Par Axel LISZKOWSKI
On ne peut plus vraiment le nier, la consommation de la pornographie est devenue quelque chose d’assez banal. Il suffit de voir les chiffres fournis par le géant du milieu Pornhub, 33,5 milliards de visites en 2018, soit comme ils aiment à le dire : “l’équivalent de la population du Canada, de la Pologne et de l’Australie par jour !”.
Il ne faut pas non plus présumer que tout le monde en regarde, mais avoir en tête que c’est quand même regardé par beaucoup de monde. Quand on évoque le porno, c’est souvent pour en parler en mal, une recherche rapide et on tombe sur des articles parlant de dépendance, que c’est séxiste, allant même jusqu’a dire que ça déforme le cerveau, c’est un peu une consommation honteuse. D’autres défendent le sujet en le justifiant de simples fantasmes, de mises en scène, de performances, il y en a même qui considèrent que c’est instructif.
Mais voilà depuis quelques années, une nouvelle branche de la pornographie se revendique féministe. Cependant il est bien connu, et même il est souvent reproché au porno d’être un milieu très patriarcale et d’avoir une vision très masculine. Souvent accusé de présenter la femme comme un objet, un sextoy pour l’homme. Du porno féministe, mais qu’est ce que peut donc être que ce mélange incongru ? Nous pouvons donc nous demander comment et pourquoi deux entités paradoxales tel que le féminisme et la pornographie ont-elles fusionnées ? Ou plus simplement, une pornographie féministe peut elle exister ?
Nous vous proposons de tout d’abord reprendre les notions de féminisme et de pornographie avec la place qu’elles prennent dans notre société. Nous passerons ensuite sur la différenciation de la pornographie dite féministe par rapport à la “classique” ou tout simplement non-féministe. Enfin, nous explorerons un cas précis de la polémique #jouirdemesdroits qui représente cette discorde au sein même de la communauté féministe entre anti et pro-sexe.
Le féminisme, quesaco ?
Le féminisme existerait depuis l’antiquité. Il a commencé à être plus identifiable à partir de la Renaissance, au XVIIe siècle.
«Pour comprendre la société à l’époque de la Renaissance dans ce qu’elle a d’élevé, il est essentiel de savoir que la femme était considérée à l’égal de l’homme. […] Le plus grand éloge qu’on pût faire des Italiennes remarquables de cette époque consistait à dire qu’elles avaient un esprit viril, une âme virile. On n’a qu’à considérer l’attitude toute virile de la plupart des héroïnes épiques, surtout de celles de Boiardo et L’Arioste, pour savoir qu’il s’agit ici d’un idéal bien défini. Le titre de « virago », que notre siècle regarde comme un compliment très équivoque, était alors la plus flatteuse des distinctions. […] En ce temps-là, la femme était considérée capable, aussi bien que l’homme, d’atteindre à la plus haute culture. »
Jacob Burckhardt, Civilisation de la Renaissance en Italie
D’après le dictionnaire Larousse, le féminisme se présente sous deux définitions. Il s’agit tout d’abord d’un mouvement qui lutte pour améliorer et développer les droits des femmes au sein de la société. De plus, le féminisme est une forme d’attitude visant à étendre ce rôle et les convictions concernant les droits des femmes. On parle alors d’un féminisme actif.
Plus précisément, le féminisme est composé de plusieurs idées, autant politiques que philosophiques et sociales. L’objectif : promouvoir les droits des femmes et défendre leurs intérêts. Plus particulièrement, ce mouvement cherche à améliorer le statut de la femme, dans une société où les inégalités sont fondées sur le sexe. Le féminisme défend donc l’égalité réelle entre les hommes et les femmes. Il prône de nouveaux rapports sociaux et met en place des manières de mieux défendre les droits des femmes et à maintenir ce qu’elles ont déjà acquis (parfois difficilement).
