Dossier réalisé par Valentine VERDOUX et Laury DELATORRE.
Note à l’intention du lecteur : les Vines et les compilations cités dans le dossier sont référencés dans la Vinothèque, en fin de page. |
Introduction
”Fresh Avocado”, “Eyebrows on fleek, da fuq”, “He need some milk” “Watch out your profanity”, “Do it the Vine”… Ces phrases ne vous disent peut-être rien et pourtant, elles sont connues par des centaines de milliers de personnes à travers le monde. Avec le développement des smartphones et de l’accès quasi-constant à Internet, de plus en plus d’applications aux buts divers et variés ont vu le jour. Les réseaux sociaux comme Facebook et Twitter ont également connu une popularité accélérée grâce à la rapidité de diffusion de l’information, permise par les téléphones portables. Sur 7,6 milliards d’individus peuplant la planète, 4,2 sont des utilisateurs d’Internet, soit plus de la moitié, et 3,4 milliards de personnes sont des utilisateurs de réseaux sociaux (chiffres extraits du dernier rapport trimestriel des agences We Are Social et Hootsuite en octobre 2018). Cette communication presque constante sur Internet a donné lieu à de nombreux phénomènes, que les habitués de l’Internet regroupent sous l’étiquette de la culture web. Le web n’est alors plus seulement un outil, mais bien une véritable culture, dotée de ses propres codes et de ses propres références. Parmi toutes les plateformes créées depuis la démocratisation des smartphones et des réseaux sociaux, Vine s’est fait une place. Le concept ? Une application de vidéos d’une durée de 6 secondes, qui se jouent en boucle. Vine fait partie de cette culture web qui se co-construit chaque jour. Disparue en 2017 pour raisons financières, elle reste encore aujourd’hui un élément de socialisation pour les jeunes (et moins jeunes) sur le Net. Pourquoi et comment une application disparue il y a deux ans continue-t-elle à imposer une forme d’humour commun sur Internet ? Quels sont les ressorts de son succès ? Pourquoi Vine continue à faire partie de la culture internet des jeunes alors que l’application a disparu ? Comment une application qui a disparu peut-elle garder son influence dans la culture internet des jeunes ? Qu’est-ce qui caractérise la culture web ?
En somme, ce dossier a pour but de chercher en quoi l’exemple de Vine illustre la culture du web chez les jeunes.
Afin de répondre à ces questions, nous avons mené une étude quantitative auto-administrée en ligne, qui a récolté 172 réponses. L’analyse de ces résultats va nous permettre de comprendre si la culture web a réellement été influencée par Vine et ses utilisateurs. Dans ce dossier, une première partie s’intéressera au concept à succès de Vine, de sa création à sa disparition et une seconde s’interrogera sur sa postérité, en étudiant le concept des mèmes et de la “culture web” dans sa globalité.
I. Vine, un exemple concret de la culture web sur Internet
A. Vine, de sa création à son succès
Vine est une application mobile qui a été créée à New-York en 2012, par les trois entrepreneurs Dan Hoffman, Rus Yusupov et Colin Kroll. Leur objectif premier était de créer un réseau social qui permettrait à la fois la création et l’édition de vidéo, sur une seule et même plateforme. Quelques tests ont démontré que le partage de vidéos à durée non limitée serait trop compliqué à gérer, et pour cause, elles seraient trop longues à charger et à partager du fait de leur “poids”. C’est donc cette raison qui a poussé les trois créateurs à instaurer une limite de 6 secondes pour toutes les vidéos, première idée innovante par rapport aux autre plateformes de partage de vidéos déjà existantes à cette période. Cependant, cette limite de temps s’accompagnait d’un certain inconvénient. En effet, 6 secondes ne laissaient pas le temps à l’utilisateur de bien voir la vidéo ni de comprendre ce qu’il s’y passait, cela n’aurait donc pas assez d’impact sur l’internaute. C’est ce qui a donné naissance à l’idée de boucle (appelée des “loops” en anglais), seconde caractéristique propre à Vine : les vidéos se répèteraient encore et encore à l’infini tant que l’on reste sur la page, dans le même esprit que les gifs (images animées). Ce sont alors ces deux idées qui caractérisent le concept innovant de l’application et c’est ainsi que Vine vu le jour en juin 2012. En une phrase, l’application se résume donc à une plateforme de partage de vidéos de quelques octets qui se jouent en boucle.
Seulement quelques mois après la création de l’application, elle fut achetée par le géant Twitter en octobre de la même année, pour la modique somme de 30 millions de dollars. Il est important de souligner que lors de ce rachat, Vine n’était même pas encore lancée pour le public. Son lancement officiel a eu lieu le 24 janvier 2013 pour les appareils iOS (et quelques mois plus tard pour les autres appareils, plus spécifiquement le 2 juin 2013 pour Androïd et le 12 novembre 2013 pour Windows Phone). Le fondateur de Twitter voit en Vine un potentiel incomparable. Dans un tweet datant du jour du lancement officiel de Vine sur iOS, il tweete que Vine représente une toute nouvelle forme artistique.
Et cela ne va pas tarder à se confirmer. À cette époque, Vine n’était pas la première application de partage de vidéo, il en existait d’autres, mais sa sortie a vite conquis les internautes, envoyant ses concurrents sur le banc de touche. Départ fulgurant aux États-Unis, la nouveauté du concept galvanise la créativité des utilisateurs qui commencent à poster des vidéos de toutes sortes : humour, contenu musical, vidéos d’animation, vidéos d’actualité, sport, et bien d’autres, il y en a pour tous les goûts. Mais ce succès n’est pas propre aux États-Unis, bien au contraire. D’après les résultats de notre étude quantitative, 86,3% des répondants connaissaient l’application, et un peu plus de la moitié d’entre eux l’utilisaient (50,4%).
