LES MONDES NUMERIQUES

Blog des Masters en Sciences Sociales de l'Université Gustave Eiffel

Les paris sportifs en ligne

Par Nicolas GELE et Ilyes GASMI

Introduction :

            Nous avions à réaliser dans le cadre de notre cours de sociologie des mondes numériques un dossier portant sur de nouveaux usages sociaux dus aux outils numériques et au web pénétrant notre société. Après avoir exploré plusieurs pistes, nous avons choisi d’orienter notre recherche sur les jeux d’argent et plus particulièrement les paris sportifs. En effet, nous avons pu observer une importante campagne publicitaire dans les médias traditionnels, dans le métro, mais aussi sur les réseaux sociaux comme Snapchat, Instagram, etc.

De plus, ce matraquage publicitaire a vu son apogée l’été dernier lors de la coupe du monde de football, l’occasion rêvée de pouvoir parier. Alors, on peut se demander si les joueurs jouent plus, sans parler du fait qu’en parallèle à cela nous avons aussi constaté une croissance de la prévention au sujet des risques associés à la pratique des jeux de hasard, elle aussi diffusée via les médias sociaux.

Ainsi, étant nous-mêmes joueurs et proches de joueurs, en plus de ce rappel publicitaire permanent, nous avons opté pour ce sujet, en posant cette problématique : comment la numérisation du monde des jeux d’argent a-t-elle impacté la pratique des joueurs ?Et avec les questions qui en découlent :

Est-ce que les applications et les sites web de paris en ligne attirent de nouveaux parieurs, et quel type de joueurs ? Dans quelle mesure le numérique a transformé les pratiques des parieurs ? Y a-t-il une intensification des usages du fait de cette numérisation ? Est-ce que cela a transformé la nature des paris ? La publicité influence-t-elle réellement les joueurs ?

Dans un premier temps, une présentation des parieurs français et de l’évolution des pratiques dans une perspective historique contemporaine permettra de saisir les changements opérés consécutivement à l’évolution de la législation, aux médias et au numérique. Ensuite, en ayant connaissance des grandes tendances actuelles des parieurs (profils, pratiques, etc), les entretiens illustreront le sujet.

I. Perspective socio-historique des paris

a)   Brève histoire contemporaine des paris

Tout d’abord, Marie Trespeuch, sociologue au Laboratoire des usages (SENSE) d’Orange Labs, indique que : « L’industrie française des jeux de hasard et d’argent est, jusqu’à l’arrivée d’une offre concurrente sur Internet, structurée en trois grands sous-secteurs bénéficiant chacun de droits exclusifs pour opérer : celui des paris mutuels sur les courses hippiques offertes par le seul Pari mutuel urbain (PMU), les jeux de table et de machines à sous, proposés dans les établissements de casinos, et les jeux de loterie puis de paris sur les événements sportifs que seule la Française des Jeux (FDJ) – dont 72 % du capital est détenu par l’État – a l’autorisation de commercialiser. »[1] C’est sur cette dernière catégorie que la focale de notre étude sera portée. Puis la sociologue ajoute : « Cependant, à partir du milieu des années 1990, le marché des jeux de hasard et de paris se transforme à la faveur de l’émergence progressive d’une offre via Internet : des sites de jeux tels Unibet, Bwin ou Betclic se multiplient sur la toile et font peser de nouvelles contraintes concurrentielles sur les opérateurs historiques, les incumbents, au sens où Fligstein [2001] l’entend : ce sont les firmes déjà installées et jouissant d’une position dominante sur le marché qu’elles souhaitent conserver. En l’espèce, il s’agit du PMU, de la Française des Jeux et des casinos en dur. Est notamment investi par ces nouveaux rivaux, les bookmakers de l’Internet, le segment des paris à cote fixe. Face à cette offre qui se développe considérablement et de façon illégale aux yeux du droit français, la Française des Jeux se lance en 2002 dans la production des paris à cote fixe sur Internet, jusqu’alors interdits en France : en effet, le PMU offre des paris mutuels, dont les cotes évoluent en fonction des mises des parieurs qui jouent donc les uns contre les autres jusqu’au départ de la course. Sur le pari à cote fixe au contraire, chaque parieur joue contre l’opérateur, qui fixe la cote en amont de l’événement. »

Puis, en 2010, la nouvelle loi « relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard » marque un tournant. Elle conduit à l’ouverture à la concurrence de trois types de jeux en ligne (paris sportifs, paris hippiques et poker). Ainsi de nombreux sites de paris sportifs et de poker émergent (dont certains existaient déjà avant et étaient alors illégaux). L’impact de cette loi votée avant la coupe du monde de football 2010 a vite montré son ampleur :

