependant, nombre d’entre eux ont mal fini. Entre autres, le Fire Challenge, très largement repris sur Facebook en 2014. Le concept, venu tout droit des Etats-Unis, consiste à se verser sur le corps des substances inflammables puis d’y mettre le feu [6]. En l’espace de quelques semaines, un nombre conséquent d’adolescents se sont présentés aux portes d’hôpitaux américains dans le but d’être soignés pour brûlures aggravées. Nous y reviendrons plus en détails dans la partie ‘Conséquences physiques et morales’.
Et pour finir notre recensement de challenges dangereux, nous pouvons terminer par ceux qui sont mortels. Nous parlons ici de mort non pas accidentelle mais voulue, intentionnelle. Le concept diffère de tout ce que nous avons pu énumérer précédemment et fera l’objet d’une autre sous-partie intitulée ‘Cyberharcèlement’. Il existe deux ‘challenges’ qui ont tristement circulé sur Internet il y a de cela quelques années et qui correspondent à cette caractéristique de mort comme finalité inévitable (du moins dans le raisonnement initial): le Blue Whale Challenge ainsi que, plus récemment, le Momo Challenge.
b. Le concept
Le concept de challenge sur Internet repose sur un principe simple : il s’agit de se défier mutuellement au sein d’une communauté d’internautes. Le challenge a toujours pour origine un post, de média vidéo ou photo, d’une personne, populaire ou non, qui montre une action qu’elle est en train d’effectuer. Cette action a pour caractéristique d’apporter assez d’engouement pour inciter d’autres internautes à la reproduire. Cependant, le contenu partagé initialement n’a pas forcément vocation à être un challenge. En effet, pour exemple, le “Kylie Jenner Challenge”, qui a pour origine une vidéo de la star se gonflant les lèvres artificiellement, n’avait pas pour intention d’inciter les internautes à reproduire la même chose. Cependant, il arrive que cette incitation soit clairement exprimée : parfois affirmée directement dans les propos de la personne se filmant, mais aussi, bien souvent sous la forme de hashtag lié au contenu, définit par un ensemble de mots finissant par le terme “Challenge” (ex : #IceBucketChallenge).
Le challenge a ensuite pour caractéristique de devenir potentiellement viral, et donc d’être repris par d’autres personnes. Grâce à la popularité de la personne l’effectuant — si cette dernière est une personnalité — ou bien par la portée du post original, celui-ci va se propager, engageant ceux qui l’ont visionné à reproduire le même schéma. Et c’est par cette reprise du contenu original que la viralité du challenge s’opère, reposant sur le principe de “l’effet boule de neige”. Les personnes le reproduisant mentionnent le hashtag lié au challenge et cela permet alors à quiconque d’accéder à l’ensemble des contenus partagés par les autres internautes sur le réseau et de comprendre qu’il s’agit d’un phénomène massivement reproduit. Et c’est via ce système d’hypertexte que le contenu partagé prend tout son sens pour tout utilisateur d’une plateforme. La viralité des challenges se forme alors grâce à cette particularité du partage numérique.
C’est aussi par leur format simple et rapide que les challenges se caractérisent. Sous la forme de média photo ou vidéo, il est consommé par les internautes de manière succincte et massive, apparaissant régulièrement dans le fil d’actualité de ces derniers. Souvent produit à l’aide de smartphone, la réalisation d’un challenge est aussi à la portée de tous. La qualité du média n’étant pas un critère pour sa diffusion et sa notoriété potentielle, c’est dans un format “amateur” qu’il est le plus souvent produit. De plus, le partage de celui-ci, grâce aux réseaux sociaux et autres plateformes de partages, est d’autant plus accessible à tous, de par leur facilité d’utilisation actuelle. Enfin, il s’agit d’un format attractif et distrayant. Montrant des scènes insolites, de personnes effectuant des actions extravagantes, il est un contenu qui diffère du reste des posts habituels que l’on peut trouver sur les réseaux sociaux.
Le concept de challenge peut donc être vu comme un “cap ou pas cap numérique” à grande échelle. L’ensemble de ses caractéristiques étant directement liées aux apports du web 2.0, c’est par le biais des plateformes de partage et des réseaux sociaux qu’il est apparu et s’est développé.
c. Plateformes de diffusion
Depuis l’essor d’internet et des réseaux sociaux, les challenges ont pris une autre tournure: la diffusion est massive et rapide ce qui rend la réception plus importante.
1. Facebook
Parmi les réseaux sociaux on compte tout d’abord Facebook, le réseau social le plus célèbre. Fondé en 2004 par Mark Zuckerberg, il est le 3e site internet le plus visité au monde, derrière Google et Youtube. De plus, avec plus de 2 milliards d’utilisateurs actifs, Facebook a l’avantage d’offrir une liberté d’expression illimitée : contrairement à Twitter et sa limite de caractère imposée par exemple.
L’utilisateur peut s’exprimer et partager librement tant que les règles du site sont respectées. Il peut également choisir les personnes qui peuvent avoir accès à son contenu : ses amis, les amis de ses amis ou le rendre totalement public, voire faire une sélection personnalisée.
Facebook est une plateforme de partage assez conviviale, à caractère privatif. La diffusion de contenu est principalement destinée à être vu par ses relations, et non des inconnus. Les défis que l’on retrouve le plus sont les challenges nominatifs comme “Une photo ou un resto”. Le principe est simple : publier une photo d’enfance et identifier trois amis, ceux qui ne relèvent pas le défi doivent payer le repas. Ce challenge est vite devenu viral, étant sur une plateforme propice à la diffusion rapide et en masse. On peut également noter encore une fois le « Ice Bucket Challenge » ou que les Necknomination. Par ailleurs, identifier des amis sur un contenu est une fonction qu’on ne retrouve pas sur les autres plateformes de partage. De ce fait, Facebook a le monopole des challenges nominatifs et son nombre d’utilisateurs important permet une diffusion large et rapide.
2. Twitter
Peu après la création de Facebook, apparaît Twitter en mars 2006, et a connu un succès retentissant en très peu de temps. En effet, avec 313 millions d’utilisateurs actifs à ce jour, et 500 millions de tweets envoyés par jour, c’est un réseau social populaire qui permet aux utilisateurs de s’exprimer librement. Toutefois, il y a une contrainte: leur tweet (message) ne doit pas dépasser 280 caractères.
Avec ce réseau les usagers peuvent partager par le biais du tweet et cela en quelques secondes. Ce tweet est visible par tout le monde (sauf en cas de profil privé). L’avantage avec Twitter, c’est que tous les thèmes sont abordables, aussi bien la nudité que l’alcool, ce réseau n’a aucun tabou et aucune restriction.
La renommée de Twitter s’est notamment développée avec les retweets : cette possibilité de partager avec le monde entier des tweets (humoristiques, engagés, publics…) d’un simple clic. En effet, contrairement à d’autres réseaux sociaux, l’utilisateur peut publier des photos, des vidéos, partager le contenu de l’actualité en retweetant, ce qui lui offre un avantage considérable en terme de visibilité et d’e-réputation. Notre tweet, via cette option, a plus de chance de faire le tour du monde que notre photo Instagram par exemple. La rapidité et la fluidité de ce réseau social sont une des qualités idéales pour la propagation des challenges sur internet, à risques ou non, ce qui peut à tort ou non associer le réseau social à de la controverse.