Le ruban orange est un des premiers symboles forts de l’engagement des féministes. Il est utilisé depuis 2006, mais aujourd’hui, il est remplacé par un symbole encore plus parlant : le sigle représentant le sexe féminin, avec en son centre, un poing levé. Ce dernier est une référence à la rébellion de Nelson Mandela. Associé au symbole féminin, le message est clair, il s’agit bien d’une révolte, d’une lutte féminine.
Il existe plusieurs formes de féminisme :
- Le féminisme libéral, qui demande la non-dissociation entre les sexes dans le cadre de l’espace publique, afin que les femmes aient les mêmes droits que les hommes.
- Le féminisme socialiste questionne l’articulation entre patriarcat et capitalisme. Anciennement marxiste au XIXe siècle, le mouvement luttait pour une “double tâche sociale de la femme” : production et reproduction. La femme est mère, mais la femme est aussi travailleuse.
- Le féminisme radical, qui met en avant le fait que l’oppression des femmes est un avantage pour les hommes, d’après le système de pouvoir de notre société. Il se détache des mouvements féministes qui visent l’amélioration de la condition féminine en cherchant à obtenir des réforme sur la législation, sans remettre en cause le système actuel qui est patriarcal.
- Le féminisme radical différentialiste, qui valorise la différence par essence de l’homme et de la femme. Ce mouvement est paradoxalement jugé comme antiféministe.
- Le féminisme pro-sexe, qui veut utiliser le sexe comme outil de revendication pour la femme, en faisant « du corps, du plaisir et du travail sexuel des outils politiques dont les femmes doivent s’emparer ». Ce féminisme s’oppose ainsi au féminisme radical.
- L’anarcha-féminisme, qui associe anarchie et féminisme. Ce mouvement prône un combat contre la hiérarchie instaurée par le patriarcat.
- La théologie féministe, qui justifie l’égalité des hommes et des femmes sur un point de vue religieux et d’après des textes sacrés.
- Le féminisme intersectionnel ou inclusif, qui ne dissocie pas chaque discrimination mais les conjuguent ensemble pour montrer qu’il existe une oppression spécifique. Ce mouvement reproche notamment aux associations féministes de ne pas inclure assez de femmes de couleur dans leur groupe. Il y aura donc aussi le problème du racisme associé à leur lutte.
En un mot, le féminisme vise surtout le respect de la femme. La femme est avant tout un être humain, au même titre que l’homme, pourtant il existe encore beaucoup de différenciations, d’inégalités injustifiées. Trop longtemps stigmatisé comme sexe faible, le féminisme prouve que la femme est au contraire, un sexe fort, et le revendique.
Et la pornographie ?
Lorsqu’on en voit, on le sait, mais il semble tout de même difficile de poser une définition complète de ce qu’est la pornographie. Sur wikipedia il est dit :
“ La pornographie est la « représentation complaisante à caractère sexuel de sujets, de détails obscènes, dans une œuvre artistique, littéraire ou cinématographique », cette représentation explicite d’actes sexuels finalisés ayant pour but de susciter de l’excitation sexuelle.”
Wikipedia, Pornographie. le 25/01/19
Cependant la pornographie est plus complexe que ça et Denis Ramond l’explique très bien :
“La pornographie désigne la sexulité sans qualité, le degré zéro de la sexualité, c’est à dire la sexualité qui n’est ennoblie par rien, c’est la sexualité qui n’est pas anoblie par la reproduction, qui n’est pas anoblie par l’art, qui n’est pas anoblie par la politique”
Denis Ramond, Les Chemins de la philosophie. Faut-il interdire la pornographie ?
Certain penseur tel qu’André Breton poète français en dit que “La pornographie, c’est l’érotisme des autres.” Marguerite Yourcenar, femme de lettres et académicienne belge, en dit elle : “L’insolite et l’illicite, deux ingrédients indispensables de toute pornographie.” Cette idée d’illicite, d’interdit fait parti du coeur même de la pornographie telle qu’on la perçoit aujourd’hui.
