Par Félicie Jost et Aylin Kara
Introduction
« Citez 5 chaînes YouTube réalisées par des femmes qui parlent de 5 thématiques différentes. Chaud hein ? Et pourtant, les femmes créent des vidéos passionnantes sur internet ! » : c’est ainsi que nous accueille le site web des Internettes, un collectif visant à promouvoir la visibilité des femmes sur Youtube.
Si on fait le test autour de soi, on se rend compte que les gens ont du mal à nommer des « youtubeuses » qui font autre chose que des tutoriels de beauté, quoique la communauté de créatrices féminine s’intéresse aussi à des sujets divers tels la vulgarisation scientifique, l’histoire, la politique, et bien d’autres. Cependant, bien qu’elles abordent les mêmes thématiques, elles sont beaucoup moins connues que leurs confrères et ont moins de visibilité qu’eux.
Youtube est un média qui a beaucoup de succès, attirant des milliers d’utilisateurs chaque jour, totalisant ainsi 46 000 années passées à regarder des vidéos (1). Chaque minute, 400 heures de vidéos Youtube sont uploadées sur la plateforme (2). On pourrait donc penser que tout va bien, cependant il suffit de se rendre sur la page des tendances pour se rendre compte que c’est beaucoup moins encourageant qu’on pourrait croire : dans le top 10 français le 2 février 2019 : Les Parodie Bros, Le Palmashow, Fabien Olicard, JuniorTV, Poisson Fécond, Dr. Nozman, Kikaninac, Rémy Officiel, Naza, Booska-P.com… On ne trouve aucune créatrice. Des chaînes d’humour aux chaînes de musique en passant par la vulgarisation scientifique, le panel des sujets est assez large et il y en a pour tous les goûts.
Pourtant, des femmes qui traitent de ces mêmes sujets, il y en a aussi, et heureusement.
Après ce constat quelque peu troublant, les raisons de ce manque de visibilité restent à expliquer. On peut donc se demander quels sont les enjeux et les difficultés que rencontrent les femmes vidéastes sur Youtube.
Afin de répondre à cette question, nous avons fait des recherches et avons interviewé Marie Camier Théron, co-fondatrice de l’association des Internettes, accompagnée d’une bénévole de l’association, Jihad El Obbadi.
Nous verrons dans un premier temps
la plateforme de Youtube, dans un second temps nous explorerons la place des
femmes sur Youtube, et enfin, nous étudierons l’association des Internettes.
1) La plateforme Youtube
a. Histoire de Youtube et audience
Lancée en 2005 par Steve Chen, Chad Hurley et Jawed Karim, Youtube est la plus grosse plateforme dédiée à la vidéo (qui sera rachetée par Google en 2006). C’est aussi un média social sur lequel les internautes peuvent regarder, évaluer et partager des vidéos et surtout ils peuvent également diffuser leurs propres contenus. C’est là que réside la révolution Youtube, toujours dans l’idée du Web 2.0 : l’internaute devient un acteur.
En 14 ans, Youtube est devenu un géant incontournable du Web et les internautes créant leurs “chaînes”, filmant leurs vidéos souvent dans leur chambre, se sont multipliés et sont devenus ce qu’on appelle des “youtubeurs”, des créateurs ou encore des vidéastes. Le contenu s’est énormément diversifié, certains sont devenus populaires au point de devenir des professionnels et d’autres se sont rassemblés en studio (comme Studio Bagel par exemple). On pourrait même avancer que Youtube a quasiment remplacé la télévision classique auprès de la jeune génération notamment.
Youtube est aujourd’hui un des sites web les plus importants au monde, autant en termes de contenus qu’en termes de fréquentation. Effectivement, en 2017 en 1,5 milliards de personnes dans le monde se rendaient chaque mois sur la plateforme. C’est aussi un média qui a su s’adapter aux nouveaux usages et notamment l’arrivée du smartphone. Actuellement les internautes visionnent plus d’une heure de vidéo Youtube par jour sur smartphone. Même si la plateforme est concurrencée par d’autres services vidéo en streaming comme Netflix ou Watch le nouveau service de Facebook, Youtube conserve pour l’instant son hégémonie dans le domaine (1).
Selon des études réalisées sur l’audience de Youtube en France en 2016 et en 2017, 37,5 millions de personnes se rendent sur le site chaque mois, ce chiffre correspondant à 81% de la part « connectée » de la population, une écrasante majorité donc. Les femmes, elles, représentent 52% de l’audience, soit un peu plus de la moitié de l’audience de Youtube (2). Les Français disent consulter Youtube pour se relaxer et se divertir (64%) et pour s’informer (52%). Les catégories de vidéos les plus populaires sont : la musique, le lifestyle, le sport, le bricolage, la comédie, l’éducation et l’e-sport (3).
b. Les youtubeurs
En 2016, le premier youtubeur en France a avoir franchi la barre des 10 millions d’abonnés est Cyprien, il sera rapidement suivi par Norman. Mais il faut bien noter que tous les deux sont des « anciens » de Youtube, cela fait respectivement 10 ans et 7 ans qu’ils publient des vidéos. Cette notoriété n’a pas été immédiate (1).
Selon la chercheuse Simruy Ikiz, « Un youtubeur est quelqu’un qui réalise et publie régulièrement du contenu vidéo sur Youtube. Cette activité, au bout d’un certain nombre de vues, génère une rémunération. Les sujets reçoivent des propositions de partenariats commerciaux : des sponsorings ou des placements de produits par exemple. Après la professionnalisation de cette activité, dans les années 2010, des stars de YouTube ont émergé. Plusieurs Youtubeurs de beauté sont devenus égérie des marques de beauté » (4). Dans cette définition, on insiste sur les revenus que génèrent les vidéos et les youtubeurs célèbres qui peuvent en vivre. En réalité la grande majorité des youtubeurs n’ont pas une audience aussi importante que Cyprien ou Norman et ont des rémunérations beaucoup plus modestes.
C’est ce que nous ont confirmé Marie Camier Théron de l’association les Internettes (méthodologie d’enquête et transcription de l’entretien en annexes). : « On nous a tellement parlé de la professionnalisation des youtubeurs et de leur argent donc notamment des plus gros mais aussi faut se rappeler que ce sont les plus anciens. Cyprien il fait des vidéos dans sa chambre depuis 2008 en fait. ». Jihad El Obbadi, une bénévole active de cette même association nous a parlé d’un changement de système de la monétisation des vidéos : « Ce qui se passe aussi c’est que Youtube a changé depuis un an et on a des paliers pour pouvoir prétendre à la monétisation même si la monétisation en elle-même elle n’est pas énorme. Et du coup euh c’est très compliqué pour beaucoup de youtubeurs et youtubeuses avec beaucoup de vues de faire du chiffre ».
En ce qui concerne les « types » de youtubeurs, ils correspondent à plusieurs thématiques (qui rejoignent les catégories populaires que nous évoquions précédemment) : humour, jeux vidéo, beauté, contenu éducatif et vulgarisation, politique, art et critique d’art etc … En général un youtubeur ou une youtubeuse se concentre sur une thématique dans les contenus qu’il ou elle produit, une chaîne parle rarement d’humour et de beauté par exemple.
Simruy Ikiz évoque notamment les youtubeuses beauté qui ont énormément de succès chez les femmes, ce sont essentiellement des jeunes femmes qui s’adressent à d’autres jeunes femmes. Elles se filment face à la caméra et font des tutoriels beauté, c’est à dire qu’elles expliquent leur façon de prendre soin d’elles, de se maquiller, leurs avis sur des produits, leurs astuces etc … La youtubeuse beauté française la plus connue est EnjoyPhoenix avec plus de 3 millions d’abonnés. Ces personnes deviennent des stars auprès du jeune public et représentent pour eux des modèles en quelque sorte. La réussite de ce média est très liée à la façon dont la youtubeuse s’adresse à son audience. On peut facilement s’identifier à elle, d’autant plus qu’elle se « confie » « sincèrement » à son internaute comme si elle parlait directement à un(e) ami(e). Et ces notions de « sincérité » et d’« intimité » sont essentielles pour que les vidéos aient du succès. Effectivement, elles se livrent également souvent sur leur propre vie privée comme si l’internaute devenait un confident et donc une personne privilégiée.
c. Youtube, un espace de liberté d’expression ?
Étant donné que Youtube est un média et un espace d’expression relativement récent et surtout plus accessible que les médias traditionnels, on peut se demander si cela a permis de rebattre les cartes et de donner la parole à un panel de personnes plus variées. Finalement, tout le monde peut-il vraiment s’exprimer librement sur Youtube ?
Dominique Cardon évoque en parlant du Web 2.0 : « l’arrivée massive, sur internet, de populations beaucoup plus jeunes et issues de milieux populaires. Cette nouvelle configuration d’internet, démocratisée et accessible, est parfois nommée web participatif et est souvent perçue comme susceptible de favoriser un renouvellement des débats d’idées et des modes de participation au politique, constituant alors un terreau fertile pour l’émancipation et l’empowerment. ». (5)
Il semble donc dire qu’internet et les médias sociaux ont effectivement permis à des populations peu présentes dans les médias classiques comme la télévision ou la radio de s’exprimer et ainsi favoriser l’émergence d’idées nouvelles grâce à cette « démocratisation » du Web. En réalité les études sur la « question du potentiel émancipatoire, délibératif ou encore démocratique d’internet » invitent à être plus prudent sur ce genre de conclusions.
En réalité, internet permet effectivement à plus d’idées et de concepts d’être publiés néanmoins il semblerait que les personnes qui adhèrent à ces différentes idées ont tendance à se cantonner à une sorte d’entre-soi idéologique. Les médias sociaux nous permettent de choisir nos interlocuteurs et le plus souvent ce sont des personnes qui partagent nos idées (en ce qui concerne la société et la politique notamment), c’est ce qu’on appelle l’homophilie. On peut tout à fait faire cette constatation sur Youtube, lorsque les youtubeurs renvoient à d’autres chaînes par exemple, ce sont majoritairement des chaînes similaires au niveau du contenu et des idées transmises. Par exemple si on consulte la chaîne de Marinette qui porte sur le féminisme, les autres chaînes qu’elles recommande sont également féministes ou au moins véhiculent des messages progressistes.
Ainsi, l’internaute en sélectionnant les contacts et les contenus qu’il souhaite suivre, notamment sur Youtube, élimine ses chances de « tomber » sur des opinions contraires aux siennes. Bien sûr on peut déjà constater ces phénomènes dans les réseaux sociaux hors internet comme son cercle d’amis par exemple, cependant internet et les médias sociaux comme Youtube accentuent encore davantage ces effets-là.
Cardon affirme aussi que « l’une des conséquences importantes de la démocratisation d’internet est la modification de la perception de ce qu’est l’espace public pour les individus » (5). Or Youtube est par excellence un espace public puisque les internautes peuvent y publier leur propre contenu vidéo mais aussi commenter les vidéos des autres internautes. Cet espace public est encore en train de transformer et de se codifier.
Il est vrai Internet et le web ont été inventé avec notamment comme idéal la liberté d’expression. Néanmoins s’y ajoutent « les règles de droit et des représentations héritées des époques précédentes » (5). Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que même si elles permettent des débats nécessaires à notre société, derrière les médias sociaux comme Youtube, il y a des groupes privés comme le géant Google qui ont leurs propres intérêts et leurs propres règles qui ne s’apparentent pas toujours à celles de la démocratie. Elles peuvent expulser ou effacer un contenu selon un règlement plus ou moins transparent des utilisateurs et à l’inverse ne rien faire pour supprimer des contenus par exemple misogynes, racistes ou homophobes sous prétexte de ne pas vouloir intervenir dans la liberté d’expression sur leur plateforme.
Toujours selon Cardon, « ce sont désormais les internautes qui définissent eux-mêmes la frontière, souple et mouvante, du public et du privé » (5). Cette limite peut donc varier d’un internaute à un autre selon leurs idéaux, ce qui crée évidemment des conflits non seulement entre eux mais également avec les géants du web qui gèrent ces plateformes.
Le sujet du féminisme en est un bon exemple : « aussi, si le féminisme s’insère dans les clivages qui façonnent le web, il contribue également à transformer l’environnement dans lequel il évolue en se diffusant. » (5)
D’ailleurs, on peut se demander si les femmes peuvent
réellement s’exprimer sur Youtube comme elles le souhaitent et sur tous les
sujets ? Quelle place occupent-elles sur la plateforme et notamment par
rapport à leurs homologues masculins ?
2) La place des femmes sur Youtube
a. L’invisibilisation des créatrices de vidéos
En 2016, le géant Google (et rappelons le, propriétaire de Youtube), a révélé que parmi les 100 chaînes les plus suivies au niveau mondial, seulement 13 appartenaient à des femmes. Les femmes ne représenteraient donc que qu’un peu plus de 10% des vidéastes populaires (1). Il existe donc un réel problème de représentativité et d’invisibilité des femmes sur Youtube. On aurait pu penser qu’avec Youtube, une plateforme innovante par rapport aux médias classiques (dans lesquels les femmes sont également très peu présentes), on aurait pu repartir de zéro sur de nouvelles bases. Néanmoins Youtube, comme les autres médias sociaux, constitue en quelque sorte un miroir de notre société actuelle qui reste patriarcale.
Pour Marie Camier Théron, il y a eu réel un déclic, une prise de conscience de cette problématique en 2016 lors d’un salon organisé avec des créateurs de vidéos français : « Le déclic final ça a été que j’suis allée à une convention qui s’appelait à l’époque la Néocast en avril 2016 et qui avait invité 55 vidéastes et sur ces 55 vidéastes y avait que 5 meufs. »
Et elle renchérit en prenant pour exemple le Frames Festival à Avignon et le sujet de la vulgarisation une thématique importante et populaire sur Youtube en France : « Par exemple la Frames cette année, ils ont organisé un concours qui récompensaient des vulgarisateurs et je dis des vulgarisateurs parce que en fait y a pas eu une seule vulgarisatrice récompensée alors qu’il y avait des meufs qui avaient candidaté et c’est le jury qui à un moment décidé de ne pas prendre en compte cette donnée quoi. Que l’égalité c’est pas très intéressant et que en gros la représentation n’était pas une donnée à faire rentrer en compte dans les lauréats quoi ».
Les femmes ne sont donc ni bien représentées en tant que créatrices, ni récompensées et valorisées comme le sont les hommes, c’est un fait. Alors quelles sont les racines du problème ?
Pour Marie Camier Théron, ce n’est pas quelque chose dont les gens ont conscience, pas même les créateurs eux-mêmes qui connaissent ce milieu de l’intérieur : « C’est pas de la mauvaise volonté, c’est pas de la malfaisance, c’est juste un angle mort, des œillères pour plein de gens. »
Elle va plus loin en disant : « Je me suis rendu compte à ce moment-là qu’il y avait un problème qui dépassait Youtube, c’est un problème sociologique autour de la visibilité des femmes dans tous les domaines artistiques et professionnels. » Cette idée rejoint ce que nous évoquions en début de cette partie : le problème ne serait pas Youtube en soi mais plutôt ce qu’en font ses utilisateurs ainsi que les inégalités inhérentes à notre société. Une des principales causes relèverait donc bien de la sociologie.
Bien sûr il ne s’agit pas de la seule raison pour laquelle les femmes sont peu visibles. Celles-ci ont également plus tendance à se questionner sur leur légitimité à s’exprimer sur tel ou tel sujet. Souvent elles n’osent pas se lancer, si elles ne sentent pas « expertes » sur le sujet en question. « « J’ai l’impression que ma pire barrière, c’est moi-même », confie Fanny Malek qui officie sur la chaîne d’humour Fannyfique et sur Madmoizelle. « Il m’est déjà arrivé de ne pas oser participer à une discussion ou un débat sur un sujet de société parce que j’avais peur de ne pas avoir assez de culture générale » » (1).
Et ce n’est pas tout, à cette question de la légitimité, se rajoute la peur des commentaires sexistes et misogynes dont beaucoup de youtubeuses sont la cible. Ce n’est pas un phénomène systématique mais il reste fréquent. Les internautes qui commentent, souvent des hommes, réduisent les créatrices à leur physique, font des commentaires blessants et même violents. Les créatrices se retrouvent alors face à des insultes et parfois des menaces de viol entre autres. Selon Nadja Anane. : « En fait sur YouTube, on est beaucoup plus exposé qu’au cinéma ou à la télévision. On se livre et on reçoit en direct les retours. À cause de l’anonymat, il peut y avoir des phénomènes de lynchage public qui rendent la problématique différente » (1). Ce genre de phénomène existe également hors internet bien sûr mais les médias sociaux ont tendance à l’amplifier.
Enfin, on peut considérer que certains commentaires masculins sous les vidéos des youtubeuses relèvent du « mansplaining » numérique. « Mansplaining » est la contraction de « man » (homme) et d’« explaining » (expliquer). Ce terme a été utilisé pour la première par Rebecca Solnit dans son livre « Men Explain things to me » publié en 2008.
Dans son ouvrage, elle raconte notamment comment un homme en soirée, lui a conseillé de lire un livre sans avoir conscience qu’il discutait justement avec son auteure. Ce mot révèle une « certaine condescendance paternaliste et mal placée » et désigne le fait qu’un homme parle d’un sujet à une femme comme s’il était spécialiste alors que la femme en sait plus que lui sur ce sujet du fait de son vécu (par exemple la sexualité féminine, la contraception …)
« Il est en effet avéré que les femmes tendent à prendre moins souvent la parole en public, ou qu’elles se font plus souvent couper la parole lorsque c’est le cas » (2)
b. Des sujets genrés ?
Non seulement les femmes sont moins visibles que les hommes sur Youtube mais en plus la plateforme semble relayer des « stéréotypes de genre ». Les femmes ne devraient alors aborder uniquement des sujets genrés comme des sujets « de femme » notamment la beauté et la mode. L’humour et la science en revanche serait exclusivement le domaine des hommes.