« A la clôture de la compétition, le 11 juillet, 1,2 million de comptes actifs ont été créés sur les sites de paris en ligne et 83 millions d’euros de chiffre d’affaires, brassés par les quinze opérateurs agréés par l’Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel). C’est presque deux fois plus que les 43 millions d’euros générés sur Internet par la Française des jeux (FDJ), encore en situation officielle de monopole durant l’année 2009. « La demande n’a pas explosé mais s’est reportée sur l’offre légale « , estime la FDJ. » [2]

Depuis, nombre de rapports produits, entre autres, par l’ARJEL (autorité créée à la suite de la loi 2010) et l’Observatoire Des Jeux (créé afin de mesurer et d’analyser les évolutions de l’offre et des pratiques de jeux, ainsi que leurs conséquences sur la population), ont prouvé que les supports numériques ont sans nul doute élargi le spectre du nombre de parieurs et encouragé à l’intensification des paris. La place prépondérante d’internet dans les paris ne fait que s’accroître comme l’a remarqué l’historien du sport, Xavier Breuil : « En France, le montant des sommes misées sur internet par les parieurs a battu un nouveau record à l’occasion du dernier championnat d’Europe des nations de 2016 : 156 millions d’euros pour les seuls matches du premier tour, soit davantage que pour tous les matches de la dernière coupe du monde au Brésil en 2014. »[3]

Internet a obligé la Française des Jeux (FDJ) a proposé de nouveaux services : « L’offre de pronostics de l’opérateur est désormais segmentée par canal de distribution, ce qui s’est traduit, dans la phase de préparation de l’ouverture, par la création de deux marques ombrelles séparées : « ParionsSport[4] » regroupant les produits de paris vendus en point de vente et « ParionsWeb » regroupant des produits un peu différents et commercialisés uniquement via Internet. Quoi qu’il en soit, même si les formules de paris sont variables d’un réseau à l’autre, les niveaux de cote sont strictement équivalents quand il s’agit des mêmes pronostics proposés. »[5]

Néanmoins, la distinction des offres web / points de ventes expliquée ici ne doit pas se confondre avec une simple distinction entre le web et le « hors web ». L’application « ParionsSport point de vente » montre qu’une hybridation des pratiques est possible. Le parieur fait son pari sur son mobile puis le valide à son point de vente. Le web se combine à la réalité structurelle qu’est le traditionnel détaillant comme un bureau de tabac.

Cependant, de manière générale, l’utilisation de deux supports (en ligne, traditionnel) par un même utilisateur a très nettement diminué depuis 2012. En effet, il y a cinq ans, 27,9 % des joueurs en ligne pratiquaient exclusivement ces jeux sur Internet ; ils sont 41,9 % à le faire en 2017.[6]

Ainsi, Internet a permis l’expansion de nouveaux services, de nouvelles applications et donc de nouveaux usages. Ces usages font naître des questions sur le profil actuel du parieur type et de ses nouvelles pratiques.

b)   Qui sont les parieurs ? Quels sont leurs usages aujourd’hui ?

Les paris sportifs en ligne ont séduit en 2017 près de deux millions de joueurs pour une mise totale de plus de 2,5 milliards d’euros. Un record selon l’Autorité de régulation des jeux en ligne […] en 2012 les mises des paris sportifs n’atteignaient que 705 millions d’euros. La croissance du secteur est portée par l’augmentation de 22 % du nombre de joueurs actifs chaque semaine : ils étaient 334.000 chaque semaine à engager des mises en paris sportifs contre 274.000 en 2016. Le nombre total de joueurs sportifs est également en hausse et avoisine les deux millions (+23 % par rapport à 2016).[7] Le football accapare l’intérêt des parieurs, avec 1,445 milliard d’euros de mises sur l’année (contre 415 millions en 2012) et tout particulièrement « le championnat de Ligue 1 qui demeure la compétition la plus attractive » en France, souligne l’Arjel.