Vine devient alors l’application gratuite la plus téléchargée sur iOS le 9 avril 2013. Les raisons de ce succès sont simples, l’application séduit premièrement grâce à son format qui, comme nous l’avons vu précédemment, se résume à des vidéos de 6 secondes qui tournent en boucle à l’infini. Mais ce sont aussi son interface et sa facilité d’utilisation qui plaisent : les vidéos se présentent sous la forme d’un fil d’actualité, et il est possible de les commenter et de s’abonner à d’autres comptes. Pour les utilisateurs qui souhaitent poster du contenu, là encore la manipulation est optimisée pour faciliter la création : il suffit d’appuyer sur l’écran pour filmer un morceau de vidéo, de relâcher pour interrompre l’enregistrement, puis d’appuyer à nouveau pour reprendre l’enregistrement là où on l’a arrêté. De cette façon, aucun montage n’est nécessaire, ce qui rend la création de contenu très accessible. Le seul inconvénient montré par les utilisateurs à ce moment était l’impossibilité de filmer avec la caméra frontale des appareils.
L’ascension phénoménale de Vine a permis à l’application d’acquérir un public de masse, ce qui a poussé ses développeurs à continuer à chercher l’amélioration. Cette volonté de voir plus grand a donné naissance à de nouvelles fonctionnalités telles que la classification des contenus par genres, la possibilité de reposter un vine (qui se dotera même d’un terme qui lui est propre : “reviner” ou “revining” en anglais), ou encore la possibilité de filmer avec la caméra frontale, caractéristique qui manquait aux utilisateurs avant. Bien évidemment, ces améliorations se sont accompagnées d’une plus grande portée pour l’application. Nous avons fait ce constat en analysant les résultats de notre étude, car en effet, la majorité de répondants connaissait l’application, mais il est aussi important de souligner que 69 personnes sur 161 connaissaient l’application, bien qu’ils ne l’utilisaient pas. Et au-delà de ça, presque 70% des répondants qui n’utilisaient pas Vine connaissent des vines, c’est-à-dire qu’ils ont vu ces vidéos sur d’autres plateformes.
L’impact de Vine s’élargit, l’application a de plus en plus de succès et les vidéos sont reprises sur d’autres réseaux. Certains de nos répondants qui n’utilisaient pas l’application sont même capables de citer quelques vines ou publicateurs de vines qui les ont marqué. De cette manière, certains vines sont devenus “cultes”. À la question “pouvez-vous citer des vines qui vous ont marqué ?”, des réponses identiques remontent, prouvant bien à quel point 6 secondes (et parfois leur créateurs), peuvent rester gravés dans les mémoires. De ceux qui sont revenus dans les réponses, on retient le “Fr e sh A voca do”, “Posée au parc du Luxembourg”, mais ce qui reste le plus dans les mémoires sont surtout les créateurs de contenus. Nombreuses ont été les réponses qui citaient “les vines de (…)” plutôt que les vines en eux-mêmes. Parmis ceux qui reviennent le plus, Lele Pons, King Bach, pour les américains, mais aussi TonioLife, Julfou, Mister V, ou encore Jérôme Jarre pour les français… Le succès de Vine se reflète ainsi tout naturellement dans le succès des publicateurs de Vine, qui créent du trafic sur l’application et en quelque sorte fidélisent les internautes. Mais qui sont ces créatifs à qui Vine a donné un moyen de s’exprimer ?
B. Un format qui encourage la créativité et la célébrité
La spécificité du format proposé par Vine ne permettait pas le partage de “ce que je suis en train de faire” ou de “ce que je suis en train de voir” comme on peut le faire notamment sur Facebook ou Twitter. C’est là que résidait le succès de l’application, la restriction de 6 secondes poussait à une créativité débordante. L’originalité de certains leur a ainsi valu un succès incontestable. L’application Vine elle-même se décrit d’ailleurs comme “le réseau de divertissement où vidéos et personnalités deviennent très grandes, très rapidement” (“The entertainment network where videos and personalities get really big, really fast”).
Deux phénomènes intéressants se distinguent alors sur la plateforme. Le premier pourrait se traduire par une célébrité éphémère : une personne publie un Vine qui va faire le buzz, mais cela ne va pas avoir d’impact sur la vie du publicateur. La vidéo en elle-même, les répliques vont être reprises, vont devenir célèbres, mais pas la personne qui en est à l’origine. Les réponses à notre questionnaire ont également appuyé cette constatation : nombreux sont les répondants qui citaient des vines par les paroles qu’on y entend, ou en les décrivant car ils ne savaient pas qui étaient les personnes les ayant publiés (exemples : “Do it for the vine” ou “la fille qui se retourne sur Take on Me”). La viralité des contenus est caractéristique de Vine, on peut être à l’origine d’une vidéo qui comptabilisera des centaines et des milliers de “loops” (boucles) du jour au lendemain, comme on peut tout aussi vite retomber dans l’anonymat.