En effet avec cette rapidité et facilité de partage, les vidéos de challenges fusent sur Twitter et les effets de mode prennent peu de temps à apparaître. De plus si les vidéos viennent à être retweetées par de fortes personnalités ayant beaucoup d’abonnés, la diffusion sera plus importante, et touchera donc une audience plus grande.
3. Instagram
Le réseau social Instagram est aussi une plateforme majeure, sur laquelle les challenges se développent. Avec plus d’un milliard d’utilisateurs actifs en 2019 [7], et une moyenne de cent millions de posts par jour [8], il est l’un des réseaux sociaux les plus utilisés aujourd’hui. Il se constitue pour tout utilisateur, d’un feed regroupant les contenus suivis par celui-ci, mais aussi d’un onglet “Explorer” où il peut y trouver des contenus divers et variés. Un moyen qui permet alors de consulter les tendances du moment sur Internet, incluant un nombre quasi illimité de photos et de vidéos venant d’autres utilisateurs du monde entier. A ceci s’ajoute l’outil de recherche par hashtag mis en place par la plateforme, qui référence pour chaque mot-clé, la liste exhaustive du contenu publié et lié par celui-ci. Instagram est alors un réseau social adéquat à la diffusion de ces challenges. Par son fonctionnement global, il favorise leur visibilité et leur reprise par d’autres utilisateurs.
Ce qui fait la particularité d’Instagram vis-à-vis des challenges, c’est la thématique dominante de ceux-ci. En effet, le réseau social est, entre autre, connu pour son contenu orienté autour de la mode et de la beauté. Et c’est sur l’ensemble des challenges partagés composant cette catégorie précise que le phénomène de viralité va s’opérer. Touchant plus particulièrement la communauté féminine, c’est alors bien souvent le corps de la femme qui va être engagé au cœur de ces défis. Ainsi, de nombreux challenges tels que le “Thigh gap challenge”, ou encore le “Ribs cage challenge”, vont émerger de la plateforme, où le corps va être mis à l’épreuve pour satisfaire certains critères de beautés féminins.
Instagram est aussi caractérisé par sa forte présence de personnalités, en particulier les influenceurs, qui comme leur nom l’indique, vont avoir une grande influence sur les utilisateurs. En effet, ceux-ci publient régulièrement du contenu, qui ont une grande portée, et touchent ainsi une masse importante de personnes. Grâce à leur notoriété et la fascination qu’ils exercent sur leur communauté, ils peuvent initier un phénomène d’imitation, et sont donc davantage disposés à rendre un challenge viral. Même s’il arrive que les influenceurs diffusent des challenges, certaines publications à l’origine de ces derniers n’avaient pas forcément vocation à le devenir. En effet, la plupart des challenges émergeant d’Instagram sont nés de posts qui ne s’y prêtaient pas, mais ont été par la suite, détournés par les internautes. C’est le cas du « Kylie Jenner challenge » par exemple.
4. YouTube
Avec pas loin d’1,9 milliard d’utilisateurs actifs chaque mois, YouTube représente la plus grande plateforme de partage de vidéos. Les challenges sont ici relevés la plupart du temps par des personnalités connues de tout public dans l’unique but de faire du buzz. Les challenges nominatifs sur cette plateforme sont difficilement réalisables. Dans le cadre des challenges sur YouTube, on participe aux challenges après les avoir déjà vus sur la toile, et on ne fait que les reproduire afin de se faire connaître ou de divertir. On a pu le voir avec le “Ticket à gratter challenge” où il était simplement question de gratter un ticket et de découvrir le gain face caméra.
En effet, les challenges initiés sur YouTube ne sont pas dangereux, ils sont plus réalisés dans une optique amusante, relevant de l’humour comme le Chubby Bunny Challenge, qui consiste à dire une phrase avec des marshmallow en bouche.
Même si YouTube n’est pas spécialement à l’origine des challenges dangereux, la plateforme ne peux pas y échapper avec, par exemple, l’apparition de compilations sur les différents challenges dangereux présents sur Facebook, Twitter, WhatsApp ou encore Instagram. Ainsi, à la vue de la propagation massive des challenges dangereux sur YouTube, il semblait nécessaire d’agir afin de dénoncer ces pratiques.
L’une des premières réactions constatée est la dénonciation des challenges dangereux par certains YouTubers connu comme par exemple Le roi des rats [9] ou encore Kylian, qui expliquaient les dangers de ces défis et demandaient à leur communauté de ne surtout pas les reproduire.
L’autre réaction est celle faite par YouTube directement. En effet, le service a décidé de sévir et a publié ce 15 janvier un renforcement des ces règles, interdisant notamment les « défis et blagues dangereux » [10]. C’est après le « Bird Box Challenge » que YouTube a décidé de ne plus diffuser ces challenges sur sa plateforme. En effet ce challenge, inspiré du film d’horreur à succès de Netflix, Bird Box consistait à conduire les yeux bandés. Quelques accidents ont déjà été recensés suite à ce challenge.
Face à tous ces défis, toutes ces compilations de défis, YouTube veut limiter la casse et a donc durci son règlement ce 15 janvier. La plateforme interdisait déjà les contenus « incitant à la violence ou à des activités dangereuses pouvant entraîner de graves dommages physiques ». Il a alors précisé en cette date : « Nous interdisons les défis présentant un risque de danger grave ou de mort, ainsi que les blagues qui font croire aux victimes qu’elles courent un grave danger physique ou font vivre aux enfants une détresse émotionnelle grave.».
YouTube laisse donc 2 mois aux utilisateurs pour s’adapter à l’évolution de leurs règles. Au-delà de ce délai, les vidéos transgressant leur politique seront supprimées.
Cette politique de la plateforme fait écho à sa volonté de punir tout comportement, langage ou messages grossiers, offensants ou dangereux (la démonétisation des vidéos touche de plus en plus de YouTubers et en majorité ceux avec le plus d’abonnés, autrement dit ceux avec la plus grande visibilité et donc influence sur l’audience) : les challenges sont ainsi un exemple concret des limites du contenu que l’on peut partager sur la plateforme.
YouTube se rapproche toujours plus du réseau social avec l’intégration récente des story, à l’instar de Facebook, WhatsApp et Instagram qui sont tous suivi rapidement la fonctionnalité proposée par le réseau social SnapChat.
La vigilance de la plateforme est donc accentuée par la popularité des challenges et autres idées dangereuses pour les utilisateurs.
Ainsi, on remarque que ces plateformes de partages sont différentes et qu’elles sont loin de partager le même contenu malgré leur volonté de se rapprocher toujours plus du réseau social 2.0.
Et même si leur diffusion de masse et leur impact sur les jeunes restent très importants, les plateformes cherchent à rester authentiques et à proposer un éventail de possibilités toujours plus grand.