Le youtubeur Guilhem qui tenait la chaîne « MasculinSingulier » le déplore auprès de la rédaction de Slate : « YouTube, c’était une feuille blanche, ça aurait pu être une image de société à réinventer où les femmes feraient aussi des jeux vidéo. C’est très triste de voir qu’on y reproduit exactement les mêmes schémas » (1).
Le site des Internettes évoque aussi cette notion de diversité au niveau des sujets : « Le succès des “YouTubeuses beauté” est incontestable. Et tant mieux pour elles ! Ces jeunes femmes travaillent dur (…) même si bien entendu, nous faisons tout pour permettre aux femmes de se projeter sur des thématiques plus diverses sur lesquelles leur parole est tout aussi légitime. Les vidéastes beauté sont des exemples marquants de la standardisation éditoriale de YouTube. Régulièrement mises en avant dans les conventions et analysées dans les médias, elles représentent en réalité la partie visible de l’iceberg. Car sous la mer, des vidéastes féminines de talent bousculent aussi la création sur YouTube dans une multitude de domaines comme les sciences, le gaming, les sujets de société, l’art… mais elles font moins de bruit. » (3)
Des femmes qui ne traitent pas que de mode ou de beauté, il en existe beaucoup en réalité mais là encore c’est un problème de visibilité, elles sont beaucoup moins médiatisées, mises en avant que ce soit au niveau de Youtube ou dans les conventions spécialisées et conséquemment le public ne les voit donc pas vraiment.
En 2017, parmi les cent chaînes les plus suivies, 10 femmes seulement faisaient partie du classement et effectivement seules deux de ces youtubeuses appartenaient à d’autres catégories que celle de la beauté-lifestyle (1).
Cette étiquette de youtubeuse beauté est « collée » à toutes les femmes qui publient des vidéos sur Youtube, il est encore difficile de sortir de ces cases préconçues. Natoo (youtubeuse française la plus populaire,) regrette que : « Les gens pensent encore que toutes les youtubeuses font des vidéos ‘cucul’ ».
Les quelques youtubeuses qui lancent leurs chaînes qui appartiennent à d’autres thèmes
(“humour”, “gaming”, “philosophie”…) ont souvent des commentaires comme : « Mais du coup, vous faites quoi ? » (1). Sous-entendu : que faites-vous, si vous ne faites pas de la beauté ? Ce n’est presque pas concevable pour certains qu’une femme parle de jeux vidéo par exemple.
Marie Camier Théron, lors de notre entretien nous confirme bien ce constat : « y a des sujets qui sont plus « touchy » que les autres : le féminisme, la politique et les nouvelles technologies. Les meufs se font défoncer dès qu’elles parlent de nouvelles technologies, de féminisme, de politique et de sujets de société. »
Et comme Marie Camier Théron nous le fait comprendre ça ne s’arrête pas à de la simple désapprobation, à des commentaires négatifs individuels. On évoquait plus haut le « lynchage public » comme disait Nadja Anane (1). Elle faisait en fait référence à ce qu’on appelle le cyber-harcèlement qui s’organise souvent sous forme de « raids ». Les raids sont des attaques organisées (ils proviennent souvent des mêmes sites ou forum comme le forum 12-25 du site jeuxvideo.com) contre une personne, une cible, souvent une femme sur les réseaux sociaux et en l’occurrence sur Youtube. Dans ce cas la créatrice se retrouve alors avec des centaines de commentaires haineux et autant de « pouces rouges » qui font en sorte de dévaloriser sa vidéo et donc de la rendre invisible. Et cela dure souvent plusieurs jours, voire plusieurs semaines ou mois, certaines personnes sont déjà tombées en dépression pour cette raison et finissent par abandonner leur activité de vidéaste au moins pendant un temps.
Le cyber-harcèlement constituerait un sujet de dossier ou de mémoire à part entière mais nous pouvons tout de même l’évoquer. C’est ce qui est arrivé à la vidéaste française Marion Séclin (qui travaillait alors chez Madmoizelle.com, magazine en ligne à tendance féministe) en réaction à sa vidéo qui traitait, ironie du sort, du harcèlement de rue (vidéo postée le 17 mai 2016).
Raid et cyber-harcèlement : l’exemple de Marion Séclin et de sa vidéo sur le harcèlement de rue.
Marion Séclin a été affectée par le harcèlement qu’elle a subi mais avec le temps elle a pu prendre du recul et analyser ce qui s’était passé. Elle en a même fait un TEDX en novembre 2017 afin de sensibiliser le public à cette problématique.
Le TEDx de Marion Séclin : “Championne de France de Cyber-harcèlement”
On sait pertinemment qu’en parlant de sujets semblables, un youtubeur masculin a beaucoup moins de commentaires à caractère sexiste.
Guilhem (chaîne MasculinSingulier qui parodie les youtubeuses beauté) en est un bon exemple : « Je reçois quelques commentaires homophobes, mais ce n’est pas comparable avec ce qu’encaissent les femmes. » (4).
c. Démonétisation : le pouvoir des annonceurs et le hashtag #MonCorpsSurYoutube
Pour commencer, qu’est-ce que la démonétisation ?
Sur Youtube un ou une vidéaste qui publie des contenus conformes au « programme partenaire » peut en principe monétiser ses vidéos, c’est à dire que des annonceurs (des publicitaires) peuvent insérer des publicités avant le lancement de la vidéo et ainsi le ou la vidéaste peut toucher des revenus lorsque sa vidéo est visionnée.
Pour que les règles soient respectées, la plateforme utilise un « système de double modération » : dans un premier temps les vidéos sont analysées automatiquement via un algorithme et peuvent directement être démonétisées, dans un second temps des humains vérifient les choix de l’algorithme, ils peuvent alors remonétiser une vidéo s’il le jugent nécessaire. Si cela n’est pas fait et si la vidéo reste démonétisée, alors le créateur ou la créatrice peut « faire appel, et de demander une réévaluation » (5).
Cependant, début 2017, plusieurs annonceurs ont vu leurs publicités apparaître dans des vidéos très problématiques avec des contenus de type « apologie du terrorisme » ou « vidéos d’enfants commentées par des prédateurs sexuels ». A la suite de cela, Youtube a drastiquement durci son règlement et les annonceurs ne veulent plus prendre aucun risque, ils décident donc de favoriser uniquement les contenus considérés comme « sûrs ». Et c’est là que cela pose problème et les conséquences de cette nouvelle politique ont touché d’abord et surtout les femmes vidéastes qui parlent de sujets comme l’« avortement, [la] coupe menstruelle,
acceptation de son corps… Sur YouTube, les vidéos évoquant le corps ou la sexualité des femmes seraient « systématiquement démonétisées », dénonçait Marie Camier Théron, cofondatrice des Internettes auprès de la rédaction du Monde (5).
Nous avons interrogé Marie Camier Théron sur cette questions durant notre entretien, elle rappelle avec justesse qu’il est d’autant plus grave que ce genre de vidéos soient démonétisées car il y a un réel besoin d’éducation sur ses sujets notamment en France : « Y a d’autres créatrices qui parlent de leurs règles, d’endométriose, de leur poitrine, de cancer du sein, ou de cancer tout court, cancer de l’utérus, des sujets qui touchent les femmes, grossesse aussi, de maternité et de sexualité féminine, simplement parce que y a besoin d’éducation sexuelle en France parce que voilà on n’en a quasiment pas à l’école. Toutes ces créatrices qui viennent pour sensibiliser, vulgariser, informer avec des sources, enplus elles sont confrontées à ces problèmes de démonétisation. »
Par exemple Calie de la chaîne Calidoscope (chaîne de vulgarisation qui traite de sujets de société) a publié une vidéo sur l’avortement dans le monde. Youtube a jugé que c’était un contenu réservé aux plus de 18 ans et l’a démonétisée. C’est pareil pour Charlie Danger, de la chaîne « Les Revues du monde » (archéologie, histoire) et sa vidéo sur les règles. C’est également le cas pour Léa Bordier de la chaîne « Cher Corps » qui publie des portraits de femme car Youtube a jugé « soutien-gorge un peu transparent » et ainsi non compatibles avec les annonceurs (5). La plateforme semble démonétiser systématiquement toutes les vidéos évoquant non seulement le corps et la sexualité des femmes mais aussi de façon plus générale leurs droits comme le déplore Marinette qui tient une chaîne sur le féminisme : « IVG, violences sexuelles, justice et même le portrait de militantes russes. Chez moi, YouTube ne censure pas seulement le corps des femmes, mais TOUT ce qui concerne LEURS DROITS. » (5)
Depuis mars 2017, les publicités ne sont diffusées par défaut que sur des vidéos jugées « sûres ». Les annonceurs peuvent choisir de les afficher sur d’autres vidéos mais ils doivent faire la démarche active d’eux-mêmes. En outre, les règles qui définissent si une vidéo est monétisée ou non ne sont pas clairement définies et semblent quelque peu opaques.
Youtube dans sa politique dit ne pas monétiser les vidéos ayant « un caractère sexuel très prononcé », avec de la « nudité » et des « simulations sexuelles », « sauf s’il s’agit d’éducation sexuelle » (5). On peut alors se poser la question de quels contenus relèvent selon Youtube de ce domaine … Comment justifier alors que des vidéos publiées évidemment à des fins éducatives comme celles que nous avons évoquées ci-dessus et sur des sujets aussi importants que les règles ou l’IVG soient démonétisées ?
Pour Marie Camier Théron, cela va même au-delà du corps et des droits des femmes car elle affirme auprès du Monde que : « Ces démonétisations touchent aussi les vidéos qui touchent au milieu LGBTQ +. Elles sont d’office considérées comme étant du contenu sexuel. » (5).
Étrangement, les vidéos touchant à la sexualité hétérosexuelle ou portant sur les corps masculins ne soient que rarement la cible de démonétisation. On peut citer l’exemple de la vidéo sur le sexe au Moyen Âge du vidéaste Nota Bene. Lui-même est surpris que Youtube ait choisi de monétiser son contenu car le titre et la miniature de sa vidéo sont pourtant explicites.
Il semble donc bien qu’il y ait une grande différence de traitement entre les vidéos publiées par des femmes et portant sur le corps et la sexualité des femmes et les vidéos traitant de sujets mieux acceptés par la société comme le corps et la sexualité des hommes hétérosexuels.
Marie Camier Théron nous a effectivement confirmé lors de notre discussion que les règles ont changé mais elle nous apporte aussi des informations sur la situation économique et financière de Youtube, ce qui explique certains choix de leur part : « La politique de Youtube là-dessus, elle s’est durcie ces dernières années, parce que faut savoir que Youtube est une plateforme qui n’a jamais été à l’équilibre budgétaire, budgétairement parlant Google, le groupe Google Alphabet etc. là c’est à l’équilibre, là y a pas de soucis. Par contre Youtube en soi ça consomme tellement d’énergie et de serveurs que financièrement c’est assez peu rentable. Ils dépendent donc pour créer un modèle économique qui fonctionne des annonceurs qui viennent faire de la publicité sur la plateforme. Ces annonceurs, ces derniers mois et ces dernières années, notamment ces derniers mois ont serré la bride auprès des équipes de Youtube ».
Ce sont donc ces annonceurs, plus que les équipes de Youtube, qui ont énormément d’influence sur la monétisation des vidéos, donc ce sont eux qui ont le pouvoir. Et comme Marie Camier Théron nous le rappelle, ces publicitaires sont souvent des Américains etqui font partie de cette société : ils « viennent principalement des États-Unis, qui sont donc dans des cultures assez puritaines qui du coup ont une conception toute particulière de la liberté d’expression et des sujets devant lesquels ils ont envie d’annoncer et donc dans une culture américaine où l’avortement, les agressions sexuelles, la sexualité en général et les problématiques des femmes sont des sujets tabou, c’est avec ces éléments là qu’on se retrouve avec une démonétisation massive des vidéos. »
Par ailleurs, ce qu’il faut bien comprendre c’est que la monétisation n’est pas seulement une histoire d’argent et de rémunération pour les youtubeurs, il en va de leur visibilité sur Youtube car une vidéo démonétisée et aussi une vidéo qui touchera beaucoup moins de monde comme nous l’explique Marie Camier Théron : « Et si c’était que ça, si c’était que de la démonétisation, on pourrait faire une croix dessus. Le problème c’est que quand c’est démonétisé, quand l’algorithme passe et démonétise euh la visibilité des vidéos est amoindrie. Elle a aucune chance d’arriver dans la page tendance de Youtube, elle a moins de chances d’arriver dans les recommandations. Donc y a moins de vues, donc ces vidéos touchent moins de monde. Or, quand on fait des vidéos parce qu’on a envie de transmettre des messages qui nous paraissent importants ça devient scandaleux. »
Marie Camier Théron avec les autres membres l’association des Internettes décident de lancer une action contre ces démonétisations et ensemble elles lancent une campagne avec le hashtag #MoncCorpsSurYoutube le vendredi 25 mai 2018. Cette campagne avait deux objectifs : faire réagir Youtube mais aussi et surtout attirer l’attention du public sur ce problème (5).
Marie Camier Théron nous a raconté la genèse de cette campagne sur les réseaux sociaux : « ça été un coup de tête. En vrai la campagne on l’a faite la veille du lancement. (…) Avec les Internettes on a un groupe Facebook qui s’appelle « le groupe des créatrices vidéo » sur lequel on a 400-500 créatrices aujourd’hui ouais, qui de plus en plus nous faisaient remonter des problèmes de démonétisation de leurs vidéos ou des problèmes de visibilité. Elles avaient l’impression que leurs vues étaient en train de baisser et autour de moi j’entendais aussi des créatrices comme Parlons peu mais parlons, Sophie Riche, Marion Séclin, me dire qu’elles rencontraient les mêmes soucis (…) Et comme j’ai un gros passif de communicante, je leur propose une stratégie en même temps pour lancer un hashtag le lendemain et à ce moment-là, je suis pas du tout sûre que ça va prendre quoi. (…) On fait la campagne en 3 heures. Je demande un coup de main aux filles des Internettes et puis j’en parle aussi aux filles de Madmoizelle (…) et Boum on lance ça comme ça. »
Marie Camier Théron et les Internettes ne se doutaient pas de l’impact que la campagne allait avoir auprès des médias, en revanche les youtubeuses n’ont malheureusement pas vraiment suivi le mouvement : « C’est vraiment cool parce que on a eu une grosse portée médiatique, ce qui a été surprenant par contre c’est que les créatrices nous ont pas énormément suivies : à part la chaîne « Parlons peu mais parlons », Marinette et un peu Florence Porcel mais elles ont été assez peu à elles-mêmes faire part de leurs témoignages sachant que la campagne visait aussi à cet objectif-là »
Marie Camier Théron aura même l’occasion de faire une vidéo BRUT, un nouveau média qui a énormément d’influence sur les réseaux sociaux
Vidéo BRUT #MonCorpsSurYoutube
Pour les Internettes c’était l’occasion ou jamais de faire bouger les lignes et les mentalités comme l’explique Marie Camier Théron: « c’était d’autant plus cool que nous notre discours il va au-delà de la censure qui s’opère sur le corps des meufs sur Youtube, c’est la liberté d’expression des meufs en général dans l’espace public. Donc ça nous a donné une tribune aussi pour rappeler que bah les meufs n’ont pas tant la parole que ça dans les médias quoi et notamment sur Youtube. »
Très ironiquement, la vidéo Youtube des Internettes #MonCorpsSurYouTube sera elle-même démonétisée (même si elle a été remonétisée par la suite).
Au- delà de YouTube, le but est de faire comprendre aux annonceurs que les mentalités doivent changer et dans son communiqué, l’association précise :
« Nous attendons de YouTube plus de transparence sur les motifs de démonétisation, avec l’envoi d’un timecode désignant les passages problématiques dans les vidéos. Des annonceurs, nous souhaitons connaître les raisons motivant leur refus de diffuser des publicités sur des vidéos abordant certains sujets féminins. » (6)
Tout cela a débouché sur des discussions avec les équipes de Youtube France mais les réponses n’ont pas vraiment été satisfaisantes l’association et pour Marie Camier Théron : « le compte Youtube officiel de France, Youtube Créateurs je crois, nous a répondu (…) en gros ils se dédouanaient quoi : Ce sont les règles, ce sont des vidéos qui ne correspondent pas aux règles d’utilisation de Youtube voilà ils disaient un truc hyper flou comme ça ». Le pari est tout de même réussi dans le sens où le sujet a été mis sur la table médiatique et il est beaucoup plus difficile de l’ignorer aujourd’hui.
Jihad El Obbadi, bénévole de l’association reste positive et explique que la libération de la parole est plus simple lorsque l’aspect monétisation est mis de côté puisqu’on n’est plus du tout limité au niveau contenu et vocabulaire : « je remarque que malgré tous les « strikes », les démonétisations etc … ça n’a pas empêché les femmes de parler et c’est limite ça a donné de la rage à plein, quitte à ce que leur chaîne soit complètement démonétisée etc … Du coup y a en fait plus une libération de parole à partir du moment où cet aspect financier en fait il est sorti. ».
d. Phénomène de la bulle de filtre
Et comme si la domination masculine ne suffisait pas, Youtube semble naturellement mettre plus en avant les vidéos des hommes que celles des femmes : « Si tu regardes Natoo, on te propose Norman, mais si tu regardes Norman on va te proposer Cyprien, pas Natoo. Les femmes se perdent dans l’algorithme », déplore Lisa des Internettes.(4)
Le phénomène de la bulle de filtre ou « bubble filter » en anglais est également un facteur d’explication des difficultés des femmes à s’imposer sur Youtube.