Le second phénomène, à l’opposé, est la montée de “stars” du vine. Enchaînant les vines créatifs, drôles ou encore même parfois absurdes, certaines personnalités se sont faites une place dans le monde de la célébrité, notamment aux Etats-Unis. On voit alors rapidement apparaître le terme de “vineur”, autrement dit, un créateur/publicateur de vines sur la plateforme. Certains en deviennent même monétisés grâce aux placements de produits que les marques payent dans leurs vidéos. Leur passe-temps devient alors d’une certaine façon un métier. Vine devient aussi une communauté, et pour les publicateurs les plus célèbres, cette communauté n’est plus seulement virtuelle : les stars de Vine s’invitent les unes les autres dans leurs vidéos, et ce sont même parfois des célébrités issues du cinéma ou de l’industrie musicale qui se joignent à eux. Ou inversement, on a vu de nombreuses célébrités reprendre des vines devenus célèbres ! Pour citer deux exemples assez parlants, on peut mentionner les artistes du groupe de musique des Fifth Harmony, qui, pendant leurs propres concerts, se sont servi du Vine qui avait utilisé leur chanson (voir la vinothèque en bas de page), ou bien le fameux vine de Ryan Gosling qui mange ses céréales, réalisé pour rendre hommage au Vineur Ryan McHenry, créateur de la série de vines “Ryan Gosling won’t eat his cereals”, suite à son décès du cancer.
Ne tardant pas à se propager sur les autres réseaux sociaux, certains vineurs ont tant percé sur le web qu’ils en ont fait leur carrière (et certains allant même jusqu’aux plateaux de cinéma ! On retient notamment l’exemple d’Andrew Bachelor, plus connu sous son pseudo de King Bach, qui a été cité plusieurs fois dans les réponses de notre étude et qui comptait plus de 16 millions de followers en 2015). Six secondes rendant impossible la scénarisation développée, les publicateurs de vines se sont pris au jeu en relevant le challenge imposé, et ils ont évolué dans un humour tantôt “rentre-dedans”, tantôt absurde et souvent truffé de stéréotypes dont ils se moquent. Cet humour est devenu propre à Vine et à ses 6 secondes (notons d’ailleurs que l’humour était la catégorie la plus en vogue sur l’application). En se moquant de nombreux stéréotypes, Vine est aussi devenue une communauté d’un autre point de vue. La plateforme est devenue un moyen d’expression pour les minorités racisées, latino-américaines, asiatiques mais surtout afro-américaines, et ce grâce à la liberté qu’elle proposait. Vine n’était disponible que sur les smartphones pendant les deux premières années de son existence, ce qui mettait de côté un bon nombre de personnes principalement utilisatrices d’ordinateurs. Mais le format limité était également une opportunité, car six secondes ne laissent pas beaucoup de place à la conversation sérieuse, la critique fondée ni au troll anonyme. Tout cela pouvait donner l’impression à une personne extérieure que l’utilisation de l’application était trop compliquée et les blagues pas assez recherchées. Mais c’est justement cette inaccessibilité partielle qui l’a rendue accueillante aux yeux de nombreux créatifs de couleur, et qui a naturellement attiré une population “jeune” et diverse, pour qui l’utilisation de ce nouveau médium semblait simple et surtout plus libre. On ne sait pas toujours d’où viennent certaines répliques ou tendances devenues cultes, mais il n’est pas rare que ce soit l’oeuvre de jeunes créatifs noirs. Par exemple, l’expression “on fleek” (qui peut se traduire approximativement par “au top”) est une expression qui a été inventée par la vineuse noire Peaches Monroee, et qui est aujourd’hui très souvent utilisée par les jeunes générations, qui ne savent pas forcément d’où provient le terme. Donc d’un point de vue plus politique, Vine a réellement permis à la communauté noire de s’exprimer sans craindre le reproche ou le harcèlement qu’ils auraient pu recevoir sur d’autres plateformes.
Mais en France aussi, Vine a son lot de stars. Nos répondants ont notamment beaucoup cité Jérôme Jarre, et pour cause. Lyonnais d’origine, le petit Frenchie de Vine est installé aux Etats-Unis, où il joue de son accent dans ses vidéos humoristiques. Touchant un public à la fois anglophone et français, Jérôme Jarre va rapidement se mettre à utiliser son audience pour des causes humanitaires, et ce, aujourd’hui encore. Les autres français ayant eu une grosse audience sur Vine sont les créateurs de contenus qui étaient déjà présents sur YouTube, tels que Cyprien ou Norman par exemple. Vine leur a alors plutôt servi à fidéliser leur public et à en attirer de nouveaux. Ainsi, à la différence du phénomène précédent où le publicateur n’était pas connu, il est plus aisé de citer les personnes à l’origine des vidéos mais il est au contraire plus difficile de se rappeler d’un vine en particulier.
Et l’on peut également distinguer un troisième phénomène, car d’autres sont aussi devenus des références, mais malgré eux. Pour illustrer cet exemple, on peut notamment citer Gavin, qui a d’ailleurs été mentionné plusieurs fois dans les réponses à notre questionnaire. Aussi surnommé “the meme kid”, Gavin a été filmé par son oncle sur Vine, et les réactions et expressions faciales du petit garçon de 5 ans ont fait parler la toile. Gavin devient un mème (Wikipédia définit le mème comme étant “est un élément culturel reconnaissable, répliqué et transmis par l’imitation du comportement d’un individu par d’autres individus”). Simone Biles, quadruple championne olympique américaine de 21 ans le tweete en 2016 : “il y a un mème de Gavin pour tout”.
L’exemple de Gavin est particulier, car c’est un enfant, filmé par un adulte. Mais ce n’est pas pour autant un cas isolé, on se souvient également de Chloe (“unimpressed Chloe”) face à l’annonce de ses parents qui l’emmènent à Disneyland. Les deux enfants ont d’ailleurs tenu Internet informé du fait qu’ils ont bien grandit (https://twitter.com/gavinthomas/status/1059680065082933248).
Mais malgré la diversité du contenu de Vine et de ses publicateurs, ces derniers migrent de plus en plus vers d’autres plateformes, et notamment YouTube, qui permet de poster des vidéos plus longues, avec un contenu plus poussé. On assiste en 2016 a une stagnation du nombre d’utilisateurs.