II. Influences et réception
a. Phénomène de viralité
Le mot viralité est employé dans de nombreux domaines, nous allons chercher à comprendre son origine et sa signification de façon générale puis plus précisément dans le contexte des challenges sur internet.
L’origine étymologique de ce terme provient du latin virus qui renvoie à l’humeur, au poison ou encore à l’infection. Le mot virus a une connotation négative depuis son origine, on voit cela comme une entité invisible qui s’immisce et se propage pour faire du mal. Dans un contexte uniquement médical par exemple, l’idée de viralité est négative.
De nos jours on emploie beaucoup le mot viralité dans le domaine du numérique et de la communication où il n’est ni négatif ni positif. Sa première définition en informatique date de 1984, c’est Frederick B. Cohen qui invente l’expression « virus informatique », qu’il définit dans une étude comme étant un « programme capable “d’infecter” d’autres programmes en les modifiant de façon à inclure une copie de lui-même, potentiellement évoluée ».
La viralité, avec l’émergence du web 2.0, se définie comme étant le nombre de personnes ayant partagé un contenu dans une période généralement brève de temps. En général, le cycle de partage viral a une durée d’une ou deux journées. Elle est le pendant en ligne du bouche-à-oreille à une échelle beaucoup plus large étant donnée la facilité avec laquelle les contenus se partagent et se propagent sur Internet et les réseaux sociaux.
A ne pas confondre avec la notion de buzz qui n’est par définition pas un objectif en soi. Le buzz est l’imprévisible, il est ce qui dépasse les attentes initiales de façon inattendue, que ce soit en bien ou en mal. Par exemple une vidéo peut créer un buzz sans pour autant devenir virale. La vidéo devient virale à partir du moment où cette dernière est reproduite par de nombreux acteurs.
Il est donc maintenant intéressant, en sachant cela, de comprendre comment un contenu devient viral ?
Duncan Watts, sociologue spécialiste de la théorie des réseaux, a travaillé sur la notion de viralité sur Internet. D’après lui, les phénomènes viraux ne seraient que le fruit du hasard.
A gauche, le schéma de propagation virale par cercles concentriques : les influenceurs sont les premiers destinataires et assurent un rôle de relais. Tandis qu’à droite, la propagation est anarchique. Duncan Watts ici remet totalement en question le modèle de viralité fondée sur les influenceurs. Il ira même jusqu’à faire une métaphore du phénomène de viralité avec un feu de forêt. Pour lui c’est la combinaison de nombreux paramètres aléatoires qui va déterminer l’ampleur de la propagation du feu. Ainsi, si un contenu devient viral sur internet, c’est la combinaison de nombreux paramètres non déterminés à l’avance qui vont caractériser l’ampleur de son succès.
Jonah Berger et Milkman dans “What Makes Online Content Viral” quant à eux expliquent que pour que le processus de viralité se mette en place il faut que le contenu soit, au choix, futil ou émotionnel (les challenges reposent sur ces deux caractéristiques).
Ainsi la décision de partager du contenu peut être déclenchée par les émotions. Si un contenu engendre un intérêt et des émotions considérables, la probabilité que le contenu soit partagé est accrue. C’est pour cette raison que le contenu visuel, facile à comprendre, et facile à consommer, est généralement plus viral.
Les challenges ne sont donc qu’une petite partie des phénomènes viraux mais semble correspondre à ce qui a été expliqué précédemment. Comment expliquer que ces défis en tout genre explosent sur les réseaux sociaux ? Pourquoi est-ce aussi viral ? Qu’est-ce que cela dit de notre société ?
Une première piste serait notre nouveau rapport à l’image. En effet si le phénomène de se défier n’est pas nouveau, les challenges prennent une autre dimension avec le développement du numérique : une diffusion plus large et une audience énorme. La société est devenue très visuelle depuis l’avènement des réseaux sociaux, et pousserait donc les personnes à plus se « montrer ». De plus les réseaux sociaux sont un espace où les frontières entre les classes sociales sont très faibles, chacun a le droit d’exister comme il l’entend, de partager les choses qu’il souhaite avec un potentiel de visibilité plus ou moins conséquent. Si nous prenons l’exemple de Facebook, en taggant une personne sur une publication, elle apparaît sur le mur de cette dernière et y reste jusqu’à la suppression du post original. Elle peut donc être vue par des milliers de personnes en quelques secondes : si nous identifions 5 personnes qui ont 300 amis chacun, on peut potentiellement atteindre 1500 personnes. Les challenges sur les réseaux sociaux utilisent énormément ce processus, c’est-à-dire que lorsqu’un challenge est effectué il y a souvent un système de nomination de plusieurs personnes via l’identification afin qu’ils réalisent le challenge et ainsi de suite. Il y a donc la création d’une viralité si ces personnes se prêtent au jeu.
Ainsi le succès des challenges rencontré sur le net peut s’expliquer car ils sont facilement accessibles, compréhensibles par tout le monde et n’importe qui peut les réaliser et les partager facilement. Il peut s’expliquer également par un phénomène d’imitation. « C’est rassurant de faire comme tout le monde », note Catherine Crochez-Travers, psychologue en activité libérale depuis 25 ans [11]. En imitant ce qu’ils voient, les internautes, notamment les adolescents, ont ainsi l’impression d’appartenir à un même un groupe. En cela, ils sont prêts à tout, et sont poussés à aller plus loin par crainte d’être exclus du groupe. Les gens réalisant ces challenges éprouvent donc le besoin de se mesurer aux autres et d’être comme eux.
b. Profil des cibles
Les jeux dangereux ont toujours existé, et ce depuis notre plus jeune âge. On se rappelle du jeu du foulard et bien d’autres initiés dans la cour de récréation.
En effet, avant l’âge de 8 ans, l’enfant n’a pas conscience de la notion de mort, et de son caractère irréversible. La plupart du temps, ils ne sont pas capables de se rendre compte des risques que peuvent engendrer certains jeux, car ils n’ont aucune conscience des dangers. Les enfants commencent à jouer à ces jeux en regardant les plus grands de la récré faire, ou parce qu’on les a tout simplement initiés.
Les challenges, soit le cap ou pas cap 2.0, touchent majoritairement les adolescents plus particulièrement de 13 à 17 ans. Ces âges ne sont pas anodins, car c’est à ce moment-là, qu’en tant qu’ados nous passons par plusieurs stades. Parmi ces stades marquants nous retrouvons la puberté, qui arrive avec de nombreux changements, la crise d’adolescence et la rébellion.
L’adolescence est une période de doute où l’on cherche à savoir qui l’on est, de quoi l’on est capable en testant ses propres limites. C’est durant cette période qu’on se construit une identité. La prise de risque fait partie de la recherche identitaire chez l’adolescent. Pour certains jeunes, c’est élément primordial pour gagner de l’indépendance vis-à-vis du contrôle parental. En testant leur courage et en se confrontant au danger, ils affirment le passage de l’enfance à l’adolescence.