Rappelons tout d’abord ce que l’on entend par ce terme. En réalité il date d’une époque bien antérieure à celle d’internet, le concept apparaît avec la démocratisation de la presse papier. Ces médias papiers constituaient déjà des filtres sur notre vision du monde. Selon le journal, puis plus tard, la chaîne de radio et télévision à laquelle on est fidèle, notre conception du monde n’était pas la même. Au début des années 2000 internet et ses puissants moteurs de recherche comme Google ont reproduit ces filtres selon les centres d’intérêt des internautes. Et les médias sociaux un peu plus tard ont proposé d’autres filtres encore qui se basent non seulement sur nos intérêts mais aussi sur nos relations sociales. Par la suite, lorsque la gestion est devenue trop compliqué, nous avons confié ces tâches à des algorithmes. D’après un ensemble complexe de facteurs, ce sont eux qui nous proposent aujourd’hui du contenu sur nos médias sociaux et notamment sur Youtube. (7)
Hubert Guillaud sur le site InternetActu rappelle que : « la bulle du filtre, posée par Eli Pariser, repose sur l’idée que nos tendances naturelles à l’homophilie sont amplifiées par des filtres conçus pour nous donner ce que nous voulons, plus que des idées qui nous challengent, nous conduisant à des formes d’isolement idéologique et à la polarisation. Comme le rappelle le chercheur, les filtres algorithmiques optimisent les plateformes pour favoriser l’engagement et la rétention des utilisateurs dans le but de vendre l’attention des utilisateurs aux annonceurs. » (7).
Avec Internet, le web et les médias sociaux, ce phénomène de bulle de filtre s’est donc amplifié et les annonceurs l’ont détourné en utilisant des algorithmes qui ont été développés afin que cela leur rapporte un maximum.
En réalité, c’est Marie Camier Théron dans un premier temps qui nous a pointé la problématique des bulles de filtre et elle nous expose sa propre définition de ce terme : « La bulle de filtre ça correspond à une sorte de zone de confort sur internet qui est renforcé par le fonctionnement algorithmique. En gros quand tu regardes une vidéo d’Enjoy Phoenix, l’algorithme va prendre en compte les mots-clés de cette vidéo et les thèmes du coup qui sont abordés dans cette vidéo et il va te proposer des contenus similaires. Quand il fait ça, il sait qu’il te propose des vidéos qui correspondent à tes goûts et toi tu vas cliquer plus facilement dessus. Sauf que plus tu regardes des vidéos similaires les unes aux autres, plus tu vas t’enfermer dans ce cercle. Et c’est un théorème qui a été élaboré bien avant l’arrivée d’internet. Il avait été élaboré (…) il me semble que c’était dans les années 60 à l’époque par quelqu’un qui parlait de bulle de filtre, de « filtre bulbe » en termes de consommation de presse et notamment de journaux, le fait qu’on achetait les mêmes titres. C’est un phénomène qui s’est retrouvé sur internet et qui s’est amplifié avec le fonctionnement algorithmique de Facebook, Youtube et Instagram qui nous renvoient vers des contenus toujours similaires les uns aux autres. (…) ça nous permet pas de voir que d’autres univers existent et que d’autres catégories sociales de population existent. »
Ainsi, Le problème c’est que ces bulles de filtre nous enferment en quelque sorte dans un cercle vicieux qui nous propose toujours le même type de contenu comme l’explique Marie Camier Théron : « une des difficultés à laquelle on est confrontés c’est que même sur Internet on est enfermés dans des bulles de filtre, les « filtre bubble » (…) font qu’on est dans une zone de confort social où chaque information qu’on va voir confirme notre opinion (…). Dès qu’on sort de notre bulle et qu’on voit que ça ressemble pas à ce qu’on voit d’habitude, on préfère retourner dans notre bulle d’information où c’est bien confortable. »
Cela vient sérieusement remettre en question l’idée de la sérendipité sur les réseaux sociaux. La sérendipité est un terme qui désigne le fait de découvrir du contenu sur le web « par hasard » qu’on n’a pas directement cherché. Ce hasard est en fait largement déterminé par les algorithmes qui limitent énormément le champ des possibles.
L’enjeu dans le futur réside donc
dans des solutions pour retrouver le contrôle de nos propres bulles de filtre,
pour les paramétrer nous-même et ainsi choisir comment sont filtrés nos
contenus. Certains imaginent déjà des services qui permettraient d’ouvrir ces
paramètres depuis les plateformes web et les médias sociaux que nous utilisons
(7).
3) L’association les Internettes : promouvoir la visibilité et la diversité des youtubeuses
a. Un collectif devenu une association
Fondé en 2016, un soir, « autour de chips » (1), le collectif des Internettes a pour but de promouvoir la présence des femmes sur Youtube, de valoriser le contenu des créatrices, et d’encourager les femmes hésitantes à se lancer dans la production de vidéos.
L’association les Internettes est née à cause du cruel manque de représentation des femmes sur la plateforme de Youtube. Nous avons interviewé une des co-fondatrices, Marie Camier Théron, qui nous a expliqué qu’elle était « une grosse consommatrice de vidéos sur Youtube », elle s’est rendu compte qu’il n’y avait pas beaucoup de femmes présentes et mises en avant sur la plateforme. Très sensible à la liberté d’expression de toutes les populations et des plus jeunes, assez peu entendues dans l’espace public, elle estime que les jeunes femmes sont encore plus mises à l’écart car on leur demande « assez peu » leur avis sur beaucoup de sujets qui, pourtant, les concerne pleinement. Youtube étant une plateforme facile d’accès où il est possible de toucher beaucoup de gens, il fallait logiquement commencer à améliorer la condition des femmes sur cette plateforme.
Depuis les débuts de Youtube avec des personnalités comme Norman et Cyprien, en France, Youtube a vu grandir des collectifs tels que Golden Moustache ou Studio Bagel, réunissant femmes et hommes. Youtube commença à devenir un média très influent, souvent plus visionné que les chaînes de télévision par les jeunes de moins de 20 ans.
En avril 2016, Marie Camier Théron s’est rendue à la Néocast, un salon de référence de la webculture et des vidéastes francophones, et a constaté que parmi les 55 vidéastes invités, seulement 5 étaient des femmes… La raison de ce résultat ? Le jury n’avait tout simplement pas conscience que très peu de femmes avaient étaient sélectionnées. Par ailleurs, s’ils ont aussi davantage choisi des hommes, c’est parce qu’ils sont largement plus médiatisés. Ainsi si les créatrices ne sont pas amenées sur le devant de la scène, c’est parce qu’on ne les voit pas, et si on ne les voit pas c’est parce qu’elles ne sont pas sur le devant de la scène… un cercle vicieux donc. On aurait pu penser que parce que l’un des deux organisateurs était une femme, elle aurait pu être plus sensible à cette problématique mais il semble que femmes et hommes sont concernés par cet angle mort qu’est la création féminine sur Youtube.
C’est devenu clair à ce moment donné : le problème, ce n’était pas Youtube, le problème avait des racines bien plus profondes : il s’agit de l’invisibilité sociologique des femmes dans le monde artistique et professionnel.
Il y avait donc plusieurs problèmes à solutionner à régler : dans un premier temps, il fallait pouvoir porter à la lumière les créatrices de contenu qui étaient jusque-là inconnues en les répertoriant et en les sourçant.
Dans un deuxième temps, il fallait pouvoir leur donner les moyens de produire du contenu de meilleure qualité, notamment en leur donnant les armes leur permettant de concurrencer leurs collègues masculins. Ceux-ci avaient déjà beaucoup d’avance et sont bien plus souvent approchés par des marques et des sponsors par exemple.
Dans un dernier temps, il fallait montrer que non, toutes les femmes sur Youtube ne font pas que des tutoriels de beauté et qu’elles aussi savent parler d’histoire ou de physique ou encore faire de l’humour et que ce ne sont pas des sujets strictement masculins.
Marie Camier Théron a donc décidé se réunir avec des membres du magazine Madmoizelle afin de créer l’association.
De par la popularité de Youtube chez les jeunes, il fallait aussi s’assurer que Youtube puisse proposer des créatrices et ainsi prouver aux jeunes femmes qu’elles sont légitimes et qu’elles ont une place sur la plateforme de vidéos.
Jihad El Obbadi a aussi souligné l’importance de la création d’un collectif dans le but de propulser les créatrices, car comme nous l’avions constaté auparavant, les collectifs tels que Golden Moustache ou Studio Bagel ont permis aux créateurs de se démarquer et d’acquérir des abonnés et un ensemble de fans (une « fanbase ») qui les soutient personnellement, même si le youtubeur décide de rester dans le collectif. Comme le pendant féminin n’existait pas avant la création des Internettes, elles n’arrivaient pas vraiment à se démarquer et à avoir une vértiable fanbase. Marie Camier Théron et Jihad El Obbadi nous ont expliqué que l’objectif du projet des Internettes est donc de « tirer vers le haut » les créatrices sans pour autant « taper sur les hommes » mais en les considérant comme des alliés pouvant aider les youtubeuses sans pour autant les éclipser.
Mais pour pouvoir mettre en avant les femmes, encore faut-il sensibiliser la population à leur invisibilisation.
b. Des actions de sensibilisation
Quelques mois après la création de l’association, Léa Bordier (créatrice de la chaîne “Cher Corps”) proposa de récolter les témoignages des créatrices sur leur parcours en tant que créatrices de contenu, suivie quelques jours plus tard par Lisa Miquet : elles ont cherché à savoir pourquoi elles ont moins de succès que leurs homologues masculins. Sont-elles moins crédibles qu’eux et pourquoi ? Et quels sont les obstacles qu’elles ont rencontré en tant que femmes ? En interviewant une quinzaine de youtubeuses, elles se sont rendu compte dans un premier temps qu’elles ressentaient un manque de confiance en elles, un manque de légitimité, notamment un “syndrome de l’imposteur” assez présent (notamment pour Esther Taillifet qui n’osait pas parler de sciences alors qu’elle rédigeait une thèse en astrophysique)(2).
Quand elles arrivent enfin à se lancer, elles se retrouvent malheureusement face à des personnes qui les décrédibilisent et leur reprochent d’être trop jeunes et donc de ne pas avoir les compétences, de ne pas avoir les diplômes requis, ou encore de ne pas être légitimes à cause de leur sexe. Cela peut s’expliquer par un problème sociétal : « les gens feront, par instinct, plus confiance à un scientifique homme que femme (3) ».
Aussi, la parole d’une femme qui s’aventure dans le domaine scientifique sera constamment remise en cause par les internautes qui lui demanderont si ses sources sont fiables, alors qu’on ne remettra pas en question les sources d’un homme. « On reprochera à une femme qui s’intéresse à un contenu “étiqueté comme masculin” de ne rien y connaître, et on demandera à un homme qui s’intéresse à des sujets “étiquetés comme féminins” la raison de son intérêt à ce sujet. ».
Un autre obstacle que rencontrent les femmes quand elles publient sur Youtube : les remarques sur le physique. « Quand t’es une fille sur Internet, t’as jamais gagné. Parce que quand t’es belle, t’es d’abord belle, alors ce que tu dis, ça sert à rien. Quand t’es pas très jolie, t’es moche alors on ne va pas écouter ce que tu vas dire non plus. A partir de ce moment-là, t’es coincée » (4). Les internautes auront tendance à être impitoyables envers les femmes sur leur physique, et chercheront toutes les raisons possibles afin de les décrédibiliser au maximum, allant même jusqu’au cyber harcèlement. Quand on demande de citer des youtubeurs à des personnes de notre entourage, ils auront une grande tendance à citer des noms masculins, et il faut pouvoir intégrer des “role models” féminins auxquelles les femmes pourront s’identifier, et ce n’est pas parce qu’elles ne sont pas mises en avant qu’elles n’existent pas. Les créatrices interviewées sont d’accord pour dire que Youtube ne met pas en avant des « role model » féminins.
Le 18 avril 2017, le documentaire nommé “Elles prennent la parole” est né.
Ce documentaire avait pour objectif la sensibilisation des femmes et des hommes sur la création féminine : pousser les femmes à créer et ouvrir les yeux des hommes et les sensibiliser sur l’invisibilité et la manière dont elles sont traitées sur Internet.
https://www.youtube.com/watch?v=GiCooRTPYTo
Le documentaire “Elles prennent la parole” de Léa Bordier et Lisa Miquet
Le Frames Festival, qui a eu lieu, récemment le week-end du 29 et 30 septembre 2018, a récompensé, comme à son habitude, les vulgarisateurs sur Youtube. Vulgarisateurs, et non vulgarisatrices, car les lauréats étaient tous des hommes. Parmi les nominés, certaines femmes étaient présentes, cependant, elles n’ont pas été sélectionnées pour faire partie des gagnants. La parité n’était apparemment pas un critère de sélection. Les Internettes ayant été invitées au festival et assisté à ces résultats, il y a avait deux possibilités : s’indigner sur Twitter avec un message ironique en mentionnant le nom d’utilisateur twitter du festival, ce qui aurait eu pour conséquence beaucoup de « buzz » (technique marketing consistant à susciter du bouche à oreille autour d’un événement et, ce faisant, des retombées dans les médias (5)), de la colère mais pas de réaction. L’autre solution était de formuler une réponse réfléchie afin de faire bouger les lignes : pour exprimer le mécontentement et l’objectif de mettre en avant des créatrices afin qu’elles aient, elles aussi, la possibilité d’être récompensées si le jury favorise la représentation féminine les années suivantes.
Bien que Les Internettes n’aient pas été invitées à la remise des prix, certaines personnes présentes se sont rendu compte de l’absence de femmes sur le podium et les ont alertées. Elles ont donc cité le tweet d’annonce des vainqueurs en félicitant les créatrices présélectionnées, puis ont ajouté un deuxième tweet « Nous regrettons qu’aucune chaîne féminine ne soit dans le palmarès mais nous sommes prêtes à tout mettre en œuvre pour amener plus de parité à la prochaine édition » (6). Ce tweet a donc déclenché un regain d’énergie afin d’atteindre l’objectif de l’association.
c. Des solutions concrètes
Certaines youtubeuses présentes au Frames Festival, retenues dans les finalistes de ce concours, ont été récompensées par le concours des Pouces d’Or des Internettes cette année. Elles avaient été repérées et récompensées, et avaient donc pu prouvé leur valeur. Les Pouces d’Or est le premier concours de vidéo féminine qui offre un tremplin aux talents montants féminins de YouTube, Twitch, Dailymotion, Vimeo ou Facebook et les récompense avec du matériel et un accompagnement personnalisé par un membre du jury (eux-mêmes des vidéastes reconnus). Grâce à ce concours, des talents ont pu émerger et ont pu avoir un “coup de pouce” afin de pouvoir avoir un peu plus de visibilité que si elles s’étaient lancées toutes seules. La vidéaste doit, pour participer, réaliser une vidéo entre 30 secondes et dix minutes, être âgée de plus de 13 ans, être francophone, créer une vidéo “inédite” et d’autres critères spécifiques afin d’être éligible.
Internettes Explorer est un moteur de recherche que l’on peut trouver sur le site officiel de l’association. Celui-ci classe par ordre alphabétique et répertorie toutes les créatrices suivant leur domaine de production de vidéos. On y retrouve les catégories “Life Style”, “Humour”, “Droit”, “Humour”, “Jeux Vidéo” et beaucoup d’autres encore. L’internaute peut d’ailleurs soumettre des chaînes afin d’enrichir ce répertoire. Sur la gauche, une liste de catégories permet de faire le tri et de pouvoir (re)découvrir des chaînes suivant ce que l’on recherche. Les Internettes est le seule site à recenser ainsi les vidéastes à l’aide de mots-clés. Bien entendu, on peut aussi effectuer une recherche afin de retrouver une créatrice par son nom. Sur le site, la description de la chaîne de la youtubeuse est affichée, et il suffit de cliquer sur le cadre pour être redirigé·e vers la chaîne de la vidéaste. Recenser ainsi les créatrices et les trier par domaine permet d’avoir une vue d’ensemble sur les youtubeuses françaises, une sorte d’état de l’art de la création vidéo féminine en France.
En plus du message de courage qu’il a renvoyé, le documentaire “Elles prennent la parole” a servi à se renseigner auprès de l’équipe juridique de Youtube, notamment concernant les commentaires insultants et menaçants envers les youtubeuses. Le service juridique s’est défendu en indiquant qu’il y a « des procédures en place pour agir contre les personnes désobéissant à la loi, cependant, la plateforme n’a pas le droit de se substituer à un juge lorsque que la loi n’est pas claire sur certains sujets » (7). Le statut juridique de Youtube étant celui d’hébergeur, la plateforme ne peut pas être tenue responsable des commentaires sur le site. Cependant, il est de leur devoir de retirer un contenu qui a été signalé comme contraire à certaines règles. Ce n’est donc, légalement, pas à Youtube de réguler les commentaires publiés, même si cela est sur leur site comme l’indique l’équipe juridique.
Suite à la création des Internettes, Youtube France a décidé d’agir avec le mouvement #EllesFontYoutube (8) : le 6 octobre 2016, 10 ateliers de travail ont été lancés dans le but de promouvoir le travail des créatrices de contenu. Avec Laurence Rossignol, ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes, les créatrices ont pu se regrouper avec des collectifs afin de discuter et créer. Un mois plus tard, dans le Youtube Space de Paris, douze youtubeuses ont produit du contenu vidéo en collaboration pour encourager les femmes à se lancer dans la création de contenu.
L’association les Internettes a donc non seulement réussi à
sensibiliser les médias et le grand public à la cause de l’égaltié
femmes-hommes sur Youtube mais en plus elle propose des solutions concrètes aux
créatrices en leur donnant les moyens de réussir. L’association soutient et
encourage réellement la création féminine en France. Il s’agit de la seule
association dans ce domaine en France et cela peut sembler peu mais il est
aussi intéressant de noter qu’il n’existe pas d’autres
« Internettes » à l’étranger, pas même au pays d’origine de
Youtube : les États-Unis. Peut-être l’exemple français des Internettes
inspirera d’autres femmes dans d’autres pays dans le futur ?
Conclusion
En conclusion, nous avons vu que Youtube a pour principe de permettre à tout le monde de s’exprimer librement, de produire du contenu lui semble, à condition de respecter les règles de la plateforme.
L’angle mort de cette plateforme est l’invisibilisation des femmes vidéastes encore aujourd’hui. Elles sont effectivement bien moins mises en avant que les hommes et d’autant moins si elles parlent de sujets considérés comme « à risque » par les annonceurs comme l’IVG, la contraception ou la sexualité féminine.
Youtube est un reflet de notre société qui reste patriarcale et la plateforme attend des créatrices qu’elles soient conformes à des normes genrées.