C. La disparition de Vine
Face au succès phénoménal de Vine, les concurrents n’ont pas tardé à riposter. Vine subit l’apparition d’une fonctionnalité similaire sur Instagram au printemps 2013. Jusqu’alors, Instagram ne permettait que le partage de photos. Dans une volonté de gagner des parts face à Vine, Instagram lanca en juin 2013 la fonctionnalité permettant le partage de vidéos. Une différence majeure se remarque alors au niveau de la durée : les vidéos sur Instagram peuvent aller jusqu’à 15 secondes (durée qui sera augmentée jusqu’à 1 minutes en 2016). Mais Vine ne comptait pas pour autant se laisser faire, face à cette concurrence, Vine ajouta à sa plateforme la possibilité de cliquer sur les vidéos de 6 secondes pour faire apparaître une vidéo plus longue (jusqu’à 140 secondes, clin d’oeil à la limite de caractères de Twitter à cette époque). Parallèlement, on observe également la montée de Snapchat, qui propose un format différent (des stories qui ne restent en ligne que 24h), mais qui plait aussi aux internautes.
Petit à petit, les fonctionnalités qui faisaient la force et l’innovation de Vine lors de sa sortie s’apparentent alors plus à des inconvénients. Les créateurs de contenus migrent vers les autres réseaux sociaux, Instagram, Snapchat et même Youtube, qui leur laissent une plus grande liberté pour leur créativité. Ils ne délaissent pas totalement l’application, mais ne lui consacrent plus autant de temps qu’avant, et ce sont sans doute toutes ces raisons accumulées qui ont engendré une stagnation de l’utilisation de Vine.
Il faut aussi prendre en compte le fait qu’avec les vineurs qui se déplacent vers d’autres plateformes, Vine retire moins de profits par rapport aux placement de produits faits par les marques à travers les vidéos des publicateurs.
Le 27 octobre 2016, Twitter a alors annoncé la fermeture de Vine dans les mois à venir, après seulement 4 ans sur le marché. Cette annonce eu l’effet d’un choc pour de nombreux utilisateurs, ainsi que pour les créateurs originaux de l’application.
Ce sont donc des raisons de rentabilité et d’incapacité à conserver une audience active face aux autres réseaux sociaux qui ont poussé Twitter à sa décision.
Ironiquement, suite à cette annonce, les utilisateurs de Vine ont été beaucoup plus actifs que les mois qui ont précédé, créant notamment des contenus pour “dire au revoir” à l’application et également pour promouvoir leurs autres réseaux sociaux.
La fermeture de Vine a aussi engendré de l’inquiétude, car bien que de nombreux utilisateurs aient déplacé leurs contenus sur d’autres réseaux, un certain nombre de “vineurs” étaient resté fidèles à Vine et ont vu dans cette annonce une remise en question de leur carrière.
Finalement, lors de la fermeture officielle de Vine qui a eu lieu le 17 janvier 2017, Twitter a lancé la “Vine Camera App”, une application qui permet de filmer dans le format Vine pour ensuite poster les vidéos directement sur Twitter. Mais ce concept n’a pas fait l’unanimité et n’existe plus aujourd’hui.
Malgré la fermeture de l’application, l’esprit de Vine et ses vidéos demeurent intacts. Vine a donné la voix à toute une génération de créateurs de contenus, et bien que l’application ait connu un point de stagnation, elle n’avait pas atteint la chute. Si l’on prend les chiffres de notre questionnaire, on voit déjà que sur les 70 personnes qui utilisaient Vine, 58,6% d’entre elles regardent encore des Vine aujourd’hui.
Cela est rendu possible grâce aux nombreuses compilations de Vine que l’on retrouve notamment sur YouTube, sur des groupes Facebook ou dans des threads Twitter. Bien que l’application soit aujourd’hui fermée, Vine n’en est pas pour autant devenu obsolète.
Les références de Vine font partie de ce grand ensemble que l’on appelle communément la “culture web”. Le web est ainsi devenu au fil des années une véritable culture, caractérisée par ses propres codes et ses propres références, dont font partie les vines que nous avons pu mentionner précédemment. Cette culture donne aussi une place prédominante à ce que l’on appelle les “mèmes”.
Les mèmes sont des images, des vidéos ou des gifs, qui transmettent une idée, une référence, une expression, et qui sont utilisées et ré-utilisées au sein du web et de ses différentes plateformes. Et dans les faits, de nombreux vines ont donné naissance à des mèmes, qui sont aujourd’hui encore – et peut-être même de plus en plus – utilisés.