Maintenant qu’on connaît les chiffres principaux de l’activité, qu’en est-il du profil et des pratiques du joueur effectuant les paris en ligne ? Selon le dernier rapport d’activité (2017-2018) de l’ARJEL[8] :

Le parieur sportif est un homme (91 %) de moins de 35 ans (70 %) qui parie sur les sports les plus populaires (football, tennis, basketball) et les compétitions les plus médiatiques (Championnat de France de Ligue 1, Ligue des Champions, tournois du Grand Chelem). Il engage en moyenne 11€ par pari et sa dépense moyenne en 2017 est d’environ 237€. La majorité de ses mises sont enregistrées depuis un support mobile (smartphone/tablette). C’est d’ailleurs la seule activité de jeux en ligne pour laquelle la proportion de mises engagées sur supports mobiles est supérieure aux mises engagées sur ordinateur.[9]

C’est à partir de ces données que nous avons choisi les parieurs de nos entretiens qui suivent.

Le rapport d’activité nous apprend que le secteur des paris sportifs ne génère pas le plus gros chiffre d’affaires parmi les jeux d’argent régularisés par l’ARJEL (voir tableaux ci-dessous) mais reste néanmoins la catégorie ayant le nombre de comptes joueurs actifs (CJA) le plus élevé. En effet, le tableau 1 (ci-dessous) montre qu’entre 2012 et 2017, le nombre de CJA a presque triplé pendant que le nombre de comptes poker décroissent (phénomène de mode ? réorientation de la communication des publicitaires ?), et ceux des paris hippiques restent stables. Les paris sportifs se font essentiellement sur le football. La popularité de ce sport, l’engouement qu’il suscite beaucoup plus que la plupart des sports, la connaissance que pensent avoir les passionnés contribue à l’attractivité autour des paris en ligne sur ce sport.

Puis, le rapport produit par Jean-Michel COSTES et Vincent EROUKMANOFF sur Les pratiques de jeux d’argent sur Internet en France en 2017, pour l’Observatoire des jeux apporte un éclairage supplémentaire. La pratique croisée des jeux disposant d’une offre légale sur Internet en France est assez rare, en dehors d’une corrélation limitée entre la pratique des paris sportifs et celles des paris hippiques. L’une des informations importantes de ce dossier est Caractéristiques socio-démographiques des joueurs d’argent en ligne (ci-dessous). Il montre que pour les paris sportifs (PS), la catégorie des 18-34 ans est celle qui y porte le plus d’intérêt. La majorité des joueurs de cette catégorie ont bac +2/3 (40,5 %) et ont des ressources financières plutôt élevées (+3000 €) pour 50,8 % d’entre eux.

En suivant l’hypothèse qu’il y a de plus en plus de parieurs et, de plus en plus jeunes avec le développement des applications et de sites web de paris sportifs faciles d’accès, on peut s’interroger sur l’influence de la communication des sites de paris sportifs. En plus d’une forte campagne publicitaire dans les médias classiques, les applications des sportifs investissent les réseaux sociaux pour accroitre leur visibilité. Par exemple, sur Snapchat (voir impressions d’écrans ci-dessous) Betclic annonce régulièrement les cotes des matchs de football et invite à jouer en donnant des consignes : « Swipe, télécharge, parie ». La définition du « swipe », selon Définitions Marketing : « Dans le contexte des applications mobiles et des écrans tactiles, le swipe est l’action de balayage latéral effectuée à l’aide de son doigt par un mobinaute.[10] ». Ici l’action emmène l’utilisateur sur une page permettant le téléchargement de l’application.

Les utilisateurs de Snapchat ont majoritairement entre 18 et 24 ans[11]. L’usage des applications de paris en ligne concerne aussi de façon prépondérante cette catégorie d’âge. Non seulement la communication publicitaire est pertinente via ce réseau, mais il semble donc qu’elle puisse être efficace, même si ce n’est pas le seul facteur qui explique l’attrait de cette catégorie de la population pour ces jeux. Les trentenaires sont les plus friands de ces jeux. Avec la publicité sur les réseaux sociaux, les sites de jeux en ligne ciblent aussi les 18-24 ans. Parce que l’accès aux jeux d’argent est facilité par Internet, des institutions comme l’ARJEL (l’Autorité de régulation des jeux en ligne) et la Française des jeux mènent sur les différents réseaux sociaux des campagnes de prévention (ci-dessous, des impressions d’écrans de la FDJ témoignant de leur campagne de prévention « Restez maître du jeu » à travers les réseaux sociaux Facebook et Instagram).