Mais tout a commencé dans l’antiquité grecque et romaine où il était fréquent de représenter des peintures d’actes sexuels sur les murs ou les céramiques. Puis en Occident, avec l’essor de l’église durant le Moyen Age (Vᵉ-XVᵉ siècle), ces représentations sont devenues beaucoup plus discrètes, car considérées comme viles et sales par les mœurs religieuses. En Orient cependant, entre le VIème et VIIème siècle, est rédigé un ouvrage qui encore aujourd’hui est bien connu le fameux Kamasutra. Mais il y aussi des traces sur certains temples de Khajurâho (IXᵉ-XIᵉ siècle) qui étonnement sont des lieux de culte. Il faudra attendre le VIIIe siècle pour que la littérature libertine reprenne le flambeau en Europe. L’école des filles est considéré comme l’un des premiers du genre, finalement différents écrivains s’y essayèrent tel que Diderot et dans un genre plus osé le Marquis de Sad. Suivant l’évolution technologique, le genre pornographique s’adapta très vite au nouveau média qu’est la photographie dès les premiers daguerréotypes (fin du XIXe siècle) puis à la vidéo.
La pornographie telle qu’on la conçoit aujourd’hui est née dans les années 70 avec la période que l’on appelle aujourd’hui “l’âge d’or de la pornographie”. C’est en effet en 1968 que la Cour Suprême des États-Unis décide de rendre la pornographie légale, tout d’abord pour une diffusion privée, puis rapidement dans des cinémas pour adulte. En France on considère que cette période s’étend de 1975 à 1982, l’un des premiers films et aussi l’un des plus connu étant Emmanuelle de Just Jaeckin.
“Une toute petit dizaine d’années qui vit naître quelques films avec des budgets relativement conséquent. Des cinéaste désireux de faire du cinéma. Des scénario qui tentait d’aller au delà des scènes de l’alignement des scènes de sex”
Prolongeau et Guillaume Baldy, Sur les docks. L’âge d’or du cinéma pornographique.
Finalement en France, la production est rendue difficile avec création du classement X qui encadre les diffusions notamment en ce qui concerne les mineurs. Beaucoup considèrent que ce fut la fin du vrai porno en France.
Le relais fut pris avec l’arrivée d’internet donc de la pornographie 2.0, rendant le porno accessible à tous, à portée de clic. Des quantités de contenus pornographiques, d’autant plus divers pour répondre à chaque fantasme. Une culture complète, un vocabulaire qui lui est propre. Mais surtout la naissance d’un style le Gonzo qui est même devenu aujourd’hui l’usage dans la pornographie en ligne. Il s’agit de film principalement sans scénario où juste sur un thème, avec beaucoup de gros plans, régulièrement en caméra épaule et qui se caractérise par un faible coût de production.
Une pornographie patriarcale ?
“Si aujourd’hui la pornographie est un problème, de quel problème s’agit-il ?” voilà comment Adèle Van Reeth ouvre son podcast sur la pornographie 2/4 intitulé Faut-il interdire la pornographie ? Comme nous l’avons vu précédemment le porno d’aujourd’hui n’est plus le même qu’il y a 30 ans avant internet. Certains le comparent même au “McDo du X”. La comparaison vient du fait que la production de ce type de contenu est aujourd’hui très rapide, souvent bâclée et avec peu de moyen. La comparaison est toute faite avec n’importe quelle chaîne de fastfood. C’est le Gonzo. Cependant la métaphore ne s’arrête pas là car ils ont aujourd’hui tous deux très mauvaise réputation. Comme tout commerce, le but final des productions de films pornographiques reste de faire de l’argent. Il faut bien avoir en tête que la pornographie “mainstream” ne cherche pas volontairement à dégrader l’image de la femme. Elle répond plutôt à une demande qui est aujourd’hui très masculine avec seulement 29% de femme, malgré tout de même une augmentation de 3% depuis 2017. Il suffit de voir que Jordi El Niño Polla, le premier acteur homme du X le plus recherché se situe à la 12e place des acteurs les plus recherchés. D’autant plus qu’il est reconnu pour son physique de “jeunot” qui l’a fait connaître dans la niche de la pornographie MILFs. Catégorie placée à la seconde place des top recherches masculines qui descend à la dixième place des recherches féminines. On comprend donc la place que prend les attentes des femmes, ici principalement hétérosexuelles, dans l’industrie du cinéma pornographique. Moins de clientèle, moins de consommatrices donnent moins de moyen attribués.