L’algorithme du site n’hésite pas à démonétiser (et ainsi rendre invisible) le contenu qui ne serait soi-disant pas conforme et donc le rend inaccessible à la majorité des utilisateurs.
Si ce n’est pas l’algorithme de Youtube qui démonétise les vidéos, il peut s’agir d’un ratio de « pouces rouges” trop élevé attribué par les utilisateurs : parfois par acharnement et dans une volonté de nuire lors d’un « raid ».
Aussi, les recommandations de Youtube ont tendance à enfermer les utilisateurs dans le même style de contenus (par exemple le domaine de l’humour ou de la beauté). C’est ce que nous avons vu avec la notion de bulle de filtre » et cela réduit drastiquement la possibilité de découvrir de nouveaux youtubeurs et potentiellement de nouvelles youtubeuses qui créent du contenu original.
Enfin, bien que Youtube appartienne au géant américain Google
qui est avant tout une compagnie privée à but lucratif, des initiatives telles
que Les Internettes font tout leur possible pour remédier à ces différentes
problématiques à l’échelle de la France. L’association a déjà permis à de
nombreuses youtubeuses de gagner en visibilité et de s’épanouir au même titre
que leurs homologues masculins et continue d’encourager les femmes à se lancer
dans la création vidéo.
Notes de bas de page bibliographiques
Introduction
(1)John Koetsier, “Facebook v. Google in digital video battle: YouTube is 11X bigger”, 02/10/2015, https://venturebeat.com/2015/10/02/facebook-v-google-in-digital-video-battle-youtube-is-11x-bigger/, consulté le 02/02/19
(2) Olivier Duffez, « YouTube : plein de chiffres et de stats incroyables », 19/10/2017, https://www.webrankinfo.com/dossiers/youtube/chiffres-statistiques, consulté le 02/02/19
Partie 1 : La plateforme Youtube
(1) Xavier Eutrope, « 10 évènements qui ont marqué l’histoire de YouTube », 15/02/2018, https://www.inaglobal.fr/numerique/article/dix-evenements-qui-ont-marque-l-histoire-de-youtube-10105, consulté le 02/02/2019
(2) Guilhem, « Infographie : Les internautes accordent une vraie importance aux vidéos Youtube », 20/11/2017, https://blog.cibleweb.com/2017/11/20/infographie-les-internautes-accordent-une-grande-importance-aux-videos-youtube-102822558, consulté le 02/02/2019
(3) « Infographie youtube : les usages et audience », 20/01/2017, https://www.abilways-digital.com/magazine/infographie-youtube-les-usages-et-audience, consulté le 02/02/2019
(4) Simruy Ikiz, « Les violences à l’encontre des femmes sur les réseaux sociaux », Topique 2018/2 (n° 143), p.125-138, https://www.cairn.info/revue-topique-2018-2-page-125.htm?contenu=article, consulté le 02/02/2019
(5) Bertrand David, « L’essor du féminisme en ligne. Symptôme de l’émergence d’une quatrième vague féministe ? », Réseaux, 2018/2 (n° 208-209), p. 232-257, https://www.cairn.info/revue-reseaux-2018-2-page-232.htm, consulté le 02/02/2019
Partie 2 : La place des femmes sur Youtube
(1) Louise Wessbecher, « Comment YouTube France s’engage pour faire plus de place aux femmes sur sa plateforme », 09/12/2017, https://www.france24.com/fr/20171209-comment-youtube-france-sengage-faire-plus-place-femmes-plateforme, consulté le 02/02/2019
(2) Bertrand David, « L’essor du féminisme en ligne. Symptôme de l’émergence d’une quatrième vague féministe ? », Réseaux, 2018/2 (n° 208-209), p. 232-257, https://www.cairn.info/revue-reseaux-2018-2-page-232.htm, consulté le 02/02/2019
(3) Site officiel de l’association Les Internettes, https://www.lesinternettes.com/, consulté le 02/02/2019
(4) Juliette Redivo et Manon Michel, « De la difficulté d’être une femme sur YouTube », 09/05/2017, https://www.lesinrocks.com/2017/05/09/web/quand-les-youtubeuses-se-battent-contre-les-discriminations-11942671, consulté le 02/02/2019
(5) Perrine Signoret, « YouTube accusé de démonétiser les vidéos sur le corps et la sexualité des femmes », 25/05/2018, https://www.lemonde.fr/pixels/article/2018/05/25/youtube-accuse-de-demonetiser-les-videos-sur-le-corps-et-la-sexualite-des-femmes_5304753_4408996.html, consulté le 02/02/2019
(6) Juliette Gee, « Les Youtubeuses démonétisées appellent à plus de transparence de la part de YouTube », 22/01/2019, http://www.madmoizelle.com/youtube-demonetisation-videos-femmes-les-internettes-981495?fbclid=IwAR0SHqF9pq8RvSjT5HNNwnANlFUynzL8D8p0QKBuXxlmtJYedNw_eXQheuY, consulté le 02/02/2019
(7) Hubert Guillaud, « Paramétrer notre bulle de filtre… pour en reprendre le contrôle », 14/12/2017, http://www.internetactu.net/2017/12/14/parametrer-notre-bulle-de-filtre/, consulté le 02/02/2019
Partie 3 : L’association les Internettes : promouvoir la visibilité et la diversité des youtubeuses
(1) https://www.lesinternettes.com/ “Alors on s’est lancées. Un soir, autour de chips, on s’est dit : ok, on fait quoi ?”
(2) Léa Bordier et Lisa Miquet, Documentaire « Elles prennent la parole », 18/04/2017, https://www.youtube.com/watch?v=GiCooRTPYTo,Ginger Force, 8mn05
(3) Léa Bordier et Lisa Miquet, Documentaire « Elles prennent la parole », 18/04/2017, https://www.youtube.com/watch?v=GiCooRTPYTo, Florence Porcel, 7mn11
(4) Léa Bordier et Lisa Miquet, Documentaire « Elles prennent la parole », 18/04/2017, https://www.youtube.com/watch?v=GiCooRTPYTo, 8mn05, Marion Seclin, 15min16
(5) « Buzz (marketing) », https://fr.wikipedia.org/wiki/Buzz_%28marketing%29, consulté le 02/02/19
(6) Post twitter des Internettes, 29/09/2018 https://twitter.com/les1ternettes/status/1046094889686114304
(7) Léa Bordier et Lisa Miquet, Documentaire « Elles prennent la parole », 18/04/2017, https://www.youtube.com/watch?v=GiCooRTPYTo, Cordélia Flourens, 42min16
(8) Benjamin Pierret, « #EllesFontYoutube : Google se mobilise pour encourager la création féminine », 31/01/2017, https://www.rtl.fr/girls/identites/ellesfontyoutube-google-se-mobilise-pour-encourager-la-creation-feminine-7787004263, consulté le 02/02/19
Annexes
Annexe 1 : Méthodologie de l’enquête
Enquête de type qualitative : entretiens semi directifs avec des youtubeuses françaises ou des personnes en lien avec Youtube
Chaînes Youtube contactées
Chaîne de Mymy
Podcast Sois gentille, dis merci, fais un bisous – Clémence
Marinette
Les internettes – Marie Camier Théron (co-fondatrice de l’association)
Aude GG
Tout le monde s’en fout
Parlons peu mais parlons
(Swann Périssé)
Message type de demande d’entretien envoyé via Messenger
Salut Marie,
Nous sommes Aylin et Félicie, deux étudiantes en master Cultures et métiers du Web (à l’UPEM) et dans le cadre de notre cours de Sociologie des Mondes Numériques nous travaillons sur un dossier dont le sujet est “ Comment Youtube a contribué à la démocratisation d’un « nouveau » féminisme?”.
Nous suivons ta chaîne et ton association “Les Internettes” depuis un moment et nous apprécions beaucoup ce que tu fais !
Un entretien avec toi serait très enrichissant pour notre dossier.
Aurais-tu des disponibilités durant le mois de janvier pour nous rencontrer ? Si c’est trop compliqué IRL, nous pouvons bien sûr envisager un entretien Skype.
Merci d’avance pour ta réponse !! 🙂
Au plaisir de te rencontrer,
Aylin et Félicie
Préparation de l’entretien avec Marie Camier Théron, co-fondatrice des Internettes
Profil : Marie Camier Théron est la co-fondatrice des Internettes, l’association qui valorise et encourage la création vidéo féminine sur le web. Ancienne membre d’associations pour la défense de la liberté d’expression des jeunes et co-fondatrice du premier portail d’éducation aux médias en France, elle est aujourd’hui cheffe de projet événementiel au sein du magazine madmoiZelle.
Ses intérêts se portent sur le féminisme en ligne, les pratiques des utilisateurs de YouTube, l’engagement associatif étudiant et la prise de parole des jeunes dans les médias.
Liens et vidéos à consulter
Podcast Sois gentille dis merci fais un bisou : http://www.madmoizelle.com/podcasts/marie-camier-theron-sois-gentille
Site des Internettes : https://www.lesinternettes.com/
Chaîne Youtube des Internettes : https://www.youtube.com/watch?v=GiCooRTPYTo
Documentaire “Elles prennent la parole” : https://www.youtube.com/watch?v=GiCooRTPYTo
Vidéo BRUT #MonCorpsSurYoutube : :https://www.youtube.com/watch?v=rnvpShgAS-4
Grille de questions
Amorce de l’entretien :
Marie, tu es actuellement cheffe de projet événementiel chez Madmoizelle et en 2016 tu as cofondé l’association les Internettes. Une association qui valorise les créatrices de vidéos sur Internet et qui encourage les femmes à se lancer sur Youtube. Elle promeut aussi la diversité des youtubeuses car les femmes ne font pas que de la beauté sur Youtube.
Comment t’es venue cette idée des Internettes ?
Pourquoi avoir choisi de se concentrer sur Youtube spécifiquement ? Étais-tu une habituée de la plateforme Youtube ?
Que permet Youtube que ne permet pas une autre plateforme ? Est-ce vraiment accessible à tous ?
Comment est organisée l’association ?
Qui sont les membres de l’association?
Quels sont leur profils ?
Peut-on parler d’un nouvelle vague de féminisme en ligne ?
D’après toi, Youtube a-t-il joué un grand rôle dans la démocratisation du féminisme ?
Comment s’organise la présence des femmes sur Youtube (en France) ? (répartition selon les thématiques de vidéos)
Y a-t-il de plus en plus de femmes youtubeuses ? Notamment dans le domaine de la vulgarisation scientifique ?
Ont-elle autant de visibilité que les hommes ?
Pourquoi Youtube démonétise les vidéos qui parlent du corps féminin et de sexualité ? Cela a-t-il toujours été le cas ? Quelles sont les conséquences pour les créatrices ?
Peux-tu nous parler du lancement du mouvement et du hashtag #MonCorpsSurYoutube ?
Cela a-t-il permis de faire changer les choses ? Youtube a-t-il donné une réponse ?
Comment avez-vous décidé de réaliser le documentaire “Elles prennent la parole” en avril 2017 ?
Qu’est ce qui vous a poussé à publier ce documentaire ?
Comment a-t-il été reçu par les internautes ?
Note : Notre problématique à la base portait sur le féminisme sur Youtube, nous l’avons réorientée finalement sur la question de la visibilité des femmes sur Youtube suite à l’entretien avec les Internettes.
Annexe 2 : Transcription de l’entretien
Entretien enregistré avec :
Marie Camier Théron et Jihad El Obbadi de l’association “les Internettes”
Interviewées par Aylin KARA et Félicie JOST
Le 03/01/2019 à Paris
Durée : 1H23
Félicie : Marie tu es actuellement cheffe de projet événementiel chez Madmoizelle et en 2016 tu as cofondé l’association les Internettes si je ne me trompe pas pour la date, c’est 2016.
Marie : Ouais c’est ça, ‘fin en avril 2016 on a lancé un collectif.
Félicie : Au printemps 2016.
Marie : Ouais c’est ça.
Félicie : Et en fait c’est une asso qui valorise les créatrices de vidéos sur Internet et qui encourage les femmes à se lancer sur Youtube. Tu m’arrêtes si je dis des bêtises.
Marie : Non non c’est tout ça
Félicie : Et elle promeut la diversité aussi des youtubeuses car les femmes ne font pas que de la beauté sur Youtube.
Marie : Rires
Félicie : Alors du coup notre première question c’est comment t’es venue cette idée des Internettes et pourquoi en fait avoir choisi de se concentrer sur la plateforme Youtube spécifiquement et est ce que du coup ça a lien avec le fait que t’étais une habituée de cette plateforme ou pas du tout ?
Marie : Ouais c’est ça, c’est exactement ça. Moi j’étais une grosse consommatrice de vidéos sur Youtube, je baignais un petit peu aussi dans ce milieu là et en tant que visionneuse ce que je constatais c’était que dans mes abonnements j’avais très peu de meufs alors que par principe j’avais envie de soutenir les meufs qui s’expriment. J’ai toujours été très sensible à la liberté d’expression de toutes les populations et évidemment des populations les plus jeunes qu’on entend assez peu dans l’espace public et particulièrement des jeunes femmes parce qu’on leur demande assez peu leur avis sur plein de sujets qui les concerne. Donc Youtube pour moi c’était la plateforme évidente sur laquelle il fallait travailler parce que c’était une plateforme qui touchait à la fois énormément de monde, sur laquelle il était en train de … ‘fin c’était en train de se transformer à ce moment-là on passait notre … beaucoup de temps à … en fait on était de train de passer à ce moment là de on ne regarde que Cyprien, Norman et les collectifs type Golden Moustache, Studio Bagel à y a des personnalités qui sont en train d’émerger comme Marinette que tu citais un petit avant, Florence Porcel ou je sais pas des… Ben des Dany Caligula -rires- par exemple qui sont donc des personnalités plus … un peu plus discrètes mais avec des caractères très … très spéciaux qui sortaient du champ humour quoi. Donc euhm j’ai fait ce constat dans mes abonnements et le déclic final ça a été que j’suis allée à une convention qui s’appelait à l’époque la Néocast en avril 2016 et qui avait invité 55 vidéastes et sur ces 55 vidéastes y avait que 5 meufs. -Soupir- Et … -rires- Bah quand tu penses… ouais c’est horrible hein quand tu commences à compter les meufs dans les instances que ce soit les conseils d’administration ben c’est partout pareil c’est ça. Et sur Youtube ça faisait pas trop exception et dans les conventions c’était particulièrement visible parce que la programmation elle était trustée par des mecs et c’est pas un truc volontaire euh de … des organisateurs qui se sont dit « on va mettre que des mecs ! ». Sincèrement, c’est simplement qu’ils avaient pas de visibilité sur les meufs qui faisaient des trucs alors que les deux organisateurs étaient un mec et une meuf. Donc on aurait pu se dire tiens si y a une meuf, elle pourrait être sensible à ça …
Félicie : Oui y a de la parité
Marie : Et en fait nan. Donc on s’est rendu compte. Moi je me suis rendu compte à ce moment là qu’il y avait un problème qui dépassait Youtube, c’est un problème sociologique autour de la visibilité des femmes dans tous les domaines artistiques et professionnels. Et qu’on pouvait agir euh sur deux plans, déjà en leur donnant cette visibilité à ces meufs qu’on ne voyait pas encore parce que on les avait pas sourcées, il existait pas de répertoire qui recense toutes les meufs qui font des vidéos sur Youtube. Euh et le deuxième angle c’était de pouvoir les… C’est un angle plus empowerment donc de pouvoir leur donner les moyens de monter en compétences pour concurrencer les mecs qui avaient pris quand même beaucoup d’avance sur la plateforme, qui s’étaient beaucoup plus professionnalisés, qui étaient plus approchés par les marques etc… Et le troisième objectif c’était de montrer la diversité de .. des sujets que les meufs traitent c’est à dire que c’est pas que de la mode et de la beauté même si euh y a des youtubeuses beauté qui sont des réelles entrepreneuses et qui font des trucs de ouf, qui sont des modèles mais y a aussi des meufs qui euh bah qui parlent de sciences, d’histoire -rires-, d’explorations urbaines, « urbex », donc on voulait montrer tout ça quoi. C’est pour ça que j’ai réuni quelques meufs pendant un déjeuner, des meufs de Madmoizelle à l’époque parce que je trainais avec elles, je bossais pas chez Madmoizelle en fait.
Félicie : Tu y bossais pas encore.
Marie : Ouais nan je bossais pas encore chez Madmoizelle.
Félicie : Mais tu les connaissais.
Marie : Je les connaissais et je savais qu’elles étaient sensibles au sujet puisque bon c’est chez Madmoizelle forcément -rires- voilà. Et puis elles étaient toutes très motivées, moi j’avais un background euh associatif où j’avais de la méthodologie de projet, donc je savais comment monter une asso, monter des projets et je pense qu’il suffisait un peu de cette étincelle -rires-
Félicie : D’une organisatrice en fait.
Marie : Ouais je suis très … Je suis vraiment planif … planifieuse professionnelle
Félicie : Ouais on a compris, je sais pas si ce mot existe mais on va dire que oui -rires-
Marie : J’aime bien organiser des trucs.
Félicie : Ouais.
Marie : Voilà
Félicie : D’où ton boulot dans l’événementiel aussi
Marie : Oui c’est ça je suis quelqu’un d’assez rigoureux et d’assez organisé. Ouais … Je pense que j’avais une vision aussi à ce moment là de vers où j’avais envie qu’on … ouais de .. ‘fin de ce qui se passait à ce moment là sur Youtube parce que ça faisait plusieurs années que j’écrivais sur mon blog sur des questions d’éducation aux médias et notamment d’éducation au numérique et pour moi Youtube était une plateforme très intéressante à étudier en termes de tendances que les … bah que les personnes plus jeunes regardent parce que en fait à l’époque moi j’étais en train de me demander si on regardait pas plus Youtube que la télé ce qui en disait long comment on était en train d’être formatés dans cette société, quel message on était en train de recevoir et tout et du coup je pense que cette vision là a aidé à porter le projet politique des Internettes au delà de ma capacité d’organisation quoi
Félicie : Hmm okay okay -rires-
Aylin : D’accord
Félicie : Est-ce que tu voulais rajouter un truc ?