Ces campagnes visent le même public que les utilisateurs de Snapchat. D’ailleurs selon Jean-Michel COSTES et Vincent EROUKMANOFF, la catégorie 18-34 ans est plus sujette au jeu excessif que les 35 à 54ans et les 55ans et plus.[12]

De plus, le président de l’ARJEL, Charles COPPOLANI ajoute dans son rapport d’activité : « Porté par des innovations technologiques, le renouvellement de l’offre de jeux d’argent tend à séduire une clientèle plus jeune, imprégnée des codes du jeu vidéo. »

Enfin, Marie Bénilde écrivait en 2010 dans le Monde diplomatique dans le contexte de l’entrée en vigueur de la loi  » relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard  » :

Depuis 1980, les jeux d’argent sont identifiés comme étant à l’origine de maladies comportementales dont la fréquence croît avec l’offre. Si l’on considère que 1 à 3 % des joueurs français entretiennent une relation pathologique au jeu, l’élargissement de cette population de joueurs pose un problème en soi.

D’autant que les bonus accordés par les opérateurs – 500 euros pour le poker sur Sajoo.fr – sont particulièrement incitatifs. Pour M. Marc Valleur, médecin chef à l’hôpital Marmottan à Paris, cette ouverture à la concurrence « va d’abord accroître les problèmes d’addiction et d’abus de ces jeux, en raison de l’importance de la publicité qui leur est consacrée ».

Ayant observé en parallèle les comportements de deux catégories de joueurs, les connectés et les non-connectés, Mark Griffiths, professeur à l’université britannique de Nottingham, estime que les jeux en ligne entraînent plus de dépendance potentielle en raison de l’anonymat et de la solitude des joueurs, de l’absence de limite temporelle ou de regard social critique. La seule prévention possible ne consiste-t-elle pas alors à limiter l’offre ?[13]Pour conclure, les médias ont, au fil des décennies, accompagné le développement des paris sportifs de différentes manières. Les médias de masse en popularisant les évènements sportifs, ont indirectement participé à l’élargissement du cercle des parieurs. Mais différents supports médiatiques comme la presse, la télévision, la radio, et aujourd’hui le web, ont été des vecteurs publicitaires non négligeables pour les firmes de paris[14]. Par exemple, Mathieu Porri, Directeur de la communication de Winamax, a expliqué comment la publicité du site lors de la finale de la coupe du monde 2014 a participé à la stratégie d’enrôlement de nouveaux joueurs : « Le public visionne le spot TV et nous retrouve ensuite sur le web où on les invite à découvrir nos offres. Pour résumer : push en TV avec la puissance et transformation sur le web. »[15] Les entreprises de paris comme bien d’autres firmes d’autres secteurs, se sont accaparés internet pour mettre en place leur business et pour étaler leur publicité. La partie suivante va permettre de comprendre la réception de la demande (parieurs) face à l’offre abondante proposée par les entreprises de jeux et de paris sur le web.

II. Entretiens avec les parieurs

a)   Méthodologie

Afin de réaliser ce dossier, nous avons décidé de réaliser deux entretiens avec des joueurs. En effet, nous avons estimé qu’il existait déjà suffisamment de donnés quantitatives sur les joueurs de jeux d’argents dans des enquêtes et rapports déjà effectués, notamment dans les travaux publiés par Jean-Michel COSTES et Vincent EROUKMANOFF. Comme le format de ce dossier était assez court, nous avons décidé de faire deux entretiens. Nous avons pris chacun une de nos connaissances qui joue aux jeux d’argents et plus particulièrement aux paris sportifs. Ce sont deux jeunes d’une vingtaine d’années correspondant à la population identifiée par les auteurs. Nous avons voulu traduire l’expérience de deux individus correspondant au profil type des joueurs de paris sportifs, c’est-à-dire de moins de 35 ans et urbain. Ces entretiens portent sur la pratique et les représentations de cette dernière par nos enquêtés, qui nous délivrent une part de leurs expériences, leurs façons de jouer ainsi que la façon dont eux témoignent de leur pratique du jeu. Il aurait été intéressant de faire plus d’entretiens, hélas, les impératifs de temps et le format de ce dossier nous obligent à réduire le nombre d’enquêtés.

b)   Présentation des entretiens

Guillaume a 23 ans il est diplômé du bac + 3, Quentin a 22 ans est technicien informatique, ils sont tous les deux issus de la classe moyenne. Ils ont une pratique des jeux d’argents très proches, à l’image de la majorité des parieurs ils misent principalement sur le football, le basket et le tennis. Mais le football sans grande surprise reste le sport le plus évoqué. Mais plus que parier, c’est parier sur un match, un club, des joueurs, équipes, de cœur, etc. qui renforcent l’enthousiasme de la pratique. De ce fait les grandes rencontres comme Rolland Garros, ou la Coupe du Monde de football sont des moments largement privilégiés par les parieurs.