En revanche, le fait de s’adresser aux hommes ne fait pas nécessairement d’un film porno standard, un film patriarcal me direz-vous ? “Dans une scène hétéro il y a quasiment à chaque fois de l’anal” nous explique Nomi actrice porno depuis 20 ans. En fait plusieurs critères permettent de déterminer si on est dans le cas d’un porno patriarcale où non, leur présence n’étant pas strictement déterminante :
- La scène commence très souvent par une fellation et se termine presque toujours par l’éjaculation de l’homme.
- Les scènes de “plaisir féminin” se font régulièrement par la femme elle même, où bien entre femmes si il y a plusieurs partenaires.
- La pénétration est un moment clef et est elle souvent prise en gros plan.
- Pour permettre au spectateur homme de plus facilement s’identifier en temps que protagoniste de la scène il est très régulier que le visage de l’homme ne soit pas visible.
Cependant il ne faut pas croire que seule l’image de la femme est atteinte, Éric Falardeau, réalisateur, écrivain et conférencier le présente comme tel : “les deux sexes sont objectivés dans le porno. La femme comme objet du regard, du désir et l’homme comme une machine qui doit performer” Il ajoute que la pornographie comme toute industrie répète les schémas qui se vendent, des schémas traditionnels, des modèles “le cinéma d’action fait la même chose, le drame fait la même chose”. Alexandra Alévêque, journaliste française le rejoint dans cette vision avec sa phrase : “Des corps outils, mis aux services d’une sexualité hyper performante, stéréotypée à l’extrême”.
Cette représentation biaisée du sexe conventionnel est l’évolution naturelle d’un monde du spectacle, où il devient nécessaire d’aller plus loin pour ne pas lasser les spectateurs. Une pornographie misogyne certes, mais qui reste malgré tout de la mise en scène. Ainsi, dans le cas où le consommateur de pornographie est bien conscient qu’il s’agit de cinéma, on peut se dire qu’il n’y a pas de véritable problème.
Dans le but de mieux comprendre l’état de la pornographie actuelle, notamment auprès d’un public féminin, nous avons réalisé des entretiens anonymes pour déterminer les habitudes et perception en fonction de profil consommateur ou non. Mais encore de pouvoir les comparer à leur position par rapport au féminisme.
Lors de ces entretiens anonymes, plusieurs interviewés consommant de la pornographie disaient considérer avoir un rapport sain, mais avoir une méfiance dû à une méconnaissance de l’impact que cette consommation pourrait avoir sur leur comportement. Ils étaient bien conscients de ne pas avoir une complète maîtrise. C’est justement une des plus grosse méfiance aujourd’hui par rapport à la pornographie, notamment lorsqu’elle touche les plus jeunes. Les jeunes ou du moins les adolescents et la pornographie semblent une thématique plutôt prisée à tel point que le géant Netflix vient de créer sa propre série, Sex Education. De plus nombreux articles parlent du comportement des adolescents et de leur rapport à la pornographie. En effet de nombreuses personnes s’inquiètent de l’impact que peut avoir ce genre de contenus dans la construction d’une intimité. Cette volonté de contrôler la pornographie l’influence de la pornographie sur la sexualité de ces jeunes et cela est une question qui préoccupe jusqu’au plus hautes sphères de notre société tel que le montre le tweet du président Emmanuelle Macron le 25 novembre dernier :
C’est globalement ce qui ressort de nos entretiens, beaucoup regardaient de la pornographie étant jeune pour découvrir le sexe et se sentir moins désarmé, plus rassuré pour leur future expérience. Souvent étant associé au discours qu’il n’était pas possible d’en discuter avec leur parent directement et que les seules personnes avec qui les sujets étaient abordables étaient leur amis, tout aussi perdus et ignorants sur le sujet. L’IFOP confirme ce point de vu avec une étude de sur de jeunes âgés de 15 à 17 ans, 48% pensent que les films ou vidéos pornographiques qu’ils ont vu ont participé à l’apprentissage de leur sexualité et 20% ont essayé de reproduire des scènes. Il apparaît donc qu’une grande partie de l’éducation sexuelle se fait par les échanges entre amis et partenaires mais qu’aussi une grande partie vient de la pornographie.