II. La postérité de Vine et la culture du mème
A. Que reste-t-il de Vine aujourd’hui ?
Au moment de sa disparition, Vine a donc connu un regain de popularité, et a pu ainsi être salué comme il se devait par ses nombreux fans. Les vineurs populaires se filment en train de dire au revoir à la plateforme, toujours de manière dramatique ou humoristique : “It changed [my] life forever. Thank you, Vine” (“Ça changé ma vie pour toujours. Merci Vine”) de Thomas Sanders, ou comme le prouvent les compilations de “Farewell Vine” (Adieu Vine). Vine constituait un moment particulier de la culture mème d’Internet. Sa disparition a donc également été l’occasion pour les utilisateurs et amateurs de mèmes en tout genre de profiter de sa disparition une dernière fois. En plus des vidéos d’adieu et des hashtags faisant le tour du monde, les utilisateurs s’organisent déjà pour conserver ce qu’ils pouvaient de Vine : les vidéos. Cela avait d’ailleurs été prévu par le fondateur de Vine, qui l’annonce dans le message d’annonce de fin de Vine : “Nothing is happening to the apps, website or your Vines today. […] You’ll be able to access and download your Vines. We’ll be keeping the website online because we think it’s important to still be able to watch all the incredible Vines that have been made.” (‘Il ne va rien arriver aux applis, site web ou à vos Vines aujourd’hui. […] Vous allez pouvoir accéder à vos Vines et les télécharger. On va laisser le site en ligne parce que l’on pense que c’est important de toujours pouvoir regarder les Vines incroyables que vous avez fait”). Ainsi, les Vines récupérés sur la plateforme sont rapidement compilés en playlists vidéos publiées sur Youtube. De plus, ce n’est pas un seul utilisateur qui a créé des compilations que tout le monde regarde, mais bien des milliers d’utilisateurs qui construisent leurs propres compilations, en fonction de leurs goûts et de leur humour. Ces compilations permettent aux amateurs de Vine de se réunir autour des Vines les plus connus et mythiques qui les ont fait rire. Ces vidéos peuvent totaliser plusieurs millions de vues, et des commentaires récents prouvent que les internautes viennent régulièrement les consulter. Sur notre questionnaire, 63 personnes (soit 45%) déclarent regarder encore aujourd’hui des Vines, plusieurs fois par an pour 32 d’entre eux, et au moins une fois par jour pour 10 d’entre eux. On distingue donc chez les internautes une volonté de continuer à profiter du contenu créé sur Vine. Par ailleurs, les personnes interrogées lors de notre questionnaire sont globalement favorables à son retour (voir diagramme ci-dessous), ce qui montre que le succès de l’application se poursuit dans l’imaginaire commun au point où deux ans après sa disparition, les utilisateurs aimeraient toujours son retour.
Aujourd’hui, Vine et les Vines créés lors de sa période d’activité restent donc présents dans la culture commune des jeunes. Les créateurs et créatrices de contenus à succès ont tenté de faire migrer leur public d’une plateforme à une autre. Beaucoup ont migré sur Youtube, sorte d’héritier naturel de Vine tant en terme de liberté de création que de communauté, qui est globalement la même (un public plutôt jeune, à l’aise avec la technologie, qui s’abonne et peut ainsi suivre le contenu qui l’intéresse). Notre questionnaire montre que 37 personnes sur 70 connaissent d’anciens vineurs reconvertis à de nouvelles plateformes comme Youtube ou Instagram. Parmi eux, 20 personnes continuent à suivre ce que produisent ces anciens vineurs sur leurs nouvelles plateformes (comme Jérôme Jarre, Liza Koshy ou Shawn Mendes). L’annonce de la fermeture de la plateforme a laissé le temps à ces stars de prévenir leur communauté et à préparer leur “départ” vers une nouvelle plateforme, avec parfois plus ou moins de succès, comme en témoigne l’histoire de Christiana Gilles (NaturalExample sur Vine). Au moment de l’annonce, elle était suivie par des centaines de milliers de fans, avait intégré un réseau d’influenceurs du Net et se faisait parfois reconnaître dans la rue par des fans recréant ses Vines devant elle. Après la fermeture de la plateforme, Christina Gilles n’a elle pas poursuivi les vidéos, ni sur Instagram ni sur Youtube, et est retournée à une carrière dans les assurances, malgré des fans toujours présents l’encourageant à reprendre les vidéos. Pour elle, Vine était la plateforme qui correspondait le plus à son humour, et sa disparition crée un “un vide”.
Au contraire, d’autres vineurs ont pu poursuivre une carrière après la fermeture de la plateforme. Ainsi, de nombreux Youtubeurs aujourd’hui très connus sont issus de Vine, comme les frères Paul (respectivement 17 et 18 millions d’abonnés) ou Lele Pons (13 millions d’abonnés). Shawn Mendes, qui a commencé sur Vine, est aujourd’hui chanteur et est devenu en 2018 le premier chanteur à inscrire 4 singles dans le Billboard américain.
Mais cette reconversion vers d’autres plateformes doit nécessairement s’accompagner de changements. En effet, Youtube a aussi d’énormes différences avec Vine. Les vidéos doivent être plus longues, mieux montées, car le public est plus exigeant et habitué à des vidéos de qualité. La reconversion vers une autre plateforme n’est donc pas toujours une chose allant de soi pour les anciens vineurs.
D’autres applications ont également tenté de s’embarquer dans le créneau laissé vide par Vine à sa disparition, celui de la vidéo courte requérant peu de montage. Les applications comme Tik Tok (anciennement Musi.cally) au succès grandissant ou encore Snapchat, qui a réussi à s’imposer auprès de millions de jeunes. Ces applications apportent toutefois des nouveautés, Snapchat étant plutôt basée sur la photographie et l’échange par message, tandis que Tik Tok met l’accent sur les playbacks de chansons populaires et les montages kitsch. De plus, malgré la jeunesse de leurs publics respectifs, ces applications n’ont pas réussi à fédérer autant que Vine et à créer une communauté similaire, basée sur l’humour et non pas sur l’apparence.
Vine arrive donc à perpétuer son humour et sa culture bien après sa fermeture et l’arrêt total de son utilisation. Mais pourquoi les utilisateurs restent-ils aussi profondément attachés à Vine ?
B. Des références communes et un humour en communauté
Tout d’abord, il ressort du questionnaire que nous avons effectué que les personnes qui utilisaient Vine et qui regardent encore aujourd’hui des Vines sont des personnes plutôt jeunes. Ainsi, 114 personnes qui ont entre 18 et 25 ans déclarent connaître Vine, sur 122. Parmi eux, ils sont ensuite 61 à avoir utiliser l’application lorsqu’elle était active, et 43 à connaître des Vines, bien que n’étant pas utilisateurs de l’application à l’époque. Chez les 26-45 ans, 15 interrogés sur 20 connaissent Vine et 8 utilisaient l’application (1 personne uniquement regardait des Vines sans avoir l’application). En revanche, parmi les personnes âgées de plus de 46 ans, seules 2 sur les 9 interrogés connaissent Vine, et aucune n’utilisait ou ne regardait de Vine.