Guillaume : « Déjà, je parie car je m’intéresse au sport. Le foot, ça peut être pour un club, comme le PSG… Je parie sur mon club favori », « Je parie aussi beaucoup sur le tennis en fonction des résultats » « Au moment de Roland Garros je jouais tous les jours, il y avait les matchs de tennis et je m’étais refait […] je rejouais sur le même tournoi, les joueurs qui étaient gagnants. A ce moment-là, je ne pariais que sur un sport. Je n’allais pas mettre foot, tennis, ceci cela, sinon tu n’en finis plus. Après Roland Garros, j’ai joué pendant la Coupe du monde de football », « Il y a une motivation liée à l’argent puis l’intérêt pour le sport, pour la passion pour certains joueurs, et pour certaines équipes de foot, de rugby… »

Quentin : « j’essaye de jouer sur des équipes en qui j’ai confiance ou que j’aime bien », « il n’y a pas que du foot, un peu de basket, un peu de tennis et puis, pff…. Le hand j’aime pas trop, le foot américain je touche pas, le baseball non plus, ouais c’est quand même les trois principaux. Je parie sur des sports que je pourrais regarder, ou ceux où je connais un minimum les joueurs etc. »

Et cela les bookmakers l’ont bien compris, en effet ces derniers sont nombreux à proposer des diffusions des matchs en direct. Ainsi ils attirent des joueurs, souhaitant regarder le match, sur leur plateforme. Cela renforce encore la possibilité pour ces individus de jouer sur les matchs qu’ils regardent car ne l’oublions pas, cela reste des applications avant tout pour parier. En plus, la plupart de ces applications proposent de parier en direct sur ces rencontres, ainsi que de nombreuses fonctionnalités comme retirer ses « gains provisoires », des conseils de « professionnels », etc., ce qui, une nouvelle fois, favorise le passage à l’acte, tout en mettant, l’enjeu du direct sportif et de l’attention des joueurs sur la rencontre au centre de la pratique.

Guillaume : «  Sur l’application Unibet, ce qui était bien, c’est qu’il y avait des conseils pour le basket de George Eddy et pour le foot de Pierre Ménès », « Je regardais les matchs sur Unibet », « sur Unibet, tu as une fonction « betshare » »

Quentin : « Mais tu as aussi des applications qui proposent des rediffusions des matchs, vu que j’ai pas l’abonnement pour toutes les chaines de foot etc. », « tu en as qui vont permettre des remboursements en plein pari, enfin, ou de prendre tes gains »

On peut aussi relever le fait, que nos deux enquêtés nous ont informé que lors de périodes où ils jouaient activement (tous les jours ou presque), ont quasiment systématiquement été lors de grands évènements sportifs. Cela rappelle bien encore, les liens forts qu’il y a entre émulation sportive et passage à l’acte du pari. « Je rejouais sur le même tournoi » Nous nous étions demandé plus tôt si la forte prolifération des publicités sur les divers supports affectait la pratique ; ici il ne semble pas que cela est beaucoup joué, en effet que ce soit Quentin ou Guillaume, ces derniers ont été sociabilisés au monde des paris et jeux d’argent tôt dans leur vie. De ce fait, l’un et l’autre auraient fini par être introduits sur ces applications par quelqu’un de leur entourage.

Guillaume : « Mon petit frère qui a 19 ans, m’a montré comment ça marchait et je suis donc allé dessus », « J’avais 16-17 ans, je n’étais pas encore majeur. J’allais au tabac et on ne m’a jamais demandé ma carte d’identité, je connaissais Fabrice, le buraliste. […] D’ailleurs, j’ai commencé à faire les paris hippiques avec mon grand-père quand j’étais plus jeune. On allait au bistrot et on jouait les tickets. Mon grand-père jouait mes jeux… Ce n’était pas moi qui donnais les sous. J’ai même déjà été à l’hippodrome pour jouer. »

Quentin : « J’y allais avec des potes à la sortie du collège », « mais alors j’étais encore au collège, j’allais dans les tabacs du coup. Bah j’avais pas le droit de jouer du coup, je devais avoir quelque chose comme 14 ans. ».

Nos enquêtés nous ont décrit ces applications comme des entités à ne pas prendre à la légère, en effet l’un et l’autre ont dernièrement arrêté au moins provisoirement de jouer, en effet ils n’en tiraient plus de gains. Le côté financier de la chose est évidemment primordial, nos enquêtés bien qu’ils décrivent cela comme risqué, ont eu une réaction raisonnable. Donc bien que pour le moment ces derniers ne s’adonnent plus à la pratique des paris, il ne saurait tarder un grand évènement sportif pour raviver leur plaisir de jouer.