De ces entretiens, deux principaux aspects ressortent. Tout d’abord la pornographie d’aujourd’hui ne semble pas convenir à leurs attentes et elles effectuent des recherches spécifiques pour éviter certains contenus qu’ils jugent “pas excitant”. Certaines ont même évoqué l’idée d’avoir été plusieurs fois en recherche d’un contenu stimulant, mais de ne pas avoir trouvé quelque chose qui leur convenait dans la pornographie proposée en ligne.
Un autre aspect est qu’elles considèrent globalement avoir un rapport sain, où elles mettent en opposition à ce que l’on peut qualifier de dépendance. Elles gardent une certaine méfiance par rapport à la pornographie. Casting au méthode controversée, scènes pas toujours vraiment consenties, très mal payé en effet si l’on regarde la pornographie mainstream, elle se rapproche très sensiblement de la prostitution. Pour cela elles semblent globalement plus attirées par de la pornographie très théâtralisée, très propre et semblent très peu attirées par les scènes amateurs. Une des interviewée a présenté le site Jacquie&Michel (site qui se présente comme le site d’amateur en france) comme l’exemple même de ce qu’elle n’aimait pas, qu’elle se sentait vraiment gênée, mal à l’aise face à ces vidéo et qu’elle trouvait ce genre de contenu proche de la prostitution. Le second est que comme pour tout histoire où film, elles avaient un besoin de se projeter à travers un où les acteurs pour pouvoir l’apprécier. Dans la pornographie qu’elles avaient pu visionner elles n’y arrivait pas. Pour plusieurs raison et la première étant qu’elle ne correspond pas à leur sexualité, c’est beaucoup trop excessifs. Elles ne se voyaient pas parfois physiquement faire et même n’avaient pas envie de le faire. La deuxième étant plus d’un aspect physique, des corps trop parfaits, un non respect de la femme ou une impression de misère.
Le résultat était globalement un désintéressement pour la chose où alors une alternative, un support moins visuel, la lecture. En effet, plusieurs ont abordé le sujet de la littérature érotique voir pornographique. Elles expliquent y trouver une plus grande part de liberté, leur permettant de produire leur propre vision de l’histoire. Finalement une seule d’entre elles avait connaissance qu’une pornographie alternative se définissant comme féministe, qui après présentation semble correspondre d’autant plus à leurs attentes.
Nous finirons cette partie sur une citation de Stephie, coiffeur pour film pornographique “Aujourd’hui il reste un peu de porno mais il n’y a plus beaucoup de paillette”.
La pornographie féministe
Pornographie et féminisme, à première vue ça ne peut pas aller ensemble d’après ce que nous avons vu précédemment. Mais d’après Sophie Bramly, fondatrice du Second Sexe la pornographie peut devenir féministe à partir du moment où c’est le point de vue de la femme qui prime.