Il y a donc dans l’utilisation de l’application Vine un effet de génération, qui contribue à créer des références communes chez les jeunes français, qui peuvent en rire facilement entre eux grâce aux partages sur les réseaux sociaux. En effet, parmi les jeunes de 18 à 25 ans interrogés, tous étaient actifs sur au moins un réseau social. À l’usage des réseaux sociaux s’associe de plus l’activité sur des sites webs communautaires moins connus et assez actifs dans la culture web des jeunes. Il y a par exemple Reddit, fondé en 2005, dont les utilisateurs interagissent sous forme de posts dans des sous-forums qu’ils sélectionnent selon leurs intérêts. 9Gag (créé en 2008) est également un exemple connu de site sur lequel les internautes peuvent venir regarder des mèmes, sous forme d’une longue liste déroulante d’images amusantes qui ne s’arrête jamais. Enfin, 4Chan, qui s’est implanté dans le paysage d’Internet dès 2003, est également connu pour avoir une des communautés les plus actives d’Internet, et de nombreux mèmes ont émergés de ce site. Parmi les 18-25 ans, les utilisateurs de ces sites étaient moins nombreux. Presque tous (121) connaissent l’existence d’au moins un de ces sites, mais seuls 54 en utilisent au moins un. Une majorité (39) les utilisent plusieurs fois par mois, dont 19 plusieurs fois par jour. Les utilisateurs de ces sites sont donc en général très actifs et connaissent donc bien la culture web, de part l’importance de ces sites dans la création et le partage de mème, et leur place comme acteurs prédominants et anciens de la culture web. On peut donc constater que pour ces jeunes, qui ont entre 18 et 25 ans et qui sont utilisateurs des réseaux sociaux et de sites comme Reddit ou 9Gag, Vine est un incontournable. Cette tranche d’âge est également celle qui nous a donné le plus d’exemples de Vines mémorables et qui s’est le plus exprimée sur la question des mèmes. Mais alors pourquoi ce réseau social en particulier plaît-il autant aux jeunes ? La question de l’âge et de l’utilisation d’Internet rentre bien entendu en compte, mais les tranches d’âge plus âgées utilisent de plus en plus Internet et les réseaux sociaux. En effet, sur les plus de 46 ans interrogés, plus de la moitié utilise Facebook. Mais cette exclusion des tranches d’âge plus âgées peut être aussi bénéfique pour les jeunes internautes, qui s’approprient leur application, sans supervision et sans complexe.
L’humour et la créativité déployés sur Vine sont tout à fait typiques de la plateforme et de la culture web. Beaucoup des gags reposent une musique, une chute, un déguisement inattendu, ou tout simplement une situation suffisamment absurde pour faire rire en seulement 6 secondes. Les utilisateurs ont particulièrement bien su intégrer et s’approprier la limite des 6 secondes, en utilisant cette limite comme point de chute invitant à regarder à nouveau le gag, encore et encore (engrangeant ainsi un plus grand nombre de vues, ou de loops). C’est le cas par exemple du Vine “Back at it again at Krispy Kreme”, qui en seulement 4 secondes, parvient à accrocher le public, qui ne demande qu’à regarder la chute à nouveau. Le fait que beaucoup de Vine soient sans parole, ou alors en anglais, la langue la plus couramment parlée par les Internautes, aide à la propagation des Vines. Enfin, l’absurdité même des Vines est un des facteurs permettant de comprendre leur popularité. Il peut s’agir d’une petite fille déclarant qu’elle “sent le boeuf” (“I smell like beef”), d’une jeune fille dansant au rythme de l’alarme de son micro-onde, d’un petit garçon qui crie en recevant un ballon sur la tête, ou encore d’une fille grimée dansant sur l’intro de Take on me.
Le format et le contenu des Vines est important, mais le contexte dans lequel ils étaient filmés l’étaient également. Le public pouvait facilement se reconnaître dans les vineurs, qui filmaient depuis chez eux, dans leur chambre, dans la cour de récré, dans leur voiture, qui filmaient leurs amis, leurs enfants ou encore leurs animaux. Cela forme une proximité entre créateurs et public que peu de plateforme ont su retrouver par la suite (cela avait aussi fait le succès de Youtube au début, mais à l’heure actuelle personne ne se fait d’illusion sur la vie que mène les Youtubeurs à succès). Cette intimité dévoilée, cette proximité est un autre facteur du succès de Vine chez les jeunes, et de la façon dont se sont construites ces références communes : le public et les créateurs de Vine formaient un seul et même groupe, qui se mélangeait et se confondait parfois, les membres du public devenant parfois également créateurs. De parfaits inconnus ont ainsi pu apparaître dans des Vines devenus célèbres, comme cet homme vraisemblement toxicomane qui crie à tout le monde qu’il souhaite devenir un cowboy (“I wanna be a cowboy baby”), ou encore ce jeune garçon admiratif au skatepark “That was legitness”, dont l’expression est encore aujourd’hui utilisée sur Internet.