Le succès des différents challenges rencontré sur la toile s’explique tout d’abord par un phénomène d’imitation. En imitant ce qu’ils voient, les adolescents, ont l’impression d’appartenir à un groupe, ou pensent qu’en étant et faisant comme les autres ils pourront être acceptés. Ils sont prêts à tout, et sont poussés à aller plus loin par crainte d’être exclus et se retrouver complètement seuls. Les adolescents éprouvent le besoin de se mesurer aux autres, de rentrer dans un moule pour pouvoir exister et se créer une identité.
Toutefois ces défis ne concernent pas tous les adolescents mais uniquement ceux qui sont en pleine construction identitaire, dans une période où se cherchent, où ils veulent tester leurs nouveaux corps et où ils subissent une forte pression sociale. Ils sont pour la plupart facilement influençables. Les défis touchent également ceux qui souhaitent s’affirmer, ou prouver quelque chose aux autres, ou encore ceux qui sont en recherche de sensations fortes. En effet, le besoin de stimulation amène les jeunes à repousser le seuil de sécurité en adoptant des comportements de plus en plus risqués, par seule motivation de ressentir cette adrénaline, cette intense folie apportées par ces nouveaux défis. Cependant, il arrive aussi parfois de ressentir un manque en arrêtant ces jeux, ce qui peut être fort troublant pour des adolescents. Ce manque se transformerait donc en une sorte d’addiction.
Une majorité des parents surprotègent leurs enfants, en leur disant de faire attention à tout, mais on sait tous que l’interdit attire. Prendre des risques, transgresser les règles, c’est un grand classique à l’adolescence: fumer avant l’âge autorisé, conduire sous l’emprise de l’alcool, ou conduire vite comme dans les jeux vidéo.
Comme mentionné précédemment, le plus souvent, ces défis sont expérimentés par des adolescents qui testent leurs limites, et qui inconsciemment veulent défier la mort. Ils sont convaincus que rien ne peut leur arriver. Ils se sentent immortels, invincibles ou n’ont tout simplement pas conscience des risques. Ils agissent souvent de cette manière pour être reconnus au sein du groupe, d’une communauté, mais aussi pour s’en démarquer. D’ailleurs, chez les garçons, on remarque la présence d’un concours d’égo : ils veulent se faire aimer et être meilleur que les autres, pour pouvoir ensuite s’en vanter.
Nous sommes dans la génération Y, qui reflète le narcissisme humain au plus haut point. Où les jeunes suivent cette mode de constamment se montrer, de se mettre en scène, d’exister, et d’être vus par les autres. On retrouve encore ici la volonté de capter l’attention même auprès d’anonymes, et cebesoin d’existerdans le regard des autres. Les joueurs ont une volonté de se mettre en avant, de montrer à la face du monde qu’ils existent, de repousser leurs limites, et de surtout montrer qu’ils sont les meilleurs. Ils ne prennent pas en compte les risques, bien au contraire, ils veulent les surmonter et en sortir gagnant. Pour eux, réussir le challenge, est synonyme de réussite et de reconnaissance sociale: être populaire avant tout.
c. Réputation en ligne ou « e-reputation »
En dehors de l’envie de relever un défi et de le surmonter, les challenges sont aussi un moyen de parvenir à se créer une certaine notoriété. En effet, avec l’essor du web 2.0, la notion de popularité sur le web s’est fortement développée. Et ce phénomène que l’on appelle aujourd’hui la “e-réputation”, est une des principales finalités pour ceux qui réalisent ces challenges.
Apparu dans les années 2000, la réputation en ligne est pour la première fois abordée par deux auteurs américains, Cynthia G. McDonald et Carlos Slawson, dans leur article “Reputation in an Internet Auction Market”. Il est alors question de la réputation des vendeurs aux enchères sur le web (notamment sur eBay), et de l’influence que cela génère sur les acheteurs. Les auteurs expliquent alors qu’une bonne réputation sur la toile amène à une plus grande confiance chez l’acheteur. Mais le terme d’“e-reputation” n’est pas pour autant évoqué, ici on parle seulement de “online reputation”, concernant plus particulièrement un certain secteur, celui du commerce en ligne. C’est par la suite, peu de temps après, qu’en 2001 le terme “e-reputation” voit le jour avec les deux scientifiques Rosa Chun et Garry Davies, dans leur livre « E-reputation: The role of mission and vision statements in positioning strategy ». On parle alors d’identité numérique, d’une partie de notre réputation qui est dérivée des relations électroniques [12]. Cette réputation sur la toile du web est donc vue comme un “renouveau”, une réputation parallèle à celle que nous possédons déjà dans la vie réelle, et que l’on doit s’efforcer de construire et d’entretenir, sur ce nouveau monde virtuel qu’est internet.
C’est avec les nouvelles possibilités du web 2.0 et l’essor des réseaux sociaux que le phénomène d’e-réputation va d’autant plus se développer. Ces derniers, impliquant une grande facilité à s’exposer sur la toile, vont avant tout faire émerger chez leurs utilisateurs un nouveau rapport à l’image. En effet, les réseaux sociaux vont être un nouveau moyen pour celui qui le souhaite de construire et développer son identité virtuelle, c’est-à-dire la façon dont les autres vont le voir, indépendamment de ce qu’il en est dans la vie réelle. Par l’ajout d’informations et le partage de son quotidien, un internaute va pouvoir, avec facilité, se forger sa propre e-réputation. Une réputation que beaucoup vont alors chercher à manipuler, contrôler, pour qu’elle soit le reflet de ce qu’ils souhaitent. C’est alors que des publications, comme celles de se filmer en train de réaliser un challenge, vont pouvoir contribuer à celle-ci. Étant du point de vue de beaucoup, une preuve de courage et de dépassement de soi, les challenges vont être un moyen pour beaucoup d’internautes de revaloriser leur réputation, et même, accéder à un certaine notoriété.
L’e-réputation — dans le sens où celle-ci se veut importante — a pour caractéristique d’être accessible à tous. En effet, toute personne peut parvenir à se faire connaître par le biais du web, cela ne demandant aucun pré-requis à avoir. Beaucoup vont alors se lancer dans une course à l’e-réputation, cherchant par tous les moyens à se faire remarquer par le reste des internautes. Créer, publier du contenu sur la toile, peut permettre d’accéder à celle-ci, à condition qu’il dispose d’une bonne visibilité. Le choix d’effectuer un challenge, va alors être un moyen et un raccourcis, pour parvenir à cela. Ayant une forte visibilité et une popularité préalablement établies, ces challenges vont permettre à un internaute lambda de se faire connaître par sa performance. Cette envie d’attirer l’attention et de faire le buzz sur internet est typique du profil que nous avons établis auparavant. La génération Y, qui grandit dans ce nouvel univers numérique, a alors la possibilité de voir tous les jours de parfaits inconnus être subitement révélés par le moyen d’internet. Une nouvelle génération où l’e-réputation devient alors aussi importante que la réputation réelle, cherchant à se développer une identité numérique forte quitte à prendre des risques dans la réalisation de ces challenges.