Autre élément pour définir la pornographie ainsi : le plaisir féminin au centre de l’attention. Selon la chercheuse américaine Olivia Tarplin, on peut qualifier cela de féministe lorsque quatre éléments sont réunis :
- les femmes sont l’élément central
- leur plaisir doit être perçu comme réel et non surjoué
- l’homme et la femme doivent être représentés de façon égale
- la pornographie traditionnelle est remise en cause, si l’on suit les trois premiers points
Si la pornographie féministe s’étend dans le monde, elle pourrait avoir un impact non négligeable sur les relations entre les femmes et les hommes. En effet, il s’agirait d’après Sophie Bramly d’une façon d’éduquer. “Entre 40 et 60% des femmes auraient peu ou pas d’orgasme”, en raison du système patriarcal instauré dans la pornographie. L’objectif est donc de montrer, surtout aux hommes, qu’il existe un dialogue entre les désirs et les plaisirs de chacun : “plus les hommes vont voir avec des femmes des films pornographiques féminins, plus ils comprendront ce qu’elles attendent.”
L’image de la femme transmise par la pornographie patriarcale est un problème pour la sexualité de la femme en général : “Aujourd’hui, la sexualité des femmes est toujours contrôlée en ce sens qu’elles ont toujours peur d’être labellisées “salope” ” (Candida Royalle – actrice et productrice de films pornographiques pour femmes).
Pour contrer un porno trop mécanique et parodique, le porno féministe propose des films plus axées sur l’érotisme et le côté artistique et esthétique.
En plus du scénario et du jeu des acteurs, l’angle de la caméra est aussi primordial pour rendre le porno plus féministe. En effet, ce qui compte ici ce sont les visages où l’on peut mieux distinguer les émotions, le plaisir, les mains qui se crispent, les échanges de regard. La pénétration n’est pas forcément la partie la plus importante à filmer, elle n’est parfois même pas indispensable. Ce type de pornographie fait plus appel aux sens et à l’imagination. La suggestion est souvent une meilleure source de plaisir que la démonstration. Aussi, le rapport ne se termine pas par l’éjaculation masculine, ce qui est le cas de tous les films porno standards.
Celle qui bouleverse le monde du porno pour le rendre plus féministe : Erika Lust, réalisatrice. Sa devise “Faisons du porno, mais faisons-le différemment !”.
Son objectif : créer une nouvelle vague pour le cinéma adulte. Ce qui compte pour elle dans la pornographie féministe, c’est la passion, l’intimité, l’amour, la luxure, le tout dans un rapport sexuel. Car le sexe ce n’est pas qu’un acte animal, il s’accompagne aussi d’émotions et de sentiments. Le point de vue de la femme est indispensable, elle le qualifie même de “vital”. Le plaisir doit être montré de façon esthétique pour mettre en avant tous les sens. La réalisatrice se base avant tout sur ses propres fantasmes, mais aussi sur ceux de ses actrices et des spectatrices. Elle y dédie même une page sur son site appelé “Xconfessions”. Une alternative au porno mainstream qui adopte une vision patriarcale, pour tout ceux, ou toutes celles qui ne s’y retrouvaient pas.
En résumé, la pornographie féministe met la femme au cœur du plaisir, mais n’en oublie pas pour autant l’homme. Il doit y avoir une sorte de réalisme à l’image, comme dans l’intimité d’un couple. La femme n’est plus simple spectatrice mais actrice. Une façon pour le public féminin de pouvoir mieux se projeter au travers des actrices.
Pornographie & Féminisme, sujet de discorde
Le 21 décembre dernier à l’occasion de la journée international de l’orgasme, l’association féministe et LGBT Les effronté-es a lancé une campagne : #JouirDeMesDroits. Cette opération de communication menée par Nikita Bellucci, ex-actrice porno cherche à rappeler les droits pour lesquels les femmes doivent encore se battre.
“Le droit de faire le métier de leur choix, de jouer au foot, d’être mère célibataire, d’avoir des poignées d’amour, de marcher seule dans la rue… le droit, tout simplement, de jouir de droits fondamentaux”
Les effronté-es, #JouirDeMesDroits
Le spectateur est tout d’abord interpellé par la révélation, “curieux de savoir ce qui fait jouir une femme” justement interprétée par Nikita, qui est donc présentée comme une experte dans le domaine. Finalement le spectateur se retrouve confronté au reste du message, comme piégé.