De plus, comme nous l’avons souligné plus haut, de nombreux créateurs racisés et notamment afro-américains faisaient des Vines, et Vine était devenu une plateforme d’expression culturelle sans pareille, avec une exposition rarement vue auparavant. De nombreux militants et journalistes ont regretté la disparition de Vine, parlant d’une “perte culturelle” pour un média qui a apporté à leur communauté une lumière sur leur humour (on se souvient par exemple des “Miss Keisha” ou “You look like Beyoncé”). On peut donc voir que n’importe qui peut faire des Vines. Certaines personnalités publiques ont essayé de surfer sur la vague afin de se rapprocher des jeunes : c’est ce qu’a par exemple fait Hillary Clinton lors de sa campagne, avec un Vine aussi embarrassant que drôle la montrant “relaxant à Cedar Rapids”. Vine est donc devenu un véritable pilier de la culture web, ne pouvant être ignoré de personne, même par les générations plus âgées (et désireuses de capter l’attention des plus jeunes). Vine s’est à ce point imposé dans les références communes des jeunes aux États-Unis que des lycéens organisent des soirées thématiques sur Vine. Comme on pourrait se déguiser en personnage de série ou de films à succès, les jeunes se déguisent en Vine célèbre, et reproduisent le gag tout au long de la soirée.
Tous ces éléments, la viralité, l’absurdité, les formats particuliers, l’humour, la rapidité avec laquelle on pouvait partager des Vines, tous ces critères font de Vine une plateforme importante de la culture web, en ce qu’elle a réussi à créer des mèmes.
C. Les “mèmes”, un nouveau moyen de communication ?
Nous avons abordé plusieurs fois la question des mèmes. Plusieurs définitions sont possibles, et dépendent parfois de l’usage que l’on peut faire des mèmes. Clément Renaud dans son article publié dans Travaux de Linguistique, “Les mèmes internet : dynamiques d’énonciations sur le réseau social chinois Sina Weibo” rappelle même que la notion de mème précède la création Internet, au sens où elle était définie par Dawkins comme une “unité minimale de propagation des cultures”. Cette notion floue a été laissée de côté jusqu’à son réemploi plus adaptée à la culture d’Internet, où ils sont alors définis comme des messages courts humoristiques, faits d’images, de textes, de vidéos, de musique, et qui sont partagés, modifiés, commentés par les utilisateurs sur Internet. Plusieurs paramètres entrent ainsi en compte dans la définition du mème : la durée, l’humour, le média utilisé, et le partage. En cela, comme nous l’avons vu précédemment, certains remplissent toutes ces catégories, ce qui facilite la reconnaissance des Vines comme des mèmes. L’exemple le plus célèbre et courant de mèmes serait celui des lolcats, qui représentent des chats dans des situations absurdes, avec des légendes pouvant s’adapter à presque tous les contextes. À l’heure actuelle, avec la facilité à créer et partager des mèmes, tout peut devenir un objet à mème. La vie politique notamment est devenu un des terrains favoris de la création de mème : la phrase “Jeanne, au secours” de Jean-Marie Le Pen est utilisée dans de nombreux contextes, tout comme “C’est de la poudre de perlimpinpin”, d’Emmanuel Macron. Le monde de l’entreprise s’est d’ailleurs adapté cette nouvelle manière de communiquer : de nombreux Community Manager d’entreprises en tous genres (allant de Netflix, Innocent, Interflora ou encore Les Produits Laitiers) utilisent des mèmes afin de se rapprocher de leur clientèle sur les réseaux sociaux.
Sur quoi repose le succès des mèmes ? Souvent, l’absurdité du mème permet de faire rire et induit donc à un partage, qui peut aller jusqu’à la viralité sur les réseaux sociaux. De plus, voir son interlocuteur comprendre et rebondir sur une référence commune est satisfaisant pour les utilisateurs. Comme nous l’a indiqué un de nos répondants dans notre questionnaire, “On pourrait tenir une conversation seulement avec des mèmes.” Cela implique que toutes les parties connaissent le sens attribué à chacun des mèmes, ce qui est en général le cas grâce à la viralité des contenus. Ce phénomène de viralité est décrit par Clément Renaud comme : ”La diffusion de la culture [qui] s’appuie ainsi sur le modèle épidémique adapté de la virologie. Le mème se diffuserait donc suivant un modèle de contamination, affectant les sujets « à risque » lors d’une phase d’exposition”, les sujets à risque désignant ici les jeunes connectés à Internet. Cette viralité est de plus encouragée par le développement des applications de messagerie, qui facilitent énormément la transmission de liens, d’images, de gifs ou encore de vidéos. Celles-ci ce sont d’ailleurs adaptés à ce nouveau phénomène de communication et proposent désormais souvent dans leur application un catalogue de gifs (images animées, souvent humoristique), comme Messenger de Facebook, Whatsapp ou encore Twitter dans sa partie messagerie privée.
Mais ces phénomènes de viralité sont parfois pris à contre-pied par des communautés de “neurchi” (chineurs), qui recherchent au contraire des mèmes rares sur des sujets précis. Il en existe sur tous les sujets possibles et imaginables, et les communautés sont en général fermées au grand public afin d’éviter d’être polluées par des contenus trop courant. Cette recherche de la rareté se retrouve aussi dans le cas de Vine, avec notamment le titre des compilations, qui met l’accent sur la nouveauté des Vines cités, comme “ULTRA-RARE VINES THAT SHAPED MY TEENAGE EXISTENCE” (“VINES ULTRA RARE QUI ONT FORGÉ MON ADOLESCENCE”), “rare vines deluxe pack”, “Rare Forgotten Vines” (“Vine Rares Oubliés”) ou encore “vines rarer than someone having a crush on me” (“vines plus rares que les gens qui sont amoureux de moi”), qui totalisent plus de 20 millions de vues sur Youtube. Le publicateur de la première compilation précise dans la description de la vidéo : “my definition of « rare » here is rarely seen in vine compilations, so sorry if that title is misleading, but i swear i haven’t seen most of these in other vine comps.” : “Ma définition de “rare” c’est rarement vu dans des compilations de vine, donc désolé si le titre est trompeur mais je vous jure que j’ai vu très peu de ces vines dans d’autres compils de vines”. Tout comme n’importe qui pouvait créer un Vine, n’importe qui peut créer un mème, du plus anonyme au plus célèbre, comme en témoigne un des répondants à notre questionnaire : “J’en ai déjà créé notamment du temps de ma Licence, en utilisant Imgflip. J’en ai même créé à partir de photos que j’ai moi même pris”.