Guillaume : « C’était tous les jours. Quasiment tous les 2-3 jours, voire tous les jours. Au moment de Roland Garros je jouais tous les jours, il y avait les matchs de tennis et je m’étais refait… »

Quentin : « Euh, là en ce moment j’ai un peu arrêté, mais ouai il y a des périodes où c’était quand même assez régulier, ça pouvait aller jusqu’à… Je ne sais pas, un pari par jour. Et là j’ai arrêté, parce que j’étais sur une série noire, haha, j’ai essayé de m’y remettre juste sur un match, sur lequel j’étais plutôt sûr mais c’est pas passé, donc ça m’a un peu dégoûté et voilà, c’est un peu du dégoût. »

En parlant d’argent, nous expliquons que ce qui compte vraiment pour nos enquêtés c’est la rencontre sportive, mais il serait faux de limiter leur pratique à cela, en effet parier pour son équipe c’est bien, mais parier pour son équipe et gagner c’est encore mieux. Ainsi, nos parieurs ne font pas que miser, avant ils se renseignent via leur smartphone qui leur sert aussi à parier. Ils regardent des pronostiqueurs, des classements, les compositions d’équipes, parlent entre joueurs etc.

Guillaume : « Parfois je discute avec mon père qui dit son avis sur le favori d’un match », « Des fois je m’informe. Pour le tennis, j’ai une application, Tennis Temple. C’est un peu comme L’Équipe mais axé sur le tennis. Je ne suis pas trop les pronostiqueurs, mais j’ai suivi Nassim préservatif, un pronostiqueur », « J’avais joué en fonction de la forme de l’équipe malgré le manque d’expérience dans la compétition qu’elle jouait, la ligue des champions, ils auraient dû gagner »

Quentin : « Tu peux avoir les historiques des équipes avec leurs derniers résultats. », « Il y a deux mecs, après je suis pas tous leurs paris […] Quand je suis quand même assez d’accord avec l’analyse, ouais je vais peut-être avoir plus de chances de parier là-dessus »

Et enfin ils regardent aussi un aspect essentiel des paris : les cotes. Les cotes [Rapport entre les chances de perdre et celles de gagner qu’offre un cheval dans une course. (La cote d’un cheval est à 10 contre 1 quand il est présumé avoir dix chances de perdre contre une seule de gagner.) Définition du Larousse en ligne], sont d’ailleurs fixées par les bookmakers, ainsi toutes les rencontres ne sont pas cotées avec les mêmes taux suivants les bookmakers. Ainsi, ces variations sont parfois telles que les joueurs sont amenés à privilégier tel ou tel application pour un pari précis. En effet ce sont les cotes qui définissent les gains possibles, plus elles sont élevées et plus ces gains hypothétiques le sont. Mais ce facteur bien que déterminant, est plus que nuancé par le confort de n’utiliser qu’une ou deux interfaces de paris. On peut aussi donner une mention spéciale à l’application Parions Sport, qui propose une forme de pari qui diffère de celle des autres offreurs, celle d’effectuer son pari en ligne puis de le valider en point de vente, tabacs notamment et de payer en espèce.

Quentin : « Bah le mieux c’est d’en utiliser le plus possible comme ça, tu peux comparer les cotes, parce que les cotes, bah c’est quand même ce qui te fait gagner, donc plus la cote est grosse plus c’est intéressant. Donc je passe pas mal sur Betclic, Unibet, PMU, enfin PMU sport quoi, Winamax et je crois aussi que j’ai un compte sur Betstar aussi », « Après souvent c’est plus ou moins les mêmes, c’est souvent vraiment en fonction des cotes. »

Guillaume : « Oui, sur Unibet et que sur Unibet. Après, quand ce n’est pas en ligne, je parie via Parions Sport. », « Dans un premier temps je pariais sur Parions Sport, puis je suis passé sur Unibet. Quand je jouais sur Unibet, je n’allais plus au tabac », « Je ne me fiais qu’aux cotes de Parions Sport. Et quand je me suis mis sur Unibet, je ne voulais pas créer de nouveaux comptes sur d’autres sites car après tu ne t’en sors plus. », « Parfois, je joue des numéros sans regarder les cotes et puis… s’ils sont là, ils sont là, s’ils ne sont pas là, ils ne sont pas là ! Mais je regarde quand même souvent les cotes ».