III. Conséquences engendrées par ces challenges
a. Conséquences physiques et psychologiques
Il a été évoqué plus haut les raisons qui poussent les adolescents à réaliser de tels défis: la recherche d’adrénaline, une volonté d’exister sur les réseaux sociaux ou de s’affirmer auprès de ses pairs… Or, il n’est pas rare que les challenges dérapent lors de leur réalisation, soit par manque d’informations, soit par manque de vigilance ou de mauvaise prise en compte des risques. Evidemment, il s’agit principalement d’accidents, le but initial n’est jamais de se blesser. Cependant, ont été recensées à travers le monde une large variété de blessures liées à la pratique de ces défis, allant du simple ecchymose à la fracture, en passant par les brûlures et autres plaies ouvertes.
Il est important de noter que les challenges tournant mal, c’est-à-dire lorsque la blessure apparaît à la vidéo mais qu’elle n’était pas voulue initialement, connaissent un large succès sur la toile et ont tendance à devenir viraux de part leur aspect à la fois “comique” mais aussi impressionnant.
La plupart des challenges sur Internet ont eu lot leur lot d’accidentés, même ceux qui partaient d’une cause louable et semblaient, à première vue, tout à fait inoffensifs et innocents, comme le Ice Bucket Challenge, qui a causé la mort de deux personnes, ou encore le “A l’eau ou au resto !”.
Ce dernier repose sur un principe simple: il suffit de sauter dans une étendue d’eau puis inviter trois amis à faire de même sous peine d’offrir un repas en cas de forfait. Le jeu, qui regroupe en un seul geste deux idées, le courage de sauter dans l’eau et la camaraderie, a tout de même fait trois accidents dont un mortel en France en 2014. Dans cette volonté de réaliser le défi coûte que coûte, les risques de noyade ou de choc hypothermique ont été par exemple ignorés ici, alors que le fait de plonger dans une eau glacée sans réelle préparation constitue un véritable danger pour le corps humain.
Un autre cas ayant secoué les réseaux sociaux, et probablement le meilleur exemple de challenge où les risques encourus ont été délibérément ignorés alors que le danger est omniprésent : le Fire Challenge, apparu sur Facebook et popularisé sur les réseaux sociaux en 2016. Et comme l’indique le nom, le rapport au feu est direct. Le but: se renverser sur le corps un liquide inflammable et y approcher un briquet ou une allumette. Une fois que le corps a prit feu, il suffit, en théorie, de plonger rapidement dans une baignoire, une piscine etc.
La réalisation de ce challenge a uniquement pour but de démontrer ses capacités et de surpasser ses limites. Le fait d’avoir un point d’eau à proximité peut, à première vue, rassurer. Dans l’esprit du “joueur”, les dangers sont minimes et les risques de brûlures ne sont que très peu existants puisque l’eau est censée éteindre le feu dans la seconde suivante.
Cependant, de nombreux hôpitaux américains (lieu de naissance de ce défi) ont pu constater de multiples brûlures liés à ce dernier, et certaines étant réellement graves. Il est d’ailleurs possible de retrouver sur les réseaux sociaux des compilations du Fire Challenge, et même ses “fails” (lorsque la situation dérape), où les protagonistes sont rapidement dépassés par les évènements et dont les personnes à proximité n’arrivent pas à éteindre le feu du premier coup (souvent à l’aide d’un seau). Ainsi, il est possible de relater l’histoire Timiyah Landers, une jeune adolescente de 12 ans originaire de Détroit, admise à l’hôpital pour brûlures aux deuxième et troisième degrés sur 49% de son corps après avoir pratiqué le Fire Challenge. N’ayant pas réussi à éteindre d’elle-même les flammes qui consumaient son corps, elle s’est transformée en boule de feu selon les dires de Brandi Owen, sa mère, qui a fini par l’allonger dans une baignoire avant que l’inévitable ne se produise.
Les types de blessures provoquées par les challenges sont très variés. Il a été évoqué ceux qui laissent des séquelles visibles mais ils peuvent parfois être nocifs pour les organes et le fonctionnement normal du corps. Entrant dans cette dernière catégorie, nous pouvons retrouver les connus Cinnamon challenge (le défi de la cannelle), Hot pepper challenge, Tide pod challenge ou encore les Necknomination. Tous ces défis ont un lien direct avec la boisson ou la nourriture. Et c’est à ce moment-là qu’ils deviennent dangereux puisqu’ils sont avalés, digérés, filtrés par les organes et propagés dans l’ensemble du corps via le sang.
En premier lieu, le défi de la cannelle ainsi que celui concernant les piments peuvent provoquer l’étouffement lors de l’ingurgitation. La membrane de la gorge se gonfle, le protagoniste se met à tousser de plus en plus fort et de plus en plus régulièrement. Quant à sa respiration, elle devient plus difficile. Plus particulièrement pour le cas du piment, celui-ci peut provoquer des vomissements et des hallucinations. Et prit en trop grande quantité, il peut s’avérer toxique, d’autant plus qu’ils se doivent d’être référencés “convenablement” sur l’échelle de l’échelle de Scoville pour que la vidéo soit divertissante (c’est-à-dire qu’on s’assure que des réactions seront présentes). Lorsque ce challenge est réalisé dans des conditions de sécurité, il est possible de placer un verre de lait à côté dans le but de contrer la sensation de brûlure. Mais reproduit à domicile par un adolescent qui ne serait pas informé, ces challenges peuvent devenir réellement dangereux.
Quant aux Necknomination (qui provient de “to neck a drink”, boire cul sec), le principe ici consiste à boire la plus grosse quantité d’alcool en un minimum de temps. Et l’acte peut sembler anodin à première vue. Boire, sortir dans des bars est une des activités préférées des adolescents: en soirée, entre amis, dans les lieux publics. Chaque occasion devient un prétexte à boire un verre. Alors on ne se rend pas bien compte des conséquences que peut avoir l’alcool sur le corps lorsque celui-ci en reçoit une quantité importante en un laps de temps trop court. D’autant plus, qu’encore une fois, il s’agit de montrer à son réseau qu’on est capable de relever le défi et de mentionner à son tour ses amis. Mais le phénomène a tout de même fait quatre morts chez nos confrères britanniques, aboutissement de comas éthyliques. Et cette mode de “binge drinking” a très largement interpellé le ministère de l’intérieur à l’époque, qui a publié sur son site internet un communiqué qui “met en garde les participants contre les dangers de la consommation d’alcool mais également sur leur image sur internet” [13].
Ainsi, certains challenges peuvent s’avérer très dangereux pour un public non averti. D’autres peuvent rapidement dégénérer provoquant d’importantes blessures et parfois même la mort.
Cependant, d’autres formes de dangers existent. Il est également important de mentionner ceux qui auront un impact négatif sur la perception du corps et qui ont pour principale cible les jeunes filles mal dans leur peau et qui souhaitent correspondre à des critères de beautés irréalistes.