Les mèmes constituent donc une partie incontournable de la culture web des jeunes. Ainsi, pour 92% des répondants (toutes tranches d’âge confondues), les mèmes font partie de la culture web des jeunes. Pour les répondants, ces mèmes permettent de s’amuser : “sont un moyen pour les jeunes de s’exprimer et de s’amuser”, mais ils sont aussi un ensemble de références communes auxquelles les jeunes sont attachés : “forgent des références communes”, “ils rzssemblent les jeunes autour d’images connues de tous”, “donnent le sentiment d’appartenir à un groupe de « sachants »”, “Les memes permettent d’avoir des références culturelles similaires”. Enfin, les mèmes sont également vu comme un moyen de communication : “ C’est devenu littéralement un moyen de communication en lui même, un langage, avec ses propres règles et fonctionnement.”, “C’est devenu un moyen de communiquer à part entière, plus expressif que de simples mots dans le cas d’une discussion virtuelle.”, “Je suis capable de tenir une conversation Messenger avec uniquement des mêmes”. C’est donc aussi pour cela, pour perpétuer cette culture du mème et de la viralité, que Vine continue encore aujourd’hui à influencer et à faire rire les jeunes.
Conclusion
Nous avons donc plusieurs hypothèses permettant de savoir pourquoi les Vines continuent à faire partie de la culture web des jeunes : Vine était une plateforme connue et appréciée des jeunes, qui se perpétue encore aujourd’hui au travers de compilations sur Youtube, et aussi en étant utilisé comme des mèmes par les jeunes sur Internet. L’exemple de Vine montre comment la culture web se développe notamment au travers de l’humour et de la viralité de ses contenus souvent absurdes. La question de l’instantanéité des contenus est également très importante, puisque les Vines, très courts, pouvaient être partagés facilement, de la même manière qu’une image drôle ou qu’un gif. Mais cette rapidité est peut-être aussi ce qui a causé la perte de Vine, car cette limite qui avait provoqué tant de créativité chez les vineurs a finalement enfermé les créateurs dans un format qu’il était difficile de dépasser. Les plateformes ayant le plus de succès à l’heure actuelle, notamment Youtube et Instagram, réussissent à se maintenir grâce à la diversification possible des contenus et à la liberté que les utilisateurs ont, ce qui n’était pas vraiment le cas sur Vine, malgré son succès populaire évident. Ce succès populaire devra d’ailleurs se vérifier au printemps 2019, date prévue de la sortie de Byte, application créée par le co-fondateur de Vine Dom Hoffman, au concept similaire. Mais Byte arrivera-t-elle à recréer de manière naturelle la communauté et l’humour qui ont fait le succès de Vine ? De nouvelles phrases cultes comme “Ms Keisha” ou encore “That was legitness” vont-elles émerger de cette nouvelle plateforme ? C’est tout ce que l’on espère.
Webographie
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Bibliographie
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Vinothèque
Chat dans la porte : https://www.youtube.com/watch?v=0H25ve3qts4
Fresh Avocado : https://www.youtube.com/watch?v=bE4C8a48o1E
Posée au parc du Luxembourg : https://www.youtube.com/watch?v=sEsLsrT8Z9Q
He need some milk : https://www.youtube.com/watch?v=e_vFCmv9KZ4
Watch out your profanity : https://www.youtube.com/watch?v=hpigjnKl7nI
Do it for the Vine : https://www.youtube.com/watch?v=_LEBMCi_z7I
Fifth Harmony “I ain’t get no sleep cause of yall” https://youtu.be/yOGnq914sSc?t=7 provient de : https://www.youtube.com/watch?v=3nPnlCr4QeY
Thomas Sanders “it changed (my) life forever, thank you Vine : https://youtu.be/ltpKJC-WONI?t=530
Farewell Vine Compilation : https://www.youtube.com/watch?v=atCRLMFpJ50
Back at it again at Krispy Kreme : https://www.youtube.com/watch?v=ax27VgI-lVE
I wanna be a cowboy baby : https://www.youtube.com/watch?v=feMwFuihX2o
Hillary Clinton “I’m just chillin in Cedar Rapids” : https://www.youtube.com/watch?v=YfGsngd7cZY
ULTRA-RARE VINES* THAT SHAPED MY TEENAGE EXISTENCE (READ DESCRIPTION FOLKS) : https://www.youtube.com/watch?v=h6ADwSaNqXA
rare vines deluxe pack : https://www.youtube.com/watch?v=5VU-1hR7IbE
Rare Forgotten Vines : https://www.youtube.com/watch?v=HTq-aOILBjw&t=438s
vines rarer than someone having a crush on me : https://www.youtube.com/watch?v=wahKtdMGWA8
Best Black People Vines 2018 : https://www.youtube.com/watch?v=b9qXmk8jhaE
I smell like beef : https://www.youtube.com/watch?v=5eZyspecXJE
Microwave dance : https://www.youtube.com/watch?v=DX_eeOZVS2o
Chloe lmao, Take on me vine : https://www.youtube.com/watch?v=Wlyq22ybsRw
Kid on Crack : https://www.youtube.com/watch?v=wF1l_KtIUoA
Hall of Fame Vines (RIP Vine) : https://www.youtube.com/watch?v=TYgd6e4GFnU
Vine Party : https://www.youtube.com/watch?v=mQPKGLat3Mo