Jihad : Euh oui après c’est aussi une question peut être qui va apporter des choses … Marie pourra apporter des compléments dessus. Est ce qu’il n’y avait pas aussi cette volonté de créer justement un collectif parce que malgré tout quand on regarde les hommes qui ont réussi sur Youtube en fait, y en a quasiment aucun en fait qui a commencé tout seul. Ils ont tous commencé en groupe et par la suite ils se sont …’fin fait connaître individuellement mais tout en faisant des partenariats ‘fin nan pas des partenariats, des collaborations entre eux, en se faisant la pub les uns les autres etc… C’est pas le cas des Internettes dans le sens où on est pas porteuses des projets vidéos mais en tout cas on permet d’avoir cette visibilité ‘fin à travers l’association
Marie : Ouais t’as complètement raison, à l’époque y avait rien qui permettait aux meufs de collaborer euh entre elles et d’ailleurs le programme « Elles font Youtube » qui a été impulsé par le Youtube Space à Paris, il s’est créé après qu’on ait lancé les Internettes.
Félicie : Donc en fait, c’est vous qui avez lancé le mouvement euh et ça leur a donné l’idée, c’est ça ?
Marie : Ben je pense qu’on y est pour quelque chose ouais ouais.
Félicie : Il auraient peut être pas lancé ça sinon.
Marie : Ouais je je … à mon avis l’idée euh était déjà en tête des meufs qui portent ça chez Youtube depuis quelques temps mais le fait qu’un collectif vienne bah le dire de façon plus militante.
Félicie : Faire bouger les lignes …
Marie : ça les a obligés à lancer un vrai truc, une vraie dynamique et c’est vrai que eux du coup c’est leur angle c’est « oui on veut créer de la collaboration entre les meufs, créer de la solidarité » et c’est sûr, même l’algorithme de Youtube il aime ça la collaboration entre les vidéastes, il fait remonter les vidéos beaucoup plus facilement sur la plateforme quand y des collaborations.
Félicie : C’est pour ça qu’il y en a de plus en plus
Marie : Ouais. Ouais complètement. Et donc c’est pour ça qu’aujourd’hui les Internettes c’est .. c’est j’sais pas … un collectif, ce sont des masterclass, euh des outils mais c’est aussi un réseau de meufs qui peuvent s’entraider, qui voient aussi qu’elles sont pas toutes seules euh à galérer et qu’elles peuvent aussi se tirer toutes vers le haut parce qu’on aussi de … Nous notre truc aussi c’était qu’on voulait pas, c’était vraiment super important
Félicie : la compétition …
Marie : Ouais. On voulait pas … euh bah alors …Je pense que des fois l’esprit de concurrence il peut entraîner un peu tout le monde vers le haut, donc ça peut être cool quand c’est pas malsain tu vois. Mais ce qui nous paraissait important c’était de pas être négatives aussi dans notre approche, de pas tout le temps être dans la plainte ou dans la victimisation des créatrices et des femmes. Ne pas dire « Oh les femmes on les voit pas et nin nin min … » On voulait vraiment que ce soit des projets … ben qui tirent tout le monde vers le haut et on voulait des solutions hyper concrètes pour euh… Pour dépasser un peu le … le collectif Internettes qui se serait, qui s’en serait tenu à faire des tweets ou à … Euh des tweets d’indignation -rires- Je pense bah ça ça aurait cartonné hein. On aurait pu euh faire … s’indigner tout le temps en dénoncer les inégalités mais moi ça me paraissait pas intéressant de le faire sans rien proposer derrière. Donc euh …
Jihad : Puis ça aurait euh fait en sorte que le collectif, il représente exactement … Une certaine image très médiatisée du féminisme qui ne fait que se plaindre et qui n’agit pas au final. D’où justement le fait que aux Internettes on tape jamais.. ‘fin l’idée c’est pas de taper sur les hommes, absolument pas du tout. Euh c’est au contraire c’est des partenaires avec nous qui sont des alliés pour nous aider mais c’est pas eux qui sont sur le devant la scène.
Marie : Et un exemple très concret de comment on est sur la corde tout le temps sur ce sujet c’est que par exemple la Frames cette année, ils ont organisé un concours qui récompensaient des vulgarisateurs et je dis des vulgarisateurs parce que en fait y a pas eu une seule vulgarisatrice récompensée alors qu’il y avait des meufs qui avaient candidaté et c’est le jury qui a … à un moment décidé euh… de ne pas prendre en compte cette donnée quoi. Que l’égalité c’est pas très intéressant et que en gros la représentation n’était pas une donnée à faire rentrer en compte dans les lauréats quoi. Et du coup quand nous on était à Frames et quand on a appris ça sur place, on avait deux possibilités : soit on faisait euh un tweet d’indignation @Framesfestival « Bravo l’égalité, les meufs sont encore absentes du classement nin nin nin ». Tu vois…
Félicie : En ironie totale
Marie : En ironie totale, en cynisme et en fait ça aurait provoqué plus de … Alors on aurait eu du retweet hein ça pas de soucis. Par contre qu’est ce ça aurait provoqué derrière à part de la colère et de l’indignation…
Félicie : Rien du tout …
Marie : Pas grand chose. Voilà du coup nous ce qu’on a préféré faire c’est effectivement non pas réagir mais répondre c’est à dire on a pris le temps de formuler les choses ensemble au sein de l’asso et on s’est dit on va faire un tweet qui dise bah nous on est … en fait on peut pas se réjouir de ce résultat. Par contre l’année prochaine on va faire en sorte qu’y en ait des meufs, que ce soit une donnée de euh .. ‘fin pour le jury. Que le jury prenne en compte que putain la représentation des meufs dans la vulgarisation c’est quand même important. Donc mettez quand même une meuf -rires-
Félicie : Faites un effort ouais.
Marie : Faites un effort et pensez-y.
Félicie : Parce qu’il y en a.
Marie : Y en a bien sûr. Bah y en qui étaient … qui ont été retenues dans les finalistes de ce concours là et qui ont été récompensées par les Pouces d’Or cette année. Qui sont donc des meufs que nous on a repérées, qu’on a récompensées, donc on sait le niveau qu’il y derrière quoi. -Soupir- Et en plus ça en dit long du coup sur les biais euh les biais qu’ils ont quand ils regardent des vidéos de meuf et de mecs.
Jihad : Mais y a eu quand même une réaction des autres spectateurs quand y a eu l’annonce. Juste je pense par le fait de la présence du collectif.
Marie : Ouais y a eu un blanc dans la salle apparemment. On était … Nous on n’était même pas euh invitées à la cérémonie de remise des prix, je comprends pourquoi -rires- Donc on l’a appris parce qu’on connaissait des gens qui ont été à la cérémonie qui m’ont direct .. Ils nous ont direct envoyé des messages en mode y a pas une seule meuf qui est récompensée donc ‘est pour ça que nous on a réagi assez rapidement derrière. Mais oui apparemment quand le palmarès final est tombé y a quelques personnes déjà qui ont tweeté en mode « what ? Mais pourquoi est ce qu’il y a pas de meufs ? Est ce qu’il s’en sont rendu compte ? Et puis y a eu blanc quoi de … »
Félicie : Tu penses qu’ils s’en rendent compte à ce moment-là ?
Marie : Euh … Alors ils euh … Moi j’ai parlé avec Cyprien le soir même, je suis allée le voir en lui disant … Parce que Cyprien était membre du jury des Pouces d’Or aussi. Donc on avait noué une relation qui me permettait d’aller le voir et lui dire « Mais qu’est ce … Qu’est ce que vous avez fait en fait ? »
Félicie : « Qu’est ce qui s’est passé là ? »
Marie : « Qu’est ce qui s’est passé ? » Parce que dans le jury à ce moment là, vous n’avez pas pensé qu’en termes de représentation ça pouvait faire la différence de mettre une meuf lauréate de ce prix quoi. Et il m’a dit euh … « On s’en est rendu compte sur scène quand on a annoncé les gagnants » Ben ouais parce que quand les gagnants montent sur scène, on se rend compte que c’est que des mecs qui montent -rires-
Félicie : Y avait pas de réflexion …
Marie : Nan et c’est souvent ça, c’est pas de la mauvaise euh … C’est aussi pour ça qu’on veut pas s’énerver, c’est pas de la mauvaise volonté, c’est pas de la malfaisance, c’est juste un angle mort, des oeillères pour plein de gens. Donc c’est pour ça que c’est important de pointer quand les … Quand ces choses là ne sont pas faites. Quand y a pas cette égalité, c’est important de le pointer. Mais … mais ‘fin selon nous au sein du collectif, il faut le pointer euh de façon à faire avancer collectivement la cause et pas … pas pour descendre les gens en fait tout simplement.
Jihad : En plus y a eu ce cynisme de au niveau de la collaboration entre les Internettes et Frames euh y aurait eu …
Marie : Ouais on est partenaires quoi donc …
Félicie : Personne n’y gagne en fait.
Marie : Non personne n’y gagne c’est sûr. C’est sûr. -rires-
Félicie : Qu’est ce que je voulais dire … En fait qu’est ce que permet Youtube que ne permet pas une autre plateforme. Et est ce que vous pensez que c’est vraiment accessible à toutes et tous.
Marie : Si tu veux répondre …
Jihad : -rires- Alors … L’accessibilité en termes de création oui. Ça veut dire ‘fin créer une chaîne Youtube, y a pas plus simple euh, suffit d’avoir un compte google. Voilà. Mais c’est possible, il suffit d’avoir euh. ‘Fin y en a qui travaillent avec juste une webcam, après en général ce qui est plus compliqué c’est le son. Mais en soi ‘fin je sais qu’y en a beaucoup qui aiment pas ça mais dès qu’on a quelque chose à dire ben en fait on est capable de le mettre en place sur Youtube. Après se faire connaître, là c’est plus compliqué.
Félice : C’est une autre paire de manches.
Jihad : C’est une autre paire de manches. Et puis ça dépend aussi de ce que chacun et chacune attend quand il se lance. Si on se lance déjà dès le départ on …
Marie : Pour faire de la vue
Jihad : Voilà faire de la vue, être dans la fame. Voilà on peut partir dans certaines dérives. Et des créatrices et des créateurs y en a plein qui font ça, ça les regarde. Euh d’autres qui sont plus dans la création pure mais sans forcément de contact, souvent c’est un petit peu compliqué. C’est pour ça que nous on a Internettes explorer. On a aussi sur notre page, on publie tous les jours une vidéo d’une créatrice euh pour lui donner de la visibilité. Parce que nous aussi on a nos coups de coeur etc… Euh voilà je pense après vu la quantité de production actuellement sur Youtube, c’est très compliqué d’accéder en tout cas au rang des Youtubeurs et des Youtubeuses qui sont déjà dans la place. Euh c’est pour ça que de plus en plus bah ils font pas que ça. Dès qu’on commence à être connu on fait des collaborations pour passer sur d’autres médias et du coup on diversifie ses rentrées d’argent aussi .
Félicie . Oui parce qu’il y a ça aussi .
Jihad : Ce qui se passe aussi c’est que Youtube a changé depuis un an et on a des … des paliers pour pouvoir prétendre à la monétisation même si la monétisation en elle même elle n’est pas énorme. Et du coup euh c’est très compliqué pour beaucoup de youtubeurs et youtubeuses avec beaucoup de vues de faire du chiffre. Donc euh …
Félicie : Ouais y aune différence en fait entre lancer sa chaîne pour le fun et avoir de la popularité, en fait c’est pas du tout pareil.
Marie : Et on nous a tellement parlé de la professionnalisation des youtubeurs et de leur argent donc notamment des plus gros mais aussi faut se rappeler que ce sont les plus anciens. Cyprien il fait des vidéos dans sa chambre depuis 2008 en fait.
Félicie : J’étais au collège encore…
Marie : Oui c’est ça -rires- Et il était sur Dailymotion avant ce que beaucoup de créateurs …
Félicie : Un espèce de dinosaure en fait.
Marie : C’est carrément des dinosaures, c’est pour ça qu’aujourd’hui c’est un peu difficile enfin, aujourd’hui tu les entends plus dire. Tu les entends pas dire facilement « Oui lancez vous. Vous allez voir c’est génial, vous allez percer ». Parce qu’en réalité ils savent que eux, ils continuent à marcher parce qu’ils ont cette antériorité sur la plateforme parce que même quand … quand on fait rentrer des petits créateurs ou des petites créatrices dans un gros tuyau euh qui les formate pour que ça marche sur Youtube euh y quand même un facteur chance qui joue et qui garantit pas nécessairement que … Bah il suffit de regarder la chaîne de Madmoizelle, les meufs quand elles ont lancé leurs chaînes individuelles, elle sont pas du tout arrivées sur les mêmes résultats parce que euh dedans y a la personnalité qui compte, y a le lien avec ta communauté que t’avais déjà créé sur Madmoizelle avant. Et y a encore une fois le facteur chance qui est … qui dépend vachement de l’algorithme et ça peut être sur de la titraille, des mots-clés , la démonétisation de tes vidéos parce que tu traites de certains sujets qui ne plaisent pas aux annonceurs…
Félicie : Et donc ça justement je voulais en parler aussi
Marie : On va y venir
Félicie : Si tu veux on peut en parler tout de suite en fait, la question par rapport à ça c’était pourquoi Youtube démonétise les vidéos qui parlent du corps féminin et de la sexualité ? en gros … et est ce que ça a toujours été comme ça dès le début de Youtube ? Et finalement quelles sont les conséquences après pour les créatrices ?
Marie : La politique de Youtube là dessus, elle s’est durcie ces dernières années, parce que euh faut savoir que Youtube est une plateforme qui n’a jamais été à l’équilibre budgétaire, budgétairement parlant Google, le groupe Google Alphabet etc là c’est à l’équilibre là y a pas de soucis par contre Youtube en soi ça consomme tellement d’énergie et de serveurs que financièrement c’est assez peu rentable. Euh et ils dépendent donc pour créer un modèle économique qui fonctionne des annonceurs qui viennent faire de la publicité sur la plateforme. Ces annonceurs, ces derniers mois et ces dernières années, notamment ces derniers mois ont serré la bride auprès des équipes de Youtube parce que on est face à des annonceurs qui viennent principalement des Etats-Unis, qui sont donc dans des cultures assez puritaines qui du coup – rires- ont une conception toute particulière de la liberté d’expression et des sujets devant lesquels ils ont envie d’annoncer et donc dans une culture américaine où l’avortement, les agressions sexuelles, la sexualité en général et les problématiques des femmes sont des sujets tabou, c’est avec ces éléments là qu’on se retrouve avec une démonétisation massive des vidéos.
Félicie : Surtout ces dernières années.
Marie : Voilà surtout ces dernières années. En gros Youtube à ce moment là quand les annonceurs arrivent et disent bah nous on est pas satisfaits d’avoir de la pub, euh imaginons L’Oréal veut faire de la pub sur Youtube, c’est le cas L’Oréal veut faire de la pub sur Youtube, mais ça arrive devant une vidéo de Marinette qui parle de l’avortement dans le monde. En l’occurrence ce n’est pas arrivé parce que… Bon c’est un mauvais exemple Marinette parce qu’elle ne monétise pas ses vidéos justement parce qu’elle n’a pas envie que L’Oréal se fasse du blé sur ses vidéos.
Félicie : Parce qu’elle est consciente de ça.
Marie : Parce qu’elle est consciente de ça. Mais y a d’autres créatrices qui parlent de leurs règles, d’endométriose, de leur poitrine, de cancer du sein, ou de cancer tout court, cancer de l’utérus, des sujets qui touchent les femmes, grossesse aussi, de maternité et de sexualité féminine, simplement parce que y a besoin d’éducation sexuelle en France parce que voilà on n’en a quasiment pas à l’école. Toutes ces créatrices qui viennent pour sensibiliser, vulgariser, informer avec des sources en plus euh elles sont confrontées à ces problèmes de démonétisation. Et si c’était que ça, si c’était que de la démonétisation, on pourrait faire une croix dessus. Le problème c’est que quand c’est démonétisé, quand l’algorithme passe et démonétise euh la visibilité des vidéos est amoindrie. Elle a aucune chance d’arriver dans la page tendance de Youtube, elle a moins de chances d’arriver dans les recommandations. Donc y a moins de vues, donc ces vidéos touchent moins de monde. Or, quand on fait des vidéos parce qu’on a envie de transmettre des messages qui nous paraissent importants ça devient scandaleux. Donc malheureusement c’est même pas une censure à proprement parler, ça devient juste une sorte de censure par l’indifférence parce que simplement la vidéo ne remonte pas. Est ce que j’ai répondu … ?
Félicie : Est-ce que Aylin tu veux continuer sur le hashtag ?
Aylin : Alors est ce que tu peux nous parler du lancement du mouvement et du hashtag #moncorpssuryoutube ? Le pourquoi tu as lancé ça ? Qu’est ce qui l’a déclenché ?
Marie : -rires- ça été un coup de tête. En vrai la campagne on l’a faite la veille du lancement. C’est … On était… Avec les Internettes on a un groupe Facebook qui s’appelle « le groupe des créatrices vidéo » sur lequel on a 400-500 créatrices aujourd’hui ouais, qui de plus en plus nous faisaient remonter des problèmes de démonétisation de leurs vidéos ou des problèmes de visibilité. Elles avaient l’impression que leurs vues étaient en train de baisser et autour de moi j’entendais aussi des créatrices comme Parlons peu mais parlons, Sophie Riche, Marion Séclin, me dire qu’elles rencontraient les mêmes soucis. Et donc y a eu une accumulation de témoignages à un moment qui s’est fait qui s’est terminé par : j’étais à la rédac’ de Madmoizelle et Doro qui s’occupe de la chaîne Youtube m’a dit « Putain la vidéo de Queen Camille elle a encore été démonétisée ». Alors je sais plus sur quelle vidéo c’était.
Félicie : Surtout Queen Camille.
Marie : Bah forcément.
Félicie : Comme elle parle de sexualité.