Le Thigh Gap, l’A4 Waist Challenge, l’IPhone 6 Knees Challenge… Tous ces défis ont pour but de mettre en avant l’extrême minceur qui caractérise parfois nos critères de beauté actuels. Il faut ainsi ne pas excéder un certain poids pour réussir le défi. Or, ils peuvent devenir une réelle menace pour certaines jeunes filles qui préfèreront perdre drastiquement du poids plutôt qu’abandonner. En plus de promouvoir l’anorexie, ils peuvent entraîner la boulimie et conditionner l’esprit à l’idée qu’un corps trop maigre est un corps beau, ce qui présente un danger pour la santé à la fois physique mais également mentale. Car, si le challenge n’est pas réussi, si l’on n’entre pas dans ces standards de beauté, cela peut avoir des conséquences très néfastes sur la perception de son propre corps et potentiellement mener à la dépression.
b. Cyberharcèlement
Parmi les challenges dangereux, il est important de prendre en compte ceux reposant sur le principe de succession de défis menant volontairement à la mort. Ils s’éloignent de tous les défis énoncés ci-dessus car ils ne sont pas partagés sur les réseaux sociaux traditionnels et donc exposés à la vue de tous, et n’existent que sur les messageries privées de divers serveurs tel que WhatsApp ou encore VKontakt, le Facebook russe. À ce jour, il en existe deux qui ont tristement fait parler d’eux à cause des suicides qu’ils ont provoqué ou simplement par leur fonctionnement sordide : le Blue Whale Challenge ainsi que le Momo Challenge. Le procédé est toujours le même : après avoir contacté un numéro de téléphone anonyme « tuteur » est attribué à l’envoyeur, qui imposera une suite de défis à relever. Ces challenges sont gradués et deviennent de plus en plus violents au fur et à mesure de leur exécution. La finalité prévue pour celui qui y participe est le suicide.
Apparaissait en 2015 sur les téléphones portables des adolescents russes le tristement célèbre Blue Whale Challenge [14]. Tristement célèbre car il serait lié au suicide d’au moins 80 jeunes (même si la police n’a pas toujours confirmé le lien direct entre ces challenges et la mort de ces ados). Cette chaîne tire de son nom de cette croyance populaire concernant les baleines qui viendraient se suicider en s’échouant volontairement sur les plages.
L’histoire commence sur VKontakt et aurait plus précisément pour origine un groupe secret nommé « f57 » dont les membres échangeaient quotidiennement des photographies en rapport avec la scarification, mutilation ou encore la mort, dont le suicide. C’est ici qu’y est partagé la photo d’une adolescente, Irina Kambaline, morte en se jetant sous un train. Elle serait la première victime du Blue Whale Challenge. Et c’est dans l’atmosphère de glorification et de romantisation de la mort présente sur ce groupe que le phénomène prend de l’ampleur. Il est par la suite le sujet de vidéos sur YouTube qui explicitent son fonctionnement tout en mettant en garde le public contre ce dernier et déconseillant toute recherche pour rentrer en contact avec cette chaîne, ce qui évidemment a provoqué l’effet inverse, par la curiosité malsaine qu’elles ont suscité.
Dès lors, nombreux sont les adolescents ou adolescentes qui désirent une « baleine », c’est-à-dire un tuteur qui pourrait les guider vers le suicide. Après avoir été contacté par ce dernier via le système de messagerie du réseau social, les défis commencent. Il y en aura 50 au total et une photographie sera demandée à chaque réalisation d’un challenge, afin de passer au suivant. Si certains semblent tout à fait innocents, comme le numéro 4 : « Dessine une baleine et écrit Whale sur une feuille », d’autres, comme le numéro 15 : « Poignarde des mains avec une aiguille », incitent à la mutilation. Tous ces « rituels de passage » font parti d’un engrenage bien huilé qui permet au tuteur d’asseoir une certaine domination psychologique sur celui qui relève ces défis et conditionnent progressivement à la mort. Encore une fois, le profil de ces jeunes est à relier avec un certain mal être vis-à-vis de la vie ou une question de volonté à tester ses propres limites. En glorifiant le suicide et en faisant de ce dernier un jeu, ceux qui décident de réaliser ces défis ne sont pas forcément conscients des risques qu’ils prennent ou pensent qu’ils pourront se rétracter à la dernière minute. Or, pour les plus fragiles, il devient de plus en plus dur de sortir de ce cercle vicieux au fur et a mesure que les challenges s’enchainent.
C’est le journal russe Novaya Gazeta qui a fait l’état des 80 victimes dues au Blue Whale Challenge. Ce nombre est donc à prendre avec des pincettes puisqu’aucune corrélation entre le suicide des adolescents et cette succession de challenges n’a pu être explicitement prouvée. Cependant ont été retrouvés les trois hommes à l’origine du mouvement, Philippe Boudeïkine, Philipp Liss, et More Kitov. Le premier a été condamné pour incitation au suicide.
Le second challenge ayant secoué le monde d’Internet et des réseaux sociaux est celui de Momo. Popularisé en 2018 par les médias internationaux, le doute continue de planer (encore aujourd’hui) autour ce dernier. Le mode opératoire serait le même que le Blue Whale Challenge : une succession de défis à réaliser menant à la mort. Et même si le suicide d’adolescents n’a pas pu être directement relié au « jeu », il n’en reste pas moins que des dizaines de comptes Momo existaient bel et bien partout dans le monde et étaient contactés quotidiennement par des adolescents à la recherche de sensations fortes, curieux ou mal dans leur peau.
Encore une fois, c’est sur le réseau social Facebook qu’est apparu pour la première fois le numéro de téléphone de Momo, accompagné d’une vidéo et d’un titre, “Le numéro maudit de WhatsApp”. Sa naissance remonte plus précisément au mois de juillet 2018 et pouvait être trouvé sur le groupe sud-américain SDLG (Siguedores de la grasa, fan de la graisse en français), spécialisé dans les mèmes et les trolls.
Si ce challenge a très vite attiré l’attention sur lui c’est d’une part à cause de la photo de contact utilisée sur le profil WhatsApp de « Momo ». La seule et unique image associée à cet anonyme était celle d’une sculpture, Ubume (le fantôme japonais d’une mère morte en donnant naissance), réalisée par une agence d’effets spéciaux spécialisée dans les films d’horreur, Link Factory. Une tête allongée et démesurée, montée sur deux pattes d’oiseau, des yeux exorbités, un sourire tordu, la peau pâle et des cheveux longs et noirs, cette femme est censée représenter une figure traditionnelle du folklore du pays du Soleil-Levant. Ubume, une femme-poule donc, était l’avatar de l’inconnu avec lequel celui que souhaitait relever ces challenges communiquait.
D’autre part, si le phénomène a rapidement gagné en ampleur c’est également à cause des nombreuses vidéos qui ont été tournées puis partagées sur YouTube, où certains jeunes se montraient en train d’entrer en contact avec Momo, le tout accompagné de titres clickbait [15], comme nous le montre les premiers résultats de recherche sur Google le concernant : “Momo m’appelle ! A ne pas refaire !”, “On aurait jamais dû contacter Momo !”.