Conclusion

Le numérique a effectivement transformé de manière significative le monde des paris sportifs. Nous sommes passés d’un accès au jeu assez peu diversifié, uniquement en tabac, ou sur d’obscures structures sur le Net, à un accès facile où l’offre croit d’année en année. Le passage au numérique et l’introduction de la concurrence par les nouvelles lois, ont finalement fait plus que transformer la pratique elles l’ont largement ouverte et développée. Les moins de trente-cinq ans ont délaissé de plus en plus les paris hippiques pour au contraire jouer de plus en plus proportionnellement aux paris sportifs. Le numérique a augmenté le nombre de joueurs de paris sportifs. On explique cela par le fait que le sport tel que le foot touche toujours plus de personnes que les courses de chevaux. En réalité, on assiste plus à un passage d’une pratique du pari hippique à une pratique du pari sportif axée essentiellement sur le football. La pratique des paris reste comme nous l’avons vu avec nos enquêtés un plaisir à partager. Cette génération ne se retrouve plus à l’hippodrome, mais devant la Ligue des Champions, elle parie de moins en moins dans les tabacs préférant l’ergonomie de son smartphone qui lui permet de parier chez lui en direct et même en visionnant les matchs.

Aussi, à l’image de notre société, cette rencontre se fait de plus en plus via les écrans, on ne va plus voir le grand manitou de l’hippodrome qui connaît l’état de tous les chevaux, mais on va sur son appli ou internet voir les résultats et les avis de pronostiqueurs. L’univers des paris en ligne traduit donc très bien le passage de notre société dans le « Web 2.0 ». En effet, les joueurs continuent de s’investir individuellement, même si le collectif n’est pas mis à part et le pari reste une pratique sociale. Maintenant, le rapport est plus distant, les lieux de réunions (page de pronostiqueurs, etc.) se font via les écrans. On constate aussi que l’ensemble des structures entourant les paris sont aujourd’hui majoritairement en ligne, même l’application Parions Sport requiert d’abord un passage par le numérique. La pratique via le tabac directement se fait de plus en plus rare. La stratégie marketing du groupe PMU qui encore aujourd’hui reste l’un des acteurs majeurs du domaine, témoigne bien ce passage. Les revenus du PMU sont historiquement majoritairement issus des paris hippiques, mais les tendances de transformations de la pratique des paris ont fait réagir le groupe. En effet en plus des services qu’ils proposaient déjà ils se sont introduits dans le marché des applications de paris avec possibilités de jouer aux paris hippiques et surtout de jouer aux paris sportifs.

Les entretiens soulignent bien cette transition. Guillaume continue de jouer aux paris hippiques auxquels son grand-père l’a initié mais cela devient de plus en plus marginal. Comme Quentin, il joue principalement grâce à son téléphone en mariant le plaisir des paris à celui de regarder des événements sportifs. L’intérêt des rencontres sportives stimule la pratique du pari.

Annexe

Voir entretiens complets sur ce lien : https://docs.google.com/document/d/1XO0brQjXVmZ08-2w8tdQqPh46EQgkKwDgIFnT4DCm1U/edit?usp=sharing

Bibliographie

Revues :

BEUIL Xavier, « Le marché des paris sportifs dans le football : le cas de la Belgique de 1922 à 1980 », Histoire, économie & société, 2017/2 (36e année), p. 107-128. DOI : 10.3917/hes.172.0107. URL : https://www-cairn-info-s.fennec.u-pem.fr/revue-histoire-economie-et-societe-2017-2-page-107.htm

TRESPEUCH Marie, « Du monopole à la concurrence sur Internet. L’exemple du marché français des paris en ligne », Revue Française de Socio-Économie, 2011/2 (n° 8), p. 39-58. DOI : 10.3917/rfse.008.0039. URL : https://www.cairn.info/revue-francaise-de-socio-economie-2011-2-page-39.htm

Articles de presse :

BENILDE Marie, « Paris en ligne, les jeux sans le pain », Le Monde diplomatique, 2010/10 (n°679), p. 26-26. URL : https://www-cairn-info-s.fennec.u-pem.fr/magazine-le-monde-diplomatique-2010-10.htm-page-26.htm

BERGE Frédéric, « Les Français raffolent des paris sportifs en ligne », BFM Business, 06/02/18, https://bfmbusiness.bfmtv.com/entreprise/les-francais-raffolent-des-paris-sportifs-en-ligne-1367712.html

[en ligne]

Blog :

COEFFE Thomas, « Chiffres Snapchat – 2018 », BDM Media, 8 août 2018, https://www.blogdumoderateur.com/chiffres-snapchat/ [en ligne]