Cette opération joue justement sur le fait que le spectateurs est attiré par un message aguicheur, qui parle de la sexualité des femmes pour finalement faire comprendre que la priorité des femmes pour être heureuse, c’est de passer avant tout par autre chose que le sexe. Chaque droit est interprété par l’influence qui lui tient à cœur : Nikita parlent de la liberté d’avoir des enfants, question sur laquelle elle a communiqué plusieurs fois, Sophie Riche sur la liberté de s’habiller comme elle le souhaite sans avoir à subir les commentaires des autres, Clemity Jane sur sa volonté qu’il n’y ait plus que le plaisir masculin qui soit présenté.
Cependant cette vidéo eu sur Twitter un accueil particulier puisque le jour même un commentaire fut posté par Karine Plassard féministe reconnue surtout pour avoir lancé la fameuse pétition en faveur de Jacqueline Sauvage.
On comprend qu’elle était d’abord pour la campagne #JouirDeMesDroits mais qu’après avoir appris que Nikita Bellucci en faisait partie, et qu’elle était une ancienne actrice X, elle a décidé de se retirer.
Ce tweet a été la source de nombreux débats à travers les commentaires avec d’un coté les féministes pro-sexe c’est à dire celle qui considèrent que l’émancipation de la femme doit aussi passer par sa liberté sexuelle et du plaisir. Elles sont donc non favorables au travail du sex, la pornographie et la prostitution, tant que bien sûr elle reste un choix. De l’autre côté les féministes “anti-sexe” ou du moins ici des féministes abolitionnistes.
Globalement du côté pro-sexe les arguments sont basés sur l’idée que les femmes font ce qu’elle souhaite de leur corps et que le vendre ou le montrer fait partie des libertés de la femme. Que par cette action elle refuse de prendre en compte toutes les femmes avec la fameuse phrase “toutes les femmes sauf …”.
De l’autre côté on présente la chose comme une atteinte à l’image de la femme, que les femmes de ce milieu participent à un système misogyne, mais aussi et surtout une comparaison à la prostitution et que le fait de vendre son corps ne peut être un véritable choix.
Les deux parties se définissent comme des défenseurs des droits de la femme. On assiste à une division au sein même du partie féminisme. On comprend donc que même si certains acteurs essayent de promouvoir une autre vision de la pornographie, l’ensemble du monde du féminisme ne semble pas prêt à soutenir cette action.C
Après une période de l’âge d’or dans les année 70, la pornographie est devenue “bas de gamme”, mainstream ou comme certains aiment à le dire, c’est devenu le “fastfood de la pornographie”. Cette popularisation fait que tout le monde peut y avoir facilement accès grâce à internet. La pornographie s’est banalisée dans notre société.
Toutefois nous l’avons vu il y a une véritable incohérence entre les attentes des femmes et la pornographie contemporaine. Ainsi le fait qu’elle soit extrêmement centrée autour du plaisir de l’homme la rend patriarcale. Il y a réellement une différence de points de vue entre cette pornographie patriarcale et celle féministe. Elle se manifeste surtout par une volonté de la recentrer autour de la femme mais aussi un rôle éducateur. Car une grande partie des jeunes de maintenant considère avoir été influencée dans leur sexualité par la pornographie. C’est pourquoi, elle cherche avant tout à monter une sexualité moins transformée, mais aussi à remettre en place des minorités oubliées. Cela passe par un changement de la trame habituelle “fellation, pénétration, éjaculation”, mais aussi par une captation de l’ensemble des stimulis : caresses, crispation de, visages…
Ainsi la pornographie féministe s’inscrit dans une démarche de la post-pornographie qui utilise la pornographie à d’autres fins que comme simple support masturbatoire. La pornographie peut être politique, revendication, mais aussi art.
Pour en savoir plus voici une petite sélection que je vous conseil :