Cependant, existe avec Momo un aspect qui n’existait pas avec le Blue Whale. Il s’agit de la dimension du cyberharcèlement et du chantage. Derrière cette figure cauchemardesque se cachait parfois de simples hackers qui souhaitaient récupérer les coordonnées bancaires ou les données personnelles de ceux qui les contactaient. Et pour avoir accès à de telles informations, ces derniers n’hésitaient pas à harceler leurs interlocuteurs et à utiliser des stratagèmes douteux tels que le chantage et la menace, en envoyant des messages comme “Je sais où tu habites” ou “Je vois ce que tu fais à travers ta caméra interne”. Et une fois la peur installée, il est plus facile d’obtenir ce que l’on souhaite.
Même si l’existence de Momo en tant que jeu menant au suicide reste encore à prouver, des personnes réelles se tenaient bien derrière ces comptes WhatsApp et dialoguaient avec leurs victimes. Il n’existe pas d’informations expliquant jusqu’où ces challenges sont allés. Cependant, avec l’accroissement du phénomène, devenant vite mondial, les autorités de certains pays (Espagne, Inde, Canada…) ont décidés de mettre en place certains dispositifs de prévention afin de mettre en garde les parents et les professeurs contre les effets de Momo.
c. Campagnes de prévention
Afin d’éviter la pratique de ces défis dangereux, aux risques souvent mortels, il est impératif d’établir des préventions. Ces “jeux” sont en général pratiqués de façon secrète, et souvent sans que les adultes ne s’en rendent compte. A l’origine, le bouche-à-oreille pouvait nous avertir de ces jeux inventés par les enfants, mais aujourd’hui la divulgation de ces pratiques s’est amplifiée grâce à l’apparition des nouvelles technologies, notamment des smartphones et des réseaux sociaux.
Dans les écoles françaises, l’information circule et les directions se mobilisent pour empêcher que les challenges puissent tenter leurs élèves. Dans une école de la région parisienne, la directrice explique, dans une lettre, les faits et invite les parents à échanger avec leurs enfants sur l’usage qu’ils peuvent faire des réseaux sociaux. Des élèves de l’école ont déjà bénéficié d’une intervention de prévention et de sensibilisation sur les usages d’Internet.
Pour que la prévention soit efficace il ne faut pas donner une importance excessive à un phénomène car les enfants pourraient avoir envie d’y participer, ou s’ils n’en n’ont pas encore connaissance, ils pourraient se sentir exclus.Il faut absolument garder à l’esprit le risque d’incitation que pourrait provoquer une surexposition de ces pratiques.
Le message adressé aux jeunes ne doit pas être moralisateur ni indicatif. Au contraire, il faut songer à ouvrir le débat et favoriser la communication afin de leur permettre d’exprimer leurs éventuelles motivations à la pratique de ces challenges.
Au printemps 2017, la police nationale française diffuse plusieurs messages sur Twitter afin d’alerter les français sur les risques du Blue Whale Challenge.
Ce défi qui pousse les jeunes au suicide, a fait 80 morts en Russie, et 14 au Maghreb. Courant 2017, ce jeu a tellement été popularisé sur les réseaux que le gouvernement a dû réagir.
Durant l’été 2018, le ministère de l’Intérieur dénonce le « In my feelings challenge », qui consiste à descendre de son véhicule, lors de l’écoute de la chanson In my feelings de Drake, et de commencer à faire une chorégraphie, en se faisant filmer de l’intérieur du véhicule et en essayant de réintégrer celui-ci alors qu’il continue à rouler. Les dangers sont multiples, notamment pour ceux qui dansent debout sur leurs motos et ceux qui mettent en danger la vie d’autrui, en créant des accidents. C’est pour cela que le gouvernement essaye de sensibiliser au maximum les conducteurs afin de ne pas reproduire ce défi qui est passible de 4500 euros d’amende et de 2 ans d’emprisonnement.
Au début de cette année 2019, le nouveau challenge en vogue est le Bird Box Challenge. Inspiré du film Bird Box, vu par 45 millions de comptes abonnés à Netflix, l’ampleur qu’a pris de ce challenge en quelques jours a beaucoup surpris, notamment l’entreprise américaine qui n’a pas compris l’engouement du public pour cette nouvelle tendance et qui a tout de suite alerté ses abonnés via Twitter.
Certes, les parents sont les premiers éducateurs des enfants, mais nous sommes tous concernés. Afin que ce phénomène cesse de causer des victimes, il est important que toutes les administrations fassent acte de prévention: aussi bien les établissements scolaires que le gouvernement, dans l’espoir de sensibiliser la jeunesse.
Les challenges sont donc aujourd’hui un phénomène à part entière qui touchent beaucoup d’internautes sur la toile du web. Avec l’avènement des réseaux sociaux, ceux-ci ont pu émerger et se propager à grande vitesse pour envahir nos fils d’actualités. Facebook, Instagram, Twitter… chaque plateforme, de par leur particularités à chacun, ont vu différentes formes de challenges s’immiscer dans leurs contenus habituels. Et de par leur viralité importante, beaucoup de leurs utilisateurs se sont mis à leur tour à les reproduire. Si à première vue ils amènent simplement les internautes à relever un défi et le partager avec le reste du monde, ils représentent pour certains un réel danger. S’imbiber de liquide inflammable ou encore pousser ses hanches à rentrer dans la largeur d’une feuille A4 sont aujourd’hui des contenus que nous pouvons retrouver massivement sur le web.
Un cap ou pas cap numérique dangereux qui séduit d’autant plus les plus jeunes à la recherche de nouvelles sensations. Un moyen aussi de pouvoir se démarquer du reste de la toile, de se chercher d’une identité numérique forte, où l’e-réputation prend le dessus sur leur vie réelle. Se lançant alors dans la réalisation de ces challenges, quitte à se mettre en danger, les résultats sont sans appel. Entre blessures physiques et psychologiques, beaucoup de ces “challengers” finissent par subir les conséquences de leurs actes inconscients, allant parfois jusqu’à la mort. Ceci, sans compter les personnes mal intentionnées qui se cachent derrière les écrans, relevant alors du cyberharcèlement. Un phénomène qui se veut donc populaire sur la toile malgré les risques encourus, alors même que la présence de campagnes de prévention sur les réseaux sociaux et dans les écoles se veut dissuasive.
Retranscription d’interviews :
Interview n°1 : Marjorie Gobarden, professeure à Champs-sur-Marne, 32 ans.
– Pouvez-vous nous parler de vous ?
Je m’appelle Marjorie, et je suis professeure de français en lycée et collège, avec maintenant 6 ans d’ancienneté. Je m’occupe actuellement des classes de seconde et première à la fois générale et technologique, et j’ai eu dans le passé des classes de 4ème.
– J’imagine que vous avez connaissances de la présence de challenges dangereux sur la toile du web, — oui — avez-vous déjà abordé ce sujet avec vos élèves ?