Marie : Elle parle de sexualité mais jamais de façon crue en fait. C’est jamais … C’est toujours justifié, quand on utilise soit de la crudité ou de la vulgarité c’est toujours justifié chez Madmoizelle, c’est pas gratuit. C’est parce que c’est comme ça les personnes qu’on vise parlent hein très simplement. On n’a pas envie de faire les docteurs quoi. Et donc j’entends Doro dire çe et euh Je me dis mais faut qu’on fasse un truc, c’est pas possible, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Et je me dis mais avec les chaînes de Madmoizelle là on a déjà un panel euh représentatif des démonétisations, on se rend bien compte que on est pas parano, on n’est pas en train de s’imaginer ça. C’est vraiment lié aux sujets qui traitent du corps des femmes. Et à ce moment là ‘fin je me dis on a deux solutions : soit on laisse traîner le truc et on part du principe que de toute façon Youtube est beaucoup trop gros, on y arrivera jamais, soit je sais pas on fait une campagne -rires- Et donc je propose ça aux filles de l’asso, on est très réactives, on a un outil en ligne de communication qui …
Félice : Discord ?
Marie : C’est un Slack. Et je leur propose ça. Et comme j’ai un gros passif de communicante, je leur propose une stratégie en même temps pour lancer un hashtag le lendemain et à ce moment là, je suis pas du tout sûre que ça va prendre quoi. Je fais la campagne… on fait la campagne en 3 heures. Je demande un coup de main aux filles des Internettes et puis j’en parle aussi aux filles de Madmoizelle, on reste jusqu’à je crois 21H tu vois à la rédaction pour en discuter et puis bah je programme les postes le lendemain à j’sais pas 8H30-9H et Boum on lance ça comme ça.
Félicie : T’en parlais dans le podcast avec Clémence, tu disais que jusqu’au bout …
Marie : Ah j’étais pas sûre que ça …
Félicie : T’étais pas sûre du tout ouais et finalement tu t’es dit allez si ça touche 2-3 personnes c’est déjà bien et finalement c’était beaucoup plus que ça
Marie : Ouais c’est … C’est vraiment cool parce que on a eu une grosse portée médiatique, ce qui a été surprenant par contre c’est que les créatrices nous ont pas énormément suivies : à part Parlons peu mais parlons, Marinette et un peu Florence Porcel mais elles ont été assez peu à elles-mêmes faire part de leurs témoignages sachant que la campagne visait aussi à cet objectif là, à faire remonter
Félicie : ça ça n’a pas trop pris quoi…
Marie : Eh non ça n’a pas trop pris de leur côté mais par contre au niveau des médias ça a été euh énormément relayé ouais, y a eu une vidéo Brut, on a eu une mention dans Libé, Télérama, ‘fin beaucoup de médias nationaux qu’on avait pas touchés jusque là et c’était d’autant plus cool que nous notre discours il va au-delà de la censure qui s’opère sur le corps des meufs sur Youtube, c’est la liberté d’expression des meufs en général dans l’espace public. Donc ça nous a donné une tribune aussi pour rappeler que bah les meufs n’ont pas tant la parole que ça dans les médias quoi et notamment sur Youtube. Donc ça s’est passé comme ça par euh déclic, OK bon ben on taffe et ce truc on sait pas si ça va marcher. En fait ça prend, les médias s’enrayent, pendant un mois ça tourne et ça aboutit sur des discussions avec Youtube en plus.
Félicie : Et du coup ces discussions ‘fin tu disais avec Clémence que en gros ils t’avaient un peu envoyée bouler en disant c’est les annonceurs, c’est pas nous.
Marie : Ouais
Félicie : Est ce que c’est allé plus loin que ça cette discussion ?
Marie : Ouais en fait au début ils se sont … Donc les … On a eu plutôt les équipes américaines qui ont répondu parce qu’on a commencé à nous répondre que euh justement c’était du côté des annonceurs que ça se jouait, de la technique qui était aux Etats-Unis. C’est ce que tous les gens, tous les créateurs et créatrices… on a eu des créateurs qui étaient sceptiques sur notre campagne, notamment des vulgarisateurs qui eux rencontrent ces mêmes problèmes de démonétisation sur certains sujets notamment …
Félicie : Les sujets sensibles ?
Marie : Tout ce qui est sujet conspirationnistes, certains sujets historiques comme la Seconde Guerre mondiale, le nazisme etc… où il veulent justement faire de la pédagogie. En fait y a de la démonétisation aussi sur ces trucs là. Et eux ils rencontraient déjà ces problèmes y a quelques années, ce qui fait que quand on a lancé la campagne, je suis aussi allée les voir en leur disant vous avez les mêmes problèmes donc unissons nos forces pour vraiment demander à Youtube de changer et de faire front, ‘fin de faire face aux annonceurs. Et en fait ils ont plutôt répondu avec un scepticisme euh certains ont répondu avec scepticisme et plutôt de l’inaction, de la résignation « de toute façon c’est aux Etats-Unis, t’y arriveras pas, vous y arriverez pas ».
Félicie : fatalistes en fait.
Marie : Fatalistes ouais ouais. Et donc nous on était d’autant plus contentes de voir que la campagne résonnait quand même bien au niveau des médias parce qu’on se disait en fait même si on se fait pas d’illusion sur le fait qu’on va réussir à changer Youtube, ce qui nous importe aussi c’est de faire changer les mentalités des gens qui regardent ces vidéos et que eux aussi viennent trouver que c’est pas normal.
Félicie : Qu’ils fassent l’effort aussi de chercher des meufs par eux même …
Marie : Ouais ouais carrément et puis de les défendre aussi quand elles rencontrent des galères de ce type là, bah de se rendre compte que du coup si y a pas démonétisation, si y a pas de visibilité pour des meufs qui ont envie de se professionnaliser euh bah c’est pas commode et du coup on peut aussi les aider en leur filant des tips sur Tipee ou … ‘fin y a plein de moyens d’aider des créatrices aujourd’hui, voir que l’argent ne coule pas à flots. Beaucoup de gens semblent le croire sur Youtube…
Félicie : En tout cas pour très très peu de personnes
Marie : Bah ouais . Du coup au début on nous a répondu ça…
Félicie : Quand tu dis « on » du coup c’est le Youtube américain ?
Marie : Le compte euh … Même le compte Youtube officiel euh de France, Youtube Créateurs je crois, nous a répondu … euh attends c’était quoi les tweets ? On a refait une réponse par dessus, ça date de mai donc j’ai plus les tweets mais en gros c’est trouvable très facilement sur notre Twitter mais c’était en gros ils se dédouanaient quoi « Ce sont les règles, ce sont des vidéos qui ne correspondent pas aux règles d’utilisation de Youtube voilà ils disaient un truc hyper flou comme ça. Sauf que bah nous on a voulu avancer plus en « sum sum » -rires- euh parce que on connaissait les équipes de Youtube à Paris et on voyait bien que notamment les personnes qui portent le programme « Elles font Youtube », elles constatent les mêmes problèmes et donc elles aussi elles ont envie de faire changer ça au seine la boîte et on a commencé à en discuter avec elles à et envisager des changements au niveau de l’algorithme. Donc on a ouvert la discussion avec ces personnes qui gèrent le programme « Elles font Youtube » et les discussions sont toujours ouvertes, y a beaucoup de bonne volonté de leur part mais c’est une grosse machine avec une culture -rires- bah dans une société patriarcale donc pour faire changer les mentalités c’est pas évident. Pour leur faire comprendre que c’est une priorité c’est pas évident, surtout que nous on leur parle d’éthique et de morale alors que eux ce qu’ils comprennent c’est avant tout la valeur financière voilà et qui est ce qui donne l’argent aujourd’hui ce sont les annonceurs. Ben Youtube n’est pas une entreprise euh philanthrope hein c’est une entreprise capitaliste voilà donc faut pas oublier ça et je trouve parfois les visionner l’oublient aussi en se disant « Youtube est un espace de liberté »… Youtube est un modèle économique -rires- Mais bon c’est beau ce que vous dites hein …
Félicie : On aimerait que ce soit le cas en fait. Est ce que du coup aux US en fait, y a des gens comme en France qui se rebellent un peu contre ça ou c’est vraiment les Français qui se rendent compte du problème ?
Marie : Y a même pas des Internettes ailleurs qu’en France.
Félicie : Donc c’est vraiment une spécificité française cette asso
Marie : Ouais, le programme « Elles font youtube » n’existe pas ailleurs non plus dans le monde, c’est parce que en France on a eu un mouvement féministe militant là qui a émergé ces dernières années qui s’est fait entendre notamment sur Internet et je pense aussi que aux Etats-Unis la culture patriarcale, elle est encore plus intégrée avec des valeurs catholiques qui viennent se rajouter là dessus de façon encore plus vénère que chez nous…
Félicie : C’est pas la laïcité quoi hein. -rires- C’est pas la même culture qu’en France.
Marie : Et puis aux Etats-Unis du coup c’est … Alors je parle de ressenti, ça n’a pas de valeur scientifique ce que je dis mais j’ai l’impression que ça indigne beaucoup moins que la majorité des meufs qui percent soient des youtubeuses beauté. C’est « bah oui c’est des meufs, bah oui elles sont belles les meufs, elles se font belles c’est normal, elle sont faites pour ça. »
Félicie : Elles se posent pas vraiment la question.
Marie : Je pense qu’y a un peu moins de questionnements que nous là-dessus mais parce que nous on a eu Simone de Beauvoir aussi qui parlait de mon corps sur Youtube elle bien avant au XXème siècle quoi. Mais c’est marrant je lisais Simone de Beauvoir en lançant mon corps sur Youtube et j’étais là Bon bah très bien okay -rires- C’est exactement la même problématique, c’est un peu désespérant du coup de voir que malgré les décennies on n’avance pas sur ces sujets là mais …
Jihad : Si je peux rajouter aussi par rapport aux Etats-Unis, c’est que mine de rien euh en France y a quand même un terreau féministe qui garde ses revendications en place alors qu’aux Etats Unis la plupart des grosses Youtubeuses, c’est vraiment des Youtubeuses beauté. Moi à ma connaissance, la seule vraiment grande c’est Lilly Singh IISupermwomanII et elle en fait elle est ‘fin actuellement elle est limite dans un autre niveau, elle collabore avec The Rock euh tu vois avec des gens hyper connus après elle bosse avec une équipe etc … mais derrière je pense que c’est une entrepreneuse et qu’elle a pas forcément ‘fin elle pense forcément au …
Félicie : au féminisme ?
Jihad : Non je pense que c’est quelqu’un de féministe à sa manière parce que tu vois c’est une badass et tout mais je ne suis pas forcément sûre qu’elle ait cette culture en fait du collectif, du groupe et même si elle le fait dans son entourage mais je pense que c’est compliqué en fait de vraiment inclure tout le monde et parce qu’au final c’est des businessmen et des businesswomen et ils doivent faire du chiffre aussi.
Félicie : C’est ce que tu disais. Faut pas oublier que le but pour beaucoup c’est quand même d’en vivre quoi, de faire de l’argent derrière.
Marie : Je sais pas si vous avez suivi euh les récentes polémiques avec Enjoy Phoenix ?
Félicie : Euh je crois pas.
Marie : En ce moment on la voit sur plusieurs plateaux dans des longues interviews de une ou deux heures avec des youtubeurs plutôt classés de droite et dans ces interviews elle est souvent interrogée sur son féminisme et notamment ses accointances avec les potentielles militantes féministes de Twitter et dans ces deux interviews elle se met en opposition avec les féministes de Twitter et elle se dit « pas féministe », c’est à dire qu’elle vient pas dire « je ne suis pas féministe parce que je m’en fous de la cause des femmes » ou quoi c’est simplement qu’elle est tellement dans son truc, elle est pas venue pour défendre la cause des femmes sur Youtube. Elle est venue parce qu’elle avait envie de transmettre des messages, elle avait envie de créer du lien avec des gens. Elle avait envie de parler de beauté et de diffuser sa propre vision de la beauté. Elle avait envie peut être de monter son business autour de ça et du coup aujourd’hui quand on l’interroge sur son féminisme, la meuf elle est à mille lieux de s’en occuper pas par manque d’intérêt mais simplement par méconnaissance et les seules euh comment dire les seules interactions qu’elle a avec sujets, c’est interactions hyper violentes parce qu’elle subit du cyber harcèlement en tant que meuf
Félicie : ça elle en a parlé.
Marie : Ouais mais alors elle l’analyse pas nécessairement comme un sexisme intégré, comme un sexisme systémique, c’est « nan mais parce que sur Youtube dès qu’on a un peu de visibilité on se fait trasher en fait ». Y a des insultes qui sont propres à ta condition féminine. En fait c’est pas très grave, si elle n’a pas cette connaissance là, on peut pas lui en vouloir si personne n’a jamais eu cette discussion avec elle parce que la culture féministe c’est avant tout quelque chose qui se construit. On ne naît pas féministe dans une société patriarcale voilà c’est … par nature tu ne nais pas féministe, tu construits cette culture là en te rendant compte des choses petit à petit et donc tu vois aussi au fil des années qu’elle construit son discours là, dessus et qu’elle capte des trucs et donc elle en parle de mieux en mieux. Bah de temps en temps elle se fait piéger sur des questions comme ça parce que elle a les mêmes à priori que tout le monde sur le mot féministe et sur le militantisme féministe en France qui est jugé souvent comme hystérique, radical etc quoi …
Félicie : Limite agression, les féministes comme agressives …
Marie : Ouais qui est pas démenti sur Twitter en plus. ‘fin franchement quand tu vas sur les réseaux …
Félicie : ça ça reste, c’est fou, on n’arrive pas à s’en débarrasser …
Aylin : Du coup pour revenir sur le féminisme est ce que tu penses qu’il y a une nouvelle vague en ligne qui s’est propagée ces derniers temps ?
Félicie : Est ce que Youtube entre autres a permis ça ?
Marie : T’en penses quoi Jihad ?
Jihad : Moi ça fait pas longtemps que je suis dans les murs.
Félicie : Dans le Youtube Game ?
Jihad : ‘Fin j’ai un regard sur le Youtube Game mais moi je remarque que malgré tous les strikes, les démonétisation etc … ça n’a pas empêché les femmes de parler et c’est limite ça a donné de la rage à plein euh quitte à ce que leur chaîne soit complètement démonétisée etc … Du coup y a en fait plus une libération de parole à partir du moment où cet aspect financier en fait il est sorti.
Félicie : Hm, elles le mettent de côté en fait.
Jihad : Ouais. En fait parce que … le problème c’est que si ta chaîne elle est monétisée et que tu postes une vidéo bah t’as … je sais pas une chance sur je ne sais combien qu’elle soit démonétisée ou pas et du coup c’est un stress en plus et si toi c’est ta seule rentrée d’argent et que tu comptes dessus bah forcément tu vas faire un travail en plus pour te restreindre au niveau du vocabulaire, au niveau peut être du sujet etc… Alors que si tu prends la décision réfléchie de te dire moi en fait je mets ça de côté j’ai envie de dire ce que je pense et ben je trouve que ça libère pas mal la parole. Euh après je pense que c’est aussi venu en parallèle avec Instagram qui a vachement aidé dans ça avec le lancement de plein comptes qui parlent de règles, de désir, ‘fin de plaisir féminin, du corps féminin, tout ça
Félicie : Y a le mouvement body positive aussi sur Instagram.
Jihad : Voilà. Exactement. Y a une femme qui parle de poils, qui parle de règles, de tout. Et du coup je pense que je sais pas si c’est parce que je suis dans le domaine, je m’y intéresse et que je fais cet effort conscient d’aller chercher ce type d’informations ou si c’est effectivement le cas pour beaucoup de gens
Marie : Je pense qu’on a jamais eu autant de possibilités d’aller… d’être au contact de ce type d’informations et de ce type de culture parce qu’Internet permet la démocratisation des informations et des.. opinions divergentes. La seule difficulté à laquelle on est .. ‘fin c’est pas la seule mais une des difficultés à laquelle on est confrontés c’est que même sur Internet on est enfermés dans des bulles de filtre, les « filtre bubble » si vous avez déjà entendu parler de ce concept là qui font qu’on est dans une zone de confort social où chaque information qu’on va voir confirme notre opinion euh même quand ça nous indigne, c’est à dire qu’on se construit aussi en opposition … Dès qu’on sort de notre bulle et qu’on voit que ça ressemble pas à ce qu’on voit d’habitude, on préfère retourner dans notre bulle d’information où c’est bien confortable. Donc c’est aussi pour ça que c’est difficile de répondre à cette question. Moi j’ai un regard biaisé parce que je suis entourée socialement de personnes qui pensent comme moi mais quand tu vas euh … n’importe où, ‘fin même sans sortir de Paris dans des milieux sociaux qui sont pas les nôtres, on peut se retrouver hyper facilement avec des gens qui nous prennent pour des illuminées, des pour qui la cause des femmes n’est pas un problème.
Félicie : parce que y est on a des droits.
Marie : Parce que les droits sont là, la preuve on a le droit de vote, on a le droit d’avorter donc c’est bon. Et okay ils ont raison on a ces droits là donc ça je le concède et on a aussi des personnes qui pensent que le mot féminisme est un gros mot et c’est les femen qui exhibent leurs seins dans la rue quoi. Donc je pense que pour répondre à ta question de façon un peu précise comme je le disais, finalement les sujets n’ont pas tant évolué que ça parce que Simone de Beauvoir écrivait déjà la même chose y a plusieurs dizaines d’années. Par contre les modes d’action ont changé, les organisations entre les gens pour faire émerger ces modes d’action ont changé et pour moi c’est internet qui a permis cette nouvelle organisation. Euh j’ai aussi l’impression qu’on est dans une période de transition parce que Mee too n’a que un an.
Félicie : C’est vrai que c’est assez récent et ça a été une grosse explosion.