Rapports institutionnels :

  • Pour l’Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL) :

COPPOLANI Charles, BOUR-POITRINAL Emmanuelle, BROCARD Jean-François, CHAUSSARD Cécile, JOSSINET Frédérique, ROBINEAU Marie-Laure, VALLEUR Marc, Rapport d’activité 2017-2018 de l’Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL), http://www.arjel.fr/IMG/pdf/rapport-activite-2017.pdf [en ligne]

  • Pour l’Observatoire des jeux (ODJ):

COSTES Jean-Michel, EROUKMANOFF Vincent, « Les pratiques de jeux d’argent sur Internet en France en 2017 », Les notes de l’Observatoire des jeux n°9 / Juillet 2018, https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/observatoire-des-jeux/Note_ODJ_9.pdf

[en ligne]

Autre :

TREMEDET Aude, Les coulisses de la campagne Winamax, SNPTV (Syndicat National de la Publicité Télévisée), 2014, https://www.snptv.org/coulisses/les-coulisses-de-la-campagne-winamax/

[en ligne]


[1] TRESPEUCH Marie, « Du monopole à la concurrence sur Internet. L’exemple du marché français des paris en ligne », Revue Française de Socio-Économie, 2011/2 (n° 8), p. 39-58. DOI : 10.3917/rfse.008.0039. URL : https://www.cairn.info/revue-francaise-de-socio-economie-2011-2-page-39.htm

[2]  BENILDE Marie, « Paris en ligne, les jeux sans le pain », Le Monde diplomatique, 2010/10 (n°679), p. 26-26. URL : https://www-cairn-info-s.fennec.u-pem.fr/magazine-le-monde-diplomatique-2010-10.htm-page-26.htm

[3] BEUIL Xavier, « Le marché des paris sportifs dans le football : le cas de la Belgique de 1922 à 1980 », Histoire, économie & société, 2017/2 (36e année), p. 107-128. DOI : 10.3917/hes.172.0107. URL : https://www-cairn-info-s.fennec.u-pem.fr/revue-histoire-economie-et-societe-2017-2-page-107.htm

[4] A l’origine de Parions Sport : le loto sportif (1985), puis le Loto Foot (1997)

[5] TRESPEUCH Marie, « Du monopole à la concurrence sur Internet. L’exemple du marché français des paris en ligne », Revue Française de Socio-Économie

[6] COSTES Jean-Michel, EROUKMANOFF Vincent, « Les pratiques de jeux d’argent sur Internet en France en 2017 », Les notes de l’Observatoire des jeux n°9 / Juillet 2018, p.4 https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/observatoire-des-jeux/Note_ODJ_9.pdf

[7] BERGE Frédéric, « Les Français raffolent des paris sportifs en ligne », BFM Business, 06/02/18, https://bfmbusiness.bfmtv.com/entreprise/les-francais-raffolent-des-paris-sportifs-en-ligne-1367712.html

[en ligne]

[8] L’autorité a pour missions de protéger les joueurs, de contrôler les opérateurs, de soutenir le marché agréé, de combattre l’offre illégale, le blanchiment et la fraude.

[9] COPPOLANI Charles, BOUR-POITRINAL Emmanuelle, BROCARD Jean-François, CHAUSSARD Cécile, JOSSINET Frédérique, ROBINEAU Marie-Laure, VALLEUR Marc, Rapport d’activité 2017-2018 de l’Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL), http://www.arjel.fr/IMG/pdf/rapport-activite-2017.pdf

[en ligne]

[10] https://www.definitions-marketing.com/definition/swipe/

[11] COEFFE Thomas, « Chiffres Snapchat – 2018 », BDM Media, 8 août 2018, https://www.blogdumoderateur.com/chiffres-snapchat/ [en ligne]

[12]COSTES Jean-Michel, EROUKMANOFF Vincent, « Les pratiques de jeux d’argent sur Internet en France en 2017 », Les notes de l’Observatoire des jeux n°9 / Juillet 2018, Tableau 4, p.7

[13] BENILDE Marie, « Paris en ligne, les jeux sans le pain », Le Monde diplomatique, 2010/10 (n°679), p. 26-26.

[14] Pour une perspective historique plus détaillée voir : BREUIL Xavier, Les paris dans le football, histoire d’une industrie culturelle, nouveau monde éditions, 2018

[15] TREMEDET Aude, Les coulisses de la campagne Winamax, SNPTV (Syndicat National de la Publicité Télévisée), 2014, https://www.snptv.org/coulisses/les-coulisses-de-la-campagne-winamax/

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