Non jamais, dans les établissements où j’ai travaillé c’est les CPE (vie scolaire) qui s’occupent d’aborder ce genre de sujet avec les élèves. Ils font régulièrement, environ tous les ans, de la prévention sur tout ce qui touche au web, en particulier sur les réseaux sociaux. Et ils abordent des sujets tels que le cyberharcèlement, le droit à l’image, le consentement et il est déjà arrivé qu’ils parlent des jeux dangereux. Pour le cas des jeux dangereux, c’était l’infirmière du lycée qui avait tenu à en discuter avec nos élèves.
– Avez-vous déjà eu des cas de challenges avec les élèves avec qui vous avez travaillé ?
De challenges, non, en tout cas je n’en ai pas eu écho. Mais il arrivé une fois qu’un élève relève un défis avec ses camarades, celui de sauter d’un étage, dans le but d’être filmer et de le partager sur les réseaux sociaux. Je ne sais pas si c’était par affirmation de fierté ou juste pour se faire remarquer, mais il a fini à l’hôpital.
– Selon vous, il y aurait un profil type pour ces personnes qui réalisent ces challenges ?
Selon moi, c’est surtout les jeunes qui ont du mal à s’affirmer. Souvent ils sont dans les groupes des “populaires” de leur école, mais ils ont du mal à s’intégrer. Les challenges doivent être pour eux un moyen de prouver quelque chose pour se faire accepter.
– La prévention à l’école est-elle vraiment assurée ?
De mon point de vue, non. C’est un réel fléau, et l’éducation nationale ne met pas beaucoup de moyen pour toucher les élèves. Quand je vous parlais de prévention venant de la CPE, c’est une initiative prises par ces derniers, et non une directive venant de l’éducation nationale. On a bien reçu quelques vidéos de prévention de leur part, mais peu de réels intervenants qui pourraient vraiment sensibiliser nos élèves.
Interview n°2 : groupe de trois copains entre 11 et 12 ans, Noa, Alexis et Alexandre.
– Comment vous appelez-vous ?
Je m’appelle Noa et j’ai 12 ans. Je suis en 5ème au collège Louis Braille.
Moi c’est Alexis et j’ai 11 ans, je suis aussi au collège Louis Braille.
Moi c’est Alexandre et j’ai 12 ans et je suis dans la même classe que Noa.
– Connaissez-vous des challenges dangereux présents sur les réseaux sociaux ?
Noa : Oui je connais un petit peu, j’ai entendu parlé du Momo challenge à la télé et sur des vidéo YouTube.
Alexis : Non je ne connais pas du tout.
Alexandre : Oui je connais, Momo challenge ou même les gens qui saute dans de l’eau froide ou ceux qui mangent des piments très forts…
– Est-ce que ces challenges vous font peur ?
Alexis, Alexandre : « rires » non pas du tout.
Noa suit les rires de ses camarades.
– Avez-vous déjà fait un de ces challenges présents sur les réseaux sociaux (dangereux ou non) ?
Noa : Non
Alexis : Non
Alexandre : Non
– En avez-vous déjà parlé à l’école avec des profs par exemple ?
Noa : Non
Alexis : Non
Alexandre : Non
Tête-à-tête avec Noa :
– Est-ce que ça te fait peur ces challenges ?
Noa : ce n’est pas que j’ai peur mais quand j’ai entendu que avec le Momo challenge il y avait eu des morts je n’étais pas très bien. Surtout que j’utilise beaucoup WhatsApp je n’aimerais pas que ça me tombe dessus. Parce que si j’ai bien compris le challenge tournait autour du chantage non ? Ça peut donc tomber sur n’importe qui…
– Pourquoi ne pas avoir dit ça tout à l’heure devant tes camarades ?
Noa : J’étais gêné car mes amis ne l’était pas du tout, je pense que c’est pour ça.
Notes de bas de pages
[1] Guide d’intervention en milieu scolaire, Jeux dangereux et pratiques violentes http://media.education.gouv.fr/file/51/6/5516.pdf
[2] Amandine Schmitt, « Pourquoi l’Ice Bucket Challenge asperge tout le monde », 23 août 2014 https://www.nouvelobs.com/les-internets/20140822.OBS6967/pourquoi-l-ice-bucket-challenge-asperge-tout-le-monde.html
[3] Site de l’ALS Association http://www.alsa.org/fight-als/edau/ibc-progress-infographic.html
[4] Justin Worland, ALS Ice Bucket Challenge Donations Just Topped $100 Million, 29 août 2014 http://time.com/3222224/als-ice-bucket-challenge-donations-million/
[5] Libération, Ice Bucket challenge : le glaçon qui mousse, 22 août 2014 https://www.liberation.fr/planete/2014/08/22/ice-bucket-challenge-le-glacon-qui-mousse_1084915
[6] L’Express.fr, « Fire Challenge »: le nouveau jeu dangereux qui enflamme les réseaux sociaux, le 31 juillet 2014 https://www.lexpress.fr/actualite/societe/fire-challenge-le-nouveau-jeu-dangereux-qui-enflamme-les-reseaux-sociaux_1563276.html
[7] Statista.com, Distribution of Instagram users worldwide as of October 2018, by age and gender https://www.statista.com/statistics/248769/age-distribution-of-worldwide-instagram-users/
[8] Instagram by the Numbers: Stats, Demographics & Fun Facts, 6 janvier 2019 https://www.omnicoreagency.com/instagram-statistics/
[9] LMPC14 – La DANGEREUSE mode des CHALLENGES – Le roi des Rats https://www.youtube.com/watch?v=al7Y026ja_Q&t=254s
[10] Hitek, “Le bird box challenge oblige YouTube à revoir sa politique concernant les défis dangereux URL : https://hitek.fr/actualite/youtube-clarification-conditions-politique-moderation-videos-challenge-dangereux_18350
[11] Jorina Poirot, « Comment expliquer le succès des challenges sur les réseaux sociaux » https://www.sudouest.fr/2016/12/05/comment-expliquer-le-succes-des-challenges-sur-les-reseaux-sociaux-2591445-5166.php
[12] Rosa Chun et Garry Davies, « E-reputation: The role of mission and vision statements in positioning strategy », The Journal of Brand Management, Palgrave Macmillan « 8 », no 4, 1er mai 2001, p. 315-333.
[13] Paul de Coustin, « Neknomination, le jeu d’alcoolisation intensive sur internet qui inquiète l’Intérieur », 16 février 2014 https://etudiant.lefigaro.fr/les-news/actu/detail/article/neknomination-le-jeu-d-alcoolisation-intensive-sur-internet-qui-inquiete-l-interieur-4352/
[14] Perrine Signoret, Blue Whale Challenge : itinéraire d’une légende urbaine sur Internet, 15 mars 2017 https://www.lemonde.fr/pixels/article/2017/03/15/blue-whale-challenge-itineraire-d-une-legende-urbaine-sur-internet_5094540_4408996.html
[15] Piège à clics,titre racoleur, voire mensonger et sur des éléments sensationnels, émotionnels au détriment de la qualité ou de l’exactitude. Le but du clickbait est d’attirer les clics à peu de frais et d’encourager le transfert d’un contenu sur les réseaux sociaux.
Bibliographie et webographie :
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