Marie : ça a été une grosse explosion. Aujourd’hui j’ai aussi l’impression que beaucoup moins de sujets passent c’est à dire que quand … quand y a des choses absolument scandaleuses qui se passent comme des … mineurs qui se font abuser par des youtubeurs, ces sujets sortent là où auparavant peut être qu’ils seraient pas sortis après la deuxième étape c’est : ce serait bien que ce soit puni -rires- mais c’est encore un autre … voilà faut déjà changer de logiciel culturel, que les meufs aillent porter plainte ensuite que ce soit saisi par la justice, qu’elles aillent au bout de la procédure parce que c’est long, c’est fatiguant tout le monde te décourage ‘fin c’est encore autre chose quoi. Mais j’ai l’impression que même si les sujets n’ont pas tant évolué que ça, au niveau des outils et de l’organisation oui ça bouge et dans quelques années on en fera l’analyse mais là on est tellement la tête dans le guidon, c’est trop … ‘fin y a peut être des personnes qui le font actuellement qui sont en train d’écrire des thèse qu’on se fera un plaisir de lire dans quelques années mais je pense qu’on est dans une période de transition un peu post Me Too quoi.
Félicie : Ouais…
Jihad : Après tu penses pas que malgré tout en dehors du regard biaisé qu’on a, la quantité de comptes malgré tout elle a augmenté? Peut être que les gens en dehors de notre entourage ne le voit pas mais le contenu en fait il existe.
Marie : Ouais
Félicie : Notamment sur Youtube. ‘Fin je sais pas ce que vous en pensez mais j’ai quand même l’impression qu’y a de plus en plus de contenus à caractère féministe en fait. Du coup notre question c’était est ce que ce nouveau féminisme il aurait pu éclore sans Youtube quoi. Parce que Youtube est ce que ça touche pas aussi des plus jeunes générations ? Le format vidéo … Est ce que vous avez un avis là dessus ?
Marie : Je pense qu’en étant sur Youtube comme tu le dis, ça permet de toucher une audience différente de celle qui aurait été touchée si ces témoignages étaient parus dans des livres, dans des mémoires, des travaux universitaires ou académiques ou sur des articles de blog ou je sais pas. Parce que typiquement les articles de blog c’est encore plus une niche finalement. Alors que sur Youtube on a moyen … On a quand même moyen de … piéger un peu les gens sur le sujet en faisant un bon marketing autour de la vidéo. Ils viennent pour voir une meuf, ils se retrouvent à écouter une meuf qui fait une leçon de féminisme moi je trouve ça cool – rires- Bah exemple avec une des dernières vidéos d’Enjoy Phoenix qui parle de pourquoi elle a arrêté la pilule. En fait y a des meufs qui viennent voir cette vidéo parce que elle se disent « ah ok moi je prends la pilule, qu’est ce qu’elle dit sur ça parce que peut être que moi aussi faut que je l’arrête ». Et en fait sans te dire ce qu’elle fait parce que elle même ne s’en rend pas compte à ce moment là, elle te fait une leçon de féminisme la meuf.
Félicie : sans en être consciente …
Marie : sans en être consciente. Comment je suis en train de me réapproprier mon corps et tout. Et je .. en fait moi je préfère ça limite plutôt que … j’ai toujours été dans la dynamique je préfère qu’on fasse plutôt qu’on dise. Parce que pour moi c’est le plus … c’est ce qui me parle le plus en tout cas après faut aussi des féminisme de revendication, plus idéologique pour faire avancer la morale en même temps mais … mais moi c’est plutôt mon mode d’action de faire et du coup oui je pense on aurait clairement pas touché les mêmes audiences euh … J’essaie de m’imaginer un monde sans Youtube.
Félicie : C’est difficile …
Marie -rires-
Félicie : Pourtant ça a quoi … 10 ans ?
Marie : Ouais ça a 10 ans.
Jihad : Mais Youtube ça a créé les memes, les sociétés de production …
Félicie : Et puis ouais comme on disait ça a remplacé la TV je pense pour notre génération et les générations plus jeunes.
Marie : Je pense que ça participé aussi à cette … cette impression que aujourd’hui on peut donner notre avis sur tout sans en être des experts ou … Ouais j’arrive pas à imaginer, là désolée ça dépasse mon cerveau de … -rires- Imagine « un monde sans Youtube ! » « Oh là calme toi » -rires- En même temps je suis en train de me dire que ces plateformes … On parle de Youtube mais je comprends aussi là dedans Dailymotion ou des trucs comme ça. Je me dis mais en fait c’est tellement constitutif de notre nature à nous les humains de venir nous exprimer et dire ce qu’on pense qu’on aurait trouvé un moyen.
Félicie : Peut être un autre moyen …
Marie : Ouais ! Avant on le faisait sur des tablettes sumériennes en gravant des trucs dessus bah maintenant on le fait sur des écrans en vidéo mais je crois que c’est trop constitutif de notre nature pour qu’on soit … ‘fin pour qu’on puisse passer à côté d’une telle technologie.
Félicie : Tu veux enchaîner ?
Aylin : Je suis tellement d’accord -rires- Euh moi je voulais revenir sur le documentaire « Elles prennent la parole » et je voulais savoir aussi comment vous avez décidé de réaliser ça, est ce que c’est aussi un coup de tête ou ?
Félicie : Et aussi la réception des gens derrière …
Marie : Donc je vous ai raconté que quand on a créé le collectif, j’ai réuni des meufs autour d’un déjeuner et je leur dis venez on fait un truc. Et en fait deux-trois semaines après qu’on ait lancé les Internettes. J’ai Léa qui vient me voir et qui me dit …
Félicie : Léa Bordier ?
Marie : Léa Bordier
Félicie : qui fait « Cher Corps »
Marie : Voilà qui fait « Cher Corps » et qui me dit tu sais je pense qu’il y a un vrai truc à faire en vidéo euh autour du projet des Internettes, je pense qu’il y a un vrai documentaire avec des témoignages de créatrices à faire et tout. Je dis ouais ok c’est une super bonne idée. 3 jours plus tard, j’ai Lisa Miquet qui vient vers moi et qui me fait « Marie j’étais en train de réfléchir et j’ai vraiment envie de réaliser un documentaire avec les créatrices ».
Félicie : Lisa ?
Marie : Lisa alors ce qu’il faut savoir c’est que Léa et Lisa bossent chez Madmoizelle toutes les deux. Lisa elle est …
Félicie : bossaient ou bossent encore ?
Marie : alors plus aujourd’hui ni l’une, ni l’autre. Lisa elle était orchestreuse donc c’était elle qui s’occupait du forum, du community management et Léa elle était cheffe du pôle vidéo de Madmoizelle.
Félicie : ouais avant Doro c’est ça ?
Marie : Avant Doro exactement. Et donc toutes les deux à cette époque, elles bossaient dans les mêmes bureaux et à trois jours d’intervalle, elles sont venues me parler en me disant « il faut qu’on en fasse un documentaire ». Et du coup j’ai fait « ben parlez vous » ! -rires- Et donc elles ont commencé à partager leur vision l’une et l’autre du documentaire. Elles ont commencé à l’époque à contacter des créatrices en ne sachant pas à l’époque où est-ce qu’elles allaient parce qu’on était en même temps en train ou même de construire notre culture et notre expertise de Youtube. En fait c’était en partie biaisé parce qu’on avait pas l’internettes explorer à l’époque… Mais donc c’est comme ça que l’idée du documentaire a émergé et les filles ont commencé à … Alors on avait peu de possibilités, le collectif venait tout juste de se lancer et soit on se disait qu’on essayait de trouver du budget pour qu’elles fassent le documentaire, auquel cas c’était le documentaire des Internettes et du coup on aurait un droit de regard dessus et tout serait un peu sujet à validation du collectif soit elles le faisaient avec leurs propres moyens et du coup elles nous proposaient uniquement des points d’étape jusqu’à la validation finale en fait et on a opté pour ça parce qu’à cette époque on avait pas de moyens financiers. On avait lancé le système des adhésions mais en même temps on savait pas où est ce qu’on allait, c’était pas stable. On voulait monter des masterclass et donc on voulait avoir un peu de sous de côté pour pouvoir faire ça aussi pour les adhérentes de façon à avoir des projets très concrets quoi. Et puis neuf mois plus tard elles ont accouché de ce documentaire avec cette énorme partie au milieu de 20 minutes sur le cyber harcèlement qui a fait débat entre nous parce que comme on se disait au sein du collectif qu’on voulait toujours diffuser un message positif, avoir 20 minutes de seum au milieu d’un documentaire de 52 minutes, on s’est demandé est ce que ça va pas décourager des meufs de se lancer. Est-ce que ça va pas confirmer à des créatrices que vraiment y a rien à faire et que jamais elles vont y a arriver. On a vraiment eu peur de ça en sortant ce documentaire et la version de partenariat final qu’on a trouvé c’était que bah elles restaient actrices, réalisatrices du documentaire. C’est pour ça qu’on dit que c’est le documentaire qui a été réalisé par Lisa Miquet et Léa Border et que les Internettes étaient les diffuseuses en fait du documentaire.
Félicie : Distributeur un peu ?
Marie : Ouais c’est ça exactement. Et c’est notre … Je dirais que c’est notre manifeste aujourd’hui le documentaire parce qu’il traite absolument de toutes les problématiques dont on s’est rendues compte au tout début en lançant le collectif et aujourd’hui ces problématiques sont même pas obsolètes ce qui est un peu triste, c’est à dire peu de choses ont avancé. On a quand même eu les premières condamnations pour cyber harcèlement mais sur Twitter par sur Youtube. De là à dire que ça a avancé, c’est quand même un grand mot. Mais y a une plus grande consciences des problématiques que les meufs rencontrent sur Youtube ça c’est sûr. Y a aussi … C’est aujourd’hui beaucoup plus compliqué pour des gens qui font des conférences avec des vidéastes ou des conventions avec des vidéastes de ne pas inviter de meufs, ‘fin c’est tout de suite remarqué, tout de suite y a de l’indignation autour de ça ce qui est plutôt sain parce que y a plus les oeillères enfin.
Félicie : Plus d’angle mort. On ne peut plus l’ignorer.
Marie : Ouais. Sauf au sein des organisateurs apparemment -rires- qui s’en rendent toujours pas compte et faut leur pointer le problème. C’est ouf. Mais moi je compte tout maintenant. Quand tu prends ce biais là, tu n’en sors plus, sur Youtube, dans les conférences, dans tout. Euh voilà comment le documentaire s’est lancé et aujourd’hui il est diffusé encore, on a des demandes régulièrement pour qu’il soit diffusé dans des médiathèques, dans des villes …
Jihad : Dans des festivals…
Félicie : Donc il reste pas sur sa petite plateforme.
Marie : Non, il est en dehors. On nous propose aussi d’intervenir aussi du pour parler du sujet parce que c’est un très bon support pour créer de la discussion.
Félicie : Y a de quoi faire un débat après.
Marie : Bah oui et comme il est pas obsolète, effectivement on peut toujours en discuter aujourd’hui. En fait je pense que sa valeur financière elle est très importante aujourd’hui. Si les filles on leur avait acheté le matériel, si on les avait défrayer pour toutes les créatrices qu’elles sont allées voir, si on avait comptabilisé leurs heures de réalisation, cadrage, tournage, montage, je pense que c’était énorme, on était sur un documentaire qui aurait pu prétendre facilement au CNC -rires- L’aide qui n’existait pas à l’époque.
Félicie : C’est vrai que ça on le voit de plus en plus aussi. Le CNC.
Marie : Ouais et tant mieux. Bah le fond vient d’avoir un an là donc c’est tout neuf et il aura fallu attendre 2018 quand même pour qu’un tel fond soit créé mais bon au moins c’est fait.
Félicie : La réception du documentaire, vous l’avez sentie comment ? C’est quoi les retours ?
Marie : Eh ben moi j’ai été super surprise. Qu’est ce que t’as pensé la première fois que t’as regardé le documentaire ?
Jihad : Bah j’ai lancé ma chaîne -rires- Parce qu’en fait au delà de la partie qui justement traitait du cyber harcèlement ‘fin moi mon ressenti c’était … Y avait principalement Claire qui en avait parlé et comment elle a tourné sa situation en mode en fait elle a monétisé les insultes qu’on lui avait faites et j’étais là « mais en fait t’as tout compris! » Et du coup bah … non moi j’avais eu un bon retour dessus et je pense que si on met de côté cette partie là, on peut en parler à tout moment quoi, on peut l’utiliser. Moi j’avais bien aimé.
Marie : Bah la réception correspond à ça, on a des meufs qui nous ont dit « ça m’a donné envie de lancer ma chaîne ». On a des meufs et des mecs qui nous ont dit «Je ne me rendais pas compte que le problème était aussi important. Je me rendais pas compte que les meufs étaient aussi peu visibles, je me rendais pas compte qu’elles s’en prenaient autant dans la gueule, je me rendais pas compte qu’elles allaient plus facilement vers les sujets beauté et mode et que c’était un conditionnement de la société ». Y a eu beaucoup de prises de conscience. Et moi j’ai vraiment pendant une semaine lu tous les commentaires sous le docu en me disant mais c’est pas possible on va se prendre un raid de JVC à un moment, on va se faire cyber harcelées, ils vont trouver mon adresse et tout ‘fin c’est obligé y a un moment ils vont nous tomber dessus et c’est jamais arrivé. Donc je sais pas si on a eu de la chance ou si c’est parce qu’on a tapé juste.
Félicie : Je me demande quelque part qu’est ce qui fait qu’y ait des raids JVC bah par exemple sur les vidéos de Marion et d’autres, on dirait qu’ils tapent un peu au hasard quoi.
Marie : Ouais en fait c’est un peu… C’est un facteur risque que tu peux jamais évaluer. Euh tu sais jamais, c’est juste à un moment y a un mec qui pète un câble et qui écrit un thread sur JVC et potentiellement si il est suivi bah voilà … Ou alors t’as Raptor Dissident qui fait une vidéo sur toi et là t’es dans la merde quoi. Mais nous on a eu … je pense qu’y a une part de chance là dedans même si je suis persuadée qu’il y a également du très bon taff de la part de Lisa et Léa qui ont réussi à faire en sorte que le sujet parle à tout le monde et à tel point qu’on les a … Le documentaire avant de le sortir on l’a montré à des personnes qui n’avaient jamais regardé de vidéo Youtube, qui étaient âgées ou qui étaient très jeunes et on voulait vraiment que ça puisse être compréhensible par tout le monde et c’est un taff de ouf. Bien sûr on n’a pas pu traiter tous les sujets qu’on avait envie de traiter. Euh si on le refaisait, moi si on m’avait demandé mon avis par exemple et si je voulais refaire un documentaire aujourd’hui je mettrais bien d’autres choses. Je les avait orientées vers des experts aussi pour parler de bulles de filtres parce que pour moi c’est un gros problème dans l’invisibilité des meufs sur Youtube.
Félicie : Est ce que tu peux expliciter un peu ce terme là ?
Marie : La bulle de filtre ça correspond à une sorte de zone de confort sur internet qui est renforcé par le fonctionnement algorithmique. En gros quand tu regarde une vidéo d’Enjoy Phoenix, l’algorithme va prendre en compte les mots-clés de cette vidéo et les thèmes du coup qui sont abordés dans cette vidéo et il va te proposer des contenus similaires. Quand il fait ça, il sait qu’il te propose des vidéos qui correspondent à tes goûts et toi tu vas cliquer plus facilement dessus. Sauf que plus tu regardes des vidéos similaires les unes aux autres, plus tu vas t’enfermer dans ce cercle. Et c’est un théorème qui a été élaboré bien avant l’arrivée d’internet. Il avait été élaboré … je voudrais pas dire de bêtises mais il me semble que c’était dans les années 60 à l’époque par quelqu’un qui parlait de bulle de filtre, de « filtre bulbe » en termes de consommation de presser et notamment de journaux, le fait qu’on achetait les mêmes titres. C’est un phénomène qui s’est retrouvé sur internet et qui s’est amplifié avec le fonctionnement algorithmique de Facebook, Youtube et Instagram qui nous renvoient vers des contenus toujours similaires les uns aux autres. Mais parce que en même temps qui a envie de se faire suggérer une vidéo sur la théorie… une théorie conspirationniste des pyramides alors qu’on est train de regarder une vidéo … j’sais pas sur la naissance de la Terre par exemple, ‘fin ça s’explique c’est pas illogique mais le problème c’est que ça … Ouais ça nous permet pas de voir que d’autres univers existent et que d’autres catégories sociales de population existent.
Jihad : Mais comme tu dis on en revient à la (?) parce que ben si y a juste une fonctionnalité genre je sais pas comme dans Wikipédia genre Random. Et franchement la première fois on va te sortir une théorie conspirationniste tu vas être là « bah je vais pas regarder, je vais passer à autre chose, refais le random». En plus des onglet qui sont déjà existants mais je pense que … pour youtube le plus important comme on dit c’est de faire rentrer de l’argent par les annonceurs et du coup le bien être des consommateurs pour l’instant … Nous en tant que consommateur on ne paie pas Youtube et même quand on paie des services, ces services là ‘fin ça reste quand même des entreprises et ils vont pas forcément répondre à tous nos désirs. Juste pour la vidéo ‘fin le documentaire, ce qui était cool aussi en dehors de la thématique des femmes y a aussi une bonne représentation, ‘fin c’est vrai qu’y avait une majorité de jeunes femmes blanches ‘fin forcément on est un peu en France euh celle qui vont accéder à une certaine notoriété ça va être plutôt ces gens là mais y avait aussi, je crois qu’y en a eu deux ou trois…
Marie : Y a Naya, une meuf qui n’a jamais lancé sa chaîne qui était une jeune femme noire aussi … Euh pas Gloria mais … celle qui dit « ah ça ressemble à ça un Gaulois qui a bronzé » …
Jihad : Mais ça c’était un effort aussi d’avoir une certain représentation.
Marie : LGBT aussi avec Cordélia et en termes de sujets aussi qui étaient traités aussi sur Youtube. On est allées chercher des meufs à la fois qui avaient 0 abonné parce qu’y en a une qui a pas du tout lancé sa chaîne à bah … je sais plus combien elle avait Natoo à l’époque, elle devait être à 2 millions. Et voilà ça va de l’humour aux sciences en passant par les sujets de société. Ça c’était très important et c’est un peu une prouesse pour le coup ce qu’elles ont réussi à faire, très cool.
Félicie : Et justement est ce qu’on pourrait faire un espèce d’état de l’art de la création féminine sur Youtube actuellement ? Des styles, des thématiques et tout ça ?
Marie : Ouais y a des meufs qui font des thèses là dessus en ce moment. -rires- Et c’est intéressant parce que plus y aura de personnes qui bosseront là dessus, plus on arrivera à montrer que c’est pas une parano féminine de quand on a nos règles et qu’on a envie de chercher les problèmes -rires- Nan c’est un sujet qui est émergent mais aussi parce que nous on l’a amené sur la place publique depuis deux ans.
Félicie : ça a fait son chemin.
Jihad : Je pense que c’est aussi un cycle… depuis Simone de Beauvoir … Mais je pense que comme tu disais on est à un moment charnière bah du coup c’est le moment de s’approprier cette problématique là sur les nouveaux médias et d’en faire des choses parce que ça serait dommage…bon ils peuvent aussi faire des bons travaux mais c’est pas qu’aux hommes de parler de sujets de femmes même s’ils essaient d’être les plus objectifs possible, y a aussi notre vécu et ça ben un homme ne pourra jamais le retranscrire en fait
Félicie : même s’ils peuvent des alliés …
Jihad : Ah oui oui bien sûr
Marie : Du coup pour répondre à ta question de est ce qu’on peut faire un état de l’art, pour moi l’internettes explorer fait l’état de l’art du Youtube féminin et j’aimerais bien à terme et je crois que c’est dans les tuyaux qu’on … Justement pour participer au fait de faire sortir les gens de leur zone de confort d’abonnement qu’on puisse mettre en place un outil de suggestion random de vidéo de meuf et je crois qu’Amélie bosse dessus mais je suis pas sûre.
Félicie : Mais c’est ce que tu fais en tant que CM sur Facebook ‘fin tu disais que tu proposais une vidéo …
Jihad : Euh en fait … je chapeaute l’entreprise mais en fait on est à tour de rôle sur une certaine période où on choisit …
Félicie : C’est un espèce de comité ?
Jihad : Exactement. Du coup bah en fait c’est jamais la personne qui fait 2 semaines de suite, la programmation…
Félicie : Donc y a pas une personne qui est toute puissante.
Jihad : Non non pas du tout. Justement le but c’est vraiment de montrer nos envies à nous, nos coups de coeur et donner éventuellement la possibilité à des créatrices d’avoir un peu de visibilité parce que oui on n’a pas vraiment de charte au niveau du choix des vidéos mais on essaie d’avoir de la diversité autant sur le sujet, sur les sujets thématiques, sur les personnes qui sont face caméra et aussi sur le nombre d’abonnés. On essaie d’en avoir qui ont peut être moins de 100 et peut être qu’on va en avoir une qui va avoir 200 000.
Félicie : hmm ok. Après on avait des petites questions par rapport à l’association en soi, par rapport à l’organisation en fait… Qui sont les membres de l’association ? Comment ça se passe une adhésion ? Quels sont les profils des adhérents, des membres ?
Marie : Actuellement l’association est organisée de façon démocratique, c’est à dire qu’à chaque assemblée générale on élit un bureau. Le bureau c’est l’instance de décision terminale dans l’asso … Au sein du bureau donc y a cinq bénévoles et autour du bureau y a d’autres membres actives et un membre actif qui participe au projet. Donc au sein du bureau moi je suis la trésorière, Amélie est la présidente, on a une personne qui est en charge de la coordination des activités qui vient nous taper sur les doigts quand on dépasse les deadline des projets. On a une personne qui est en charge du projet politique des Internettes c’est à dire comment est ce qu’on porte notre parole dans l’espace public auprès des partenaires et on a une personne qui est secrétaire générale, voilà c’est ça, donc qui fait en sorte que l’association soit administrativement carré et qu’on se prenne pas un redressement parce qu’on a pas envoyé les bons papiers à la Préfecture et c’est elle aussi qui fait en sort qu’on ait des compte-rendu de réunions, qu’on cale des dates de réunion etc… Voilà c’est elle qui est sur la partie un peu plus légale. Donc on est cinq à faire une réunion de bureau tous les mois. Nous ce qu’on fait c’est qu’on ouvre les réunions de bureau, c’est à dire qu’on permet aux membres actives de l’asso qui portent des projets de participer à ces réunions de bureau parce qu’on est dans une … un truc très horizontal, transparent et en fait les décisions qu’on prend c’est … Je pense que dans l’histoire de l’asso c’est jamais arrivé qu’on dise « ah bah non y a que le bureau qui prend cette décision et les membres actifs qui sont sur les projets ne disent pas leur avis on s’en fout quoi ». Et donc aujourd’hui… je sais que sur le Slack on est 15, donc je pense qu’on est 15 membres actifs, y a une personne qui s’occupe des masterclass, une personne qui s’occupe des ateliers du pôle fiction, bah y a Jihad qui est sur le community management, on a une personne qui … En fait on a des personnes aussi qui viennent filer des petits coups de main de temps en temps, de façon ponctuelle pour faire un petit peu de community management aussi ou filer un coup de main sur les masterclass, ou voilà … sur la newsletter. On a aussi une développeuse, Amélie qui est… l’autre Amélie du coup, qui est une des fondatrices de l’asso, qui a développé l’internettes explorer, qui est en train de développer la nouvelle version du site web. Donc elle, elle est membre active aussi. Et au niveau du fonctionnement on se voit au minimum, une fois par mois, en réalité, c’est plutôt 2 à 3 fois par mois facilement et ça représente 150 heures de travail bénévole par semaine
Jihad : Euh sachant que le calcul on l’a fait avant que les derniers bénévoles arrivent
Marie : Ouais mais euh je pense qu’on est bien … à mon avis on est au moins à 150 heures de travail bénévole par semaine, ce qui est énorme. Moi je suis par exemple … j’ai estimé que j’étais à … entre 20 et 25 heures par semaine sur les Internettes parce qu’y a aussi une sorte de veille permanente parce que on prend beaucoup de décisions sur notre outil de communication en commun, le Slack parce qu’il faut gérer les mails, répondre aux messages etc … donc oui c’est … Mais on a fait en sorte…parce que je viens d’une culture associative où y a des projets qui ont déjà merdé à cause de ça. On a fait en sorte que chacune puisse faire en fonction de ses disponibilités euh qu’on soit hyper transparentes sur « ok là en fait cette semaine je suis désolée je peux pas être dispo est ce que machine ou quelqu’un peut reprendre le projet. » En plus on est à une période charnière, on est toutes des jeunes femmes entre 20 et 30 ans et c’est des périodes où tu te construis professionnellement, tu te construis personnellement, t’as de l’instabilité parce que t’as des déménagements, des études, tu passes des études au boulot, des périodes de chômage etc… Euh tu peux aussi te mettre en couple et ça devient un petit peu sérieux donc ça te demande du temps, ‘fin des trucs … Ou au contraire tu te retrouves célibataire et t’es là « vraiment il faut que je compense donc filez moi plein de trucs! ». On a aussi ça et du coup ça se contrebalance bien. Et puis surtout on kiffe bosser ensemble, ‘fin personne n’est venu pour souffrir -rires-
Félicie : Oui je pense que ça se sent, c’est un peu comme la rédac de Madmoizelle. On sent que vous êtes soudées, vous vous connaissez quoi.
Marie : Ouais, c’est pas facile au quotidien parce que ça nous amène aussi à des discussions difficiles où il faut qu’on se rentre dedans de temps en temps. Parce qu’on a peur de … En fait le problème c’est qu’on a peur de de se blesser. On est des bonnes petites filles sages et parfois on dit pas ce qu’on pense vraiment et parfois on peut être frustrées suite à une décision ou alors on dit « moi j’aurais pas fait ça comme ça » parce que le collectif… c’est toujours le consensus qui prend le dessus et c’est pas nécessairement évident de dire bon bah là en fait j’ai le seul mais bon bah tant pis je ravale mon sum et je reviens après hein c’est pas grave. En fait ça fait partie… en fait c’est la vie, c’est la vie que t’as avec tes potes, avec tes proches, dans ton boulot donc on essaie juste de faire en sorte que si il faut qu’un truc pète ben ça pète parce que comme ça au moins c’est réglé. Et surtout moi ce qui me fait peur en grandissant c’est que surtout qu’il y ait des clans qui se créent ce qu’on arrive à éviter aujourd’hui en étant quinze alors même qu’on a effectivement ce fonctionnement en bureau où potentiellement on aurait pu avoir clan bureau et un clan membres actives mais aujourd’hui c’est tellement horizontal que voilà. Mais je pense que c’est une vigilance permanente quand on grandit de pas créer ça. Et puis y a aussi pour répondre complètement à la question, on a une centaine d’adhérents et adhérentes à l’asso et c’est notre source de revenus principale. C’est les adhésions qui coûtent dix à quinze euros en fonction des situations des gens. C’est dix à quinze euros à l’année, ce qui est peu.
Félicie : Et du coup les adhérents y a un profil type ? C’est qui en fait ?
Marie : beaucoup de créatrices, euh quelques mecs qui ont envie d’être des alliés de la cause et qui veulent soutenir la création féminine mais qui ne savent pas le faire autrement que par adhérer et du coup filer un peu d’argent et puis bah … -rires- je pense que dedans y a des madmoizelles aussi qui ont envie de soutenir les Internettes, des meufs qui ont aussi envie de s’investir dans l’asso et on peut pas accueillir toutes les bénévoles aujourd’hui. Ça nous demande beaucoup d’énergie d’accueillir des nouvelles personnes parce que du coup faut former les personnes qui arrivent, si on veut qu’elle soient bien intégrées, qu’elles soient bien dans l’asso et qu’elles flottent pas dans un … Parce qu’il se passe tellement de choses au sein de l’asso que faut prendre le temps pour intégrer les gens. Donc ouais c’est environ une centaine d’adhérents actuellement. Et puis on a les membres fondatrices, donc les filles qui étaient là dès le début de l’asso, qui ont toujours une petite place à part, qui ne viennent plus aux réunions aujourd’hui mais dès qu’on lance une campagne ou quand elles voient les projets, elles sont toujours … Bah Léa par exemple, Léa Bordier elle était membre du jury des Pouces d’Or ‘fin voilà on continue bien aimer bosser avec elles, avec ses fondatrices parce que ben elles étaient à l’origine du truc et de la conviction.
Félicie : En fait vous étiez combien de cofondatrices ? 5 ?
Marie : Huit … Ouais on avait un gros bureau, au début -rires- On s’était toutes mises vice présidentes je sais pas quoi là -rires- On connaissait pas, on savait pas quel titre on voulait, quel projet on va mener … Après on s’était dit « ouah huit au bureau c’est chaud il vaut mieux avoir un bureau qui prend des décisions comme ça on peut prendre des décisions rapidement avec quatre-cinq personnes et avoir des membres actives à côté qui s’investissent comme elles le veulent parce que sinon c’est impossible de prendre des décisions.
Félicie : Et j’imagine que du coup c’était surtout des créatrices vidéos et des anciennes de Madmoizelle ? ‘Fin je sais qu’y a Léa Bordier… Je sais pas si Sophie Riche était co-fondatrice aussi ?
Marie : Oui alors Sophie… pas de l’asso mais du collectif oui, elle était dedans au début. Marion aussi, j’avais aussi mis Clém’ et Mymy dans la boucle.
Jihad : Cyrielle
Marie : Ouais Cy ouais qui était membre du bureau la première année. Y a eu aussi Jeanne qui nous a rejoint qui était une meuf à Caen qui avait envie de s’investir dans le milieu associatif et de se sentir utile pour l’égalité femmes-hommes. Mais en réalité en créatrices pures même aujourd’hui au sein du bureau … y a que Sherin qui fait des vidéos. Moi j’ai jamais fait de vidéos.
Félicie : Ouais c’est ce que tu disais dans le podcast …
Jihad : Raph !
Marie : Ah oui Raph ! Ouais mais Raph elle est pas au bureau.
Jihad : Nan oui pardon.
Marie : Raph, c’est la graphiste. Oui y a une graphiste aussi. Oh p’tain on a trop chance !
Félicie : Du coup ça tourne bien maintenant ?
Marie : Ouais on a une bonne vitesse de croisière.
Félicie : Là ça fait deux ans ?
Marie : Ouais deux ans et demi. Un beau bébé -rires-
Félicie : Ecoutez je crois qu’on est arrivées au bout. Tu voulais poser une autre question ?
Aylin : Je pense qu’on a fait le tour.
Félicie : Est ce que vous vous voyez un angle qu’on a pas abordé ? … On a parlé de beaucoup de choses quand même… Bon après y a toute la thématique du harcèlement mais ça je pense ça pourrait faire un mémoire à part entière, ‘fin les raids et tout ça type JVC. Le côté aussi… que les femmes se sentent jamais légitimes.
Marie : Ouais le syndrome de l’imposteur.
Félicie : Parce qu’elles ont l’impression qu’elles sont pas assez expertes et ça ça freine aussi beaucoup.
Marie : Ouais Florence Porcel elle en parle bien de ça. Esther dans le documentaire aussi qui dit que -rires-
Félicie : Ouais … Et pourtant elle a fait une thèse astrophysique. Et elle se sent pas légitime … Et ce qui est fou c’est que les mecs … à quel moment ils se posent cette question ? Jamais en fait.
Marie : Ben ouais. Après t’en a quelques uns qui vont avoir un syndrome de l’imposteur et qui vont dire « ah oui nous aussi on a ce problème là! » Bah oui bien sûr mais majoritairement c’est les meufs quoi. Et … attend y a un truc que t’as dis juste avant qui m’a fait penser à ça … Cyber harcèlement … Ah oui un truc qui est assez marrant sur le documentaire, tu posais la questions de la réception. Euh en fait ce qui a été surprenant c’est que quand le documentaire est sorti y aussi beaucoup de créatrices qui nous ont dit « Mais c’est fou parce que moi j’ai pas ce problème là, j’ai jamais connu ça », beaucoup de petites créatrices certes mais en fait on s’est rendu compte que même si cette partie sur le cyber harcèlement elle était très impressionnante pendant ces 20 minutes sur 52, c’était pas pour autant une tendance majoritaire et du coup moi ça m’a un peu rassurée sur l’état actuel des choses sur Youtube et ça permet de dédramatiser un petit peu après on se prend bien sûr des commentaires sexistes, c’est évident. Charlie Danger qui dès qu’elle fait une pause sur une photo se prend des commentaires comme si c’était un objet euh voilà. Mais c’est pas au point de se faire livrer des pizza par surprise dès que tu postes ta première vidéo quoi, c’est pas du Nadia Daam pour tout le monde dès qu’on s’exprime. Après y a des sujets qui sont plus touchy que les autres : le féminisme, la politique et les nouvelles technologies. Les meufs se font défoncées dès qu’elles parlent de nouvelles technologies, de féminisme, de politique et de sujets de société.
Félicie : Et Lola Dubini, elle disait même la musique c’est extrêmement masculin. On connaît PV Nova et tout ça mais en fait en meuf je vois pas d’équivalent je crois.
Marie : Ouais. Bah y a une meuf qui a percé là ces derniers mois qui s’appelle Claudia Rise (orthographe?) qui fait aussi de la musique sur youtube et je trouve ça cool parce qu’elle a persévéré. Et euh mais c’est vrai que c’est pas énorme en fait.
Jihad : Il n’empêche que la plupart, je parle que des femmes qui arrivent à percer dans la musique après Youtube, il n’ y a que celles qui correspondent à certaines normes.
Marie : Ouais carrément ! Ce n’est pas de leur faute …
Jihad : C’est les maisons de disque …
Félicie : Ouais elles correspondent aux standards de beauté et du coup ça passe
Jihad : Exactement
Marie : Ouais quand tu sors de Youtube t’es quand même dans une société patriarcale -rires-
Jihad : Les majors c’est des hommes …
Marie : Et c’est aussi pour ça … ça me fait penser à un autre truc c’est que moi aujourd’hui le conseil principal que je donne à des meufs qui veulent se lancer c’est « Ne mise pas tout sur Youtube. Si t’as un message à faire passer, si t’as envie d’échanger avec les gens sur cette passion sur ce sujet ou quoi, ta chaîne Youtube ne doit pas être le pilier de ton projet, ça doit être un des canaux de communication mais j’sais pas euh réfléchis à des apéros que tu fais avec d’autres personnes pour parler de ces sujets là euh ‘fin lance un évènement… Mais ne te focalise pas sur Youtube en te disant que c’est là que … Peut être que c’est là que tu vas toucher le plus grand nombre de gens effectivement parce que contre un amphi de 200 personnes et une vidéo qui fait 1000 vue bah oui euh le chiffre est là mais dans la qualité du lien que tu vas pouvoir entretenir avec les gens et la véracité de ton combat ou du message que tu cherches à faire passer, il vaut mieux être multi … multi canaux ouais. Et quand t’es vraiment passionnée par un sujet, t’as pas trop de mal à trouver comment le rendre très concret même dans ta vie quotidienne quoi et ça peut passer par une newsletter à côté et ‘fin c’est … Y a plein de façons en fait de nouer avec … Ben c’est un peu les Internettes finalement quand t’y réfléchis : y a des événements, on lance des campagnes sur Twitter, on se réunit, on se fait des soirées ensemble, on fait des masterclass ‘fin voilà, je pense que c’est important de pas tout miser sur Youtube parce que Youtube n’a pas les mêmes intérêts que nous et c’est trop instable. »
Félicie : Ouais bah c’est vrai que les algorithmes ils changent en plus. Si c’était toujours le même… mais non.
Marie : Donc essaie d’avoir le contrôle sur ce sur quoi tu peux avoir le contrôle c’est pas mal.
Félicie : eh bah écoutez …
Marie : bah cool c’était très chouette
Félicie : trop bien !
Marie : Merci !
Félicie : Merci à vous surtout ! -rires- Bah du coup on vous enverra le dossier dès que possible !